catacombe d'outre temps ((achil))

« C’est bon j’arrive ! » beuglait le niçois la tête encore dans sa tente et les fesses bien exposé alors qu’il cherchait sa paire de lunette de soleil avant de se diriger vers le rivage pour se dorer la couenne. Il s’en extirpait finalement en posant la monture sur son nez. Serviette sous le bras, il rejoignait sa bande en trottinant de cette manière si adorable qu’on en oubliait qu’il s’approchait de la trentaine. Les quatre garçons avançaient en plaisantant, riant de bon cœur sous ce soleil étouffant. La journée s’annonçait particulièrement belle et même si Eloïm n’était pas le genre de personne à lézarder dans le sable, il suivait le planning organiser dans ses compères. Livre en main, tong aux pieds, il avançait dans la mêlée de corps écrasés sur le sable, cuisant sous les rayons de l’astre de feu. Les familles semblaient tous unies pour fabriquer le plus beau des châteaux de sable. Les couples batifolaient dans l’eau. Et eux, ne passaient pas inaperçu dans cette foule. Tous les quatre vêtus que de bermuda de plage, leur musculature luisant sous le soleil. Ils avaient cette dégaine de beach boy avec leur sourire blanchi et leur peau d’un brun doré. Ils attiraient les regards et le savaient bien, s’amusant de cet avantage pour rouler de leur muscle et faire entendre leur rire charmeur. Sauf Eloïm, qui près d’eux avançait en laissant son regard posé sur ces pages marqués d’encre. Les mots attiraient bien plus son attention que ce qui pouvait bien l’entourer. On lui parlait, mais il ignorait les paroles qu’on lui adressait. Il aurait peut-être dû tendre l’oreille, écouter et il aurait compris. Le nez plongé dans ce roman, ses pieds percutèrent quant à eux les jambes d’une personne étendue. « Pardon, je ne regardais pas où je mettais les pieds. » soufflait-il gêné en sortant de sa lecture sous les rires de ses amis qui poursuivaient leur chemin. Ses prunelles se posèrent sur la personne, laissant son teint de bronze devenir plus pâle. « Achil. » Difficile à oublier. Mais l’incompréhension qui parcourait son esprit. Que faisait le frère d’Ekko en Floride ? Étrangement, il ne désirait pas savoir. La peur au ventre de renouer avec une part de son passé qu’il avait dissimuler pour mieux avancer, pour ne pas blesser outre avec son attitude de connard. Sans un mot de plus, il tournait les talons pour fuir, fuir ce visage qui lui rappelait l’amour qu’il avait trahi.

catacombe d'outre temps
@eloïm delcán

Ça fait pas si longtemps que ça qu’il est à NOLA, le petit Achil. Depuis un petit bout de temps maintenant, il vit avec Carmen et il transgresse les règles avec Lou. Ils s’étaient pourtant promis, dans ce groupe virtuel, de ne jamais se retrouver. Et pourtant, c’est plus fort qu’eux, il a fallu que Lou et Achil se rencontrent, et qu’une légère histoire les fasse vivre. Aujourd’hui, même si cela était passé, ils avaient tout de même décidé de partir ensemble en vacances, sans trop se soucier des conséquences. Ainsi, il était venu se poser avec elle à la plage. Achil avait préféré rester allongé sur sa serviette, le chapeau sur la tête pour ne pas se manger le soleil en pleine figure. Lou, quant à elle, était restée dans l’eau de l’océan, profitant de la chaleur pour piquer une tête. Achil savait qu’il allait un petit peu somnoler, mais quand le soleil taperait trop sur son corps frêle, il finirait par la rejoindre.
Alors qu’il s’endormait presque, dans cette position, quelqu’un se prit les pieds dans les siens. Achil ouvrit les yeux brusquement, retira le chapeau de sa tête et s’apprêta à s’excuser en se mettant sur ses coudes, mais le souffle lui manqua. Devant lui se tenait Eloïm, l’ex de son frère. Son coeur fit un bond dans sa poitrine. Il en avait entendu parler de ce mec, de sa réaction lâche, de ce départ précipité. Pendant un long moment, Ekko avait voulu obtenir des réponses. Et aujourd’hui, il le croisait, avec des potes, un livre à la main, sur une plage en vacances. La coïncidence était étrange mais pas voulu, c’était sûr. Rien qu’à voir sa façon de fuir encore. Achil ne pouvait pas laisser passer sa chance.
— Eloïm, attends !
Il se mit aussitôt sur ses jambes et le rattrapa.
— Attends, Elo …
Lorsqu’il arriva devant lui, il se rendit compte qu’il ne savait pas tellement pourquoi il l’avait suivi. Il n’avait rien qui lui venait en tête. Il sortit ce qui lui vint en premier.
— Tu lis quoi ?

