Le silence assourdissant, c’était la seule chose sur laquelle Elinor était capable de se concentrer alors qu’elle restait assise sur son canapé à attendre que quelque chose se passe. Une partie d’elle s’attendait encore à ce que la porte d’entrée s’ouvre et que ses enfants débarquent en trombe dans la pièce en se chamaillant et en lui demandant d’arbitrer leur dispute, argumentant chacun pour que l’autre soit puni. Si on lui avait dit il y a dix ans que ces moments viendraient à lui manquer assez violemment pour lui couper le souffle, elle n’y aurait pas cru. Et pourtant elle se sentait tellement seule dans cette grande maison vide qu’elle aurait tout donné pour avoir de nouveau la chance de faire des remontrances à ses amours. Au lieu de ça elle restait plantée là, perdue, à se demander si la solution n’était pas de tenter de faire un autre enfant, juste pour combler le vide qui avait fini par englober sa vie. Elle savait que c’était stupide et que ce n’était pas la solution, elle savait qu’elle était probablement trop vieille et qu’une grossesse la mettrait en danger et plus que tout, elle avait la quasi-certitude que son mari n’avait pas envie de retenter l’expérience. Et pourtant, oh pourtant, la tentation se faisait de plus en plus forte. Elle se leva brutalement du canapé quand elle sentit que ses émotions reprenaient totalement le dessus et qu’elle allait craquer, tira doucement sur les bords de son chemisier pour en enlever les plis et remis ses cheveux en place derrière son oreille. L’habitude de donner une image parfaite. Il lui semblait que plus elle essayait de contrôler ce qui arrivait dans sa vie et plus celle-ci perdait de son sens et volait en éclat mais c’était plus fort qu’elle. Il fallait qu’elle essaye, après tout, quelle était l’alternative ? Elle n’avait jamais été du genre à abandonner, c’était en-dessous d’elle.
Elle jeta un coup d’oeil à la table basse et remarqua un prospectus dont elle avait oublié l’existence. Elle l’avait récupéré à la fin de son dernier cours de yoga et il énumérait les horaires de toutes les séances proposées par la salle. Elle vérifia l’heure sur sa montre. Elle avait de la chance dans son malheur, apparemment une session commençait dans à peine une demi-heure et elle était donnée par le professeur dont elle avait l’habitude. Une jeune femme un peu trop « détendue » pour elle, mais après tout c’était ce qu’elle était en droit d’attendre d’un professeur de yoga. Elle alla se changer rapidement, pris son sac avec ses affaires de rechange et son tapis et s’élança dehors avec plus d’énergie et d’envie qu’elle n’en avait eu depuis qu’elle avait réussi à se sortir du lit le matin même. Elle avait eu beaucoup de mal à se faire à l’idée d’essayer le yoga, elle ne pensait pas que ça lui plairait, elle était beaucoup trop tendue de nature, mais elle avait finit par se rendre compte que cette activité lui permettait de se calmer et l’aidait à canaliser ses émotions plus efficacement que tous les autres trucs qu’elle avait pu essayer. Alors malgré sa peur de passer pour une hippie elle avait continué, elle y allait même avec des amies assez régulièrement. Mais pas aujourd’hui, elle n’essaya même pas d’envoyer un message à quelqu’un, aujourd’hui elle ressentait le besoin viscéral d’être seule. Elle arriva un peu en avance pour le cours et attendit patiemment que celui-ci commence. Pendant toute la séance elle se força à rester concentrée sur la voix d’Asani, sur les positions qu’elle leur demandait de prendre, sur les sensations d’étirement qu’elle pouvait sentir dans ses muscles. Et après presque une heure elle se sentait mieux, plus détendue et heureuse d’être venue. Asani avait l’habitude de terminer leurs séances par cinq