before i forget. (talia)

before I forget
Le temps lui semblait long. Une éternité. Alors qu’il était coincé à la maison, en convalescence. Ce repos forcé lui avait d’abord parût être un moyen de se reposer, de guérir. Puis, au fil des jours, Ethan a commencé à se sentir coincé, enfermé. Ce sentiment envahissant d’être un fardeau pour son entourage qui s’était d’abord relayé pour l’accompagner, lui tenir compagnie et, peut-être aussi, le surveiller. Puis, tranquillement, la vie devait reprendre son cours. Chacun devait retourner à leur quotidien. Ethan soudainement laissé principalement à lui-même. Il avait beau s’acharner sur les albums photos, désespérément à la recherche d’un souvenir, de quelque chose qui aurait l’effet d’un déclic, qui libèrerait ces années dérobées. En vain. Eleanor était sortie rejoindre son meilleur ami, après qu’il lui eut affirmé à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour lui, qu’elle pouvait le laisser seul. Lassé de tourner en rond dans sa propre demeure, Ethan décida de sortir, de s’entourer d’autres êtres humains. De se donner l’impression, bien que fausse, qu’il menait une vie active, normale. Ses pas l’ont guidé à ce petit café dont il se souvenait un certain achalandage. Aussitôt entré dans le commerce, il fut accueilli par la chaleur de l’endroit, enveloppé par l’odeur agréable du café et des pâtisseries et par ce brouhaha formé par les multiples conversations de la clientèle. Un café fumant à la main, Ethan s’installa à une table près d’une fenêtre. Isolé au beau milieu de ces inconnus qui menaient leur quotidien, Ethan y trouvait quelque chose d’apaisant. Le regard vers la fenêtre, perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas la jeune femme qui se dirigeait droit vers lui. Ethan? Il sursauta légèrement, et tourna son regard vers la silhouette féminine qui se tenait devant sa table. Ses lèvres étirées en un sourire. L’air confus sur son visage devait être évident. Il ne la connaissait pas. — "Ou…oui?" répliqua-t-il, hésitant. Il observait attentivement les traits de son visage. Peut-être lui semblait-elle familière ?

@talia eisley

/ awards session

Depuis son retour à la Nouvelle Orléans, Talia n’avait revu personne des gens qu’elle côtoyait avant son départ. Pas même ses parents, à qui elle n’avait même pas osé dire qu’elle était de retour. Ellis était la seule compagnie qu’elle se permettait. À la fois nerveuse de confronter tous les gens qu’elle avait laissés derrière elle en partant trois ans plus tôt, mais aussi incertaine de pouvoir affronter la ville gorgée des souvenirs qu’elle était partie pour oublier, Talia passait une bonne partie de son temps entre les murs de l’appartement d’Ellis. Ce dernier n’était cependant pas présent, et elle avait passé la matinée à éplucher de nombreux articles parlant de la grossesse, et elle en était sortie plus stressée qu’auparavant. Elle avait à présent besoin de faire autre chose pour s’occuper l’esprit. Ses pas la guidèrent vers ce petit café ou elle avait l’habitude de retrouver son aînée. Elle poussa la porte du chaleureux commerce, la boule au ventre, happée à la fois des effluves s’échappant de l’arrière-comptoir et des souvenirs qu’évoquait l’endroit. Une tasse de café pour emporter dans une main, Talia s’apprêtait à quitter ce lieu qu’elle ne se sentait finalement pas prête à affronter quand ses yeux s’arrêtèrent sur une silhouette qu’elle croyait reconnaître. Il était installé à la table qu’elles avaient l’habitude de prendre. Leur table. Hésitante, elle détourna le regard, prête à continuer son chemin, mais se ravisa. Elle ne pourrait pas prendre la fuite chaque fois qu’elle croiserait quelqu’un qu’elle connaissait, même s’il s’agissait de son premier réflexe. — "Ethan?" Demanda-t-elle simplement, un sourire aux lèvres, en s’arrêtant à sa hauteur, sans oser trop s’imposer. C’était l’un des premiers visages familiers qu’elle voyait depuis son retour, hormis celui d’Ellis. Elle eut un léger mouvement de recul quand il ne lui renvoya pas son sourire, et elle se demanda si elle ne faisait pas erreur sur la personne. Elle scruta ses traits, les sourcils froncés, une moue aux lèvres, pourtant persuadée qu’il s’agissait bien de lui, mais la confusion qu’elle déchiffrait dans son regard suffisait à la mettre en doute. — "Talia... La soeur de Julia.." continua-t-elle, laissant la phrase en suspens, visiblement déstabilisée par le fait qu’il ne semblait la reconnaître. Le simple fait de prononcer son prénom lui faisait un pincement au cœur. Qu’il ne la reconnaisse pas la laissait perplexe, sa singulière tignasse rousse passait rarement inaperçue, et plus elle le contemplait, plus elle était convaincue qu’elle ne se trompait pas. Ils s’étaient vus pour la dernière fois aux funérailles de Julia, il lui avait offert ses condoléances.

