it all comes crashing ; victoria

Elle l’avait regardée faire un sac sans rien dire, sans essayer de la retenir, parce qu’elle savait parfaitement, depuis le temps, que c’était inutile ; dix-huit heures trente et Liv part, sac sur le dos et larmes aux yeux, Ayla sur le perron, mains dans les poches, l’air aussi impuissant qu’à chaque fois. Rien ne sert de retenir sa femme après une dispute : la leçon est dûment apprise après plusieurs échecs, et son erreur réside peut-être dans le fait de ne plus tenter de la rattraper. Elle se voit, là, à refermer la porte et à se foutre dans le canapé devant l’émission la plus débile qui soit, peinte comme la coupable, l’injuste, confrontée à sa propre lâcheté qu’elle prend toujours soin d’éviter dès qu’elle croise un miroir. Puis elle pense à Liv, accusatrice, fuyante, adultère ; elle pense à la femme qu’elle ne sait plus retenir mais qui ne sait plus rester, non plus. Ayla se hait mais n’arrive plus à s’en vouloir.
Le soupir est lourd. Elle est à ça d’annuler la soirée qui arrive, d’appeler Victoria pour lui demander de venir ici, finalement, parce qu’elle a besoin de soutien, de quelqu’un pour la conforter dans son inaction, pour lui rappeler qu’elle n’est pas seule fautive. Ses pouces se figent sur l’écran en plein milieu du message, puis retombent. Même ça, rester seule avec Victoria pour oublier ses problèmes conjugaux, ça ressemble à s’y méprendre à une traîtrise, et elle ne sera pas de ceux qui s’abaissent à répliquer les mêmes actions qu’ils condamnent.
Alors Ayla se relève, se prépare, se rend à sa soirée - souriante toujours, sincère parfois. Elle salue les amis en commun avec un air goguenard, excuse l’absence de Liv et la met sur le dos de la fatigue (tu sais comment c’est, le boulot, les clients qui mettent des deadlines au pif…), prend rapidement congé des discussions, parce qu’elle n’est là, au fond, que pour une seule personne. Qu’au milieu de tous, y a Victoria, rayonnante, sourire extatique en sa direction, la seule foutue par elle ne savait quel don de lui tirer des sourires à la con alors même qu’elle se sent au fond du trou, la même qui fait qu’à moitié exprès de pas remarquer sa mauvaise humeur, jusqu’à ce que l’orage passe. Victoria qui demeure une silhouette au milieu des autres toute la soirée, parce qu’il y a trop de monde à voir, trop de vins à goûter, trop de personnes desquelles prendre des nouvelles après trop longtemps à avoir disparu de la circulation.
« J’crois que c’est la première fois que je viens sans +1 à une soirée », fait remarquer la brune quand enfin elles se retrouvent et s’isolent, trop tard à son goût, et qu'elles se coupent du monde sur le siège balancier de la terrasse, un verre de sangria dosée avec les pieds entre les mains. Autour d’elles, les convives commencent à partir de chez leur ami, les conversations se tarissent et les voix se tassent ; la bulle se referme autour de leurs deux silhouettes fragiles et les isole, comme elle l’a toujours fait. Ayla respire enfin. « J’vais finir par te rejoindre dans le rang des célibataires cool qui font pas chier à aller dormir à 21h, faut croire. » Elle lui sourit, discrètement, soulagée d’avoir quitté le reste du monde pour la retrouver elle, prête à se blottir dans le confort qu’elles s’apportent sans prendre gare à l’heure, ou à quoi que ce soit qui ne fasse partie de leur bulle. Et lentement, subrepticement, Liv s’échappe à son tour de ses pensées pour ne contenir plus qu'elle.

@Victoria Bogart