Chess, mate ? (Luke)

[ Chess, mate ? ]

Selon moi, il n'y a rien de tel pour connaître une ville que de s'y perdre. C'est ce que j'ai commencé la première fois que je suis venu, il y a plusieurs mois de cela maintenant, pour rencontrer mes futurs collègues, ma nouvelle université... puis visiter des logements afin de m'y installer. Je continue de le faire régulièrement, dés que j'ai un peu de temps. Tantôt avec de la musique dans les oreilles, tantôt juste comme ça, pour flâner. Suivre la rivière et voir jusqu'où ça mène, ce genre de choses. Maintenant que je connais un peu mieux, il m'arrive plus souvent d'aller à un endroit précis, parfois de m'y perdre encore, que de me perdre en essayant d'aller quelque part.

Ainsi, j'avais aujourd'hui envie d'aller au parc. Marcher un peu, profiter du soleil de cette journée paisible, un samedi tranquille d'un weekend calme. Je suis souvent trop occupé pour prendre le temps, ou alors j'aime mieux mon piano qu'une sortie, mais aujourd'hui, j'étais d'humeur à me balader. Il m'arrivait souvent de trouver l'inspiration comme ça en me promenant, surtout quand je n'avais pas le casque sur les oreilles.

Après une bonne heure de marche, je passais devant les tables d'échecs. Heureux hasard ? Je ne crois pas vraiment au hasard ! Alors, je souris et décide de m'installer à une table, vide pour l'instant, mais j'imaginais que je finirais bien par être rejoint par quelqu'un d'autre. Certains jouent en silence, concentrés, d'autres préfèrent discuter, faire connaissance. On rencontre toute sorte de joueurs différents. Pour ma part, les échecs sont un de mes rares loisirs, j'en fais pour me détendre. J'ai appris à jouer assez jeune, avec mon professeur de piano. Il n'était pas du genre à lambiner, mais il avait conscience qu'il fallait avoir des échappatoires. La musique en était un pour moi, alors je ne comprenais pas vraiment ce qu'il me voulait avec ce jeu, avant que j'y prenne goût. Finalement, un plateau d'échecs, c'était un peu comme un piano. Un refuge derrière lequel on s'abandonne, se laissant découvrir à travers sa technique qui dévoile sa personnalité, plutôt que de se laisser voir directement au grand jour.

Je disposais chacune des pièces à leur place, les nommant intérieurement comme on le fait en Inde. L'éléphant pour la tour, le cheval pour le cavalier, le chameau pour le fou. C'est ainsi que j'ai appris, même si tous les jeux d'échecs du monde représentent une tour et un fou, et non un éléphant et un chameau. Ça reste pour moi Raja, Rani, Hathi, Gora, Ut, Sipoy. Le roi, la reine, la tour, le cavalier, le fou, le pion.

Je venais de terminer lorsqu'une silhouette apparaît dans mon champ de vision pour s'installer en face de moi. Avant même de voir de qui il s'agit, je souris poliment pour saluer la personne. Cette simple interaction permet souvent de jauger l'adversaire, à savoir si cela va être une partie silencieuse, un discussion autour de la pluie et du beau temps, ou la construction d'une amitié future, même si c'est juste pour se retrouver pour une partie.

- Bonjour.

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-- ft / @Jayesh Madari
Il avait besoin de sortir un peu, Luke. Prendre l’air. Voir du monde, comme on lui disait toujours. Comme s’il pouvait avoir envie de voir des gens. Des fois, il se demandait si c’était vraiment utile de juste voir des gens, si y avait que ça, il pouvait aussi se poser au balcon de son appartement et regarder les gens dans la rue. C’était une expression, ou un concept qu’il avait un peu de mal à concevoir par moment. Luke, de toute façon, il avait parfois l’impression de ne pas avoir la même vision du monde que les autres. Il ne comprenait pas cette manie qu’ils avaient, la plupart des gens, à vouloir créer des liens sociaux à l’infini. Il était bien lui, dans sa petite bulle, avec ses quelques amis. Il n’avait pas l’impression d’avoir besoin de sortir et de rencontrer de nouvelles personnes tous les quatre matins. Il avait une vie sociale au boulot, il retrouvait son petit groupe d’amis régulièrement et ça lui semblait suffisant. De toute façon, depuis son fiasco sms avec Violet, il avait bien envie de rester enfermé chez lui et de vivre en ermite. Cette histoire, elle ne faisait que prouver qu’il avait du mal à tisser des liens. La preuve Violet était partie comme une voleuse dès qu'elle avait eu quelqu’un de mieux à portée de main. Mieux, c’était relatif d’après lui. Pas du genre à se jeter des fleurs, mais il restait certain d’être moins con que ce gars. Plus fréquentable. Peut-être moins sportif, moins social, mais aussi moins violent ; ça devait bien jouer quelque part.