/ awards session

before I forget
Une pensée traversa l’esprit de Ethan : était-il possible qu’il ait rencontré la jeune femme durant ces dernières années de sa vie complètement balayées de sa mémoire ? Il avait été principalement à la maison et entouré de ses proches amis depuis son retour de l’hôpital. Le fait qu’il aurait pu oublier l’existence de certaines personnes ne lui avait pas effleuré l’esprit, jusque-là. Il observait ses traits attentivement. L’échange entre eux était empreint d’un léger malaise. Sa réaction ne devait sans doute pas être à la hauteur de ses attentes. Avec raison, pensa-t-il. Talia ? Il fronça les sourcils, réfléchissant. Les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place et, finalement, la jeune femme prononça les mots qui remettait le tout en ordre dans la tête d’Ethan. La sœur de Julia. Ethan se leva d’un bon de sa chaise, le sourire aux lèvres. Cet air familier s’expliquait finalement. Il toisa la jeune femme, scrutant ses traits. Elle avait changé, vieillit. Évidemment. Il était un adolescent à l’époque où il était le petit ami de sa sœur aînée et Talia n’était qu’une enfant. — "Talia Eisley, bien sûr !" dit-il, lui confirmant sans l’ombre d’un doute qu’il la reconnaissait désormais. Debout, il hésitait à s’approcher d’elle et lui faire une accolade. Enfin, c’était peut-être exagéré. — "Tu veux t’asseoir ?" Lui proposa-t-il, un sourire chaleureux aux lèvres. Il remarqua la tasse en carton, pour emporter, de son breuvage. Elle était peut-être attendue ailleurs. Il espérait pouvoir lui parler, prendre des nouvelles. D’elle, mais aussi de Julia. Il n’avait pas revu l’aînée des Eisley depuis sa vingtaine. Il avait parfois croisé de vieilles connaissances et obtenu quelques nouvelles ici et là. Des ouï-dires et des ragots. — "C’est fou ce que tu as changé… Tu n’étais qu’une gamine à l’époque." ajouta Ethan, en soufflant un léger rire. La nostalgie évidente dans sa voix. Autant il était désespéré de combler ces vides dans sa mémoire, de retrouver ces années qu’il avait perdues, autant il était fasciné par ces souvenirs d’adolescence qui se bousculaient dans son esprit.

