Come back to life [Jordan]

Les trois derniers jours avaient été les pires de sa vie. Elle s’était fait aspirée dans un goufre duquel aucune issue n’était possible, pas même le réveil tant attendue de l’être aimé. Malgré la stabilisation de son état, la tentative de suicide ne pouvait être reléguée aux oubliettes. Elle était là pour y rester, comme une cicatrice qui marquerait à jamais la peau meurtrie de son existence.

Trois jours plus tôt...

Les ambulanciers avaient rapidement pris charge d’Hayden et qui, accompagnés de Susan, tentaient de réanimer le corps sans vie qui habitait jadis l’esprit taquin qu’était le brun. Épleurée comme jamais, Jordan avait regardé l’ambulance quitter les lieux avec dans son coeur la plus douloureuse des souffrances. Jim avait regagné le rez-de-chaussée avec en main trois lettres. Les yeux rougis par les larmes qu’il avait lui aussi pleurées, il tendit l’un des bouts de papier à la blonde qui, la main tremblante, l’agrippa pour constater qu’il s’agissait d’une lettre de suicide.

« Pourquoi n’avez-vous rien dit? », osa-t-il lui demander, le regard rempli de questionnements. Incapable de parler, la jeune femme posa ses prunelles sur la lettre qu’elle lit avec difficulté. Ses yeux étaient noyés dans de chaudes larmes qui brouillaient sa vue. Silencieusement, Jim la prit dans ses bras. C’était la première fois que les deux individus se démontrèrent une telle affection, mais en ces temps terribles, elle en avait besoin plus que jamais. Après tout, l’homme venait d’apprendre qu’elle était enceinte de son petit-enfant.

« Ne le dis pas à Susan, je t’en prie. Laisse-moi le lui dire... », l’implora-t-elle lorsqu’elle s’éloigna finalement de lui. Jim se contenta d’hocher la tête et ensemble, ils prirent le chemin de l’hôpital. « Il n’est pas bien, et ne l'a jamais été... Tout ce qu’il veut, c’est être apprécié à sa juste valeur et crois-moi, il vaut tout l’or du monde... », lui dit-elle pendant que le véhicule roulait sur l’autoroute, proche de l’hôpital. Un silence avait pourtant régné dans l’habitacle pendant presque tout le trajet, si ce n’était que les pleurs incontrolés de Jordan qui faisaient guise de bruit de fond. Jordan voyait bien que Jim était envahi d'un mélange de tristesse et de frustration, possiblement bouleversé par la nouvelle qui venait de tomber. La jeune femme ignorait franchement s'il serait réellement en mesure de ne rien dire à Susan. Si elle devait perdre Hayden, que lui resterait-elle si sa mère lui tournait le dos, à son tour? La main contre son ventre, la jeune femme réalisa que ce fétus qui grandissait en elle serait peut-être tout ce qui lui resterait d'Hayden.

La peur dans le ventre, Jordan sortit du véhicule avant même que le moteur ne fût éteint pour rejoindre l'entrée des urgences. Elle devait le trouver, et ce, le plus rapidement possible. Elle s'accourut vers le comptoir de tri, espérant avoir quelconque information qui lui permettrait de connaître l'état de son amoureux. « Madame, veuillez vous asseoir, s'il vous plaît. Nous ne pouvons donner de l'information qu'à la famille immédiate », lui répondit l'employée d'une voix sèche. À ce moment-là, la blonde voulut tout casser. Elle avait besoin de savoir s'ils avaient réussi à le ramener à la vie. L'ignorant la dévorait toute entière et elle n'avait plus la force pour combattre cette peine qui l'affligeait sans relâche.

Au même moment, Susan fit son apparition dans la salle d'attente, suivie de Jim qui entra au même moment. Le regard remplit de larmes, un petit sourire se dessina sur les lèvres de sa mère pour illuminer son sombre visage.

[...]

Jordan avait passé les derniers jours à l'hôpital. Nuit comme jour, elle n'était pas partie. Elle attendait le moment fatidique où elle le retrouverait enfin et, après l'avoir maudit d'avoir été aussi con, le serrerait dans ses bras. Elle gardait entre ses mains la capture de son dernier échographie. On lui avait annoncé qu'ils attendaient un petit garçon. Un petit garçon qui, elle l'espérait, ressemblerait comme deux gouttes d'eau à son père. Elle avait d'yeux que pour le moment où elle lui annoncerait la nouvelle. Peut-être réaliserait-il enfin qu'il a quelque chose pour laquelle il vaut la peine de se battre, quoi qu'il en coûte...

