what the F is this ? (ft. hayden)

Cela faisait deux semaines qu’il me l’avait appris. Deux semaines que j’étais rentré dans une rage folle et que, claquant si violemment la porte de ma chambre, l’un des gonds avait sauté. Je ne voulais pas avoir de belle-mère. Je ne voulais pas avoir de demi-sœur. Je ne voulais pas d’une pseudo « nouvelle famille ». Déjà rien que la présence de mon père était de trop. Il m’avait fallu du temps pour avaler ça. J’avais loupé le concert que je devais faire le soir, et j’avais même séché les cours de cette journée et du lendemain. J’étais littéralement dans tous mes états. Il avait décidé d’oublier Maman, ou quoi ? Il avait oublié à quel point elle avait souffert lorsque ce maudit crabe lui avait arraché les cheveux, lui avait ôté sa féminité en la privant de ses seins et l’avait empêché de respirer au fur et à mesure du temps ? Il voulait qu’on remette ça, peut-être ? C’était clair dans ma tête, et je le lui avais dit : qui que soit cette femme, qu’elle ait une fille ou non, jamais je ne les considèrerai comme étant de ma famille, et ce même si ça pouvait lui faire plaisir. Alors lorsqu’il m’avait appris au dernier moment pour ne pas que je fugue que nous irions dîner chez elles, je fus totalement abasourdi. Je ne réagis pas de suite. La cuillère plantée dans mon bol de céréales, je ne bougeai plus, la bouche légèrement entrouverte par la surprise. Mon père s’assit alors en face de moi, et posa ses mains sur les miennes pour me demander, droit dans les yeux, des larmes naissantes à l’intérieur de ceux-ci :

« Je t’en supplie, Hayden… Laisse-leur une chance. Laisse-moi une chance. C’était il y a dix-huit ans. Tourner la page ne signifie pas que l’on oubliera ta mère. Et tu le sais aussi bien que moi : Kate aurait voulu que l’on retrouve notre bonheur. Je suis heureux avec cette femme. Je veux que tu la rencontres. Je veux que tu voies à quel point elle est extraordinaire. Et si je ne cesserai jamais de penser à ta mère, j’ai besoin d’amour. Tu peux le comprendre, j’en suis sûr. »

Il avait raison, je pouvais le comprendre… Alors je poussai un long soupir, et dégageai mes mains des siennes, n’appréciant pas ce contact. La tête baissée, je ne pus m’empêcher de lui répondre :

« Ne me déçois pas. »

Pourquoi étais-je aussi cruel envers lui ? Cela faisait longtemps que je me posais la question. Cela faisait longtemps que je ne trouvais pas la réponse. C’était viscéral. Je lui reprochais tout, depuis des années. Comme d’avoir privilégié son boulot de merde à défaut de s’être occupé de Maman parce qu’il avait trop peur de faire face à sa maladie et à l’issue obligatoire qu’elle aurait. Il avait préféré allait s’occuper des tuyaux de ses clients plutôt que de lui dire qu’il l’aimait. Alors c’était moi, petit gamin de cinq ans, qui était resté à son chevet et qui l’avait vue s’éteindre auprès de l’infirmière, comprenant enfin ce qu’était la mort. Et lui, il n’était pas là… Je le haïssais pour ça… Et ça ne changera jamais. Pourtant ce soir, j’allais faire cet effort, mais seulement pour ma propre bonne conscience. Pour me dire que je n’étais pas un enfoiré. Et peut-être – et surtout – pour pouvoir m’assurer que je ferai tout pour faire exploser leur petit couple si je vois que cette femme est aussi lamentable que lui. Je n’ai pas besoin d’en avoir deux à la maison. Enfin trois, puisqu’elle a aussi une fille.

Bref, j’étais parti dans ma chambre, et avais travaillé sur mes cours toute la journée avant de terminer une heure avant que l’on ne parte pour me préparer. Mon père s’était mis sur son trente-et-un. Moi, j’avais opté pour un jean élégant noir, ainsi qu’une chemise blanche qui mettait mon corps et mes muscles en valeur. J’avais pris grand soin à soigner ma coiffure, et avais enfilé des chaussures en cuir noir. Fin prêt, je rejoignis mon père, imperméable à son engouement et à ses compliments, visiblement heureux que j’ai fait un effort particulier pour cette soirée qui ne m’emballait absolument pas.

