Dix heures quinze, le balcon.

@Juniper Sloane

Dix heures quinze, et le café entre ses mains. Iris a depuis longtemps opté pour une véritable tasse plutôt que le petit gobelet de la machine à café, officiellement pour faire un geste pour la planète … officieusement car elle apporte son thermos, et qu’elle remplit sa tasse en doses bien plus larges que celles de la machine.
Installée sur le balcon, son regard se perd sur la vie, en bas de l’immeuble. Si elle est venue se couper cinq minutes de son bureau et de ses dossiers, elle sait que sa pseudo-pause n’en sera pas une, quand la silhouette familière de Sloane la rejoint.
Ni elle ni Iris ont pour habitude de s’échanger des banalités autour du café. Aussi le silence, apaisant et non malaisant, aurait très bien pu venir s’installer entre elles. Avec les années, il n’y avait pas vraiment de gêne entre elles. Avec le dossier qui les unissait, elles étaient aussi obligées d’échanger. Et Iris n’en avait jamais su autant sur la vie privée de sa collègue que depuis la procédure de divorce de celle-ci. Tous les jours, elle en apprenait un peu plus. Des points communs, des passions insoupçonnées, un entourage jusque-là inconnu.
Par effet de pure culpabilité, et parce qu’elle n’était pas une cliente comme les autres, Iris se surprenait parfois à réagir ou à se confier. Et c’était toujours aussi bizarre. Et inconfortable.

Hey, qu’elle entame. Le degré de politesse à son paroxysme, puisqu’elles se sont déjà dit bonjour un peu plus tôt.
Vient la gêne. Doit-elle continuer, parler de la procédure du divorce, du boulot, du temps qu’il fait ? C’était tellement plus simple avant, quand leurs échanges restaient strictement professionnels ou presque. Mais après tout, être polie, c’était sa deuxième nature, même si elle aimait beaucoup moins s’ouvrir sur sa vie privée.
I heard you made quite a big win on your case, yesterday … Easy peasy, se félicite-t-elle en plongeant la tête dans sa tasse, ses prunelles toujours fixées sur la rousse.

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- dix heures quinze, le balcon (@Iris Theriot)
Le travail était devenu un have de paix ces derniers temps. Pas parce que tu t’entends soudainement mieux avec tes collègues - sauf peut-être une - ou parce que tes dossiers sont maintenant plus faciles à gérer. Non, c’est de l’évitement pur et simple, une façon de t’emmurer dans quelque chose que tu peux contrôler. Tant pis s’il n’est pas sain de passer des heures jusqu’au milieu de la nuit pour préparer une déposition. Tant pis si tu devrais déconnecter à la place, tu ne le fais pas. Même tes pauses se font plus rares, juste pas inexistantes.
C’est pour ça que tu t’armes d’un café - celui pourri de la machine à café - avant d’aller prendre l’air. Peut-être que t’aurais pu laisser le balcon à Iris, mais les derniers temps vous ont permis (ou forcées) de vous rapprocher. Après tout, il y a maintenant bien peu de choses qu’elle ignore sur ta vie, procédures de divorce obligent. Tu juges donc que ta présence ne devrait pas trop être désagréable. Vous pourrez toujours siroter votre café en silence alors que tu regrettes de ne pas être sortie t’acheter un meilleur café.

Mais finalement, Iris devance tout ça. « Hey. » Reste à voir vers où aligner votre conversation. Il faut croire que c’était plus simple avant lorsque vous échanges se limitaient et ne pouvaient que se cantonner qu’au travail parce qu’il n’y avait rien d’autre. C’est peut-être pour ça qu’elle s’y engage à nouveau. « Hm, thanks. » Tu restes tout de même fière de ce dénouement, comme à chaque victoire dans tes dossiers. « There are at least a couple of advantages to have so much more free time. » Tu fais un peu dans l’autodérision, plaisantant sur ce que tu considères presque comme une tragédie dans ta vie. Tu supposes qu’il vaut mieux en rire (jaune) qu’en pleurer. « It’s also thanks to you since I don’t have to think about family law. » Comprendre ici que grâce à elle t’as pas à penser aux dimensions légales de ton divorce puisqu’elle le fait pour toi. Certes, tu dois vivre avec la tristesse et la culpabilité, mais ça…
Disons que t’es bonne pour vivre dans le déni.

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Juniper était une belle femme. Ce qui cassait un peu les préjugés restant d’Iris. Des bribes de son éducation, de son expérience, des messages qu’elle entendait depuis toute petite. Celui que les femmes qui aimaient les femmes étaient forcément masculines, cantonnées à des rôles ou des images de silhouettes athlétiques, peu féminines ou sophistiquées. Ou au contraire, versées dans l’ultra-féministe.
Mais Juniper n’avait aucun de ces traits-là, bien qu’Iris n’admettrait jamais s’être pris une claque en découvrant les dessous de la vie personnelle de sa collègue. Aussi se fait-elle petite, et disparait-elle derrière sa tasse de café et sa question flatteuse.

