moonlight eyes. Ellis l’évitait. Depuis des jours, depuis ce soir-là. Il s’efforçait de passer le moins de temps possible à son appartement, en sa compagnie. Il ne lui marmonnait que quelques mots lorsque réellement nécessaire. Réduisant à néant cette complicité qui s’était créée entre eux. Anéantissant aussi les progrès qu’il avait faits depuis les dernières années sombres de sa vie. Il aurait facilement pu admettre que Talia était la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis cet accident. Pourtant, il ne pouvait faire autrement que la repousser et la blesser. Il était rentré tard, aux petites heures du matin. Encore une fois. Il quittait tôt et rentrait tard. Il préférait encore errer dans les rues de la ville que de rentrer à la maison, auprès d’elle. Là où le silence lui pesait lourd. Ellis avait passé la soirée au boulot, alors qu’il ne travaillait pas. Il avait joué, un peu. Quelques morceaux, mais il avait surtout bu. Pour oublier, pour engourdir. L’appartement était plongé dans le noir. Ses chaussures ôtées, son manteau laissé sur le crochet. Quelques pas et il s’était affalé sur le sofa. Devenu son lit le jour où Talia était entrée dans sa vie à nouveau. Les paupières lourdes, Ellis se laissa emporter dans un sommeil qui, comme à l’habitude, n’aurait rien de réparateur. Tourmenté par les images de l’accident, par le visage de Julia et, aussi, celui de sa sœur cadette. Ses nuits étaient toujours pires lorsqu’il avait bu. Il se réveilla en un sursaut, son cœur palpitant. La gorge sèche, il mit une fraction de seconde à réaliser qu’il s’était endormi. Assoiffé, haletant. Il enfoui son visage au creux de ses mains, reprenant ses esprits. Il parvint finalement à se tirer du sofa, à se rendre à la cuisine. Il naviguait dans son logement dans la pénombre, ne désirant pas réveiller sa colocataire. Saisissant un verre dans l’armoire, Ellis fut surpris par son chat lui frôlant la jambe. Un sursaut et le verre éclatait en mille morceaux sur le carrelage. — "Fucking hell." marmonna-t-il. Éclairé par le clair de lune, Ellis s’accroupi et entreprit de ramasser les éclats de verres. Maladroit par l’alcool et la fatigue, il ne remarqua pas la coupure qu’il s’était faite à la main. Il entendit, par contre, les pas qui approchaient. Talia. — "Don’t come here. There’s broken glass everywhere." articula-t-il d’une manière qu’il espérait aussi autoritaire que détachée. Pourtant habité d’un sentiment protecteur envers elle. — "Crap." souffla-t-il en remarquant le sang sur sa main. Soupirant, il s’assit au sol, s’adossant contre une armoire de cuisine. Un sourire amusé vint adoucir ses traits tirés. Il était épuisé. Physiquement, mentalement aussi. Il ne pouvait sûrement pas tomber plus bas que ça, songea Ellis. La pensée lui arracha un léger rire, teinté de désespoir.
Depuis la dernière conversation qu’ils avaient eue, I made diner, et Have a good day, étaient les seules paroles qu’elle lui avait adressées, marmonnées sans oser le regarder, le peu de fois qu’elle l’avait croisé. D’abord blessée par le rejet d’Ellis, c’était à présent des sentiments de colère et de culpabilité qui l’habitaient. C’était ces émotions qui l’avaient d’ailleurs poussée à l’éviter. Elle avait constaté qu’il faisait de même, si bien que leurs échanges étaient réduits à quasi inexistants. Elle avait passé les derniers jours à s’occuper l’esprit loin de l’appartement qu’Ellis avait déserté, incapable de supporter le pesant silence qui y régnait. Elle avait mangé seule, une fois de plus, devant la programmation insipide qu’offraient les nombreuses chaînes qu’elle passait en rafale sans grand intérêt, pour finalement fermer le téléviseur, lassée. Elle trouva refuge dans la chambre d’Ellis, puis, épuisée, se glissa sous les couvertures du lit. Plus exténuée qu’elle ne l’avait jamais été, mais surtout incommodée par des nausées qui la surprenaient à toutes heures, elle avait le sommeil aussi agité qu’inconfortable. Ainsi, elle venait à peine de s’assoupir quand un vacarme vint la tirer de son sommeil léger. Elle enfila rapidement de quoi être présentable et émergea de la chambre, avançant prudemment dans la pénombre, puis, ignorant l’avertissement d’Ellis, elle s’aventura dans la cuisine. Son regard se posant sur lui, Talia poussa un profond soupir, l'exaspération lisible sur ses traits encore ensommeillés. — "What the hell are you doing?", lâcha-t-elle d’un ton était sec, témoignant son agacement. Elle observa