A la croisée des chemins // Ft Nina Vikander

Les traces de la tempête marquaient le paysage, telles des cicatrices qui ne s’effaceront jamais… Etait-ce un signe pour celle qui venait de poser ses bagages à l’hôtel au Faubourg Marigny quelques heures plus tôt ? Sans doute. Et cela ne venait pas conforter Neveah dans son envie, si envie il y avait vraiment, de rester plus longtemps au coeur de cette ville qui ne lui avait pas manqué un seul instant. Ainsi, elle n’arrêtait pas de soupirer, ou de lever les yeux au ciel à chaque fois qu’elle croisait une personne qui réagissait à son nom de famille. “Sincères Condoléances”, “Pardon Mademoiselle”, “Votre père était si bon et votre mère si gentille”, “La nation perd un homme, un vrai guerrier”.... Les dents serrées, le regard aussi perçant que glacial, elle s’était contentée de rester silencieuse, mais une énième réflexion vint se mettre sur son chemin, alors qu’elle arrivait enfin près de la maison familiale.

“Oh mais… Tu es… Neveah c’est cela… ? Si... je reconnais tes yeux... Oh... tu étais si jeune... "
“...”

Sur la défensive, Neveah jugea la vieille voisine d’un coup d’oeil tout en restant à distance… C’était Mme Whitebury, une riche catholique commère qui n’avait pas pris une ride. Mais elle n’eût pas vraiment le temps de répondre car bien vite, le sujet de discussion tant redouté arriva sur la table.

“Oh, tes parents, l’accident, je… je suis désolée… La vie est si injuste… Que dieu vous préserve avec ta soeur…  Je… Ils ne méritaient pas ça… Toutes mes condo-”

“ Ooooh, non. La vie est juste, plutôt. On appelle ça un retour de karma ma p’tite dame. Vous voyez, c’est c’qui arrive aux personnes qui ne sont pas bonnes, elles sont punies, et paient cher leurs… pêchés ? C’est bien ça que l’on dit ? , Alors vos condoléances, gardez les pour quelqu’un d’autre d’accord ?” trancha Neveah sur un ton sarcastique tout en affichant un sourire faux.  

Figée, la vieille voisine se tut, puis la jeune femme reprit sa route au rythme de sa colère pour finir les quelques mètres à faire afin de rejoindre l’endroit qu’elle avait fui quelques années auparavant. Qui aurait cru qu’elle y reviendrait ? Personne. Même elle avait hésité à prendre la route après avoir appris le décès de ses géniteurs… car aucune tristesse n’était venue étreindre son coeur, et aucune larme n’avait coulé sur ses joues. Bien au contraire, elle avait ressenti une sorte de soulagement…à la fois  étrange et inexplicable… Toutefois, les obligations liées à l’enterrement ainsi qu’à la succession avaient fini par la forcer à prendre la route… Et puis… Il y a avait Nina. Sa soeur aînée qui ne l’avait pas suivie, qui était restée…

“Mademoiselle Vikander ?”

Sursautant légèrement à la vue de l’homme qui lui avait donné rendez-vous, Neveah mit un petit moment à se remettre de ses esprits.  Ainsi, elle cligna des yeux plusieurs fois avant de lui serrer la main.

“Pardonnez moi, je ne vous ai pas entendu arriver.”
“Ah ! Ce n’est pas grave ! Mr Pomkins, Notaire. Je suis un peu en avance, tout comme vous d’ailleurs. Nous allons rentrer si vous le voulez bien, nous serons plus au chaud.”
“Heu… d’accord.”

Prise au dépourvu, celle qui avait choisi de venir plus tôt pour se mettre en condition venait de payer cher son choix. Entraînée dans cette maison qui ne lui rappelait pas de bons souvenirs, elle suivit l’homme dont elle avait oublié le métier sans rien dire… jusqu’au moment où elle pénétra enfin dans l’entrée.

“Eh bien. Ca n’a pas changé.”

Atmosphère pesante, meubles clinquants, vieilles photos encadrées, médailles affichées… C'était comme si le temps s'était figé après son départ. Dégoûtée, la jeune femme soupira avec force, puis se tourna vers le fameux Mr Pomkins.  