Violet, c’était l’histoire qui continuait de hanter ses pensées. C’était bien pour ça qu’il avait besoin de sortir. Dès qu’il pensait à elle, il avait l’impression de devenir fou, coincé dans son appartement. Et il pensait trop à elle. Elle était cette fille dont il était bêtement tombé amoureux quand il n'avait été qu’un adolescent et elle lui avait brisé le cœur. Des années plus tard, ça avait été la même histoire. Lui qui s’était de nouveau épris d’elle et elle qui partait avec un autre. Violet, c’était la grande tragédie de sa vie. Il avait quitté son appartement alors, sur son vélo, il avait rejoint un parc. Lui quand il sortait, ce n’était pas dans les bars après tout - de toute façon, depuis les fameux sms avec Violet, il s’était juré que cette cuite, c’était la première et la dernière de sa vie. Il voulait penser à autre chose tout en gardant ses neurones en activité, c’était plus sain, alors une partie d’échecs, c’était le bon plan. Il s’approcha d’une table, reconnaissant Jayesh, avec qui il avait l’habitude de jouer. « Hey. » Il lança, avant de s’installer en face de lui. C’était l’adversaire idéal pour vraiment oublier Violet pendant quelque temps. C’était exactement ce dont il avait besoin alors. Il avait bien fait de trouver le courage pour quitter sa grotte. « Comment ça va ? » Il demanda alors; histoire de lancer la conversation. Jouer en silence, ça pouvait être une bonne option, c’était mieux pour réfléchir, d’après lui, mais bon, pour le coup, il avait vraiment besoin de se changer les idées le brun.

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Tout le monde a besoin d'un échappatoire. D'un loisir, d'une activité appréciée pour se vider la tête, faire autre chose, se libérer le corps et l'esprit. Quand bien même on peut adorer sa vie et son métier, c'est une nécessité à laquelle on ne peut, on ne doit pas faire défaut. J'ai beau vivre la vie que j'ai toujours rêvée, celle pour laquelle je me suis battu tant d'années pour l'avoir, celle pour laquelle je continue de faire des efforts pour la garder, pour m'améliorer, il n'en reste pas moins primordial de m'adonner à d'autres occupations de temps en temps. Aujourd'hui, les échecs.

Lorsque j'étais étudiant, j'avais mis un peu plus d'un an à m'adapter à la vie universitaire, à son coût, aux bizarreries des Américains, et beaucoup d'autres choses. C'est pourquoi je ne m'étais inscrit au club d'échecs qu'au cours de ma deuxième année, et que c'était, à ce moment là, le seul loisir que je m'autorisais. Entre le boulot pour payer le loyer et les factures, le boulot pour les études, et tout le reste, je crois que je n'avais même pas regardé un seul match de cricket en trois ans. J'avais à peine suivi les résultats de certaines leagues. De toutes façons, ici, le cricket, pratiquement personne ne connait. Quant au kabaddi... même pas la peine d'essayer de lancer une conversation là dessus ! Autant le cricket, avec un minimum de culture générale, on peut grossièrement imaginer à quoi ça ressemble, autant le kabaddi...