minute de relaxation totale, on s’allongeait sur le sol, on essayait de ressentir le poids de son corps et de méditer. Cette séance ne faisait pas exception à la règle et Elinor se prêta au jeu, comme à chaque fois. Elle avait fini par réussir à atteindre un état proche de ce qu’elle pensait être l’objectif au fil des séances mais cette fois-ci ses pensées ressurgirent d’un coup dans sa tête. Incapable de les chasser elle repensa à toutes ses peurs, plus vulnérable que jamais, elle avait l’impression de commencer à être honnête avec elle-même. Elle repensa à la vie qui s’annonçait devant elle et elle commença à pleurer, sans bruit, laissant les larmes rouler sur ses joues et venir s’écraser doucement sur le sol. Tout le monde avait les yeux fermés de toute façon, à quoi bon chercher à dissimuler quoique ce soit ? Allait-elle vraiment passer le restant de ses jours seule dans cette maison immense à chercher à tout prix à s’occuper, sans personne dont prendre soin, sans personne avec qui partager les heures si longues de la journée ? Elle n’arrivait pas à accepter le fait que ce cours de yoga était le seul moment de sa semaine où elle avait ressenti un véritable plaisir. Pire, où elle s’était sentie un tant soit peu sereine. Elle fut sortie de ses pensées en entendant la voix d’Asani qui les invitait à rouvrir tranquillement les yeux et à se relever à leur rythme parce que la séance était terminée. Elle se releva plus brusquement que d’habitude et essuya rapidement et le plus discrètement possible le coin de ses yeux. Elle n’osa pas relever la tête de peur de croiser le regard de quelqu’un. Elle n’avait plus qu’une envie : s’enfuir. Elle se releva en premier et commença à regrouper ses affaires sans un mot.
Asani déposa un baiser sur le front de son père puis sur celui de sa mère avant de prendre la porte. Les derniers jours avaient été stressants pour toute la famille. L’AVC du patriarche avait propulsé tout le monde dans un état de tension douloureux, soudain, ils se retrouvaient rappelés à son statut de mortel. Asani, en particulier. Elle avait toujours vu son père comme ce héros immortel et invincible, la preuve étant qu’il avait survécu à sa première attaque et s’en était d’ailleurs très bien remis, à la surprise du corps médical. Elle voulait croire que cette fois encore le héros vaincrait. Il s’était toujours dit increvable partant d’un bref éclat de rire aussi la jamaïcaine l’acceptait comme un fait. A tort, peut-être. Pour l’heure il était de retour dans la demeure familiale ce qui n’était pas anodin et remplissait Asani d’espoir quant aux semaines à venir, elles seront primordiales avait annoncé le médecin. Ce dernier aurait souhaité le garder plus longuement mais il avait été décidé que le patriarche se porterait mieux dans un environnement familier, à savoir cette maison qu’il avait construit de ses mains.
Une fois arrivée à la salle de sport, Asani se précipita vers les vestiaires afin de se changer et d’accueillir les participantes à son cours dans les meilleures conditions. Ces dernières ne tardèrent d’ailleurs pas à faire leur entrée, leur professeur eût à peine le temps de préparer son matériel. Elle salua ces femmes au fur et à mesure de leur arrivée, mentionnant des anecdotes qui les concernaient personnellement. Asa mettait un point d’honneur à créer un lien de confiance avec ses clients, à retenir toutes les informations qu’elles partageaient avec elle. Aussi, elle voulut savoir comment s’était déroulé cette fête scolaire à laquelle Adeline devait participer pour sa fille, ou comment le mari de Catherine se portait, s’il avait enfin compris la nécessité de bien s’alimenter et de pratiquer une activité physique régulière ou bien encore si Renée -une de ses plus anciennes clients- avait survécu à la visite de sa belle-mère. On avait longtemps reproché à la jamaïcaine de beaucoup parler, cela s’avérait très utile dans cette nouvelle carrière. Ces femmes, au foyer pour la majorité, appréciaient l’attention que l’on pouvait leur porter, et plus encore lorsque celle-ci était sincère. Le cours put ainsi débuter, Asani remarquait avec joie beaucoup de progrès de la part de ses élèves, y avait-il plus grande fierté pour un professeur ? Peut-être ces sourires apaisés en fin de séance qu’elles affichaient, signe qu’elles avaient passé un bon moment en sa compagnie. Toutes ? Non, Asani remarqua dans un coin de la salle un visage dénué de toute sérénité, pire, elle semblait y entrevoir de l’affliction. Elinor, se souvint la jamaïcaine, elle ne la connaissait pas suffisamment, elles n’étaient pas encore parvenues à ce niveau de complicité qu’Asa recherchait avec ses élèves. Elle eut à peine le temps de toutes les remercier pour leur présence et leur énergie qu’Elinor se tenait prête à déguerpir. Elle la rattrapa de justesse, posant une main réconfortante sur son épaule. « Elinor ? » voix douce, elle exhorta ainsi la mère de famille à se tourner vers elle « Tu vas bien ? » Asa avait mis le tutoiement en place dès sa première présentation, ses cours étaient pour elle un moment privilégié et elle tenait à ce que cela se passât dans la simplicité. « J’ai vu que tu étais pressée, mais je voulais savoir si... » elle fut interrompue par Renée qui lui disait au-revoir « A la prochaine » répondit-elle avec un sourire avant de reporter son attention sur Elinor à côté d’elle. « Comment s'est passé le cours ? T'as passé un bon moment ? » elle marqua une pause « Je m’excuse de te prendre à partie de la sorte » loin d’afficher une moue désolée, elle lui offrit ce sourire chaleureux qui la caractérisait.
S’il y avait bien une chose au monde qu’Elinor détestait c’était se sentir vulnérable, alors forcément, pleurer en public était quelque chose qui la mettait profondément mal à l’aise. On lui avait appris dès son plus jeune âge à camoufler au mieux ses sentiments, à montrer un visage impassible dans la plupart des situations, on lui avait enseigné qu’être trop sensible était une faiblesse et c’était, encore aujourd’hui, une leçon qu’elle traînait partout avec elle. Elle se mordit violemment la lèvre en se relevant, essayant d’empêcher les larmes de continuer à couler. Elle se sentait tellement conne, et ce sentiment ne faisait qu’empirer son désarroi. Ce qu’elle n’aurait pas donné pour pouvoir se téléporter chez elle instantanément. A la place, elle devait se contenter d’utiliser ses jambes mais au moment où elle allait franchir la porte de la salle elle sentit une main se poser sur son épaule et elle sursauta malgré elle, se retournant plus par réflexe que par envie de discuter. Asani se tenait devant elle et il n’y avait pas besoin de savoir lire dans les pensées pour comprendre qu’elle l’avait vu pleurer et venait aux nouvelles. Elle tiqua légèrement en l’entendant la tutoyer, même si elle n’aurait franchement pas du être surprise. Elle n’avait juste pas l’habitude qu’on s’adresse à elle de cette façon, surtout que les deux femmes ne se connaissaient pas bien. Elle était même étonnée qu’Asani se souvienne de son prénom. Elle profita de la distraction offerte malgré elle par la dénommée Renée pour se frotter rapidement les yeux, essayant inutilement d’effacer les traces de ses pleurs de son visage. Évidemment ça n’allait rien changer, elle devait avoir les yeux rouges et légèrement bouffis, mais c’était plus fort qu’elle, il fallait tenter de sauvegarder les apparences. C’était devenu une question de fierté au fil des années.