Nous prîmes la voiture, et mes sourcils se froncèrent lorsque je vis sur les panneaux que nous nous aventurions du côté de Garden District. Le coude appuyé contre la fenêtre ouverte de la voiture, je lâchai avec humeur :

« Ah ouais, je comprends mieux ce qui te plaît chez elle… »

Me père ne répondit rien, même si je le sentais agacé par la remarque. Toutefois, cela faisait longtemps qu’il avait cessé de se battre contre moi, sachant pertinemment que j’avais de toute façon toujours le dernier mot. Il s’arrêta devant une maison élégante, un peu moins grande que certaines autres mais pour autant pas moins chic. Nouveau soupir. Je descendis de voiture, glissai mes mains dans les poches de mon pantalon tandis que mon père, extrêmement nerveux, se recoiffait sans cesse après avoir appuyé sur la sonnette de l’entrée de la maison. Fixant le sol, désintéressé et moi-même un peu tendu, je l’avoue, je levai la tête lorsque la femme vint à notre rencontre. Celui-ci, munit d’un bouquet de roses, la salua avec un immense sourire, avant que la femme ne sorte du cadre de la porte pour se présenter à moi. Aussitôt, je me figeai.

« Madame… Reeves ? » Demandais-je, abasourdi.

Depuis quand il se tapait ma prof’, lui ? Mais cette surprise ne fut pas la pire de toute, non. La pire fut lorsque mes yeux aussi sombres que les ténèbres se posèrent sur le visage de sa fille.

« Toi… ? Ok. Là c’est trop : je me casse. Bonne soirée. » Dis-je, les mâchoires crispées prêtes à exploser en faisant demi-tour pour m’en aller loin de ce monde de fous.

J'entendais la garce m'interpeller par mon prénom, mais je continuer d'avancer, les poings serrer à m'en faire craquer les jointures, la clé de la voiture s'enfonçant dans la paume de ma main jusqu'à à en devenir une sensation douloureuse. Mais je n'allais pas lui faire le plaisir de m'arrêter et d'écouter ses paroles dont je n'avais rien à faire. Je voulais partir loin, très loin d'ici et me retrouver seul pour vomir cette bile de rage qui me remontait dans la gorge à la vue de ce parfait petit couple. J'ouvris la voiture à l'allure misérable et honteuse, montait dedans, et allumai le moteur. Ôtant l'embrayage, j'enclenchai la première lorsque Jordan se pointa devant moi pour m'arrêter. Je descendis ma vitre, et lâchai en donnant un coup de poing sur le volant :

« Waouw, vous vous êtes tous donné le mot pour me faire chier, ou quoi ? » Pestai-je avec humeur.

Toutefois, au point où j'en étais, je l'écoutais. Qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre, de toute façon ? Elle était là, je n'allais pas l'écraser non plus. Tiens, quoique... Chassant cette néanmoins excellente idée de la tête, je l'écoutais déclarer qu'elle était tout aussi surprise que moi de cette révélation qui était donc de voir que nos deux parents étaient en couple.

« Tu m'en diras tant... »

Je l'écoutais toutefois, sans l'interrompre ni balancer de pique à droite ou à gauche la suite de ses propos. C'était très dur à admettre, mais elle avait raison : depuis la mort de ma mère, je n'avais jamais vu mon père en couple. Et encore moins aussi heureux depuis quelques temps... Je n'avais jamais pensé à l'idée que celui puisse être à cause d'une femme, et à vrai dire j'avais tellement de rancœur contre lui que je m'en fichais un peu, mais maintenant que l'engrenage était lancé, que pouvions-nous faire ? Pas grand chose, je le crains...

