[Terminé] It's a cold and it's a broken Hallelujah [Jordan]

Allongée dans les draps ivoires de son lit, plongée dans une noirceur impénétrable et bercée par une solitude écrasante, la jeune femme ne parvenait point à dormir. Ses deux yeux perçaient l'obscurité de la pièce avec une ardeur déroutante, comme si à travers l'absence absolue de lumière, elle pouvait décrypter quelque chose de tangible. Pourtant, ce n'était que l'insomnie qui la forçait à la confronter. Elle tournait d'un côté et de l'autre sans être capable de rejoindre les bras de Morphée. L'esprit tourmenté et le coeur crispé, rien ne lui permettait de trouver répit. Elle savait que le lendemain apporterait son lot de difficultés. Elle allait le revoir. Jordan n'y était pas du tout prête, et ce, même si elle savait qu'elle devait passer à travers cette étape cruciale dans le deuil de son bébé. Ils étaient tous les deux des parents en peine, séparés trop tôt de ce petit être qu'ils aimaient pourtant d'un amour inébranlable. Or, elle portait en elle des remords insatiables qui la dévoraient avec ardeur et impunité. La belle était consciente que dès que ses yeux se poseraient sur son ancien petit-ami, cette culpabilité prendrait une vigueur immuable. Jamais ne pourrait-il lui dire avec exactitude ô combien elle s'en voulait. Jamais elle ne pourrait suffisamment s'excuser pour sa témérité, son insouciance et cette terrible bassesse qui les avait propulsés dans les abysses d'un chagrin sans issu.

Complètement bourrée, elle lui avait écrit des méchancetés qu'elle avait rapidement regrettées. Elle avait été insensible, impulsive et surtout, très peu lucide. Elle ignorait comment elle allait pouvoir le voir à nouveau sans le submerger d'excuses les plus insignifiantes les unes que les unes.
Insignifiantes pour lui, évidemment. Pour elle, aucun mot ne serait en mesure de communiquer avec brio ce qu'elle ressentait; elle s'en voulait à mort. Elle buvait pour oublier, rencontrait des hommes par-ci et par-là pour se perdre et s'abandonner à la luxure comme si les agréments du sexe suffiraient à consoler et taire son âme en peine. Ses efforts étaient toutefois vains : aux premiers rayons du soleil, la réalité la retrouvait avec facilité et ne l'épargnait pas d'une douleur insupportable.

[...]

Elle avait peut-être dormi deux heures, tout au plus. Sa tasse de café avait été particulièrement essentielle ce matin-là, si bien qu'elle s'en était offerte une seconde. Elle avait mis un temps fou à se préparer, retravaillant à maintes reprises son highliner noir sur ses paupières indociles. Lorsque ces lignes inextricablement ardues étaient enfin tracées, elle put enfiler une petite robe noire et moulante, ses chaussures fermées à talon haut noires, et mit un petit rouge à lèvre rouge sang mat pour conclure le look. Elle se regarda quelques secondes dans la glace et se pria silencieusement de résister à toute assaut de larmes, aussi insistantes pouvaient-elles être. Jordan ne voulait pas pleurer devant lui. Elle en avait assez de se montrer à son plus vulnérable.

Elle descendit tranquillement les marches en tenant fermement la petite urne noire marbrée entre ses mains tremblantes. Ses yeux se posèrent systématiquement sur le grand brun qui l'attendait au pas des escaliers. La brunette déglutit et le rejoignit avec une hésitation palpable. Une part d'elle avait envie de s'enfuir et de ne plus jamais revenir. Prisonnière d'un mutisme intransigeant, elle le suivit dans la cours de la maison. La petite demeure n'était peut-être pas des plus grosses du quartier, mais elle avait un généreux terrain qui s'arrêtait près d'un ruisseau qui perçait un grand boisé. Ce petit endroit aux charmes irréfutables avait été un choix évident pour le couple lorsqu'ils commençaient à dresser les premiers préparatifs de leur mariage. C'était en ces lieux pittoresques qu'avait découvert la jeune femme qu'elle était enceinte. C'était également ici qu'ils allaient répandre les cendres, tout près de l'endroit où elle lui avait involontairement avoué qu'elle était enceinte. Postés près du ruisseau, la paire fixait le vide sans briser le silence qui dominait inéluctablement la situation. Or, après un certain moment, Hayden lui donna l'aval. Les mains tremblantes, la jeune femme tenta d'ouvrir l'urne sans toutefois parvenir à compléter cette tâche pourtant simple. Elle n'en était mentalement pas capable. Et malgré sa promesse, elle fondit en larmes.