« Non, bien sûr, pas de problème. » Mentit-elle en forçant un sourire poli sur ses lèvres. La vérité c’était qu’être retenu par Asani était la dernière chose qu’elle aurait pu souhaiter à cet instant et elle ne rêvait que d’une chose : rentrer chez elle et aller finir de pleurer tranquillement dans son canapé, un verre de vin blanc à la main et faussement captivée par une mauvaise série Netflix, aussi pathétique que ce plan pouvait sembler. C’était généralement sa façon de s’occuper de ce qu’elle avait fini par appeler ses « crises ». « C’était très bien, j’en avais vraiment besoin ! » Elle lâcha un petit rire forcé, se forçant à repasser en mode small talk. Au fur et à mesure des années et des rencontres elle avait perfectionné cet art de parler pour ne rien dire, de ne surtout jamais parler de chose importante et de faire semblant que tout va bien en toutes circonstances. Son visage ne devait d’ailleurs plus du tout exprimer les mêmes émotions que tout à l’heure mais plutôt une fausse sérénité. Avec un peu de chance elle était assez bonne actrice pour réussir à tromper Asani. « Je suis juste un peu fatiguée, désolée si j’avais l’air de ne pas avoir passé un bon moment. » Enchaîna-t-elle parce qu’elle voulait absolument convaincre la jeune femme que tout allait bien, même si une petite voix au fond d’elle-même ne cessait de lui répéter que ce n’était pas forcément dans son meilleur intérêt. Ça n’aurait pas été la première soirée à binger Netflix en pleurant qu’elle aurait passé ces dernières semaines et elles ne se finissaient généralement pas bien. Elle avait envie de trouver une excuse et de s’éclipser, n’importe laquelle, même si ça avait l'air complètement bidon, mais pour une raison qui lui échappait elle n’ouvrit pas la bouche, ne lança pas que son mari l’attendait ou qu’elle avait un rendez-vous urgent chez le dentiste. A la place elle resta plantée là, attendant bêtement qu’Asani dise quelque chose. Elle était pathétique, et pendant un moment, elle ne put s’empêcher de perdre le faux sourire qu’elle arborait depuis le début de leur conversation, comme si prétendre était soudainement devenu trop difficile.
En tant que professeur de yoga Asani ne convenait pas à tout le monde tant elle mettait de sa personnalité dans cet art qu’elle enseignait. Certaines la trouvaient probablement envahissante, avec cette manie de s’inquiéter pour tout le monde, de fait de s’intéresser à ce qui ne la concernait pas nécessairement. Elle avait appris à l’accepter, car celles qui restaient semblaient en accord avec cela. Asani s’intéresserait véritablement aux autres, plus encore dans son cours. Elle ne pouvait donc fermer les yeux en remarquant qu’une de ses élèves avaient besoin d’aide, et c’était l’effet que lui faisait Elinor. L’effet qu’elle lui avait toujours fait, une femme qui devait dompter un vide paraissait la dévorer un peu plus chaque jour. Elle ne l’aurait pas imaginé craquer de la sorte, en public qui plus est, preuve que quelque chose de grave se tramait, impossible alors de regarder ailleurs. « D’accord » fut tout ce qu’elle trouva à répondre qu’Elinor lui présentait un sourire de circonstance. Il aurait été impoli d’insister de façon brutale bien qu’elle sentit la certitude inexistante. Elle ne se connaissait que trop peu, il aurait été étrange que la mère de famille s’abandonne à des confidences soudaines. « Non, c’est moi qui suis désolée de t’avoir interpellée de la sorte » s’excusa-t-elle à son tour alors que la mère de famille expliquait n’être que fatiguée. Nul besoin d’avoir fait une formation à Quantico au sein des profiler du FBI pour comprendre que tout ceci n’était qu’imposture. Fierté certaine, Asani aurait à coup sûr cherché à se dégager de façon identique tout comme elle savait qu’il fallait lui laisser l’espace nécessaire pour qu’épanchement se fasse. Alors que la jamaïcaine s’apprêtait à prendre du recul et à faire savoir que sa porte était toujours ouverte au besoin, Elinor laissa tomber le masque ; le sourire s’évanouit aussi soudainement qu’un rideau qui s’écroulait, entracte. « Tu as quelque chose de prévu ? » reprit alors Asani d’un ton beaucoup plus gai, à l’image de ce qu’elle dégageait habituellement. « Si tu es libre, ça te dit d’aller dîner avec moi ? Ma fille et son père sont allés voir ses parents, et il n’y a que moi à la maison » Imani dormirait probablement chez son père ce soir également, aussi la jamaïcaine avait une soirée libre devant elle qui ne demandait qu’à trouver occupation entre le moment où elle finissait son cours et celui où elle rendrait visite à ses visites. « Je t’avoue ne pas avoir très envie de me retrouver seule pour dîner » son visage trahissait son embarras momentané, seule, elle finissait toujours par beaucoup trop cuisiner et bien que cela ravissait ses proches, surtout son cadet, elle ne serait pas contre occuper son temps autrement. « Après réflexion, je réalise que c’est peut-être une proposition peu commune…voire déplacée » c’était son dernier recours afin de vérifier le bienfondé de sa démarche et si elle devait se heurter de nouveau à un refus, Asani n’insistera pas plus… pour aujourd’hui en tout cas.