“Ca va durer longtemps ? Je ne peux pas signer ce que je dois signer et partir ? “ finit-elle par laisser échapper sur un ton agacé.
“Malheureusement Mademoiselle, pour les services funéraires, il nous faut attendre votre soeur. De plus, j’ai des détails à vous fournir d’une importance capitale. ”
“Non mais je m’en fi-... Enfin, pardon, je voulais dire que… elle peut choisir ce qu’elle veut, je n’ai pas de temps à perdre avec tout ça. Vraiment.”

Elle se fichait bien de la cérémonie, ou bien des prestations choisies. Tout le monde avait perçu ses parents comme un couple modèle, son père étant l’homme bon par excellence et sa mère, la femme parfaite qui avait su concilier la carrière de son époux et l’éducation de ses enfants. Du vent. Des mensonges… Ainsi, ils ne méritaient aucun honneur pour elle, ni aucun invité… L’indifférence la plus totale étant le prix à payer pour tout ce qu’elle avait subi.  Mais… même si cela lui aurait plu de cracher tout ça au visage du pauvre notaire, il y avait une personne qui, malgré tout, faisait barrière à tout cela dans son esprit.

Nina…

Nina dont la silhouette n’allait pas tarder à apparaître sous ses yeux...

Les mots claquèrent dans l’air, aussi secs que froids lorsque Nina aperçut sa soeur. Que faisait-elle ici ? En réalité, Neveah se posait encore la question, mais elle n’eut pas vraiment le temps de répondre, tant elle fut obnubilée par l’état général de la jeune femme qui se trouvait sous ses yeux. Tellement d’émotions, des tremblements quasi imperceptibles, et cette voix qui la trahissait… Non…Elle n’avait jamais fui, jamais réussi à couper les ponts ni à se libérer de l’emprise néfaste de leurs parents… C’était même tout le contraire.

En effet, lorsqu’elle vit son aînée se diriger vers les médailles pour mentionner son envie non négociable de les garder, elle comprit que le traumatisme avait été loin… Très loin. La souffrance n’était plus, et l’admiration avait sans doute pris le dessus avec les années. Il n’y avait aucune autre raison d'agir de la sorte pour celle qui avait réussi à partir… Peut être même était-ce à cause de ce lien étrange avec leurs géniteurs qu’elle n’avait jamais osé prendre la poudre d’escampette à ses côtés ? La lettre avait-elle été aussi inutile que cela ?  Pourtant, elles étaient si proches et si soudées à cette époque bien sombre...  

Vexée suite aux nombreux films qu’elle se faisait dans sa tête, Neveah se laissa guider dans la maison qui la répugnait sans dire un mot. Lassée, blasée, dégoutée, elle leva alors les yeux au ciel une fois dans son ancienne chambre.

** C’était des conneries **

Elle renvoyait son message dépassant juste de l’oreiller, à demi caché… Les dents serrées en imaginant une soeur aînée totalement hermétique face à ses derniers mots la suppliant de la suivre, elle lâcha un soupir, puis commença à faire demi-tour. Cependant, au même moment, Nina la devança en se dirigeant vers la sortie après avoir fait entendre le son de sa voix. N’ayant pas prêté attention aux paroles prononcées, la demoiselle se tourna vers le notaire en haussant les épaules.

“ Je crois que votre soeur est chamboulée par tout cela… Faire un choix semble bien difficile… ”
“Ne vous inquiétez pas, ce sera rapide.”  

Ne laissant pas le temps à l’homme de répondre, elle prit le chemin de la terrasse en tentant de mettre de côté cette colère étrange qui la crispait. Cela ne servait à rien de s’énerver, ce n’était pas le moment de vider son sac. D’autant plus qu’elle ne souhaitait rien qui venait de cette maison ou même de leurs parents. Seule une signature la retenait prisonnière du lieu de son enfance, et rien de plus. Il lui suffisait juste de dire qu’elle refusait tout héritage pour être libre.

Ainsi, elle débarqua dans la cour telle une guerrière, prête à balancer quelques mots puis à faire demi-tour pour éviter de traîner plus longtemps. Cependant… Nina, qui fumait de dos, fut la plus rapide et lui balança une deuxième réflexion cinglante à la figure. La colère, elle était bien présente… Mais pourquoi ?