sa silhouette, puis le dévisagea bien malgré elle, avant que son regard ne soit attiré par la trace rouge vif au creux de la main blessée d'Ellis. — "Fuck, Ellis.", jura-t-elle à mi-voix. Un nouveau soupir s’échappa d’entre ses lèvres. Elle aurait voulu ne pas s’en faire pour lui, avoir la force de se montrer indifférente et le laisser se débrouiller seul avec cette situation dans laquelle il s’était mis. Mais son cœur, plutôt que sa raison, guida son suivant réflexe, qui fut de s’agenouiller à ses côtés, imposant à nouveau entre eux une dangereuse proximité. L’odeur d’alcool sur l’haleine de son colocataire vint lui chatouiller les narines, lui arrachant une grimace. Elle expira calmement, tentant de contrôler la nouvelle vague nauséeuse qui la secoua. — "You're drunk.", l’accusa-t-elle, en fronçant les sourcils. Ce qui expliquait probablement pourquoi il avait laissé échapper un rire un peu plus tôt, alors que la situation n’avait rien d’amusant, bien au contraire. Elle se leva, puis passa un chiffon propre sous l'eau, avant de reporter son attention sur Ellis. — "Let me help you with that.", continua-t-elle, dans une intonation à présent adoucie, mais autoritaire. Elle avança sa main, prête à prendre dans la sienne celle d’Ellis, mais se ravisa, interrompant brusquement son mouvement. Elle chercha son regard du sien, comme en attente d’un acquiescement de sa part. Elle ne pouvait se risquer à le toucher. Pas après la dernière fois.
moonlight eyes. Il parvenait à discerner la silhouette menue de Talia apparaître dans la pièce. Les traits de son visage trahissaient qu’elle venait d’être tirée de son sommeil – vraisemblablement par sa maladresse. Il fronçait les sourcils, légèrement surpris qu’elle soit venue voir la source de ce boucan. Eux qui s’étaient religieusement évités depuis les dernières journées. Principalement par sa faute, songea-t-il. — "Careful, you’ll get hurt.", soupira-t-il alors qu’elle avait choisi de l’ignorer, choisi de venir le rejoindre dans la cuisine. Il aurait sans doute pu parler du verre au sol, tout comme il aurait pu parler des dangers de s’approcher de lui. Ellis s’accorda un regard vers elle. Toisant le tissu léger et satiné de son pyjama, puis glissant jusqu’à ses jambes dénuées et, finalement, s’attardant sur ses pieds nus. Il soupirait. Pourquoi était-elle incapable de l’écouter, de faire ce qu’il lui demandait ? — "I’m getting water.", lui répliqua-t-il, comme s’il s’agissait de la chose la plus évidente qui soit. Le ton de Talia était sec, sa frustration évidente. Son visage, éclairé par le clair de lune, affichait tout son agacement. Désormais adossé à l’armoire de la cuisine, il observait sa main. Le fluide d’un rouge foncé qui venait s’accumuler au creux de sa paume. Il n’avait jamais eu la phobie du sang. Pourtant, depuis son accident de voiture, il n’arrivait plus à en voir sans ressentir un profond inconfort, un malaise. Aussi banal qu’une égratignure laissée par les griffes de son chat qu’une scène violente à la télévision. Ramené à l’accident, ramené à ces images traumatisantes, qui le hantaient encore, du corps inerte de sa fiancée. Ce rouge, partout. Il fut tiré de ses pensées alors que Talia s’agenouillait à ses côtés. Cette proximité, ce parfum fruité qui la suivait. Il déglutit péniblement, posant ses yeux sur elle. — "I was drunk. … Now I’m barely tipsy.", articula-t-il. Son allocution lente et tremblotante, trahissant son réel taux d’intoxication. Il aurait voulu détendre l’atmosphère, mais réalisait qu’elle n’était ni amusée, ni détendue. Elle se leva plutôt, s’afférant à lui préparer un chiffon. Cette proximité entre eux, la peau soyeuse de ses jambes qui n’était qu’à quelques centimètres de lui. Il ferma les yeux, fermement. Pour se retenir, pour se contrôler. Pourtant, une fois les yeux fermés, il était happé par ces images de leur confrontation. Cette tentative vaine qu’elle avait eu de l’approcher, ce souvenir de ces doigts glissant sur son échine. Il ouvrit les yeux en entendant le son de sa voix. Pour la voir aventurer sa main vers la sienne, puis se raviser brusquement. Peut-être le voyait-elle, enfin, comme le monstre qu’il était réellement. Peut-être avait-elle fini par l’écouter. Leurs regards croisés une fraction de seconde. Il ne pouvait le soutenir davantage. — "Please.", se surprit-il à souffler. Un aide-moi resté coincé dans sa gorge. Son regard obstinément posé sur la main de Talia qui tenait ce chiffon humide.