De toute évidence Asani était au moins aussi polie qu’elle, en tout cas c’était ce qu’Elinor s’était dit en l’entendant s’excuser à son tour. A ce rythme là elles allaient passer la soirée à s’excuser de s’être excusés en boucle. La jeune femme pouvait presque imaginer la scène et cette dernière faillit la faire sourire. Faillit, parce que malheureusement elle avait encore du mal à se défaire du vide qu’elle ressentait. Elle avait espéré jusqu’au dernier moment que ses talents d’actrice avaient été suffisants pour convaincre Asani qu’elle allait bien et qu’il ne s’agissait effectivement que de fatigue, mais elle comprit qu’elle avait lamentablement échoué en écoutant la proposition du professeur. On ne proposait pas à n’importe qui de venir manger chez soi, et encore moi à quelqu’un qu’on connaissait aussi peu. Si elle fut franchement tentée de dire oui l’espace d’un instant, elle aurait trop eu l’impression de s’imposer et elle était assez certaine qu’elle se serait surtout sentie mal à l’aise. Elle lâcha un petit sourire en coin sincère en entendant la justification d’Asani, elle ne savait pas si c’était vrai ou pas mais dans tous les cas elle pouvait totalement comprendre le sentiment. L’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre lui procura un nouveau pincement en coeur à l’idée de devoir rentrer chez elle, là où personne ne serait présent pour lui tenir compagnie. Elinor hocha la tête, l’air compréhensive, quand Asani expliqua que sa demande devait paraître étrange voire déplacée, elle ne pouvait pas la contredire, c’était parfaitement vrai, et pourtant elle ne put s’empêcher de lui lancer un petit sourire reconnaissant. Elle savait très bien pourquoi la jeune femme s’était donné la peine de lui proposer de venir chez elle et ce n’était pas parce qu’elle avait peur d’être seule. Elle baissa les bras et soupira, l’air faussement – ou vraiment – déçu avant de vérifier l’heure à sa montre, faisant semblant de vraiment réfléchir à la proposition. Elle avait déjà pris sa décision bien sûr, et elle savait aussi quelle heure il était, elle n’avait juste pas envie d’être trop brusque dans son refus et de vexer inutilement Asani. Elle essayait de lui rendre service, ça ne servait à rien d’être méchante avec elle. « Ça aurait été avec plaisir mais mon mari risque de m’attendre. » Elle força une grimace désolée sur son visage, vérifiant à nouveau l’heure sur sa montre comme si elle était subitement pressée. Elle remit ses cheveux derrière ses oreilles et replaça son sac sur son épaule, s’apprêtant à partir. « Mais une prochaine fois, avec plaisir. » Ajouta-t-elle plus par politesse qu’autre chose, elle ne pensait pas qu’Asani lui reproposerait. C’était déjà assez surprenant qu’elle lui ai proposé une première fois pour être honnête ! Nouveau sourire amical avant de faire demi-tour et de se diriger vers la porte. Mais à peine avait-elle fait un pas dans cette direction qu’elle s’arrêta. Une évidence venait de s’imposer à elle. Elle n’avait pas envie de rentrer chez elle. Pire, elle redoutait ce moment. Cette réalisation lui faisait peur, était-elle ingrate au point de ne pas savoir se contenter de ce qu’elle avait ? N’aurait-elle pas dû être contente d’avoir une aussi belle maison et un mari qui l’aimait malgré les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer en ce moment ? Elle se sentait stupide mais elle décida quand même de se retourner, soulagée en voyant qu’Asani n’était pas encore repartie à l’autre bout de la pièce. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais se stoppa l'espace d'une seconde, hésitant au dernier moment avant d’enfin se lancer. « Tout… Tout compte fait, ça me tente bien. Le dîner je veux dire. Enfin si la proposition tient toujours bien entendu. » Ce n’était pas dans ses habitudes de changer d’avis et surtout pas de se mettre volontairement dans une situation où elle se sentait vulnérable. Mais après tout, elle n’était plus à ça près.