Tourbillon d’événements qui se bousculait sur le chemin d’une vie. Le rire du destin qui résonnait, alors que les jades du bibliothécaire se posait sur la personne qu’il venait de percuter de ses pieds, distrait par sa lecture. Le passé qui galopait jusqu’à lui, revenait s’infiltrer dans sa mémoire. Ces moments si longtemps enfuis dans son pris, ce désir de les oublier. Il ne voulait pas se retrouver face à celui-ci, il ne pensait même pas que cela pourrait arriver. Un océan aurait dû les séparer, des kilomètres à perte de vue. Un pays bien assez grand pour que leur chemin n’en vienne pas à se croiser et Achil se trouvait là sous ses yeux cachés derrière les verres fumés posés sur son nez. S’attarder serait une bêtise qu’il regrettait, car si l’évocation de l’aîné du jeune homme venait à être remémoré Eloïm n’était pas certain de pouvoir y faire face. Il tournait les talons, replongeant son nez dans les pages de son livre. Ses billes se posant sur les mots imprimés, mais il n’arrivait plus à se concentrer sur ceux-ci. Ses souvenirs voguant dangereusement vers un sourire, une étreinte, la chaleur… Il entendant sa voix, écho dans ce puit sombre. Une résonnance qu’il pensait oubliée, mais qui refaisait surface, brisant cette barrière qu’il avait mise si longtemps à bâtir. Une protection qui s’effritait doucement suite à ce simple échange de regard. Ébranlé, il fonçait loin, loin de ce fantôme ne puisse le rattraper. Son prénom souffler, mais il ne se retournait pas, avançant jusqu’à sentir le cadet près de lui. Il extirpait son regard des pages qu’il faisait mine de lire, alors que ses orbes ne faisaient que balayer les mots sans prendre le temps d’en lire les phrases. Incapable de fuir, il s’arrêtait ramenant son regard vers celui qui avait été son beau-frère, une possible famille qu’Eloïm avait rendu impossible. Une peur au ventre, celle de laisser derrière quelqu’un. Lui. Ekko. Il avait pourtant regretté, cette envie de revenir vers lui, de lui souffler des excuses. Aucun geste, aucune parole. Un silence morne et la souffrance qui les distançait. « They both die at the end. » Ironie ? Peut-être bien. Un titre qui s’appliquait à eux, à lui à son histoire. Mais toujours cette peur qui se faufilait en lui, l’empêchait de faire tout ce qu’il aimerait réellement. Peut-être avait-il besoin de cette personne à qui il ne restait que peu de temps ? Celui qu’ils pourraient s’accorder, vivre cette vie ensemble sans craindre de laisser l’autre s’éteindre derrière eux. « C’est tout ? » Des mots qui faisaient barrières, durs, si loin de cette attitude chaleureuse qu’il abordait habituellement. Sa politesse envolée, mais la crainte de devoir affronter une conversation qui ne lui faisait pas envie. Il poussait tout de même un soupir, venant passer sa ma sur sa nuque, affichant cette gêne. « Comment tu vas ? » Prise de conscience, hypocrisie sur ses lèvres mélangée au désir de réellement savoir.