L’idée de partir lui avait effleuré l’esprit quelques heures après leur dernière confrontation et elle avait décidé que c’était probablement ce qu’il y avait de mieux à faire. Pour elle, comme pour Ellis. Elle s’était remémoré la scène en boucle, passant de ses mains dans les siennes, à la sensation de sa peau contre la sienne, aux les effluves de sa peau, de ses cheveux, mais surtout, de son ardent désir de se perdre dans une étreinte qu’elle ne pourrait jamais cesser d’espérer. Happée par un sentiment de culpabilité quand elle pensait à cette envie qu’elle ne pouvait réfréner, blessée qu’il ait la force de la repousser, elle voyait la fuite comme étant la seule option envisageable. Pourtant, quelques jours plus tard, elle n’avait toujours pas rassemblé suffisamment de courage pour mettre en action la déchirante décision qu’elle avait prise. La proximité qu’elle venait d’établir entre eux, une fois de plus, lui faisait regretter de s’être levée pour l’aider, mais aussi de ne pas être partie quand elle en avait eu l’occasion. Elle n’en pouvait plus de cette dualité qui se livrait bataille en elle. Elle ferma les yeux, puis poussa un soupir, tentant de ne pas se laisser distraire par leurs corps qui s’effleuraient, par le souffle d’Ellis qu’elle sentait sur sa peau dénudée. Elle ne se fit pas prier quand il accepta son aide, prenant enfin sa main dans la sienne. Elle la referma doucement de ses doigts fins, le chiffon enfouit dans sa paume. Elle se leva à nouveau pour lui préparer un verre d’eau, qu’elle s’empressa de déposer dans sa main encore libre. — "Hold this in place. Drink that. And try not to drop it this time? Don’t do anything stupid while I’m gone.", lui ordonna-t-elle, comme si elle s’adressait à un enfant. Un sourire étira ses lèvres, une lueur espiègle dans son regard trahissant son ton qui se voulait autoritaire. Elle se détourna, traversant précautionneusement la cuisine avant que sa silhouette ne disparaisse dans l’embrasure. Elle s’affaira rapidement dans la salle de bain, s’emparant de quoi nettoyer la plaie d'Ellis, un nouveau chiffon, ainsi qu’un rouleau de gazes. À nouveau agenouillée aux côtés d’Ellis, elle le débarrassa du chiffon à présent écarlate et entreprit de soigner la plaie au meilleur de sa connaissance. — "Stay still. It may sting a little.", le prévint-elle, avant de procéder à délicatement désinfecter sa blessure, ses doigts glissant sur sa peau. Elle improvisa un bandage, tentant en vain de contrôler le tremblement provoqué par sa nervosité d’être aussi près de lui. — "Here, all good.", affirma-t-elle, la main d'Ellis toujours entre les siennes. Elle scrutait chaque parcelle de son visage, à quelques centimètres du sien. Elle vint maladroitement replacer une boucle folle, égarée sur son front. — "What a mess you've made.", souffla-t-elle, cherchant son regard dans le sien. L’allusion était vague. Elle aurait très bien pu parler du carrelage toujours jonché d’éclats de verre, ou encore de la situation dans laquelle ils se trouvaient à cause de sa maladresse. Sa conscience l’implorait de s’éloigner, et pourtant elle demeurait immobile, son cœur battant férocement contre la poitrine.