Ses prunelles ne quittaient pas Elinor alors que sa proposition avait été faite. Asani doutait que la réponse fût positive, aussi ne fut-elle pas surprise que la mère de famille lui fasse savoir qu’elle était attendue ailleurs. Bien sûr qu’elle l’était. Asani ignorait si le mari mentionné devrait la retrouver et cela ne la regardait pas non plus. Elle s’était promis de ne pas insister au prochain refus et nul doute qu’une autre opportunité se présenterait si jamais les deux femmes devaient se côtoyer en dehors de cette classe. La jamaïcaine aimait à croire que ce qui devait être le serait, ce qui n’excluait qu’elle puisse vouloir pousser le destin. Elle avait cette sale manie d’espérer que les choses se déroulent selon sa volonté et il n’était pas rare qu’elle se heurte à un mur, de quoi reconsidérer la situation. Positive, elle décidait d’en faire une leçon de vie, certes éphémère puisqu’elle retombait dans ses travers aussi rapidement. « Oh bien sûr, je comprends » Asani eut un sourire, à l’image de cette compréhension qu’elle affirmait ressentir. « Une prochaine fois alors » Elle sentait pourtant que l’occasion ne risquait pas de se manifester à nouveau, quoique… pourquoi pas après tout. A nouveau si elles devaient se côtoyer, les choses se feront naturellement. Elinor emboîta le pas aux autres élèves de ce cours tandis qu’Asani se demanda ce qu’elle allait bien pouvoir faire à dîner ce soir. Elle sentait la flemme s’insinuer à l’idée de passer derrière les fourneaux, s’offraient donc deux choix à elle : prendre à emporter ou s’inviter chez ses parents, sa mère savait remplir un frigo. Elinor lui fournira cependant une troisième option et celle-là, elle était loin de l’avoir vue venir. « Bien sûr que ça tient toujours » son ton trahissait son engouement ainsi que l’immense sourire qu’elle affichait. « Laisse-moi récupérer mon sac et on se met en route » Asani se dirigea ainsi vers son tapis qu’elle enroula afin qu’il soit plus facile à emporter puis récupéra tous ses biens éparpillés et elle put enfin rejoindre Elinor. « Tu sais ce que tu as envie de manger ? » demanda la professeure de yoga lorsqu’elle fut à la hauteur de la mère de famille « Je te propose le Victory qui est situé à deux pas d’ici, tu connais ? » Elle fit glisser le sac sur son épaule « c’est avant tout un bar à cocktails mais ils servent des tapas à damner un saint ! » expression chrétienne héritée de sa mère, ce qui représentait le maximum en matière de blasphème de cette dernière. « Ainsi que des burgers, des salades et des spécialités apéritives françaises » énonça-t-elle en comptant sur ses doigts « comme c’est à deux pas, on peut mettre nos affaires dans les voitures y aller à pied. J’y ai mes habitudes donc on pourra nous laisser entrer dans cette tenue sans problème » Les pantalons de yoga limitaient leur choix de restaurants, Asani ne s’en plaignait néanmoins pas. « L’ambiance est cosy et on a une belle vue sur les berges, et surtout, les cocktails sont à tomber » dès qu’elle était lancée sur quelque chose qu’elle appréciait, il était difficile de l’arrêter. « Enfin toute autre proposition est la bienvenue, bien sûr ! »