/ awards session

Quand elle nota que la confusion ne quittait pas les traits du visage d’Ethan, Talia regretta de s’être approchée de lui. Peut-être aurait-elle du rester sur son premier réflexe et tout simplement quitter le café. Après tout, qu’aurait-il à dire à la petite sœur d’une ancienne idylle adolescente, qu’il n’avait, en plus, pas vue depuis trois ans. Il lui paraissait presque penaud, comme s’il cherchait à deviner qui elle était, sans parvenir à remettre un souvenir sur son visage. Puis, un sourire illumina son visage, alors qu’enfin, il la reconnaissait. Elle poussa un soupir de soulagement, convaincue qu’elle venait de s’éviter un embarrassant quiproquo. Elle se surprit à acquiescer à son invitation maintenant confiante qu’un échange avec un visage familier ne lui serait que bénéfique. — "Oui, bien sûr. Enfin, si je ne m’impose pas." Elle posa son gobelet sur la table et pris place sur la chaise, cette même chaise où elle avait passé tellement d’heures en compagnie de Julia. Son regard s’attarda sur la décoration qui n’avait pas changée, comme si elle n’était jamais partie. Elle reporta son attention sur Ethan quand à nouveau il s’adressa à elle. La rouquine fronça les sourcils, perplexe, le dévisageant sans la moindre subtilité. À demi offensée qu’il réfère à elle comme n’étant qu’une gamine à peine trois ans plus tôt, Talia scruta ses traits à la recherche d’un signe pouvant lui indiquer qu’il blaguait, mais il semblait des plus sérieux. Seul le rire qui s’échappa d’entre ses lèvres la poussa à croire qu’il avait peut-être simplement cherché à briser la glace de façon douteuse, mais humoristique. — "Une gamine?", répéta-t-elle, en laissant échapper un rire dans lequel transparaissait un certain malaise. À l’époque. On aurait dit qu’il parlait comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis plus d’une décennie. — "Ça ne fait tout de même pas si longtemps, et je doute avoir autant changé", se justifia-t-elle d’un air moqueur. Elle n’osait aborder les circonstances de leur dernier échange, mais nota que quelque chose chez Ethan avait réellement changé. Il ne s’agissait ni de ses cheveux à présent plus courts, ni de sa barbe qu’il portait plutôt bien, c’était autre chose, mais elle ne savait quoi. Elle aurait voulu y aller d’une douce vengeance en se moquant gentiment qu’il avait pris un sacré coup de vieux, mais se ravisa. Une telle familiarité ne ferait qu’accentuer le léger malaise entre eux. — "Comment vas-tu depuis la dernière fois qu’on s’est vus?" Elle préféra rester dans les banalités, tout de même curieuse de savoir comment il avait meublé les trois dernières années.

/ awards session

before I forget
Il était dans ce cocon parfaitement protégé, aseptisé depuis sa sortie de l’hôpital. Son entourage – sa femme tout particulièrement – avait fait en sorte que sa convalescence se déroule sans le moindre obstacle. Il ne se retrouvait que rarement seul. Et sans doute devait-il s’en considérer chanceux. Mais une partie de lui suffoquait. Confiné à l’intérieur, il étouffait. Il se sentait inutile et handicapé. Incapable de travailler, incapable de se souvenir de quoi que ce soit. Il avait profité de sa solitude pour s’évader. S’aventurer dans les rues de son quartier, se donner l’impression qu’il vivait à nouveau. Ethan sourit quand elle accepta son invitation à se joindre à lui, sans hésitation. Elle prit place à la table et lui-même retrouva son siège. Il étudiait les traits mûris de la jeune femme. Il avait passé beaucoup de temps chez les Eisley à une époque. La dynamique d’une vraie famille le fascinait. Puis, elle confirma les inquiétudes qui lui avaient précédemment passé par la tête. Ils s’étaient revus. Mais quand ? Il aurait voulu passer ce moment sans parler de lui, de son accident. Un moment à se sentir normal. Ethan se redressa sur sa chaise, se raclant la gorge. Le léger malaise qui planait autour de la table était de sa faute. — "Je suis désolé, notre dernière rencontre m’était totalement sortie de la tête... Je ne sais pas où j'ai la tête, ces temps-ci." débuta-t-il, les yeux rivés sur sa tasse de café. Sans oser mentir, il préférait feindre le simple oubli. Et rapidement, Ethan s’emmêlait dans une situation délicate. — "Je vais bien… Enfin, c’est la routine. Je n’ai pas à me plaindre." répliqua-t-il, légèrement. Pouvait-il se tirer de cette conversation sans devoir avouer son état, son accident ? Sans avoir à soutenir un regard rempli de compassion et de pitié à son égard ? Il ne les supportait plus, ces regards. Il se surprenait à jouer nerveusement avec sa bague de mariage. Il la sentait sur son doigt depuis qu’il l’avait remise à son retour de l’hôpital. Comme conscient de ce corps étranger sur sa main, inconfortable. Ce même inconfort qu’il avait ressenti au début, avant qu’il ne l’oublie, qu’elle devienne une habitude sur sa main, une extension de lui-même. Il se racla la gorge et porta son attention sur la rouquine à nouveau, un sourire aux lèvres. — "Mais, dis-moi, comment vont les sœurs Eisley ?" demanda-t-il en retour, un sourire bienveillant illuminant les traits de son visage. Inconscient de l’absurdité et de l’indélicatesse dont il venait de faire preuve.

