the dark side of the moon ( siobhan )

Une apparence, un nom à porter, un nom qui en impose. Celui qu’on ne peut se permettre de mettre de côté de peur de mal paraître. Une ville qui bénéficie de ce revenu qu’engendre cette entreprise pétrolière depuis tant d’année que les Walters se sont frayé un chemin bien au-delà de la simple mondanité néo-orléanaise. Visage de cette famille, avançant dans l’ombre de cette société légué par son père, elle ne pouvait renier ce qu’elle était. Bien trop longtemps qu’elle avait endossé ce rôle pour en protéger ses cadets. Robe de satin noir qui moulait ses courbes dépourvues de graisse, poids qu’elle avait perdu ces derniers mois en reprenant ses vieilles habitudes. Un dos dénudé qui laissait voir chaque vertèbre de cette colonne droite. Ses longs cheveux flamboyants coulaient en cascade sur ses épaules, une broche remontant quelques mèches pour en dégager son visage. Un maquillage qui soutenait la pâleur de sa peau satinée, porcelaine fragile aux sillons bleutés, chemin qui parcourrait son corps en entier. Ses lèvres d’un rouge vibrant, pulpeuses et désirables. Les ragots au bord des lèvres de ces invités qui ne trouvaient toujours rien de mieux qu’à redire de la jeune femme. Deux ans qu’elle était marié à Sasha et pourtant, on trouvait encore à dire sur ce mariage. Lui trop jeune. Elle trop impulsive. Femme qui cherchait la jeunesse. Fontaine de jouvence auprès d’un homme plus fougueux que ceux de son âge. Elle laissait les ragots couler sur sa peau, indifférente à leur médisance. Ce soir, il n’était pas avec elle. Une souffrance pour la femme qui se voulait forte, qui avançait le menton haut, l’air hautain sur ses traits sévères. Une armure forgée pour ne pas simplement perdre pied, tomber dans une dimension qui la clouerait au sol en moins de deux. Ils trouvaient à redire encore, des mots qui résonnaient à ses oreilles comme le son d’agression des ongles qu’on laisse glisser sur le tableau d’ardoise. Bien vite la rousse s’emparait d’une flûte de bulle doré avant de sortir, s’évadant de cette prison d’or où elle devait se pavaner en solitaire.

La musique plus douce guidait ses pas jusqu’au balcon qu’elle pensait isoler, loin de ces gens. Une solitude qui s’envolait lorsqu’elle franchissait la porte, laissant la musique s’échapper avec plus de vigueur. Ses doigts longs et fins contre la poignée observaient cette silhouette accoudée. Étrangement, elle pourrait la reconnaître entre mille. Pourtant, elle n’avait pas partagé sa couche depuis des lustres. Combien de temps ? Celui qui défile sans qu’on en prenne compte pour réaliser que tout va trop vite et que ce qui était hier remonte désormais à des années. Rosamund. La blonde se tournait prenant sur le fait la rousse qui laissait son regard se balader sur cette ancienne amante. Un échange de regard, mais des mots qui faisaient mal. Silencieuse, elle s’échappait de ses talons, se penchant pour les prendre dans sa main libre. Siobhan avançait. Pas félin. Mouvement fluide qui suivait la mélodie, cette impression de flotter, de danser dans ces pas célestes. « Je pourrais te dire la même chose. » soufflait-elle, un sourire à ses lèvres. Mais elle savait très bien qu’elle était une des raisons de cette fin. De ce au revoir jamais véritablement formuler. S’accoudant elle aussi à la balustrade, laissant ses escarpins retomber dans le vide et portant sa coupe à ses lèvres, elle prenait une gorgée. « Quand as-tu recommencé à fumer ? » demandait-elle sans poser son regard sur son ancienne amante. Ce parfum de tabac, elle n’avait pas l’habitude de le sentir sur cette peau aussi blanche que la sienne. Ou alors, elle avait de plus beaux souvenirs que ce que la réalité lui avait réservée.

Fantôme d’un passé heureux qui refaisait surface sans s’y attendre. Planant sous ce regard clair qui essayait de ne pas laisser paraître ce sentiment qui l’habitait. Une distance longtemps mise de force entre elles, par elle. Siobhan ne comptait plus les fois où elle avait regardé ce contact sur son téléphone et où ses doigts avaient effleurer les touches de son clavier. Les mots ne semblaient pas aussi simples à trouver qu’elle aurait aimé. Silence. Désagréable sensation qui l’enveloppait, mais cette force qu’elle possédait à ne rien laisser paraître. Parce qu’elle était ainsi la rousse, garder les apparences indemnes. Cœur égratigné par des choix, mais panser par d’autres. Dans la tiédeur de la soirée, le parfum de tabac venant chatouiller ses narines mélanger au parfum de la femme qui se tenait devant elle. Un parfum que jamais elle ne pourrait oublier, doux et évocateur de moments simples et plaisants. Ceux qui se gravait dans l’espace, infimes, mais appréciables par leur réconfort. Une compagnie qu’elle avait toujours appréciée et qui pouvait lui manquer, mais les faits étant qu’elle ne savait comment revenir vers son aînée. Ça ne l’empêchait pas de marcher vers elle, s’accoudant à la balustrade. Un bref regard en direction de son ancienne amante. L’avait-elle déjà vu fumer ? Ça lui échappait en vérité, mais l’élégance du tableau qui se dévoilait à elle. Lumières éclairant la porcelaine de la blonde, chaleureuse, invitante. Un malaise s’imposant à elle, Siobhan le chassait en pinçant ses lèvres. Déraper ne lui était pas permis, plus maintenant, alors que sur son annulaire trônait la richesse d’un futur nouveau. Alors elle posait cette question, écoutant son ancienne amante comme elle avait pu le faire jadis. Rien de bien personnelle, toujours cette distance entre elles, mais les moments plus simples, plus faciles ponctuaient quand même leurs draps. Des conversations qui soulageaient, des mots qu’elles avaient besoin d’entendre, du réconfort que les caresses ne pouvaient pas toujours vaincre. D’un hochement de tête, elle révélait comprendre même si l’étendu de ce que devait ressentir Rosamund lui échappait sans doute. Perdant ses orbes sur la foule en contrebas qui vaquait à leur vie, ignorant la rencontre de ces anciennes amantes. Elle revenait à ce balcon en entendant les mots que lui soufflait la blonde. Ses orbes déviaient sur son alliance, laissant ses doigts venir caresser la pierre. « Oui. » Un mot volatile, papillonnant sur les notes de la musique qui résonnait autour d’elles. « Je ne pensais pas que ça m’arriverait à nouveau. » évoquait-elle, se surprenant d’être aussi transparente. La crainte de retomber dans les rouages de l’amour destructeur, celui qui semble passionnel, mais qui anéanti tout sur son passage. Elle ramenait ses opales vers la femme près d’elle, les laissant parcourir les traits de son visage toujours aussi splendide. La pointe de sa langue venant caresser la pulpeuse inférieure de ses lèvres, une force… Trouvrait-elle les mots ? Saurait-elle être digne de ces souvenirs qui les hantaient sans doute toutes les deux à l’instant ? « Je suis désolée pour mon silence. » Sincère, mais peut-être plus nécessaire après tout ce temps… Elle tendait la main pour prendre celle de la femme, du moins elle tenta avant de se raviser. Caresse endiablée qui rallumerait les feux qu’elle a su éteindre. Sa main qui retombait mollement, miroir au silence qui s’imposait…