Pour être parfaitement honnête, Elinor n’était pas totalement sûre de ce qui lui avait pris. Elle comprenait pourquoi elle avait fini par céder à la tentation bien sûr, mais son choix lui paraissait lointain, comme si ce n’était pas elle qui l’avait fait. Ce n’était pas vraiment son genre de passer la soirée ailleurs que chez elle et encore moins de ne prévenir son mari qu’à la dernière minute. Elle commença d’ailleurs à angoisser à l’idée de lui apprendre la nouvelle, mais elle se souvint quelques instants plus tard qu’il allait encore sûrement rentrer tard et ne se rendrait peut-être même pas compte de son absence. Elle décida donc de ne même pas chercher à le prévenir et se contenta d’acquiescer et de suivre Asani, essayant de se détendre. Elle ne savait pas pourquoi elle stressait, c’était stupide, on aurait dit qu’elle n’avait aucune aptitude sociale. C’était loin d’être le cas bien sûr, mais là c’était différent, elle n’avait pas envie de jouer un rôle, elle avait envie d’être elle-même pour changer. Un bar à cocktail ? Ce n’était définitivement pas comme ça qu’elle avait imaginé passer sa soirée, mais à dire vrai, sa vision précédente des choses n’en était que plus déprimante. A une époque elle était une grande amatrice de cocktail et sans trop savoir pourquoi – son instinct probablement – elle faisait confiance à Asani. Elle avait l’air de s’y connaître plus qu’elle en matière de sortie et de de vie sociale, si elle proposait cet endroit, c’était sûrement qu’il était bien. Elle haussa donc les épaules. « Ça me va, je te suis. » Elle était d’ordinaire plus du genre à prendre les choses en main et à prendre les décisions, mais laisser Asani décider était assez… reposant. De toute façon ce n’était pas comme si elle avait de meilleure alternative. Tous les restaurants qu’elle connaissait étaient plus des endroits familiaux, le genre où elle emmenait ses enfants quand ils étaient encore à la maison, et quelque chose lui disait que ce n’étaient pas des endroits propices au genre de soirée qu’Asani avait en tête. Elle suivit la jeune femme dehors et suivit son exemple en rangeant ses affaires dans sa voiture. Elle vérifia deux fois qu’elle n’avait pas oublié de verrouiller les portes et rejoint Asani. L’enthousiasme de la jeune femme était assez contagieux et elle était excitée à l’idée de faire quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Sans compter que ça allait lui permettre de se changer les idées. A vrai dire, elle était surprise de la légèreté qu’elle ressentait à la simple idée de ne pas rentrer tout de suite chez elle. « Ça fait des années que je n’ai pas bu de cocktail. » Avoua-t-elle avant même d’avoir eu le temps d’y réfléchir, un petit sourire amusé aux lèvres. Elle était déjà de meilleure humeur et elle avait assez hâte d’y être. Asani n’avait pas menti, elles n’étaient vraiment pas loin et personne ne les embêta pour entrer malgré leurs tenues de yoga. Un serveur leur indiqua une table près de la fenêtre entourée de deux chaises. Elles s’y assirent et le garçon leur laissa la carte. Elinor commença à regarder la liste des cocktails, se sentant totalement perdue. Elle n’en connaissait pas la moitié, et elle s’y connaissait bien plus en vin qu’en alcool fort. « Tu vas prendre quoi ? Je vais prendre la même chose, je te fais confiance. » Ajouta-t-elle avant de reposer le menu sur la table. La seule chose dont elle était sûre, c’était qu’elle allait prendre un burger à manger, le cours de yoga lui avait ouvert l’appétit et cela faisait bien trop longtemps qu’elle ne s’était pas un peu laissé aller. Ce soir lui semblait être la bonne soirée pour le faire. Asani avait décrit l’ambiance comme cosy et Elinor n’aurait pas trouvé de meilleur mot. Elle s’était sentie aussitôt à l’aise en arrivant. « Tu viens souvent ici ? » Question posée de manière complètement innocente, elle n’avait juste pas envie de laisser un silence gênant s’imposer.