/ awards session

Il y avait quelque chose qui clochait chez lui. Il semblait tracassé, nerveux, même. Elle ne put masquer sa surprise quand Ethan admit avoir oublié leur dernière rencontre. Ses traits, auparavant amusés, s’étaient métamorphosés en une moue dubitative. Comment pouvait-il avoir oublié un tel événement? Certes, Julia avait fait partie de sa vie alors qu’ils n’étaient qu’adolescents, mais Talia savait qu’il avait été autant important pour elle qu’elle l’avait été pour lui. Sinon pourquoi serait-il venu offrir ses respects à sa famille au service funéraire autant d’années plus tard? La mort de quelqu’un qu’on a aimé, peu importe à quelle époque, ne pouvait laisser aussi indifférent. Elle ne parvenait pas à s’expliquer comment il avait tout simplement pu oublier les circonstances dans lesquelles ils s’étaient croisés pour la dernière fois. Elle arqua un sourcil, les lèvres serrées, mais accepta néanmoins son explication, choisissant de ne pas alimenter ce lourd malaise qui planait entre eux. Puis vint la dernière question à laquelle elle se serait attendue. Cette dernière eu l’effet d’une douche froide. Sidérée par un tel manque de tact, elle demeura sans mots à le fixer de longues secondes. Elle ne savait pas à quel jeu macabre il jouait, mais il ne la faisait plus rire du tout. Si elle avait précédemment pensé qu’il ne s’agissait que d’une maladroite manière de détendre l’atmosphère, elle ne savait à présent plus quoi penser de sa flagrante indélicatesse. — "Julia est... morte... il y a trois ans." souffla-t-elle à mi-voix, livide, comme si les mots étaient coincés dans sa gorge. Ces mots, elle avait dû les dire des dizaines de fois, et ils n’étaient jamais devenus moins douloureux à prononcer, même si trois ans s’étaient écoulés depuis. L’estomac noué, le cœur serré, elle se sentait soudainement nauséeuse, et pour une fois, sa grossesse n’était pas à blâmer. Elle n’osait plus le regarder, ses prunelles ancrées sur le jonc qui ornait son annulaire, avec lequel il jouait nerveusement. Elle repensait à cet échange qu’ils avaient eu, alors qu’elle venait de faire ses derniers adieux à son aînée. Son regard gorgé d’une profonde empathie, une pression malhabile, mais rassurante, sur son épaule frêle et tremblante. Un moment bref, anodin, peut-être. Mais à ce point insignifiant? Elle secoua la tête, toujours aussi abasourdie par son manque de compassion. Elle planta son regard dans le sien, incapable de contrôler les émotions qui l’envahissaient. — "Tu étais là. À ses funérailles. Je ne comprends pas.. ça aussi ça t'est sorti de la tête? Ce n’est pas quelque chose qui s’oublie, il me semble." Son ton était sec, accusateur. Elle ne pouvait faire autrement que de lui en vouloir. Elle le dévisageait toujours avec insistance, discernant enfin son expression qui avait changée.

/ awards session

before I forget
Les secondes qui avaient suivi sa question lui paraissaient interminables. D’une lourdeur incalculable, pénible. L’expression qui s’affichait sur le visage de Talia lui était difficile à déchiffrer, mais il comprenait qu’il avait fait une erreur. Et le verdict tomba. Ethan fut happé de plein fouet par la nouvelle. L’estomac noué, la gorge sèche et son pouls accéléré qui lui martelait les tympans. Qu’avait-il fait ? Il ne pouvait pas lui en vouloir de lui annoncer le décès de Julia d’une manière aussi abrupte. C’était sa faute. C’était lui qui avait voulu jouer à ce jeu, balayant de la main son amnésie, se croyant capable d’improviser. Cette réalité bien plus dure et cruelle que tous les scénarios qu’il aurait pu s’imaginer. Il se sentait ridicule, coupable. La honte et les regrets lui rongeaient les entrailles et lui rougissaient les pommettes. Il ne parvenait pas à soutenir le regard fusillant de Talia, n’osait plus lever les yeux, s’obstinant à garder les yeux rivés sur un cerne de café sur la table. Elle continua, lui racontant qu’il était allé aux funérailles de son aînée. Elle prononçait ces mots sur un ton qui lui glaçait le sang dans les veines. Ironiquement, il ressentait une sorte d’apaisement de savoir qu’il était allé aux funérailles. Savoir qu’il lui avait rendu un dernier hommage et offert ses sympathies à sa famille qui, à une époque, fut un peu la sienne aussi. — "Talia… je suis … désolé." finit-il par répondre, doucement. Le mot semblait faible, insignifiant à côté de ce qu’il ressentait. Il aurait tout donné pour que son amnésie décide de s’emparer à jamais de ce moment précis. Il plaqua sa main sur son front, se frottant les paupières. Un mal de tête lui martelant désormais les tempes. — "Je suis un imbécile, pardonne-moi." Plaida-t-il. Rattraper cet immense faux pas semblait relever de l’impossible. Ethan soupira, reposant finalement sa main sur la table. Il savait qu’il devait lui dire, qu’il devait lui avouer son accident et son amnésie. — "Je … j’ai eu un accident. Au travail." commença-t-il. Il supposait que la cadette Eisley savait qu’il était pompier. Il inspirant profondément, osant finalement relever les yeux vers elle. — "J’étais dans un bâtiment et … la structure devait être plus abîmée qu’on ne l’avait cru… Il s’est effondré." Raconta-t-il, les sourcils froncés. C’était la première fois qu’il racontait l’accident. Il n’en avait gardé aucun souvenir, mais avait entendu ses collègues la raconter. La douleur où se trouvait désormais une cicatrice dissimulée dans son épaisse chevelure lui paraissait ravivée alors qu’il évoquait l’accident. — "Je suis amnésique, Talia." Conclut-il, finalement. Il expira cette bouffée d’air qu’il semblait garder depuis longtemps. Les mots finalement prononcés. Il espérait qu’elle le croit, qu’elle ne s’imagine pas qu’il s’amusait à ses dépens à une sorte de jeu morbide.