Iris s’efface pour lui laisser de l’espace, sur le balcon et pour répondre. Les rumeurs allaient bon train dans le cabinet, les bonnes comme les mauvaises nouvelles circulaient facilement. Elle sourit au trait d’humour, bien trop identiques dans leurs tragédies. L’une comme l’autre se perdaient facilement dans leurs dossiers, et l’idée du temps libre était … un concept, sûrement. Dans le métier, les dossiers et les clients s’enchaînaient.

And, you know, because you can’t represent yourself, technically. Iris l’avait appris de la plus difficile des manières. Pour ne pas que les procédures s’éternisent, pour ne pas que l’autre partie ne vienne contester … c’était plus simple si les deux parties avaient un représentant. Surtout dans un divorce tel que celui de Sloane ; puisque pouvait être question de la garde de la fille - un problème qu’elle n’avait pas eu dans son divorce avec Mav. Ils étaient d’accord sur toute la séparation, il n’avait aucun droit sur son fils, ne possédaient rien en commun et habitaient des logements différents. Malgré cela, les papiers avaient mis du temps à être bouclés.
What I meant was, you don’t have to thank me for your own victories. Son ton s’adoucit. En aucun cas elle n’avait participé à la victoire de Sloane sur ce dossier. Certes, elle apportait parfois son avis, mais ce n’était pas décisif. Et le fait qu’elle s’occupe de son divorce totalement hors sujet vis-à-vis du dossier dont elle faisait référence.

Ouais … peut-être qu’un jour, elles auront une discussion normale. Visiblement, ce n’était pas pour aujourd’hui. I’m still waiting for your ex’s lawyer. So you don’t need to worry about this either, and can fully focus on celebrating your win ! Il était dix heures vingt, et beaucoup trop tôt pour penser à célébrer. Ou trop tard. Dans les deux cas, Iris ne serait sans doute pas conviée. Is this how actual attorneys talk ? Or is it just on TV shows ? We never have time for this stuff.

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- dix heures quinze, le balcon (@Iris Theriot)
T’hausses doucement les épaules à la remarque d’Iris. Te représenter aurait été une terrible idée de toute façon, peu importe ce qu’il en était du côté légal. Ta relation avec Nora est l’un des rares pans de ta vie où tu te montres émotive, autant dire que ça aurait été potentiellement catastrophique s’il avait fallu débattre de quoi que ce soit. Pas que tu cherches spécialement à le faire, non, t’es plutôt dans l’esprit de donner tout ce que ton ex-femme désire dans le divorce, quelque chose qui n’est pas toujours recommandé. Tu pourrais en venir à le regretter lorsque la culpabilité.
Pour ce qui est de l’impact sur ta victoire… « I know that. » Qu’elle n’est pas responsable de tes victoires. Malgré tous tes défauts et tes doutes des derniers mois, tu sais pertinemment que tu es une bonne avocate. « But it still helped » De savoir qu’elle s’occupait de ton divorce, que tu n’avais pas à te casser la tête avec tout ça. Mais tu n’insisterais pas davantage, tu n’es pas déterminée au point de limiter ton rôle dans une victoire pour un de tes dossiers.

Même s’il aurait peut-être été plus confortable pour toi de rester sur le sujet. Que le divorce vienne sur le tapis n’a rien d’étonnant, tu l’as toi-même amené en fait, mais ça ne t’empêche pas de pincer les lèvres, légèrement mal à l’aise. Un sentiment qui est vite chassé par la fin de sa remarque, par ce qu’Iris ajoute aussi. « I don’t know when’s the last time I went out to celebrate a win so I’d say that it’s just on TV. » Est-tu seulement déjà sortie pour de telles célébrations ? T’as un doute sur le coup. Surement à tes débuts, quand t’étais un peu trop enthousiaste pour ton propre bien, quand t’avais moins de responsabilité aussi. « But you’re right, we never have the time to do anything. Or maybe we don’t have the will, after all we’re on a coffee break and we’re still talking shop. » Ce n’est rien d’étonnant en soit, même si les derniers temps vous ont poussées (forcées) à discuter un peu plus de vos vies personnelles, ça n’a jamais été dans vos habitudes. Le travail est un sujet simple, évident, et vous vous en êtes que rarement écartées. « Maybe it means that we should be working less ? » T’as beau dire la chose comme si c’était une réelle proposition à considérer, vous savez pertinemment que vous ne le feriez pas. Du moins, toi tu peux en être certaine, le divorce ne ferait que te pousser un peu plus à travailler pour éviter de penser aux aspects les moins reluisants de ta vie. Pour Iris… tu serais tentée de dire qu’elle a une vie hors du travail contrairement à toi, mais c’est peut-être un peu trop simplifier les choses

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