En raison des dernières nuits quasi absentes de sommeil et de confort, le dos de la jeune femme lui occasionnait une douleur insupportable. Elle était épuisée comme jamais, mais ô combien soulagée de le savoir en vie. Jim avait tenu sa promesse et n'avait rien dit à Susan, mais Jordan sentait que sa mère se voulait un peu plus méfiante, comme si elle sentait que sa fille lui cachait quelque chose. Sa réaction, son insistance à ne pas quitter le chevet d'Hayden et cette lettre de suicide dont elle refusait de parler... Tout lui donnait la puce à l'oreille, et avec raison. Mais la jeune femme refusait de parler. Il n'était pas encore temps pour elle de s'ouvrir, pas lorsqu'elle venait tout juste de frôler l'irréparable. Or, son secret n'en fut plus un dans les instants qui suivirent, alors qu'on leur permit de regagner la chambre dans laquelle reposait Hayden. Réveillé de son coma, Jordan pouvait enfin le voir... en vie. Habituée d'être soumise à l'afflux incessant de ses glandes lacrymales, elle sentit les gouttelettes prendre d'assaut ses joues. Silencieuse, elle se leva et suivit sa mère et Jim jusqu'à la chambre où se trouvait un Hayden franchement amaigri et dénué de toute énergie. Lorsque s'ouvrit enfin sa bouche pour prononcer son apologie, Jordan ne put s'empêcher de s'approcher de lui, que ce fut autorisé ou non, et de le serrer doucement dans ses bras. Contre lui, elle continuait de pleurer et murmura dans une voix presqu'inaudible : « C'est... c'est un garçon... »  

Elle entendait Susan qui, derrière elle, murmurait des mots inaudibles à son mari. Elle devait sans aucun doute être choquée d'en venir à la réalisation que les deux enfants leur avaient caché un tel secret. À vrai dire, elle devait bouillir. Jordan se doutait que sa mère accueillerait la révélation comme une claque au visage et une trahison, mais à ce moment-là, la jeune femme n'en avait rien à faire. Elle avait eu la nouvelle que grandissait en elle un petit garçon et elle espérait tant que de le lui dire lui donnerait peut-être le courage de continuer à se battre, et ce, malgré les séquelles qu'il allait peut-être garder jusqu'à la fin de ses jours. Jetant un regard rempli d'interrogations à sa fille, Susan sortit de la chambre en silence, à la demande d'Hayden. Son absence suscita un certain soulagement chez la jeune femme qui, enfin, put respirer un tant soit peu.

« Je ne pourrai jamais t'en vouloir d'avoir essayé de mettre fin à ta souffrance, mais je ne pourrai jamais oublier la douleur de te perdre... », lui répondit-elle tandis qu'elle prit place sur une chaise à ses côtés. Elle étira légèrement son bras pour prendre sa main et nouer ses doigts avec les siens. Jordan ne pouvait possiblement pas comprendre ce qu'il vivait. Après tout, elle n'avait pas accès à sa tête. Tous les efforts qu'elle pouvait mettre pour tenter de le comprendre ne suffiraient jamais; elle n'était pas lui. Or, ce qu'elle pouvait faire, c'est de l'aider à avancer. Et pour ce faire, elle devait laisser derrière elle la rage qu'elle avait ressentie lorsqu'il avait pris la décision d'abandonner. Il fallait désormais se concentrer sur le présent et sur l'avenir, mais surtout, sur sa réhabilitation et sa guérison. « Te perdre est un fardeau. T'avoir avec moi, c'est une bénédiction », le corrigea-t-elle en plongeant ses yeux humidifiés par les larmes dans les siens. « Ma mère a longtemps parlé au spécialiste. Il est optimiste, mais la réhabilitation pourrait être longue, tout dépendamment de comment l'état de tes jambes va évoluer au courant des prochains jours et semaines... », lui dit-elle.

Maintenant plus calme et en contrôle d'elle, Jordan passa ses deux mains sur ses joues pour essuyer toute trace de son chagrin, bien que ses yeux rougis trahissaient ses démarches. Avant de lui répondre à sa question, à savoir pourquoi la famille avait décidé de le secourir, elle prit une grande respiration. « Parce que peu importe ce que tu en penses, on ne peut pas s'empêcher de t'aimer. Et parce que je veux que notre fils ait un père... Un père qu'il va certainement admirer tant il est fort et bon », répondit-elle avec difficulté. Ses paroles se voulaient remplies de bienveillance, mais la réalité était qu'au fond d'elle, elle voulait hurler. Elle voulait hurler toute l'incompréhension qu'elle ressentait vis-à-vis son geste. Son coeur et sa raison combattaient avec vivacité; elle voulait le supporter et se montrer compréhensive, mais au fond d'elle, elle lui en voulait. Malgré tous ses efforts pour se mentir et prétendre qu'elle ne pouvait possiblement pas le blâmer pour son geste, elle lui en voulait.