Asani affichait un immense sourire aux lèvres, ravie qu’Elinor se soit finalement laissé tenter, ce qui lui évitait ainsi de s’inviter chez ses parents, ce qu’elle avait déjà fait plusieurs fois cette semaine. Ils n’avaient rien contre, certes, mais elle entendait déjà la voix moqueuse de sa cousine lui demander pourquoi elle s’était pris un appartement, pourquoi avait-elle déménagé si c’était pour passer son temps libre dans la demeure familiale. Son sourire s’agrandit lorsqu’Elinor accepta le plan proposé pour leur première soirée ensemble. « Parfait ! » le tapis coincé sous l’aisselle, la jamaïcaine frappa d’entrain dans ses mains. Elle aimait à agrandir son carnet d’adresse et à se lier à de nouvelles personnes, où son frère détonnait une peur panique de se retrouver seule. Ce à quoi elle rétorquait qu’elle avait simplement plus considération pour les humains, où lui ne voyait que des moyens pour atteindre ses objectifs. A la sortie de la salle, les deux femmes se séparèrent, Asa prit la direction de sa voiture où elle déposait son sac dans le coffre ainsi que son tapis avant de s’offrir une brève escapade devant le miroir pour s’assurer qu’elle était présentable, du moins autant que possible après une séance de sport. Satisfaite et quelques sprays déodorants plus tard, elle s’empressa de rejoindre sa comparse de la soirée, ce sourire ne quittant plus ses lèvres. « Des années ? J’espère que tu les trouveras à la hauteur pour la reprise » répliqua-t-elle avec le même enthousiasme, bien qu’elle n’en doutât pas. Asani avait écumé assez de bars en ville pour être certain de ses recommandations, généralement, les gens s’en trouvaient satisfaits. Si elle ne s’était pas lancée dans le fitness, sans doute aurait-elle joué les guides touristiques ou critiques d’établissements de divertissements pour les sites concernés. Le duo arriva rapidement au bar et fut ainsi conduit à leur table de la soirée. Asani fut quelque déçue que ce ne soit pas Adrian qui s’occupe d’elles, peut-être ne travaillait-il pas ce soir. Le serveur qui les avait accueillis était tout aussi sympathique, mais elle pouvait compter sur Adrian pour que les verres soient bien dosés. Elle ne se formalisait d’ailleurs pas de la carte car elle prenait toujours le même breuvage « Ici, je prends toujours un Mai Tai, ce sont les meilleurs de la ville » et elle pesait ses mots. Au cours de ses nombreuses escapades, elle avait pu se rendre compte que chaque bar avait un cocktail qu’il faisait à la perfection, ici c’était le Mai Tai. « il est coloré, doux, j’espère que tu aimes le Rhum » Il s’agissait plus de politesse qu’autre chose, il était impensable pour Asani qu’une personne soit en mauvais termes avec le Rhum. Son ventre manifesta sa présence et la professeure de yoga porta son attention sur la sélection de burgers, faisant mine de réfléchir pour finalement rester sur son choix habituel. « Minimum une fois par semaine, ça compte comme souvent ? » Elle partit d’un petit rire amusé « je travaille à deux pas, il est difficile de ne pas faire un arrêt » sans compter le bar de Pablo où elle passait au moins trois soirs, elle y était parfois plus que chez elle. « T’as fait ton choix pour la nourriture ? Je pense partir sur un burger » elle réfléchit encore quelques secondes pour voir si elle se sentait d’humeur aventurière… non. Elle fit signe qu’elles étaient prêtes à passer commande et le serveur les rejoignit bientôt. « Ce sera donc deux Mai Tai et un burger végétarien avec supplément chèvre » Le serveur et elle se tournèrent vers Elinor afin qu’elle s’exprime à son tour. « Du coup, et toi, il ressemble à quoi ton endroit préféré en ville ? »
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