/ awards session

C’était quelque chose se situant entre l’effroi et la honte que Talia devinait sur les traits changés d’Ethan. Une expression indéchiffrable, mais qui lui confirmait qu’il ne se payait pas sa tête, que ce jeu funèbre duquel il semblait s’amuser n’en était en réalité pas un. Puis vinrent des excuses empreintes d’une sincérité qu’elle ne pouvait ignorer. Les traits de la rouquine s’adoucirent, mais elle demeurait sur ses gardes, incertaine de comprendre ce qui pouvait justifier une telle gaffe de sa part. Sa rancœur s’évapora, alors qu’elle hochait doucement la tête, acceptant ses excuses. Elle le regardait, une certaine indulgence dans les yeux, alors qu’il évoquait son accident. Elle eut le souffle coupé aux derniers mots d’Ethan. Amnésique. C’était la dernière chose à laquelle elle s’attendait. Elle eut un mouvement de recul, prise de court. Elle aurait imaginé n’importe quel scénario avant celui-là. Et pourtant, c’était le plus logique. Le plus tragique, également. Elle déglutit difficilement, le rouge venant colorer ses joues précédemment blafardes. C’était à son tour de se sentir idiote, décontenancée et hautement mal à l’aise. Évidemment, elle n’aurait pu deviner qu’un tel drame était survenu dans la vie d’Ethan, mais elle ne pouvait faire autrement que se sentir coupable d’avoir été aussi hargneuse avec lui. Elle se tortillait sur a chaise, elle aurait voulu être n’importe où d’autre. Les mots se bousculaient dans sa tête, mais elle peinait à les prononcer, ébranlée par son aveu. — "Je suis tellement désolée", articula-t-elle d’une voix faible, le regard empli d’empathie. Elle ne pouvait pas imaginer l’enfer dans lequel il devait vivre, prisonnier des conséquences de cet accident qui avait complètement ravagé sa vie. Elle se sentit soudainement immensément triste pour lui. — "Je n’avais vraiment aucune idée… c’est... horrible", souffla-t-elle, regrettant immédiatement son choix de mots. Évidemment que c’était horrible, mais il n’avait certainement pas besoin qu’elle le lui confirme de la sorte. Déroutée par son témoignage, elle se sentait terriblement maladroite. Cette rencontre devenait rapidement la plus embarrassante qu’elle ait vécue, alors qu’ils se confondaient tous les deux en excuses, se mettant tour à tour les pieds dans les plats. — "Je crois qu’on peut s’entendre pour dire qu’on est deux idiots", conclu-t-elle dans un petit sourire, dans une tentative de détendre l’atmosphère. Ce qui se passait dans sa vie lui semblait soudainement insignifiant. L’ambiguïté avec Ellis, sa grossesse, même Julia. Rien ne se comparait au traumatisme que vivait Ethan, à ce brouillard dans son cerveau. — "C’est moi qui suis la pire. En t’apprenant pour Julia aussi… brusquement. Je n’ose pas imaginer comment ça doit être difficile pour toi… tout ça." Ta condition, allait-elle dire, avant de se rattraper. Elle se doutait qu’il s’agissait d’un sujet délicat, mais une partie d’elle se disait que ce serait peut-être plus facile pour lui d’en parler avec une personne qui ne faisait pas habituellement partie de ce quotidien qui avait été chamboulé par son accident. Elle aurait voulu changer le sujet, ne pas lui imposer cette conversation, mais elle en était si touchée et ébranlée qu'elle ne pouvait tout simplement pas la balayer du revers de la main.

