l'alcool délie les langues • w/ patrick

l'alcool délie les langues
@Patrick Simmons

tw: décès d’un proche, deuil. alcool.

Si on lui avait dit que Zaïan partirait avant lui, il aurait ri. Il aurait ri si fort qu’on se serait même demandé s’il n’en faisait pas un peu trop. La vérité, c’est qu’il n’avait jamais envisagé sa vie sans son meilleur ami. Notamment parce qu’ils avaient toujours tout fait ensemble, ils avaient rencontrés leur femme respective ensemble. C’était en partie grâce à Zaïan si aujourd’hui il avait la vie qu’il avait. Sans Zaïan, il n’aurait jamais rencontré sa femme, il ne serait peut-être pas devenu pompier, il n’aurait pas la plus belle vie qu’on puisse rêver : les enfants, le métier de rêve, la baraque, la voiture. Bref, la vie tranquille et ennuyante que tout parent pourrait souhaiter à ses enfants. La réussite. Le rêve américain.
Mais quand le pilier de ce monde s’envole soudainement, son âme échappant aux mains des vivants pour résider dans un environnement incertain, Zackariah avait beau avoir la belle vie, plus rien n’avait véritablement de goût dans celle-ci. Avant que son meilleur ami ne succombe lors de cette fameuse intervention, Zack avait déjà senti les prémices d’un bonheur qui volait en éclats alors qu’il avait encore tous les morceaux entre les mains. À l’époque, il lui suffisait encore d’exprimer un peu de ses sentiments pour que sa femme n’ait pas tout de suite envie de signer les papiers du divorce. Et même quand il avait encore les clés en main, Zackariah était resté inactif.

Il avait aujourd’hui beaucoup de regrets sur le cœur. Seulement, le décès de Zaïan ne l’avait pas aidé à aller mieux. Au contraire, il s’était un peu plus isolé au fond de lui-même, qu’il ait de nouvelles responsabilités ou non à la caserne. Il passait encore plus de temps là-bas, tentant de se faire à son absence. Mais la nostalgie le plongeait parfois dans des états seconds et on y perdait Zack.
Ce soir, il terminait son tour de garde en sachant qu’il allait rentrer chez lui et que sa femme et ses enfants seraient paisiblement en train de dormir. Cela faisait plusieurs nuits que sa femme avait dû mal à se reposer et, estimant qu’il aurait bien besoin de boire un coup, il accepta lorsque ses collègues le traînèrent jusque dans un bar du coin. En temps normal, il sera rentré en faisant le moins de bruit possible et il se serait peut-être mis devant la télé avec un verre de whisky sur la table basse, mais le destin avait décidé de le bousculer un peu. Finalement, vers une heure plus tard, sans trop savoir comment, Zack se retrouvait un peu éméché, un verre devant lui et un homme d’à peu près son âge à ses côtés.

/ awards session

Ce n’était déjà pas dans les habitudes de Patrick que de sortir de chez lui, mais là, encore moins d’aller prendre un verre seul. Il préférait de loin passer une soirée chez lui à se morfondre sur son sort, à pleurer sa peine si besoin, dans le confort de son salon avec pour seuls compagnes ses pensées. Certes, d’être seul avec ses pensées ne l’aidait généralement pas à aller mieux et bien souvent, c’est sur le téléphone qu’il finissait par se ruer, juste pour pouvoir entendre la voix rassurante de Sara à l’autre bout de la ligne, même si ce n’était que pour quelques secondes. Et il lui arrivait d’avoir un verre de whisky à la main, le seul qu’il s’autorisait pour ne pas replonger dans ses vieux démons. Il ne voulait pas redevenir l’homme qu’il était le jour ou Elizabeth avait passé le pas de la porte sans jamais se retourner. Et pourtant, ce soir-là, il décida, pour une rare fois, de quitter la maison, non pas par nécessité, mais parce qu’il en avait envie. Et parce qu’il ne voulait pas embêter Sara à qui il avait déjà raconté bien plus qu’il ne l’avait fait depuis qu’ils se connaissaient, alors qu’ils étaient encore en Angleterre. Il laissa les quelques bouteilles qui se trouvaient sur les tablettes de sa cuisine derrière lui tandis qu’il enfila une de ses vestes en tweed, s’empara de son porte-monnaie avant de quitter sa demeure.

Il erra un moment, le temps de trouver un endroit qui lui semblait convenable. Il passa devant quelques établissements qui, déjà de l’extérieur, ne lui conférait pas un bon feeling, décidant alors de passer son chemin, portant son attention sur le bar suivant. Après de longues minutes de marche, l’anglais trouva enfin un endroit qui lui plaisait un tant soit peu. Ce n’était pas le typique pub que l’on retrouvait en son pays natal, de ceux qui avaient vu bien des soirées arrosées entre copains, mais on y servait de l’alcool et ce n’était pas trop bondé de monde à l’intérieur, alors ça ferait bien l’affaire. Il prit place au bar, laissant la table aux différents groupes qui passeraient au cours de la soirée, venant se poser sur le seul siège libre aux côté, flanqué de parfaits inconnus. Il commanda un whisky, réalisant seulement quelques secondes plus tard, tandis qu’il laissa son regard errer dans l’espace, prendre conscience de ses alentours, qu’il remarqua que l’un des hommes à ses côtés avait commandé la même. L’autre ne tarda pas quitter les lieux et, l’espace d’un instant, Patrick considéra se décaler d’un siège, juste parce qu’il n’était pas le plus grand fan de la proximité physique avec de parfaits inconnus, mais se ravisa.

Lui qui ne s’était juré que de prendre un seul verre, Patrick se retrouva pourtant un brin éméché quelques heures – et verres – plus tard. « Vous buvez à quoi? » Qu’il demanda, sans même se dire qu'il n'y avait peut-être pas de raison particulière ou que sa question était trop intrusive. Ce n’était pas dans ses habitudes d’aborder ces gens qu’il ne connaissait pas, mais il faut croire que ce soir était un soir d’exceptions, alors une de plus ou une de moins, qu’est-ce que ça pouvait bien y changer?

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