figure that ou (Ekko)

depuis quelques mois déjà, tu nourris un projet fou. rehausser d'un étage la maison de ton association. alors, comme tu l'as toujours fait, t'as adressé un dossier à la mairie dans lequel tu as pris soin d'expliquer tes envies et tes motivations, prenant le temps de détailler à quoi pourrait servir cet étage supplémentaire si on t'en donnait l'autorisation. deux mois plus tard, l'enveloppe cachetée du sceau de la mairie trônait fièrement dans ta boîte aux lettres et, les mains tremblantes, tu l'avais ouverte après avoir pris le temps de préparer quelques biscuits et t'être installée confortablement dans le living-room avec une tasse de thé.
nous sommes heureux de répondre favorablement à votre demande et de vous octroyer le permis de construire ci-joint.
une simple lettre qui avait vu s'emballer ton palpitant et nourrir beaucoup d'ambitions. aussitôt reçue, tu avais commencé à réfléchir à ce que tu pouvais mettre en place pour ce nouvel étage et, plutôt que d'agir seul, tu avais décidé de faire appel à un ami proche et animateur au sein de ton association : Ekko. s'il n'était pas architecte de profession, tu savais que tu pouvais compter sur lui pour t'apporter son aide et ses idées. c'est pourquoi, après avoir pris le temps de faire établir des plans par un ami artisan, tu lui avais donné rendez-vous ici. débarquant la première, comme à ton habitude, tu avais revêtue pour l'occasion un simple jean et un t-shirt fleuri, remonté tes cheveux dans un chignon mal coiffé enrobé d'un ruban aux motifs d'une couleur quasi-agressive. tes lunettes sur le nez, tu étais déjà penchée sur les plans, un café à la main, alors que tu sens finalement sa présence en face de toi. tirant la chaise pour s'y assoir, tu lèves les yeux vers lui et souris à pleines dents.
- Ekko, mon garçon, je suis tellement contente de te voir. tu lui lances, guillerette, comme toujours. tu te lèves aussitôt, fais le tour de la table pour embrasser sa joue en enfermant son visage entre tes mains avant de revenir t'assoir à ta place. je ne te dérange pas au moins ? tu lui demandes, inquiète.

« Je, oui, promis… Ouiiiii, je m’arrêterais chez le pâtissier que tu adores avant de rentrer à la maison ! Tu as plutôt intérêt de t’exercer avant mon retour, je n’ai pas prévu d’opter pour des douceurs sucrées à l’index calorique inférieur aux clichés qui entourent les gâteaux ! » J’ai cet immense sourire aux lèvres, celui qui ne m’abandonne jamais lorsque j’entends sa voix, lorsque j’imagine ce rictus qui résonne à travers mon téléphone et fait s’emballer mon cœur, en reconquête permanente. Nous avons pris cette habitude de nous faire plaisir un soir par semaine, comme une folie qu’il est possible d’envisager comme une récompense ultime après des efforts sportifs et alimentaires dignes des plus grands athlètes. Vous pourriez aisément faire croire que vous l’êtes, il n’y a qu’à jeter un œil à vos mensurations, à vos corps superbement sculptés pour comprendre que rien n’est jamais laissé au hasard à l’exception de cette fameuse soirée pendant laquelle tout est permis. Je presse le pas et traverse la rue à toute vitesse, en petites foulées, pour rejoindre le lieu de rendez-vous qui m’a été indiqué par cette personne extrêmement spéciale à mes yeux, elle aussi. « Je sais… J’suis le meilleur bébé mais… Tu sais quoi… Je le serais encore plus si tu nous préparais un somptueux repas avec une bonne bouteille de vin à déguster avant de me mettre dans un tout autre appétit ! » Je croise le regard d’un passant au pire moment, lorsque ce sourire lubrique étire mes généreuses lippes en réaction aux images qui me viennent à l’esprit. Tu en as l’eau à la bouche, au point où tu pourrais littéralement ne penser qu’à cela jusqu’à ce soir. « Je te l’annonce en direct, je viens de choquer un petit vieux… Quoique… J’crois qu’il pense avoir un ticket avec moi. J’devrais peut-être filer avec lui pour la richesse, le testament, la gloire… » Même à distance, j’adore le taquiner. Lui, que je dois me résoudre à délaisser quelques heures pour la bonne cause. « Je dois y aller, Betty va m’attendre, je suis sur le fil ! À tout à l’heure, je t’aime. » Je raccroche presque aussi sec et fonce à l’intérieur du bar où se trouve mon interlocutrice, sagement installée près d’une table à laquelle elle renonce pour m’accueillir.

