hell yeah i'm the awkwardest | b&u

hell yeah i'm the awkwardest.

(tw) mention de divorce Assis en tailleur sur un vieux banc, le jeune homme attend. Sur les eaux tranquilles de la rivière Mississippi, devant lui, s’étendent les quais et autour d’eux de petits bateaux, de pêche ou de plaisance, un peu à la manière d’une carte postale. Il se sent bien, là, à savourer sa journée de congé qui tire à sa fin. Dans son dos, les bâtiments colorés et les rues animées de sa nouvelle ville, où il a échoué quelques jours plus tôt par un concours de circonstances qui lui échappe encore. Sur l’invitation spontanée de son oncle, il a quitté New York, mais surtout sa chère maman. Ce soir, il l’appellera pour lui donner de ses nouvelles, exactement comme il l’a fait la veille et comme il le fera demain soir. Un rituel pour la mère et le fils séparés par les kilomètres. Il le lui a promis, ça faisait même partie des conditions pour qu’elle le laisse partir si loin du giron maternel.
Il pousse un soupir, toujours assis sur son banc solitaire. Il jette un coup d’œil à son téléphone. Tiens, un message de son cousin Toby, celui qu’il attend depuis tout à l’heure, justement. Apparemment, le pauvre ne pourra pas le rejoindre ce soir, leur oncle souhaite qu'il reste à la ferme pour l'aider à prendre soin d'une vache tombée malade. Brahms ne peut nier la pointe de déception qui lui comprime la gorge; il avait tellement hâte d’explorer le quartier français en compagnie de son cousin et surtout d’en profiter pour mieux faire connaissance avec lui. Tant pis, ce sera pour une autre fois.

Les épaules basses, le jeune homme se lève et grimace par le picotement familier de ses jambes, restées immobiles pendant si longtemps. Il s’étire pour se dégourdir un peu, sans se rendre compte que quelqu’un se trouve juste derrière lui, dans son angle mort. C’est ainsi que l’un de ses bras frappe dans un mouvement maladroit… nul autre qu’Usain. Les joues cramoisies, Brahms se met à balbutier : « Usain? Oh mince, je suis désolé, je ne t’avais pas vu. Enfin, qu’est-ce que tu fais là? Je ne savais pas que tu vivais à la Nouvelle-Orléans? Où est Tanya? Euh, je veux dire Troya? Elle est avec toi? Elle va bien? » Un déluge de platitudes pour maquiller son malaise. Un rire nerveux lui échappe. « Ah, c’est vrai, vous avez divorcé il n’y a pas si longtemps. Enfin, plusieurs mois. Oups. » Il se tait. C’est peut-être mieux ainsi.

ange morose

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Une fois n’est pas coutume, Brahms a l’impression de marcher sur des œufs, une expression qui le fait rire en théorie, mais qui le fait grimacer en pratique. Parce que lui, il a plutôt tendance à faire des omelettes s’il se fie à ses expériences passées. Le pire, c’est qu’il ne le fait pas exprès. On pourrait penser qu’il essaie de blesser ses semblables par ses remarques et questions, mais il n’en est rien. Il parle simplement un peu trop vite. Il serre les mâchoires face au malaise évident de son interlocuteur, bombardé de questions comme une célébrité en présence d’un journaliste. Il se force à garder le silence et écouter la réponse de son vis-à-vis. Il l’observe, aussi. Ça fait un sacré moment qu’ils ne se sont pas parlé, du moins de vive voix. Ils ont l’habitude d’échanger par écrit de tout et de rien, de leurs journées ou leurs centres d’intérêt. Il arrive de tomber sur des personnes avec qui le courant passe tout de suite, une chimie inexplicable, quasi cosmique, comme si on les avait connu‧e‧s dans une vie antérieure. Pour Brahms, Usain fait partie de ces personnes et il chérit son amitié comme une chose très précieuse. Parce que c’en est une, forcément.

Brahms jette un regard quelque peu angoissé au fleuve surplombant la jetée. « Je ne sais pas si on peut nager ici, ça m’a tout l’air d’être une zone de pêche, alors heureusement que ton téléphone n’est pas tombé à l’eau, » opine-t-il du bonnet. Il se doute que son ami plaisantait, mais ça lui arrive souvent de répondre d’un ton sérieux aux blagues qu’on lui fait. Il sourit tout de même pour la forme, pour montrer qu’il a compris. Les gens ont la sale habitude de le sous-estimer, en règle générale. Mais peut-être ne devrait-il pas douter de son ami? Et essayer de se montrer moins sérieux, comme il en a parfois l’habitude en ligne? « Je suis venu en voiture, » déclare-t-il, une lueur amusée au fond des prunelles. « Mais non, je te paie ta tête. C’est mon oncle qui m’a invité à passer quelques mois en sa compagnie, il gère une ferme tout près d’ici et je l’aide à s’occuper des animaux, cultiver les champs, ce genre de choses. » Une note de fierté transparaît dans sa voix lorsqu’il énumère le genre de tâches qu’on lui confie, qu’on le croit capable d’effectuer. Ça se comprend, c’est le premier vrai emploi qu’il occupe. « Et toi, alors? Tu visites le sud du pays maintenant que tu n’es plus avec Troya? » Il se crispe. « Enfin, tu préférerais peut-être que je dise maintenant que tu es de nouveau célibataire? Ça a une connotation moins, euh, négative. » Est-ce qu’il aurait dû continuer à parler de la ferme? Est-ce qu’il l’embête, avec ses questions? Est-ce qu’il pose trop de questions? Est-ce que…?

ange morose