catacombe d'outre temps
@eloïm delcán

Une détente hors du commun, dans un lieu inédit, à nouveau. Les semaines succédants son arrivée à NOLA avaient été pavées d’incertitudes et de doutes. Si le mal du pays aurait pu le prendre aux tripes, Achil était tombé amoureux d’elle : la belle ville de la Louisiane. Il s’y accrochait fort comme on s’accroche à un bout de femme et aujourd’hui, avec les rencontres qui se succédaient, il se voyait mal quitter ce beau monde, abandonner son frère et retourner à Lyon. Pour y retrouver quoi ? Là-bas, il n’y avait plus que sa sœur et ses parents. Si la famille était quelque chose de puissant dans sa vie, Achil avait découvert un monde insoupçonné ici. Il s’était lié d’amitié à des personnes incroyables, aucune ne le faisait encore chavirer, sa plaie au cœur étant encore béante, mais cela ne l’empêchait pas d’éprouver de l’affection pour de nombreuses bouilles de son entourage : Carmen. Lou. Eno. Des noms qui revenaient en boucle, des atomes crochus ici et là, un accent français qui résonnait dans les oreilles des hommes comme des femmes et une vie totalement différente de celle qu’il avait connu en France. Ici, avec son psy, il sentait que son coeur se réparait doucement. Une destination qui avait probablement changé sa vie, au final. Qu’il devait spécialement à sa sœur et à son frère. Elle, parce qu’elle l’avait poussé à venir, lui parce qu’il avait débarqué ici quelques mois plus tôt.
Et qui de mieux que de tomber par hasard sur un homme qui avait énormément compté pour son frère pour une rencontre en vacances ? Achil tenta de comprimer la galopante de son coeur en le reconnaissant et quitte soudainement sa serviette pour rejoindre le lecteur connu. La seule chose qui sort de sa bouche, c’est de savoir ce qu’il lit. Par réflexe, il lui pose même la question en français, et le titre lui revient en pleine figure, en anglais, d’une manière sèche qui aurait pu venir détruire toute possibilité de discussion. Achil, décontenancé, fait un pas en arrière, touché dans sa fierté. Il ne pensait pas que leur relation était devenue si froide, même s’il ne fréquentait plus son frère, même s’il n’approuvait pas tellement l’abandon soudain. Mais Eloïm semble se rendre compte de son erreur.
— Ça va, je … il se tourna vers sa serviette. Je bronzais, tu vois ! Genre, tu sais bronze. En fin, tu vois quoi.
Il prit une profonde inspiration, se sentant légèrement stressé.
— Et toi, comment tu vas, depuis la dernière fois ?
Depuis la France. Depuis Ekko. Depuis cet abandon. Depuis tout ce temps.

Miroir du passé qui se tenait devant ses yeux, là, à des lieux de leur point de rencontre. Eloïm vacillait dans ses propres souvenirs, l’image d’un Ekko se tenant dans la silhouette de son frère cadet. Déchirure qui se formait dans sa chair, privant le plus vieux d’un souffle. Tel un animal sur la défensive, il montrait les crocs, laissait la peur des représailles dominer ses mots. D’un anglais soutenu, il donnait le titre de son livre. Un ouvrage dans sa langue d’origine dont il n’avait même pas cherché à trouver la traduction. Désormais, il laissait les livres traduits sur les tablettes pour lire de ceux qui berçait cette langue de son quotidien. Peut-être que le mouvement de recule fait par le militaire le ramena à la raison, celle de la politesse et de la bienséance dont ses parents l’avaient couvé. Ses jades suivirent la direction intimée par son homologue, croisant la serviette légèrement froissée encore sur le sable. D’un hochement de tête, il acquiesçait comprenant ce qu’il disait. Non pas que bronzer était un terme exclu de son vocabulaire. Sa peau dorée prouvait même tout le contraire, lui qui abordait la trace d’un marquage blanc sous la ligne de son bermuda. Il aurait dû se douter, appréhender le retour au revers qui s’en suivrait. Peut-être imaginait-il qu’au contraire, il n’oserait pas lui poser la question. Mais il était bien naïf l’écrivain pour croire à cela. Les mots « la dernière fois » résonnait à son esprit comme la torture qu’il avait tant redouté. Silencieux, il glissait son index entre les pages qu’il était en train de lire pour retenir celles-ci. Le silence tomba avant que le brun ne trouve la force d’ouvrir à nouveau les lèvres. « Ça va. » Banal et plat. Des mots bidons qui servaient à créer une distance en restant poli. Seulement, il ne pouvait faire mieux, son esprit fanant sous ce regard clair, la paralysie qui bloquait son être. Il aurait aimé retrouver cette assurance, ce plaisir qu’ils partageaient dans la période où il sortait avec Ekko, mais tout semblait s’être volatilisé. « Qu’est-ce que tu fais en Floride ? Tu es… tu es en vacances ici ? » Pitié, dite-moi oui, suppliait-il intérieurement en attendant de voir ce que son ex-beau-frère lui dirait.