Cette femme, c’est un condensé de tendresse, d’exubérance, d’excentricité, d’écoute et d’humanité. Tu penses beaucoup à toi, dans quelques dizaines d’années, lorsque tu la regardes faire. Tu n’as pas peur d’affirmer qu’elle est un exemple pour toi, des pas dans lesquels tu adorerais pouvoir marcher en une volonté de perpétuer cet héritage qu’elle construit seule ou presque depuis le décès de son époux. Elle me pince gentiment les joues et je rigole, môme face à sa grand-mère à nouveau. Elle ne l’est pourtant pas, ma grand-mère, mais c’est tout comme. Elle est ce qui se rapproche le plus de ta famille ici, à la Nouvelle Orléans, même si l’arrivée de ton frère change la donne pour le meilleur. « Et moi donc ! Comment ça va ? Je suis désolé, j’ai quitté l’université plus tard que prévu, certains étudiants voulaient un retour plus détaillé sur leurs résultats des derniers partiels ! » Je l’enlace et m’installe à cette table, face à elle, ravi d’être ici, utile à une cause qui me tient particulièrement à cœur. « Pas du tout ! Tu ne me dérange jamais ! » Elle n’a pas précisé le motif de ces retrouvailles qui, de toute manière, n’ont rien d’extraordinaires à l’exception du point de rendez-vous en lui-même. Elle me convie généralement directement là-bas, sur la propriété. « Je pressens une grande annonce, j’me trompe ? Qu’as-tu à me dévoiler ? » Crainte, excitation, joie… J’oscille entre plusieurs émotions incertaines.

tu l'aimes tout particulièrement, Ekko, sans te l'expliquer. pour être tout à fait honnête, tu aimes chaque personne qui construit ton entourage comme s'il s'agissait, à chaque fois, de tes propres enfants ou, dans son cas, petit-enfants. de l'amour, t'en as à revendre depuis que ta fille ne te parle plus. il faut dire que ça t'a beaucoup ébranlé mais, avec le temps, t'as appris à composer avec et te contenter de ce que la vie peut bien t'offrir. alors quand tu le vois enfin arriver, t'es heureuse. tu ne le caches pas, pas un seul instant. t'es du genre démonstrative. tu l'as toujours été. tu t'avances, lui pinces les joues, l'embrasses. tu ne mens pas, c'est pas ton genre.
- et moi donc ! comment ça va ? je suis désolé, j’ai quitté l’université plus tard que prévu, certains étudiants voulaient un retour plus détaillé sur leurs résultats des derniers partiels ! il dit avant de s'installer. tu aimes particulièrement sa manière de te couver du regard, comme s'il était attendrit par ton comportement et ta manière d'être. ça te touche de savoir qu'il te considère avec une telle délicatesse. comme si vous étiez liés depuis toujours.
- ne t'excuse pas, je comprends. tu réponds rapidement avant d'ajouter je vais bien, merci. et toi ? tout se passe bien avec ton conjoint ? il t'avait parlé de lui, de cet homme qui habitait avec lui et ce qu'ils vivaient ensemble. t'étais heureuse pour lui, bien évidemment. s'il y avait un homme qui méritait d'être aimé, c'était Ekko.
- pas du tout ! tu ne me déranges jamais ! il te dit et ça te rassure. sans le quitter des yeux, tu l'entends te demander ensuite je pressens une grande annonce, j’me trompe ? qu’as-tu à me dévoiler ? tu souris de plus belle. les plans éparpillés sur la table entre vous devraient lui mettre la puce à l'oreille mais comme il ne te lâche pas des yeux - certainement à cause de ce bandeau aux couleurs criardes, t'as pourtant hésité quinze fois avant de le mettre - tu t'empresses de lui répondre :
- nous avons obtenu le permis de construire ! nous, parce qu'il fait partie du projet. comme tous les autres bénévoles. dès l'instant où il a accepté de t'aider, tu l'as inclus dans tout ce que tu fais et toutes les démarches que tu entreprends. du coup, son avis devient primordial. et j'ai besoin que tu m'aides sur les plans que l'architecte m'a transmis. c'est une ébauche, mais voilà à quoi pourrait ressembler ce nouvel étage. tu lui dis fièrement en tournant les papiers dans sa direction.