Je poussai un long soupir, baissant le regard. Agir en adulte, je savais faire. Pas toujours, c'est vrai, mais j'étais à des années lumières d'être un idiot.  Alors bon, essayer, pourquoi pas. Je ne garantissais seulement pas le résultat parce que bon, encaisser d'un coup que son père pour qui l'on n'a pas la moindre estime se tape notre prof' qui est accessoirement la mère d'une gonzesse que l'on ne peut pas sentir depuis le lycée, il faut être sacrément équipé en bas de la ceinture ! Toutefois, la dite peste ajouta des paroles qui me firent retrouver un sourire que je qualifierai de mauvais. Disons plutôt le genre de celui qui ne faut pas éveiller sur le visage d'une personne qui a beaucoup trop la suite dans les idées. Je remis alors le frein à main, sortis de la voiture, la refermai puis m'appuyai le dos contre elle, toisant Jordan de toute ma hauteur, du haut de mon mètre quatre vingt-huit qui me faisait largement la dépasser. Jouant avec les clés que je lançai et rattrapai dans une main, je lui dis avec un grand sourire malsain et le regard pétillant :

« M'en devoir une ? Vraiment ? Si tu savais comme tu n'aurais jamais dû me dire ça, princesse. »

Je levai un instant les yeux au ciel, continuant de lancer et de rattraper mes clés d'une main d'un air pensif, avant d'ajouter :

« On verra le moment venu. Je ne vais pas gâcher un si bel atout. Pas vrai, « petite sœur » ? » Lui dis-je sur un ton posé qui n'augurait absolument rien de bon, déposant un baiser sur son front alors que je passai un bras puissant et musclé autour de ses épaules.

« Je crains qu'il ne faille faire semblant de s'apprécier. Je vais éviter de trop manger sinon je vais tout vomir après. » Repris-je comme si je parlais à une personne que j'adorais, alors que mes paroles étaient aussi cuisantes que du venin.

Cette fille me haïssait... et c'était tellement bon ! Quoique je puisse faire, le moindre de mes faits et gestes l'horripilait et j'adorais tout faire pour provoquer son dégoût. Un bras autour de ses épaules, un baiser sur son front... Je pouvais même sentir un frisson d'horreur lui parcourir l'échine. Un grand sourire illumina mon visage lorsqu'elle se dégagea de mon étreinte et parti d'un pied boudeur vers sa maison de gros bourges coincés que l'étaient sa mère et elle-même, cela dit en passant. Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire lorsqu'elle me demanda, en étant encore non loin de moi, si je n'allais rien lui demander de sexuel. La regardant avec pitié, un sourire cruel aux lèvres, je lui répondis comme s'il fallait expliquer ces mots à un handicapé psychique :

« Hey, je ne suis pas un non-voyant moi, et je tiens à garder mes boyaux et mes tripes alors, non, ne t'inquiète pas, je me demande déjà si t'avoir tapé la bise ne va pas me mettre dans le coma pour trois ans, alors... »

Vexée comme un poux, Jordan rentra chez elle retrouver sa mère et mon géniteur, tandis que je prenais mon temps pour les rejoindre à mon tour. Une fois à l'intérieur, j'eus la joie immense (non, je déconne), de faire ce que tous les gens dénués d'intérêts font lorsqu'ils invitent des amis : faire visiter leur maison. Non mais qu'est-ce qu'on s'en fout, sérieux ? Je lâchai un léger soupir et les suivis, derrière, les mains dans les poches. Je regardais les lieux sans aucun intérêt, jusqu'à ce que l'on passe devant la chambre de la mini garce. Mes yeux noirs comme les ténèbres détaillaient chaque parcelle des lieux, qui me donnaient toutes les informations sur mon ennemie préférée. Nos parents étaient redescendus pour se rendre dans la cuisine, à ce que sa mère nous avait annoncé, tandis que moi je restai là, tapis sur le pas de la porte. Visiblement agacée, Jordan me demandait pourquoi je restais là. Pénétrant sans gêne dans les lieux, l'air serein et les mains toujours dans les poches de mon jean noir, je regardais autour de moi et lui répondis tout juste :

« J'analyse. »

Je passai devant une étagère sur laquelle une collection de bouteille de Gin trônait.

« Alcoolique. »

Je pris une bouteille dans mes mains et regardais la marque.

« Un Brockmans ? Ouais, là ça va, tu me fais plaisir, il est pas mal, celui-là. »

Tournant la tête, je vis son bureau orné de livres, de son ordinateur qu'elle emmenait en cours, l'avais-je immédiatement reconnu, et de divers travaux.