moonlight eyes. Il aurait dû être en mesure de s’occuper de lui-même. Il aurait dû, mais il en étant pourtant incapable. Là, alors qu’il était exténué et encore intoxiqué par l’alcool, mais aussi au quotidien. Chaque jour depuis cette dispute, il rentrait chez lui la gorge nouée, l’estomac serré par ce questionnement : serait-elle toujours là ? Et si leurs échanges étaient froids et quasi inexistants, Ellis ne pouvait s’empêcher d’être soulagé qu’elle soit toujours chez lui. Il ne savait pas s’il lui serait possible de survivre à nouveau plongé dans la solitude. Il observait attentivement, le souffle retenu, alors qu’elle prenait sa main dans la sienne. Il remarquait la délicatesse de ses mouvements, la prudence qu’elle employait. Avait-elle peur de lui ? La façon dont sa main était froide contre sa peau brûlante. A quel point il appréciait cette sensation. Quand elle se releva, Ellis souffla enfin. Les idées embrouillées par l’alcool, déstabilisé par la peau dénudée de sa jambe qui frôlait son bras. Talia lui remis un verre d’eau qu’il s’empressa de porter à ses lèvres, fermant les yeux momentanément alors qu’il en buvait de grandes gorgées. Assoiffé. Soulagé, aussi, d’avoir quelque chose pour s’occuper les mains et étancher sa soif qui lui semblait décuplée maintenant qu’elle était dans les parages. Elle disparu dans le couloir sombre après lui avoir ordonné de ne rien faire de stupide. Un léger rire lui glissa d’entre les lèvres. Il posa le verre à côté de lui. Fermant les yeux, s’empêchant de regarder le chiffrons rougit par le sang. Il rouvrit les yeux alors qu’il pouvait sentir sa présence à ses côtés. Talia l’avertit qu’il risquait de ressentir un pincement et, avant même qu’il n’eut le temps d’analyser son avertissement, une vive douleur lui parcouru la main. Sa main libre se posa sur la cuisse de Talia, ses doigts effectuant une pression sur sa peau, machinalement. Une grimace de douleur évidente sur les traits de son visage. La douleur se dissipa et il réalisait où il avait posé la main. Où elle était toujours posée. Sa main retomba à contrecoeur à ses côtés, sur le carrelage froid. Il hochait la tête alors qu’elle lui disait qu’elle avait terminé. Refusant de remonter les yeux vers elle, regardant obstinément un éclat de verre au sol. Pourtant, elle tenait sa main. Pourtant, il pouvait sentir son souffle sur sa peau. Cette proximité entre eux le déroutait. C’est quand elle osa replacer une mèche de ses cheveux qu’Ellis la regarda. Pourquoi ? Pourquoi était-elle toujours là ? — "Well haven’t I told you that I am a mess?", rétorqua-t-il, un faible sourire étirant ses lèvres quelques instants. Référence à ce qu’il avait pu lui dire dans sa vaine tentative de la repousser. Il baissa les yeux, fixant cette mèche de cheveux rousse qui lui taquinait l’avant-bras. Il l’attrapa du bout des doigts, l’observant comme s’il s’agissait de la chose la plus précieuse qu’il eut entre les doigts. — "I’m sorry I woke you up and sorry I…", articula-t-il lentement, laissant ses pensées dériver, sa phrase en suspens. Il était désolé de ce qu’il avait dû faire dans l’espoir de la garder loin de lui. Désolé d’avoir été distant avec elle. Désolé d’être irrévocablement attiré par elle. — "I’m sorry.", répéta-t-il, d’un simple murmure. Le regard rivé sur cette mèche de cheveux entre ses doigts. Cependant incapable de formuler les mots, la suite de cette excuse. Sans doute jamais ne serait-il suffisamment intoxiqué par l’alcool pour trouver le courage de tout lui dire.
Talia était tellement préoccupée par ce fossé qui s’était creusé entre eux au cours des derniers jours qu’elle ne s’était pas attardée à penser à ce qui se passerait si elle s’approchait à nouveau de lui. Ce moment où ils se reparleraient. L’instant où ils permettraient à leurs regards de se croiser. Lui venir en aide avait été un geste posé de façon instinctive, qu’elle avait initié sans réfléchir à ce qui s’en suivrait. Maintenant qu’elle était penchée à ses côtés, leurs corps se frôlant, leurs souffles se mêlant l’un à l’autre et leurs mains l’une contre l’autre, elle n’était plus certaine de rien. Il était trop tard pour revenir en arrière. Elle tentait de faire abstraction des doigts d’Ellis refermés sur sa cuisse, mais dans sa poitrine, son cœur s’était accéléré et elle craignait