taking shots like it's novacaine (carmen)

les derniers jours n'ont pas été faciles. jolie poupée sombre dans les méandres de ses songes. elle essaie d'oublier. d'avancer. de passer à autre chose. parce que, de toute évidence, les sentiments qu'elle éprouve pour cet homme ne seront jamais comblés. alors elle se tue à la tâche. bien plus présente au salon qu'à l'habitude, elle laisse moins de libertés à ses employés. elle voudrait tout gérer pour occuper ses pensées. les soirées dans les rues de la nouvelle-orléans, à offrir son temps et sa voix, se font plus rares. comme si le cœur n'y était plus. myocarde en berne. le temps de panser ses plaies. le temps de se relever et de se construire une toute nouvelle vérité. le groupe, dans lequel elle se fait plus discrète. elle qui pourtant rayonne d'ordinaire. elle qui a toujours les mots pour soulever les foules. elle qui prend généralement trop de place. elle se fait toute petite pour ne pas que l'on remarque ses fêlures. sans même se rendre compte que c'est justement son comportement qui pourrait éveiller les soupçons. et puis y a eux, ses colocataires. ceux avec qui elle passe le plus clair de son temps. grosse partie de sa vie qu'elle ne peut décemment pas ignorer. mettre de côté. ils savent, pourtant, qu'elle traverse une période difficile. sans avoir à demander les raisons de son malaise. évident. pour cette raison qu'elle passe la soirée en leur compagnie. force est d'admettre qu'elle passe un très bon moment. dans la simplicité la plus élémentaire. le restaurant créole du vieux carré comme repère pour la nuit. les bières qui s'enchaînent, les shots qui se succèdent, les parties de billard qui n'en finissent plus. la poupée en oublierait presque ses tourments lancinants. les règles sont simples : le perdant paie sa tournée. elle est pourtant douée. enfin, elle se débrouille. pas des tonnes d'expérience non plus, elle aime à appeler ses meilleurs coups, la chance du débutant. bien qu'elle n'en soit plus une depuis longtemps. elle ne se pratique pas suffisamment cela dit pour éviter de faire des conneries. et ainsi perdre cette partie. résignée, elle se rend au comptoir dans l'espoir de sustenter les âmes assoiffées. son regard qui balaie la pièce, en attendant sa commande. y a pas grand monde ce soir et ses prunelles sombres se posent sur une âme en peine qui noie ses soucis dans un verre de whisky. elle trouve l'image bien triste, la poupée. le regard qui s'attarde sans doute un peu trop, quitte à imprégner les détails sur ses rétines. et l'envie soudaine de coller un sourire sur un visage inconnu. regain de vitalité qui lui manque cruellement en ce moment. se retrouver soi-même avant de pouvoir aider autrui. parce que dans le fond, c'est ce qu'elle sait faire de mieux. aider les autres, au détriment d'elle-même. bien trop souvent. sa façon à elle de briller. en somme. et peut-être même qu'en l'aidant lui, elle pourra s'aider, elle aussi. c'est bancal, comme raisonnement. mais c'est le seul qui tombe sous le sens. sous son sens. un rapide mouvement de main pour avertir les êtres avec qui elle partage une maison de venir récupérer leurs boissons, et elle fait un pas en avant. j'sais pas ce que vous a fait c'verre mais j'suis pas sûre qu'il finisse par vous répondre. le petit sourire qui accompagne son haussement d'épaule. on a vu mieux comme entrée en matière. elle doit bien avoir fait mieux, même. c'est désolant. vous êtes la seule personne dans cette pièce à ne pas avoir un semblant d'sourire. et j'vous avoue que ça m'rend triste. ce qui, en soit, n'est pas totalement faux. journée d'merde, c'est ça ? la question qui ne se veut pas trop intrusive. bien qu'elle en ait des tonnes d'autres qui lui brûlent les lèvres. elle les gardera en elle pour un moment peut-être plus opportun. quoi qu'il se peut qu'elle soit déjà aller trop loin, elle qui ne peut prédire les réactions d'autrui. y a qu'une seule chose qui lui importe dans l'fond. et c'est que l'homme arrête d'en vouloir à son verre, d'en vouloir peut-être même à la terre entière. tout ça pour un putain d'sourire qu'elle pourrait bien ne jamais avoir le plaisir de voir apparaître sur ce visage. fatigué.