De toute façon, aujourd'hui, ce sont les échecs. Je souris en réalisant que la silhouette qui vient de prendre place en face de moi ne m'est pas inconnue. Un autre joueur régulier, que je n'ai jamais fréquenté en dehors de nos parties, mais qui m'est bien sympathique. Tantôt réfléchi et silencieux, à faire une partie digne d'une compétition, tantôt plus détendu et bavard, pour une ou plusieurs parties tranquille, juste pour passer du bon temps. J'avais l'impression que ce jour là, ce serait plutôt tranquille.

- Hey, Luke ! Et bien, ça va, j'avais juste besoin de sortir pour me détendre un peu. Et toi ?

Je ne sais pas grand chose de lui, au final. Je crois qu'il est originaire de NOLA, ou en tout cas qu'il connaît bien la ville, je sais aussi qu'il est ingénieur, et parfois j'aimerais bien le connaître un peu mieux, mais les parties d'échecs ne nous laissent pas toujours l'occasion d'approfondir tout ça.

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-- ft / @Jayesh Madari
Plus il pensait à Violet, plus il avait l’impression qu’il allait devenir fou, voire même complètement exploser. Il n’aimait pas ce sentiment de frustration le brun. Il n’aimait pas cette impuissance qu’il ressentait depuis le départ de Violet et cette impression d’être, encore et toujours le même gamin du lycée qui se faisait emmerder et frapper - sans raison - par les gros musclés qui aimaient terroriser les autres. Il pensait avoir fait du chemin depuis cette époque et avoir gagné en prestance et en assurance, mais il fallait croire que face au petit-ami de Violet, il faisait toujours second. Et Violet, elle s’était rangée du côté de son copain. Celui qui pourtant, l’avait abandonnée en apprenant qu’elle était enceinte de lui. Luke, de son côté, il avait fait de son mieux pour aider la jeune femme, alors qu’il ne l’avait pas vue depuis des années et qu’au lycée, elle avait été celle, qui, sans doute sans le savoir lui avait brisé le coeur pour la première fois. Elle avait sans doute oublié tout ça Violet, mais pas lui, alors c’était une nouvelle blessure qu’elle lui imposait la brune et ce n’était pas facile à vivre. Alors, au lieu de rester chez lui à avoir l’impression de manquer d’air, il fallait qu’il sorte, Luke.

Le parc, les échecs, c’était le plan parfait. Il y avait rien de mieux qu’une partie d’échecs pour le pousser à penser à autre chose. C’était un jeu qui demandait d’être concentré sur ce que l’on faisait, ainsi que sur le jeu de son adversaire et de réfléchir à chacune de ses actions. Au milieu de tout ça, il n’y avait pas la place pour penser à Violet non ? Il l’espérait en tout cas, mais vu comment elle hantait ses pensées ces derniers temps, ce n’était clairement pas gagné. Arrivé au parc, il avait reconnu Jayesh. Quoi de mieux qu’une connaissance pour partager une agréable partie ? Il s’était installé en face de lui avant de le saluer. « Je peux comprendre. » Il répondit, suite à la remarque du brun. Après tout, il était là pour les mêmes raisons. « Ça va aussi. J’avais besoin de prendre l’air moi aussi. » Avant de péter un câble tout seul dans son appartement. Il trouvait ça sympa de le retrouver ici, c’était l’occasion d’apprendre un peu à le connaître. Diversion parfaite pour oublier Violet. Encore une fois, il espérait vraiment que ça puisse marcher. Il en avait marre qu’elle occupe autant de place dans son esprit. « Comment ça se passe, au boulot ? » Besoin maladif de parler, d’entamer la conversation, de ne pas laisser place au silence et surtout, de ne pas laisser à ses pensées l’occasion de dériver encore une fois, vers cette femme qui le hantait. Parler boulot c’était très bien. Parler de tout, de rien, mais pas d’histoires de cœur. Pas de Violet et ça tombait bien, au dernières nouvelles, Jayesh ne la connaissait pas.