Oui, elle avait fugué, oui, elle n’avait jamais donné de nouvelle, oui, elle ne ressentait aucune émotion face à la mort de deux bourreaux à ses yeux, oui, elle lui avait donné une chance de fuir avec elle, oui elle avait été blessée en voyant que sa seule soeur aînée, son pilier, son seul allié, l’avait lâchement abandonnée pour rester dans la maison familiale… Mais il n’y avait là aucune raison d’être dans un tel état.

C’est pourquoi, il n’était plus question de ne rien dire.


“ Non. Et je viens de comprendre qu’au final, plus rien ne me retenait ici. J’ai fait le bon choix, moi.” répondit-elle d’une voix aussi douce que glaciale.  

La rancune commençait à l’envahir, mais elle choisit de couper court afin d’éviter toute explosion mal venue.

“Bref. Je ne veux rien. Rien de tout. Tu peux tout prendre. Il fallait juste que tu le saches. Maintenant je vais signer les papiers. “ s'empressa t-elle d’ajouter non sans arrêter de froncer les sourcils tant la situation l’agaçait. “ Mr Pomkins ?”

Sans aucun autre mot, et sans pour autant quitter la terrasse,  Neveah commença à pivoter pour passer sa tête dans la maison afin d’essayer d’apercevoir celui qui était, il fallait bien le dire, à l’origine des soucis de sa journée. Lui seul avait le pouvoir de la libérer de ses obligations, et s’il ne se pressait pas, elle risquait de ne pas rester calme bien longtemps face à celle qui semblait être prête à lui sauter à la gorge.

La tension montait au sein de la maison familiale, autant du côté de Nina que de celui de Neveah qui s’était mise à se mordiller la lèvre inférieure pour éviter d’imploser face aux dernières répliques lancées. Pourtant elle aurait tant aimé répondre que sa vie n’avait pas vraiment été trépidante et que la signature électronique aurait été la solution bénie des dieux à ses yeux, mais hormis de la puérilité dans l’acte, la jeune femme n’y avait rien vu d’autre. C’était à celle qui viendrait piquer le plus l’autre, par colère, par rancune, sûrement par vengeance aussi, et elle ne comptait pas rentrer dans la danse. Du moins, elle essayait. Plus vite cela serait signé et plus vite toute cette mascarade serait terminée.

Ainsi, une fois tous assis autour de cette foutue table de salle à manger qui était aussi détestable que les autres meubles de la maison, les papiers furent enfin sortis… Mais voilà. Quelque chose vint littéralement changer la donne.

Nina ne souhaitait rien de plus que les médailles. Clignant des yeux plusieurs fois d’affilée en regardant successivement le Notaire et sa soeur, Neveah se demandait bien ce qui était en train de se passer. De ce fait, lorsque les papiers arrivèrent sous ses yeux, elle lâcha un petit rire jaune avant de s’adresser à Mr Pomkins.

“Vous pouvez sortir ?”

Son ton, entre l’interrogation et l’affirmation, figea un instant l’homme qui ne sut pas trop quoi répondre.

“Mais… Je… Enfin… Je…”
“Non non, sérieusement, je crois qu’il faut qu’on se parle et croyez moi, vous ne voulez pas assister à cela. Merci.” finit-elle par lancer en lui faisant un signe de tête dirigé vers la porte.

Le Notaire ne se fit pas prier, et à peine eut-il franchi la porte que Neveah se tournait vers sa soeur pour lui faire face.

“C’est quoi ton problème au juste ?” lança t-elle sans prendre de pincettes.

Incapable de tenir plus longtemps, la jeune reporter se lança envahir par les émotions, brisant alors la bulle de silence dans laquelle elle avait tenté de rester enfermée.