que leur proximité en trahisse les féroces battements. Avait-il la moindre idée de l’effet qu’il lui faisait? Il lui faisait perdre tous ses moyens, et si elle avait été en mesure de se contrôler auparavant, elle avait à présent du mal à garder ses distances, pourtant consciente des risques qu’elle encourait. Elle se demandait qui entre elle et lui était le pire. Ils s’étaient placés dans une situation délicate. Elle secoua doucement la tête quand il s'excusa, pour la énième fois. — "Don’t worry about it. I was barely asleep." Elle haussa les épaules, une moue aux lèvres, puis laissa s’échapper un long soupire. — "To be honest, I haven’t slept much lately.", continua-t-elle d’une voix faible, laissant en suspens l’évidente allusion que leur dernière altercation était la principale raison de son sommeil dissipé. — "You keep apologizing and yet, I still fail to see why.", souffla-t-elle, les yeux rivés sur la mèche rousse qui glissait entre les doigts d’Ellis. Elle avait ce besoin viscéral de sentir sa peau contre la sienne, ce contact à la fois exaltant et prohibé. Quand il était si près d’elle, elle en oubliait la raison. Déchirée entre les remords qu’elle ressentait envers Julia, ses contradictoires sentiments à l’égard d’Ellis, ainsi que ce désir prohibé de poursuivre ce qu’elle avait amorcé avec lui la dernière fois qu’ils s’étaient confrontés, Talia se mesurait à un dilemme intérieur qui la tracassait de façon constante. Pourtant, elle poussa l’interdit encore plus loin, avançant sa main libre contre la mâchoire d’Ellis, traçant délicatement sa peau de ses doigts, dans une tentative le poussant à relever les yeux vers elle. — "If anything, I should be the one apologizing.", commença-t-elle, trouvant de son regard ses prunelles sombres. Elle serra les lèvres, laissant s’installer entre eux un silence pendant lequel elle cherchait les mots justes pour exprimer tout ce qui se bousculait dans sa tête. Le cœur qui battait à tout rompre, les idées embrouillées, les mots coincés dans la gorge. — "I’m sorry if all of this is… wrong. I just… missed you those past few days." Sa voix était faible, hésitante. Elle aurait voulu lui demander si les derniers jours avaient été pour lui aussi insupportables qu’ils l’avaient été pour elle. Elle aurait voulu savoir s’il pensait encore qu’il était préférable qu’elle se tienne loin de lui. Mais ses questionnements demeurèrent en suspens sur ses lèvres entrouvertes et tremblantes, alors qu’elle baissait le regard. Elle ne pourrait supporter qu’il lui réponde par l’affirmative, qu’il confirme sa crainte. Celle qui lui faisait croire qu’il ne serait jamais en mesure de voir autre chose que le fantôme de Julia dans ses yeux. Qu’elle ne serait jamais autre chose que la petite sœur qu’il devrait inlassablement repousser pour se donner bonne conscience. — "I thought about leaving...", avoua-t-elle, soudainement, dans un murmure à peine perceptible. Elle ne pouvait s'expliquer pourquoi elle lui avouait avoir songé partir. Peut-être pour lui démontrer qu'elle avait fait l'effort de faire ce qu'il avait laissé entendre. Ou pour le faire sentir coupable. Elle releva les yeux à nouveau. — "I couldn’t do it.", conclue-t-elle faiblement, secouant doucement la tête. Elle ne savait pas ce qu’elle attendait de lui, un signe, n’importe lequel, qui pourrait la conforter.
moonlight eyes. Nul doute qu’il était la raison de son manque de sommeil. Lui aussi avait le sommeil agité alors que ses propos et sa cruauté envers elle remontaient à la surface, le tirant de son sommeil à maintes reprises. Il devinait qu’elle avait été ébranlée aussi par ce moment qui avait escaladé rapidement entre eux. Peut-être était-il devenu le monstre de ses cauchemars. Il étouffa le pincement à son cœur en mordillant sa lèvre inférieure, le regard fuyant. Et, pourtant, elle lui martelait qu’il n’avait pas à s’excuser. Le souffle coupé. Sa main posée sur mâchoire, ses doigts frôlant délicatement sa peau. Il releva les yeux vers Talia, surpris. Désemparé, déboussolé par ce contact. Ellis dû clore ses paupières fermement tandis qu’il déglutissait péniblement, sa gorge nouée. Un frisson lui parcourait le corps. Il lui paraissait une éternité depuis un tel contact physique. Il y avait eu des femmes depuis Julia. Pour oublier. La douleur, la peine. S’oublier