Elle n'aurait jamais cru que cet instant serait des plus difficiles et drainants. Il lui manquait de force, tant mentale que physique, pour passer à travers ce calvaire émotionnel. Les larmes refusaient de la déserter. Elle restait là, à peine capable de tenir sur ses jambes tant elle était affaiblie par le poids de sa souffrance. Si elle ne s'en voulait pas à ce point pour toute la douleur qu'elle avait causée, elle se serait jetée dans ses bras. Elle n'aurait pas hésité une seconde à trouver refuge dans les bras réconfortants de l'homme qu'elle avait tant aimé et qui, en réalité, gardait toujours la même pesanteur dans son coeur déchiré. Le temps n'avait pas fait disparaître les sentiments puissants qu'elle portait à son égard. Le revoir en cette journée symbolique mais tragique s'accompagnait de son lot de complexités : elle était heureuse de le voir, mais elle ne pouvait le regarder en face. À vrai dire, depuis leur rupture, elle n'avait cessé de prendre tout le blâme pour la mort de Liam. Le chagrin de sa perte s'était rapidement remplacé par les profonds remords qui ternissaient son existence. Chaque fois qu'elle songeait à son ex-fiancé, elle se surprenait à imaginer ce à quoi aurait ressemblé leur progéniture. Aurait-il eu les grands yeux bruns de son père et son épaisse chevelure bouclée? Aurait-il hérité des pommettes rondes de sa mère et de son petit nez arrondi? Et à chaque fois que la brunette se surprenait de voir ses pensées vaquer sur ces curieuses mais tristes réflexions, elle s'en voulait terriblement d'avoir mis fin de façon si précoce à la vie de son seul et unique fils. Jamais ô grand jamais ne pourrait-elle se pardonner de sa témérité et de ses actions irréfléchies. Qui plus est, jamais ne pourrait-elle se pardonner d'avoir aussi cruellement brisé le coeur d'Hayden.

Malgré le peu de force qu'il lui restait, elle pu enfin ouvrir l'urne avec l'aide de son âme-soeur. Ses mains tremblantes ouvrirent avec hésitation le récipient. Tout doucement, ils en libérèrent le contenu qui s'heurta délicatement contre la brise venteuse. Il s'y mélangea jusqu'à ce qu'il ne gagne le sol pour s'y perdre finalement. Dans les oreilles de Jordan bourdonnèrent les sanglots du père en peine. Elle se tourna vers lui et se permit de passer ses bras autour de lui. Malgré sa prise de poids récente, la jeune femme pouvait encore sentir sa peau creusée par ses masse squelettique. Sa tête se déposa contre son torse où elle pouvait sentir les battements de son coeur. Il lui manquait terriblement et elle l'aimait encore, mais jamais ne pouvait-elle mériter qu'il lui pardonne et l'aime comme il le faisait avant. « Tu as eu raison de quitter. Tout cela est de ma faute. J'ai mérité ta désertion et je mérite ta haine. Et toi, tu mérites mieux que moi », lui dit-elle après un court silence. Les faits ne pouvaient être niés et le passé effacé.  

Malgré toute la peine qu'elle avait ressentie à la suite du départ d'Hayden, elle savait qu'il avait fait la bonne chose. Après tout, n'avait-elle pas été tout à fait téméraire et négligente en s'autorisant à confronter Alex? Jamais, ô grand jamais n'aurait-elle dû protéger Hayden, et ce, bien qu'elle avait le besoin instinctif de protéger l'homme qu'elle aimait. Or, Hayden n'avait pas besoin de sa protection. Il était un homme beaucoup plus fort et résilient qu'avant, capable de prendre les dures paroles d'un mec qui ne cherchait qu'à le provoquer. En agissant de la sorte, elle avait tout compromis. Son fils, sa relation, son bonheur. Plus rien ne faisait désormais de sens dans sa vie hormis la profonde tristesse qui l'habitait nuit et jour. Pourtant, ce deuil des plus douloureux était devenu la pure normalité. Et petit à petit, elle avait accepté le fait que c'était tout ce qu'elle méritait. L'alcool était devenu lentement mais sûrement son unique compagnon, brisant souvent ses cycles de solitude avec brio. Lorsqu'il n'y avait plus rien ni personne pour la soutenir dans ses pires moments, l'alcool lui gardait la tête hors de l'eau. C'était horrible que de la savoir plongée dans l'enfer de l'alcoolisme, mais il ne semblait pas y avoir d'autres issues lui permettant de se garder saine d'esprit alors qu'elle avait le sentiment d'avoir tout perdu. Elle se sentait dépouillée de tout ce qu'elle possédait, laissée qu'avec les réminiscences d'un passé dérobé. Liam était décédé, Hayden la détestait et sa mère, elle, n'était plus la même vis-à-vis sa fille. Quelque chose s'était brisée lorsque la vérité avait été exposée au grand jour : la jeune femme aux apparences saintes avait provoqué la perte d'une vie innocente qu'elle ne pourrait jamais recouvrer. Et c'était avec cette nouvelle réalité qu'elle avait appris à accepter sa culpabilité et sa déchéance. Ainsi, c'était sans grande surprise qu'elle put lui dire qu'il méritait mieux qu'elle et que sa haine, malgré qu'elle fut difficile à accepter, était tout à fait justifiée. La surprise vint toutefois lorsqu'il s'inclina pour prendre possession de ses lèvres. Elle ne comprit pas tout à fait d'où venait ce geste inattendu, d'autant plus qu'elle était convaincue qu'il ne ressentait plus rien à son égard si ce n'était que de la rancoeur et une hargne incontestablement fondée.

Et comme ça, quelques secondes après que leurs lèvres s'eurent séparées, Hayden prit ses jambes à son cou. Jordan demeura livide, les deux pieds cloués au sol et incapable de bouger. Les cendres de Liam avaient disparues dans la nature et Hayden, lui, s'empressait de la quitter à son tour et de disparaître comme s'il n'avait jamais existé.