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Je suis quelqu'un de timide, mais paradoxalement assez sociable. Enfin, je suppose. Je veux dire, c'est généralement assez difficile pour moi d'aller directement vers les gens, m'exprimer, parler de moi... mais j'aime bien faire de nouvelles connaissances. C'est sans doute plus simple derrière un plateau d'échecs. Comme une barrière de protection, un sujet de secours au cas où cela deviendrait trop gênant. Mais je suis bien, avec Luke.

Je souris d'un air entendu, prendre l'air ça fait toujours du bien. Même les plus casaniers en ont besoin. Je sais de quoi je parle, puisque je ne suis pas du genre à sortir toutes les semaines en soirées ou ce genre de trucs... cela dit, il y a un juste milieu entre ne jamais sortir de chez soi et aller en boîte de nuit tous les soirs. Enfin je suppose. Mais bon, si quelqu'un déteste vraiment sortir dehors, même en pleine nature, même sans croiser aucune autre personne, c'est que ce doit être pathologique. J'imagine. Surtout quand le temps est agréable comme aujourd'hui.

D'un simple geste de la main, j'invite Luke à jouer son premier coup. Je m'installe souvent en face des pièces noires, parce que j'ai toujours l'impression que d'autres potentiels joueurs se sentent mieux invités si c'est à eux de commencer. Je ne sais pas du tout si ça compte vraiment, mais bon.

- Super ! Je m'adapte un peu à mon emploi du temps entre l'université, les concerts et les répétitions, mais je commence à bien m'y faire. Mon projet d'école n'avance pas aussi vite que je l'aurai espéré, mais ça va le faire, doucement mais sûrement. Et toi ?

Son job me fascine. Le genre de truc que j'aurais été totalement incapable de faire. Et puis, le ciel, les étoiles, tout ça... ça fait rêver n'importe qui, non ? Mais bon, fabriquer tous les engins pour observer tout ça, d'où l'on se trouve, où en s'y rapprochant, c'est pas n'importe qui qui en est capable.

Je bouge à mon tour l'une de mes pièces. Je ne réfléchis pas forcément dés le début de la partie, c'est peut-être un de mes défauts, mais j'aime mieux penser stratégie après deux ou trois coups.

- J'aurai peut-être du temps pour une revanche, selon comment se déroule cette partie !

C'est un peu idiot d'annoncer ça au bout de seulement quelques minutes de jeu, mais bon. C'est certainement pas plus intelligent de commencer une partie quand on a un rendez-vous moins d'une heure après. Jouer le stress, c'est mauvais pour tout le monde. Enfin je crois.

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-- ft / @Jayesh Madari
Besoin de se vider l’esprit, de prendre l’air. De se sortir Violet du crâne, quand bien même ça semblait impossible à première vue. Il était ce genre de gars qui faisait toujours des fixettes sur tout et n’importe quoi. Il pouvait facilement devenir obsédé par des détails futiles, alors les choses importantes pouvaient vraiment le rendre fou. Ses histoires de famille, par exemple, elles avaient tendance à tourner en boucle dans sa tête. Le nouveau mariage de sa mère, se beau-père à qui il n’avait pas envie de donner de chance parce qu’il venait briser l’équilibre familial qu’ils s’étaient construit à trois, avec sa sœur et leur mère. Ce père qui n’était pas son père et cette fichue question : qui était son père alors ? Ça le rendait fou tout ça et maintenant Violet venait s’ajouter à la liste des sujets qui tournaient en boucle dans son cerveau et dont il n’arrivait pas à se défaire. A force, ça devenait difficile à gérer, ça lui donnait l’impression de devenir complètement cinglé et d’avoir du mal à penser et à réfléchir sereinement. Il fallait vraiment qu’il sorte de son appartement, histoire de souffler un bon coup et de penser à autre chose au moins pendant quelques minutes, quelques heures si possible, mais rien qu’un court instant, ça ne lui ferait pas de mal.