« Studieuse. Tu fais pas tout-à-fait semblant. Et lui, c'est qui ? » Lui demandais-je en regardant le cadre photo qui était posé sur la table de chevet près de son lit.

Je m'approchai mais n'osais pas le prendre, observant un homme en uniforme militaire.

« C'était ton père ? Beau-gosse. Je comprends de qui tu tiens ta bouille. »

Euh... Je viens de lui faire un compliment, là ? Oui. Sur les morts, j'étais honnête. Pourquoi ? Parce que personne n'en ferait jamais sur ma mère car je cachais son visage pour jamais n'en parler. Cet homme était très beau. Et oui, je l'admets, Jordan était très belle. Comme Susan, d'ailleurs, mais je la reconnaissais plus dans son père. Du moins sur ce cliché.

« Je ne savais pas qu'il était militaire. Et désolé d'avoir abordé le sujet. Je suis con, et je m'aventure sur un terrain glissant. Je me barre. » Lui dis-je en m'apprêtant à sortir de la pièce.

Jamais je n'aurais cru pouvoir un jour lui parler sans l'attaquer. Jamais nous n'aurions cru le faire. Et pourtant. Pourtant ce soir fut celui des prémisses d'une nouvelle relation, basée sur la douleur. Nous étions deux nerveux, deux sanguins - enfin surtout moi, bien que la jeune femme ne se soit jamais laissée faire - mais voilà qu'à présent j'étais assis à côté d'elle, sur son lit, une bouteille de Gin dans la main alors que nos parents s'étaient résolus à cesser de nous appeler pour ce repas auquel nous ne viendrions pas, à moins peut-être pour le dessert. Nous étions tous deux plongés dans un sujet des plus importants. Majeur même, je dirai : nos parents. Mais pas les vivants... Jordan avait réussi à faire le premier pas vers moi, quoique j'étais l'instigateur de cette confidence à laquelle elle aurait très bien pu se dérober. Mais elle ne l'avait pas fait. Elle m'avait expliqué, buvant elle aussi par intermittence un peu de Gin, qu'elle était cette heureuse petite fille aux anges dans les bras de son père, un militaire droit, souriant et bel homme, on ne pouvait le nier. Il était également au côté de Susan, un peu plus jeune mais elle aussi profondément heureuse. Ce qui me choquait dans le sourire de cette femme, c'est qu'il ressemblait terriblement à celui qu'elle avait en présence de mon père. L'aimait-elle donc à ce point ? Lui, le misérable plombier ? Et Jordan ? Bien évidement, je n'étais pas de ceux qui essayait de la faire rire, au contraire. Mais jamais je ne l'avais vu sourire comme ça, même depuis le lycée, et avec n'importe lequel de ses amis...

Enfin, elle aborda le sujet de ma mère. Je menai une nouvelle fois le goulot de ma bouteille à mes lèvres pour boire une gorgée. Je pris une longue inspiration, baissai les yeux vers le sol et lui répondis sur un ton que je n'avais jamais pris avec elle : très doux quoiqu'endoloris.

« Et bien... Ma mère était aussi un soldat, à sa façon. Elle a combattu le cancer, mais il l'a tué lorsque j'avais cinq ans. Je ne me souviens pas très bien d'elle, si ce n'est de ses derniers instants de vie. Elle était alitée vingt-quatre heure sur vingt-quatre, branchée à des tuyaux partout. Elle n'avait plus aucun cheveux, elle était aussi maigre que la mort et c'était à peine si elle pouvait parler et ouvrir les yeux. En fait... C'est moi qui l'ai accompagnée jusqu'à la tombe. Je lui ai tenu la main jusqu'à ce qu'elle ferme les yeux. Mon père a été un putain de gros lâche, il l'a fuie du début à la fin. C'est pour ça que je lui en veux à mort. »

Nous discutâmes une bonne partie de la soirée, avant d'aller rejoindre nos parents respectifs dans un état d'esprit un peu... différent. Pourrions-bous dire qu'une amitié se forgeait ? Non, pas jusqu'à là. C'était simplement étrange. Bizarre. A défaut de devenir amis, peut-être nous supporterons-nous un jour en tant que frère et sœur ? Ô bon sang, je ne suis pas prêt pour ça...

- FIN -