« Shh... T'es pas un poids, Hayden », s'empressa-t-elle de lui dire tout en caressant ses cheveux. Elle s'étira un peu pour attraper sa sacoche qu'elle avait laissée au sol pour y extirper une photographie qu'elle lui tendit. « Notre petit garçon, c'est un poids, non? Une bouche de plus à nourrir, une éducation à forger, des couches à changer, name it! Mais on le fait parce qu'on l'aime, non? Et parce que le bonheur qu'il nous apportera sera plus grand que les sacrifices que nous ferons... », lui dit-elle pendant qu'il observait la capture de l'échographie. « Au fait, ça c'est hm... ben... Ce qui permet de dire que c'est un garçon! », ajouta-t-elle en lui pointant une petite trace grisâtre sur l'image.    

C'était avec un léger pincement au coeur qu'elle l'observait contempler l'image sur laquelle était éternisé leur fétus. Sa main serrait la sienne avec tendresse, refusant de le laisser partir une seconde fois. De son autre main, elle s'avança pour essuyer les larmes qui coulaient sur d'un Hayden qui devait soudainement composer avec l'échec de sa tentative de suicide. « Vous garderez ces détails entre mecs, quand il aura l'âge de vanter ou non ses attributs! », répliqua-t-elle en rigolant à son tour. Cette courte période de rires lui fit un grand bien. Le revoir sourire et rire, bien que minimalement, se faisait sentir comme un baume sur son coeur.

Sentant soudainement la main d'Hayden se resserra autour de la sienne, elle baissa les yeux vers leurs doigts enlacés avant de relever son regard vers lui, l'écoutant avec toute l'attention du monde. « Et je vais tout faire pour que tu gagnes ton combat... Quoi qu'il arrive, on sera les trois ensemble... », lui répondit-elle avant de passer sa main libre sous le collet de son chandail. Avec une force contrôlée, elle y ressortit une mince chaine en or sur laquelle pendait la bague qu'il lui avait offerte. « Je ne voulais pas la porter devant eux, mais je voulais l'avoir avec moi... », souffla-t-elle en observant le joyau qui brillait sous la lumière ambiante. Elle le remit dans sa cachette après quelques secondes et, devant désormais se lancer dans un tout autre sujet, prit une courte pause pour rassembler et organiser ses pensées. Puis, non sans avoir pris une bonne respiration, lui dit : « Ton père le sait, oui. Il a trouvé ta lettre. Il... Il m'a serrée dans ses bras. Pour la première fois depuis le jour où je l'ai rencontré! » Un petit sourire se traça sur son visage de porcelaine. « Il m'a promis de ne rien dire à ma mère, mais je crois qu'elle doit être en train de lui tirer les vers du nez... Je crois que, vue que j'ai toujours refusé de quitter l'hôpital au point de m'en briser le dos, elle se doute qu'il se passe quelque chose entre nous », poursuivit-elle en jouant nerveusement avec la main d'Hayden qu'elle tenait contre elle. « Non, non. Je ne crois pas qu'il y aura de polémique... », répondit-elle en secouant fermement sa tête. « Il a vraiment été gentil ces trois derniers jours. Attentionné comme tout auprès de moi et de ma mère... Il a même demandé de voir l'impression de l'échographie », lui avoua-t-elle en se remémorant les petits moments de complicité qu'elle a pu vivre avec son beau-père qui, en raison des récents événements, se montrait sous un nouveau jour. « Je crois qu'il a dû réaliser beaucoup de choses, ces derniers temps. Et je crois aussi qu'il en aura beaucoup à te dire », termina-t-elle en caressant doucement sa joue. 

Une idée qui traversa subitement son esprit l'empressa de se lever de son siège. Jordan s'accroupit devant son sac avant de l'ouvrir pour y extirper un pull qu'elle tendit allègrement à son petit-ami. « Je te l'avais commandé pour Noël, mais je me suis dit que ça te ferait plaisir », lui dit-elle tandis qu'il observa avec joie le cadeau que sa petite-amie lui faisait. « Et je t'ai aussi amené un petit cadre pour mettre la photo du bébé... Je crois que ça te ferait du bien de l'avoir près de toi », lui dit-elle avant de prendre un second objet, cette-fois un petit cadre blanc, et d'y insérer la petite photo. Elle le déposa sur la table de chevet et se permit de s'asseoir sur le rebord du lit, cherchant à créer un peu de proximité entre elle et son petit-ami.