Les échecs en bonne compagnie alors, c’était le truc idéal. Typiquement le jeu face auquel sa volonté de gagner était telle qu’il pouvait laisser de côté les pensées parasites. Du moins, l’espérait-il. Si tout ça lui revenait en pleine figure en pleine partie, il aurait vraiment l’impression d’être fichu le brun. C’était déjà le cas dans le fond. Il était fichu. Condamné à penser à Violet en continue, parce que c’était ça l’amour après tout. On disait que ça se jouait dans le cœur, mais, comme pour tout le reste, c’était surtout le cerveau qui prenait. Et le sien, il avait l’impression qu’il fonctionnait bien mal, depuis le départ de Violet. Quel enfer c’était, l’amour, dur de comprendre pourquoi tout le monde courait après ça, lui y compris dans le fond. « C’est cool du coup, malgré tout ça, tu trouves toujours du temps pour une partie d’échec, je t’admire. » Il lança le brun, non sans un léger rire. Mais Jayesh avait de toute évidence beaucoup de projets et de choses à gérer et pourtant, il était là aujourd’hui, il y avait de quoi le féliciter. « Ça va aussi, c’est probablement l’un des meilleurs jobs du monde, alors je suis pas à plaindre. » Il haussa les épaules, c’était un avis très subjectif, évidemment, mais il était passionné par ce qu’il faisait, Luke. Ce n’était pas son rêve numéro 1, mais c’était quand même un métier qu’il adorait et dont il était très fier. « Pense pas tout de suite à la revanche, c’est de mauvais augure ça. » Il en rigola le brun, pas du genre à croire que certaines choses puissent porter malchance de toute façon. Luke au moins, il avait tout son temps, ça lui ôtait sans doute une pression. Il était compétitif le brun et préférait ne jamais partir défaitiste ; au moins quand il s’agissait d’une partie d’échecs, pour le reste, c’était une autre histoire.

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La partie s'annonçait plutôt cool, parfait pour se détendre. On faisait la conversation en même temps, signe que ce match ne serait pas aussi sérieux ni acharné que certains de nos voisins. C'était une journée plutôt normale et banale pour moi, je n'avais pas de souci particulier à évacuer ni rien de tout ça. Juste envie de prendre l'air, de me changer un peu les idées. Je suis quelqu'un de relativement casanier, pourtant. Mais je crois que c'est surtout lié au fait qu'un piano n'est pas super facilement transportable. À moins d'en trouver un sur place, c'est pas le genre d'instrument qu'on emmène autour d'un feu de camp.

- Oh, tu trouves le temps toi aussi ! Se détendre ça fait partie du jeu, difficile de trouver l'inspiration autrement.

J'ai beau être un bosseur acharné, à être capable de passer plusieurs jours enfermé pour travailler sur un seul truc sans à peine m'en rendre compte, je ne nie pas pour autant la nécessité de faire des pauses. C'est un peu comme ça que j'ai appris à jouer aux échecs, d'ailleurs. Pour me sortir de ma routine.

Je souriais à sa réflexion, l'envie me prenant de le contredire. Le meilleur job du monde ? Aucun doute, c'est le mien ! Mais je me contente de me mordre un peu la lèvre pour m'empêcher de dire une bêtise, même si cela aurait bien évidemment été sur le ton de la plaisanterie.

- C'est vrai que quelque part, on passe tous les deux la plupart de nos heures de travail dans les étoiles...

Sauf que moi, c'est la musique qui m'y emmène, alors que lui, si j'ai bien compris, cherche plutôt à les atteindre.

- C'est vrai que si la nuit venait à tomber avant qu'on ne termine, je n'ai pas pensé à apporter des bougies !

Ni de briquet, je ne fume pas. Mais je ris un peu en disant ça. Même si la partie se déroulait sous le signe de la détente, il n'avait pas tort. Il suffisait de prévoir une suite pour que l'actuelle dure des heures, ou que la pluie se mette à tomber violemment. Pas que je pense que ce genre de choses puissent être provoqué par le simple fait d'avoir voulu se projeter, mais plutôt parce que c'est quand on l'espère le moins, qu'on se souvient que c'est arrivé.

- Parle moi de ton meilleur job du monde, alors. C'est pour quand, la visite de Mars ?

La vérité c'est que j'y connais rien de rien dans ce domaine. J'aime observer les étoiles, comme beaucoup de monde j'imagine, mais ça s'arrête là.