/ awards session

before I forget
Ethan observait les traits du visage de Talia changer alors qu’il lui apprenait la raison de son comportement étrange. L’agacement, la colère s’effaçant rapidement pour faire place à ce regard qu’il connaissait que trop bien depuis son réveil à l’hôpital des semaines plus tôt. La compassion, certes. Mais c’était cette tristesse, cette pitié qui avaient le don de l’agacer. Il aurait voulu qu’on le traite normalement, qu’il ne soit pas sans cesse ramené à son état. Pourtant, cette rencontre hasardeuse avec la plus jeune de Eisley lui confirmait qu’il ne pouvait tout simplement pas faire fit de situation. Et vinrent les excuses. Il acquiesçait légèrement de la tête, acceptant ses excuses – espérant qu’elle ne s’inflige pas de remords. Les traits de son visage ne laissaient aucun doute quant à sa sincérité. Pourtant Ethan ne souhait pas que Talia s’excuse. Elle n’avait pas à s’excuse, c’était lui. C’était sa faute. Il serra la mâchoire, baissant le regard sur sa tasse à café alors qu’elle qualifiait sa situation d’horrible. Toujours cette pitié. Elle parvint cependant à lui arracher un sourire alors qu’elle les traitait tous les deux d’idiots. Son sourire se dissipa en entendant Talia juger que son comportement avait été le pire de deux. — "Talia, tu ne pouvais pas savoir. C’est ma faute, j’ai voulu … ignorer ce qui m’arrive. Me sentir … normal, juste pour un instant." Avoua-t-il, d’un ton qui trahissait son embarras, mais empreint de fermeté. Ce n’était pas sa faute à elle. Il avait voulu oublier son état le temps d’un après-midi. C’était tout ce qu’il était venu chercher ici. Et pourtant, il n’avait réussi qu’à replonger Talia dans ces moments difficiles et la gêner. — "Visiblement, pas une grande réussite." Ajouta-t-il, plus légèrement. Un sourire rieur lui tiraillant aux commissures des lèvres. La lourdeur qui planait au-dessus d’eux c’était légèrement dissipée. Les questionnements et les ressentis encore présents, mais maintenant ils savaient. Il savait pour Julia, elle savait pour son accident. — "Aux retrouvailles de deux idiots." Plaisanta-t-il, portant une sorte de toast en reprenant ses propres mots, alors qu’il cognait doucement sa tasse contre le gobelet de carton de Talia avant d’en boire une longue gorgée. — "C’est frustrant." articula-t-il, en guise de réponse à la supposition que sa condition devait être difficile. C’était difficile de rester cloîtrer à la maison, de se sentir autant inutile. — "C’est de voir la tristesse et la pitié dans le regard de tout le monde. Je vais bien. Mais... c’est comme avoir la constante impression d’être le dernier à apprendre quelque chose. Comme si tout le monde savait quelque chose que, moi, j’ignore." Expliqua Ethan, concluant par un soupire. C’était étrange de se confier à une personne qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, qui ne le connaissait pas – plus – réellement. Il répondait systématiquement qu’il allait bien à ses proches, minimisant souvent la douleur de ses migraines, omettant de mentionner les nausées. Les répercussions au quotidien de son traumatisme crânien. Pourtant la douceur, l’empathie de Talia, le fait qu’elle ne soit pas impliquée dans cette histoire. Il avait avoué. Au-delà de la banale conversation. — "Je crois que je ne fais aucun sens." ajouta-t-il platement, haussant les épaules, en riant légèrement. Quelque peu intimidé et gêné que la discussion soit portée sur lui.

/ awards session

/ awards session