lui-même le temps d’une nuit. La douceur et la tendresse, il s’en était privé, longtemps. Mais l’entêtement de Talia était égal à son besoin cruel d’intimité. Il se surprit à pencher légèrement la tête vers sa main, s’autorisant ce contact. L’hésitation et la délicatesse dont elle faisait preuve étaient à la fois nouveau et familier. — "Don’t ever apologize, Talia.", lui dit-il fermement, le regard assombri. Ses prunelles bien ancrées dans les siennes. Il s’en voulait d’être à l’origine de ses excuses. S’en voulait qu’elle crût avoir à s’excuser de quoi que ce soit. Les sourcils froncés, il l’écoutait. Mais il ne comprenait pas. Comment avait-il pu lui manquer ? Il n’était pas facile à vivre, il le savait. Imprévisible, souvent morose. Blessé et angoissé. Pourtant, quand elle lui avouait qu’elle s’était ennuyée de lui, Ellis souhaitait la croire, avait besoin de s’accrocher quelques instants à l’espoir que ce qui se passait entre eux ne soit pas le fruit de son imagination. — "I don’t think I know what is right and wrong anymore…", soupira-t-il, s’empêchant de lui avouer qu’il s’était ennuyé d’elle aussi. Il rabaissa son regard, incapable de supporter le sien plus longtemps. Honteux, aussi. De se retenir, de ne jamais lui offrir le fond de sa pensée. De combattre de toutes ses forces pour la tenir à l’écart alors que chaque fibre de son corps la réclamait. Le silence qui s’était installé entre eux lui paraissait durer une éternité. Finalement, elle lui avouait avoir songé à quitter l’appartement. Sa voix était si faible, à peine un murmure. Pourtant, cette révélation lui tordu les entrailles. Elle n’avait pas pu le faire. Pourquoi ? Il ne put s’empêcher de penser qu’elle aurait dû le faire. Même si ça l’aurait tué, déchiré de rentrer et trouver l’endroit vide. N’osant relever le regard vers elle, Ellis trouva plutôt intérêt dans la fine bretelle de son pyjama qui était retombée sur son épaule, la laissant dénudée. Un soupir glissa d’entre ses lèvres. Don’t do it., se répétait-il mentalement. Il était vidé, épuisé. Il n’avait plus la force de combattre. Tiraillé entre ses envies, ses besoins et la ténacité de Talia. Qu’attendait-elle de lui, qu’espérait-elle ? Il leva la main vers elle, glissa un doigt sous la bretelle, le laissant tracer le chemin de son bras jusqu’au-dessus de son épaule afin de la remonter. Le temps semblait suspendu, comme sa respiration. S’avança doucement vers elle, il posa son front contre son épaule. — "Don’t leave me here alone", murmura-t-il contre sa peau. Un aveu sincère, trahissant la façade qu’il s’efforçait de bâtir, de maintenir. Cet isolement l’avait peut-être sauvé, au début. Mais il ne pouvait plus concevoir retourner à cette vie. À ce silence, à ses tourments. Son doigt se promenait sur son épaule, presque imperceptiblement. Ellis recula légèrement la tête. Il devait reculer, trouver la force de se relever. Mais il restait immobile, inconscient du temps qu’il mettait à se livrer cette bataille intérieure. Un effluve du parfum de Talia parvint à ses narines et il ferma les yeux. Vaincu. Il ne le pouvait plus, n’avait plus la force de résister. Ses lèvres trouvèrent la peau délicate et brûlante de son épaule, près de son cou. Un baiser, doux et prudent. Puis un autre, et encore un autre. Le goût de sa peau laissée sur ses lèvres lui étira les lèvres en un sourire, se jurant de le mémoriser. De ne pas oublier Talia sur ses lèvres. Et pourtant, il ne pouvait qu’espérait qu’elle brise ce contact, qu’elle le repousse. Qu’elle soit assez forte pour eux, alors que lui avait finalement franchi l’interdit.
Le silence entre eux semblait s’éterniser, comme si le temps s’était autour d’eux arrêté. Leurs deux silhouettes dangereusement rapprochées, doucement éclairées de ce clair de lune qui s’immisçait timidement dans la pièce, enveloppées d’une atmosphère chargée de non-dits. Il y avait ce réflexe qu’elle ne parvenait à réprimer, qui ne cessait de refaire surface, celui de s’excuser machinalement pour une énième fois. Suspendues à ses lèvres, des excuses qu’elle s’empêchait de prononcer, freinée par le ton autoritaire qu’avait employé Ellis. S’avouant vaincue, les regrets néanmoins disposés sur les traits, Talia laissa plutôt Ellis combler le silence. — "All I can say is that, to me, it all feels