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-- ft / @Jayesh Madari
Jouer aux échecs pour penser à autre chose, y avait rien de mieux, d’après Luke. C’était encore mieux avec quelqu’un qu’on appréciait, comme ça pouvait être le cas avec Jayesh. Alors il ne regrettait pas d’être venu dans ce parc Luke. Il avait bien fait de quitter son appartement pour prendre l’air, pour essayer d’oublier un peu Violet et leur histoire, celle qui continuait de peser sur sa conscience et sur son coeur, malgré les mois qui passaient. Trouver le temps pour une partie, malgré la vie quotidienne, ça semblait essentiel. Important pour garder le cap et ne pas se laisser dévorer par tout ce qui n’allait pas. « Je suis bien d’accord avec ça. Rien de mieux qu’une partie d’échecs pour se relaxer. » D’autres n’auraient certainement pas le même avis sur la question. C’était un jeu qui demandait pas mal de réflexion, après tout et certains préféraient ne pas avoir à réfléchir du tout, pour pouvoir se relaxer, il comprenait cette volonté Luke, mais ça ne lui convenait pas comme façon de faire. Lui, il avait du mal à éteindre son cerveau pour ne penser à rien, alors les échecs, ça lui allait très bien. Il n’éteignait pas son cerveau, il le focalisait sur autre chose. Il lâcha un rire, suite à la remarque du brun. « Y a rien de mieux que les étoiles. » Il haussa les épaules. Les étoiles, l’astronomie, c’était sa passion à lui depuis qu’il était tout petit. Il se souvenait du plafond étoilé de sa chambre d’enfant, confectionné par sa mère pour qu’il se sente bien, lui qui aimait tant se perdre dans les étoiles. Elle lui manquait, parfois, sa chambre d’enfant. Tout semblait presque plus simple là-bas. Mais il n’était plus un enfant, Luke, il fallait grandir et de toute façon, les histoires familiales étaient ingérables, ces derniers temps, alors mieux valait rester loin de la maison. « Avec un peu de chance, le clair de lune suffira. » Il en doutait quand même, Luke. Elle n’était pas pleine ce soir. Loin de lui la volonté de connaître toutes les pleines lunes pour éviter les loups-garous. Il ne croyait pas en ces histoires. Mais il connaissait les cycles de lune, parce que la lune, bien que n’étant pas une étoile, faisait partie de ce ciel qui le fascinait tant. Le clair de lune ne serait pas suffisant pour y voir clair, mais ils devraient quand même avoir terminé avant la tombée de la nuit ; certaines parties étaient longues, mais il espérait quand même qu’ils n’y passent pas tant de temps. Il lâcha un nouveau rire suite aux propos du brun. « Pour moi, jamais. Je participe à la construction de fusées, mais je ne pourrais jamais grimper dedans. » C’était ça son rêve pourtant, mais il fallait des caractéristiques physiques qu’il n’avait pas. Sa vue qui avait considérablement baissé après un passage à tabac au lycée. Gueule cassée et rêves envolés. « Mais je bosse pour la nasa et eux, ils envisagent d’envoyer des Hommes sur mars d’ici 2033. » Nouveau haussement d’épaules. Projet qui rendait bien sur le papier, mais est-ce que ce serait possible ? Il n’en savait rien, à voir, dans une dizaine d’années. « Et toi, ton école, elle ouvre quand ? J’en cherche une pour prendre des cours de saxophone. » Lubie du moment qu’il mènera forcément à bien à un moment où à un autre Luke. Comme toutes les lubies par lesquelles il passait. En ce moment c’était le saxophone et une fois qu’il maîtrisait à peu près l’instrument, il trouverait bien autre chose ; comme toujours. Il ne savait pas rester sur ses acquis le brun, il avait besoin d’apprendre de nouvelles choses, encore et toujours, sans jamais se lasser.