“Arrête de faire celle qui s’en fout pour cette baraque, c’est mon rôle ça. Alors je veux bien signer un putain de truc pour dire que je te donne ma part ou je n’sais quoi, mais pas cette paperasse de vente, je n'ai pas le droit de faire ça. ”

Cette maison devait tout de même compter pour Nina, même si elle refusait de le montrer. D’ailleurs, Neveah ne pouvait nier que ces murs ne représentaient rien pour elle. Ils avaient été sa prison, mais aussi le lieu de naissance d’un lien entre soeur empli de bonheur et d'amour qui s’était sans doute envolé, certes, mais qui avait existé. Au final, il n’y avait pas seulement que des mauvais souvenirs, bien sûr, mais cela ne pesait pas assez dans la balance pour l'empêcher de ressentir le besoin de brûler tout cela.

Néanmoins, sa soeur n’avait peut être pas la même vision qu’elle, et même si cela faisait des années qu’elles ne se parlaient plus, elle ne se voyait pas la priver d’une façon de faire son deuil. Cela allait sûrement à l’encontre de ses sentiments, ou pensées, mais à vrai dire, la jeune femme n’arrivait plus à réfléchir convenablement.

Plus maintenant.

Les hostilités étaient lancées. Enfin. Piquée au vif, Nina s'était lancée dans la fosse aux lions avec la même hargne qu'une personne qui ne faisait pas partie des inconnus aux yeux de Neveah.

** Putain on dirait le père. **

Silencieuse dans un première temps, la cadette resta les bras croisés, à contempler cette soeur qui avait tellement eu une place importante dans son coeur et à qui elle aurait bien collé une gifle à ce moment même. Non, elle ne savait rien de sa vie, ni de ce qu'elle avait vécu avec leurs géniteurs, mais une chose était sûre... Elle les avait bien trop côtoyés pour ne pas garder de traces. C'était autant ahurissant que flippant.  

Haussant un sourcil lorsque la question de la cérémonie arriva sur la table en même temps que la fumée de cigarette, la jeune femme prit une bonne inspiration, au bord de la rupture. Elle qui n'avait pas touché à cela depuis son accident en Irak, elle ressentait soudainement le besoin d'en fumer une, ou bien même deux. Tout cela allait beaucoup trop loin...

Toutefois, la question de la nicotine fut très vite balayé dans son esprit, car Nina avait décidé de débloquer entièrement en donnant l'impression de jouer le rôle du père Vikander affabulé du couvre chef de Sherlock Holmes.

" Ah...ahaha... AHAHAHA ! "

Le rire fut jaune, nerveux, incontrôlable et bref pour celle qui décida de se lever.

" Alors attends ma grande, on va récapituler les choses là."

A présent Neveah ne souriait plus. Le coeur battant au rythme de sa haine, elle pointa un index vers sa soeur, tout en se penchant vers elle pour s'approcher de son visage.

" Premier point, si j'avais eu envie de les tuer, crois moi, ça n'aurait pas été comme ça hein. Oh que non, pas assez long et douloureux. Rien que pour les bons souvenirs de l'époque, n'est-ce pas ? " Levant à présent le majeur, elle poursuivit avec froideur. "Deuxièmement, TU aurais pu me suivre car j'ai laissé UNE PUTAIN DE LETTRE SUR TON PUTAIN DE LIT avant de ME BARRER pour que TU ME REJOIGNES  ! Alors ne me parle pas d'être docile quand pour moi ça veut dire être LÂCHE ! J'ai fait MON CHOIX, tu as fait LE TIEN !" La voix emplie de rage, Neveah s'était laissée emportée par la colère et n'arrivait plus à réfléchir. "Troisièmement !" Cette fois-ci l'annulaire se dressa fièrement. " Tu t'es écoutée ? On dirait le paternel quand tu parles, c'est JUSTE écoeurant ! Comment veux tu ne pas être jugée HEIN ?" Essoufflée, les yeux humides, elle finit par lever son auriculaire pour terminer d'une voix brisée. " Et quatrièmement. Arrête de fumer PUTAIN !"

Incapable de rester plus longtemps, le corps fébrile pour une raison qui lui échappait, la reporter se mit à ranger rapidement la paperasse qui la concernait dans le but d'écourter cet échange qui allait monter en intensité. Elle voulait partir, fuir très loin, pour ne jamais revenir dans cette foutue maison qui méritait juste d'être réduite en poussière.  

Et fumer une cigarette.
Une dernière.