so... right.", souffla-t-elle à mi-voix, cherchant inconsciemment à se déculpabiliser. Ellis était une énigme indéchiffrable, dont le cœur barricadé et blessé semblait impossible à pénétrer, caché derrière une carapace qu’elle s’efforçait de contourner. Innombrables étaient les fois où elle avait tenté de le comprendre, de le pousser à extérioriser ses sombres pensées, de déchiffrer les idées amoncelées dans le casse-tête que semblait être son esprit. Aussi nombreuses étaient les fois où elle s’était fracassée à son regard assombri, à un mutisme déstabilisant, à cet homme que la vie avait écorché, mais auquel elle s’était bien malgré elle attachée. Elle aurait voulu lui dire pourquoi elle n’était pas partie, pourquoi elle ne pourrait jamais le quitter. Déverser sur lui toutes ces raisons qui faisaient en sorte qu’elle était encore là, à ses côté, prête à braver toutes les tempêtes, flirter avec tous les interdits, dans le simple but de le sortir de sa torpeur. Elle retenait son souffle, les yeux rivés sur sa main qui s’aventurait sur sa peau, puis sur cette bretelle qu’il venait de replacer. La sensation de sa peau glissant sur la sienne, tous ses sens à la fois éveillés et troublés. Elle n’osait bouger, alors que le front d’Ellis venait se loger sur son épaule dénudée. Ses mèches rousses s’emmêlant à ses boucles sombres, leurs respirations s’harmonisant. Son cœur palpitait violement dans sa poitrine et elle se demandait s’il en percevait les battements saccadés. — "I'm not going anywhere. I won't leave you.", murmura-t-elle, les sens en ébullition, déstabilisée par cette nouvelle proximité entre eux. Le baiser d’Ellis sur sa clavicule la pris par surprise. D’abord paralysée, la respiration accélérée, elle peinait à calmer l’ardeur de son cœur battant la chamade. Ses lèvres laissaient sur sa peau parsemée de frissons de brûlants sillons. Dans son ventre s’agitaient des milliers de paillions, animés par la passion lui enflammant les entrailles. Elle aurait dû avoir la force de le repousser, elle puisa en elle pour cette once de courage pour se défaire cette étreinte à l’étroite intimité, mais tout son corps ne voulait que fléchir devant ces envies qu’elle n’avait fait que refouler depuis trop longtemps. Ses mains se frayèrent instinctivement un chemin jusqu’à sa nuque qu’elle enlaça de ses doigts frivoles, l’attirant davantage contre elle, avant que sa bouche ne trouve la sienne. Si les baisers d’Ellis laissés dans son cou s’étaient fait tout en douceur, c’était avec avidité qu’elle s’était emparé de ses lèvres, d’un désir ardent incontrôlable. Son souffle se mêlant au sien, ses doigts s’agrippant doucement à ses boucles, elle s’abandonnait à cet interdit enfin franchit. Puis brutalement, cette réalité qui vint la rattraper, telle une claque au visage. Tout son corps, bien qu’encore embrasé, se braqua et ses lèvres se détachèrent de celles d’Ellis. Elle secoua la tête, stupéfiée de s’être ainsi laisser emporter. Dans sa tête les mots s’entassaient, s’accumulaient à vive allure, se chamaillaient, mais elle peinait à faire de l’ordre dans ce tapage envahissant. — "I... I can't do this.", prononça-t-elle faiblement, articulant chacun des mots difficilement, ses lèvres engourdies sur lesquelles elle percevait encore la pression de celles d’Ellis. Son corps tout entier ne voulait qu’à nouveau s’abandonner contre le sien, mais les remords qui, avaient pris le dessus sur ses envies avides, la ramenaient à l’ordre. Tremblante, fiévreuse, elle plongea ses yeux dans ceux d’Ellis. — "I'm pregnant", lâcha-t-elle, gagnée par la panique, l'aveu s’échappant d’entre ses lèvres avant qu’elle ne puisse l'arrêter. Elle ne pouvait étouffer cette impression de l’avoir trahi, en se permettant ainsi de succomber à son appétence, alors qu’elle lui avait épargné les détails de cette situation délicate dans laquelle elle se trouvait. Elle aurait voulu s’excuser, à nouveau, mais les mots demeuraient coincés dans sa gorge, aussi sèche que nouée. Figée, elle n’osait plus le regarder, une boule au ventre. Elle ne savait plus ce qui était plus terrifiant entre cette attente d’une réaction de sa part et cette grossesse qu’elle peinait à assimiler. Dans ses yeux, une muette imploration, un appel à l’aide, tout le poids de ces remords à présent affalé sur ses frêles épaules.
moonlight eyes. Ses lèves posées sur sa délicate peau. Il reprenait lentement ses esprits, alors qu’il sentait qu’elle avait figée. Sans doute par la surprise de son geste. Il avait fait une erreur. Pourtant, il devait combattre l’envie de l’embrasser à nouveau, de refaire glisser cette fine bretelle de son pyjamas, l’envie de plonger ses mains dans ses cheveux. Tout son être appelé vers elle, pris sous l’emprise d’un magnétisme qu’il n’en pouvait plus de combattre. Il décolla lentement ses lèvres de sa clavicule, n’osant effectuer le moindre mouvement brusque. Qu’avait-il fait? Surpris par les mains de Talia qui glissaient sur lui, jusqu’à sa nuque. La fermeté avec laquelle elle le guidait plus près d’elle. Il la laissait guider, sans combattre. Les pulsations de son cœur martelant contre son cou, contre ses tempes. Et elle l’embrassa. D’abord figé, d’abord déboussolé, il n’osait bouger. Le baiser qu’elle plaquait contre ses lèvres brûlantes n’avait rien de ceux qu’il avait laissés sur sa peau. La fougue, la frustration des dernières semaines alors que la tension entre eux devenait insoutenable évidentes. Sa main quittant son épaule se fraya un chemin jusqu’à son visage. Son pouce effleurant sa joue, ses doigts se mêlant à sa chevelure, l’attirant vers lui davantage. Son autre main trouvant le bas de son dos, ses doigts effleurant la peau dénudée où se terminait sa camisole. Ignorant la douleur de sa blessure. Ignorant tout autour. Oubliés les doutes, oubliés les remords. Oubliée Julia. Rien qu’eux. Leur souffle se mêlant, leurs lèvres brûlantes. Brusquement, elle eut un mouvement de recul. Les sourcils froncés, haletant, il ouvrit les yeux. I can't do this. Les mots, telle une claque au visage. Un brusque réveil, un rappel à sa réalité, à leur réalité. Elle ne pouvait pas faire ça. Et lui non plus ne le pouvait pas. Il déglutit péniblement, incapable de protester, incapable de relever le regard vers elle. Cette honte qui le happait, qui venait lui tordre les entrailles à nouveau. Elle l'avait embrassé avec passion, avec ferveur. Mais n'était-il pas celui qui avait commencé? Figé sur place, son cœur toujours affolé, il ne put que retirer ses mains d’elle. — "Talia", souffla-t-il en un murmure faible. Mais il ne savait pas quoi dire. Pour la rassurer, pour justifier ou effacer ce qui s’était passé. Comment pourrait-il oublier la délicatesse de sa peau? Comment pourrait-il oublier leur baiser passionné? Comment pourrait-il continuer de cohabiter avec elle, de veiller sur elle comme il s'était fait la promesse pour Julia. Il lui semblait désormais impossible de rebrousser chemin suite à cet interdit qui venait tout changer. — "I'm sorry", lâcha-t-il en un souffle, au même moment où Talia avait aussi osé briser le lourd silence entre eux. Les sourcils froncés, il dû se répéter ses paroles. Enceinte. Son corps entier se raidit, eut un mouvement de recul. S'éloignant de Talia. La confusion évidente sur les traits de son visage. Enceinte. Il répétait le mot encore et encore. Incapable de l'encaisser, incapable De comprendre pourquoi elle le lui avait caché, incapable d'accepter cette jalousie au creux de son ventre. Cette colère qui s'emparait de lui. Qui était-celui qui l'avait mise enceinte? Où était-il? N'était-elle pas rentrée seule de son voyage? Était-elle rentrée avec le cœur brisé... Et que cela faisait-il de lui? Le type qui était censé lui changer les idées? La distraction le temps que la douleur se dissipe? Il osa finalement relever le regard vers elle. Accueilli par un air implorant, triste. La gorge nouée, il ne savait pas quoi lui dire. Ne savait pas s'il pouvait lui offrir du réconfort. Ignorait même ce qu'elle attendait, espérait de lui. Le regard fuyant, il se redressa. Se sentait étouffé, coincé. Trop près d'elle, alors que les questionnements se bousculaient dans son esprit. Il se releva maladroitement du sol, les jambes engourdies, la tête déboussolée. L’alcool toujours présent en lui pour embrouiller ce fouillis. — "Who’s … How long have you known, Talia?", demanda-t-il, changeant sa question au dernier moment. Peut-être n’était-il pas prêt à entendre parler du père. Peut-être avait-il peur de heurter Talia en le mentionnant. Le savait-elle déjà à son arrivée? Depuis combien de temps le lui cachait-elle? Sa voix était douce, malgré le vertige duquel il se sentait victime. Passant sa main dans son visage, il s’adossa au comptoir. — "What the fuck was that then?", souffla-t-il doucement. Sa main désignant l’endroit au sol où ils s’étaient embrassés. Ignorant lui-même s'il faisait référence à leur baiser ou au fait qu'il l'avait poussée à faire cet aveu. Ignorant lequel de ces éléments venaient le plus changer à tout jamais ce qu'ils avaient ici, ensemble.
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