Spoiler:

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Papoter tout en jouant, c'était vraiment sympa. J'avais un peu moins de dix ans lorsque j'ai appris à ce jeu. Un jour, mon professeur de piano, plutôt que de me dire de m'installer devant l'instrument comme d'habitude, m'avait demandé de le rejoindre autour du plateau d'échecs. Mine de rien, y'a quelques points communs avec le piano. Et puis c'est bon pour la concentration. Et je fais partie des gens, rares peut-être, que ça détend. En tout cas, mon partenaire est bien d'accord avec moi ! On se retrouvait assez régulièrement dans ces conditions, et si le courant passait aussi bien entre nous, les échecs et notre façon de voir les choses à leur sujet ne devait pas y être tout à fait étrangère.

On en venait de parler des étoiles, de la lune, de nos boulot respectifs. Même si Luke semblait regretter de ne participer "que" à la construction des fusées, je trouvais cela déjà très impressionnant.

- Je pense pas que ça m'arrivera un jour non plus, mais y aider, c'est... wow. J'ai toujours rêvé d'écrire une symphonie ou un ensemble de morceaux sur le thème des étoiles, mais rien de concret jusque là.

En tout cas, lorsqu'il m'annonçait la date à laquelle des Hommes poseront potentiellement leurs pieds sur Mars, je restais tout aussi abasourdi.

- 2033 ? Je pensais pas pouvoir imaginer ça de mon vivant ! Et savoir qu'en plus un de mes amis y participe... C'est génial !

Pas aussi génial que le coup que je venais de faire en le regrettant aussitôt. J'imaginais pouvoir le rattraper plus ou moins aisément au suivant, encore fallait-il attendre de voir ce que mon adversaire préparait.

- Elle ouvrira pour l'été ! Enfin j'espère, mais ça commence à se concrétiser... Tu joues déjà du saxophone ou tu débutes ? Parce que je cherche des profs aussi... bénévoles, par contre.

C'était encore ce qui manquait le plus. Si j'avais réussi à convaincre quelques uns de mes collègues et même une étudiante, il n'y en avait pas encore dans le tas sachant jouer assez bien du saxophone, sauf pour de véritables débutants. Mais ce qui manquait surtout, c'était des instruments. Je faisais pas mal de brocantes, de vide-greniers et ce genre de choses, mais on y trouvait surtout des guitares.

- En fait, si l'intérieur commence vraiment à être terminé, niveau logistique c'est autre chose. Pour apprendre la guitare on aura ce qu'il faut, mais trouver des instruments d'occasion dans un bon état et pas trop cher, c'est une autre paire de manche. Dés que les locaux seront vraiment terminés, on va commencer par organiser une sorte de réunion-dépôt ou quelque chose comme ça, pour se fournir un minimum en équipement.

Si je ne rechigne pas à mettre de mon propre argent pour réaliser tout cela, le but reste que cette école devienne autonome en tout point. Si c'est pour que ça s'écroule dés que je ne suis plus dans les parages, ce sera un échec. Le quartier sera toujours là et aura toujours besoin d'un lieu d'accueil de ce genre... mais moi, je ne serais pas toujours là. Je veux en être l'origine et la base, pas le pilier. Le pilier doit venir du quartier lui-même et de sa volonté de faire vivre et rayonner cet endroit. Comme un phare dans la nuit.

- Tu seras le bienvenu quand tu veux ! D'ailleurs pour la déco je pensais demander aux ados du coin de venir faire des beaux graffitis et tout ça, mais si tu veux participer, pour faire genre un ciel étoilé à peu prés exact, ça pourrait être super cool !

Des fois, je me dis que je vois les choses en trop grand, ou que je suis trop optimiste. Mais j'y crois, j'y crois vraiment. Je suis convaincu que permettre aux ados de laisser leur art s'exprimer librement sans risquer de se faire arrêter ou quoi, leur donnera envie de s'investir.

- Tu sais, ce sera une école de musique, mais le but aussi c'est de sortir ces gamins de la misère. Leur montrer autre chose, leur donner un but... alors un type qui s'y connaît dans les étoiles et qui montre comment on va arriver sur Mars en 2033, ça peut être vraiment génial.

Ouais, je vois les choses en grand !

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-- ft / @Jayesh Madari
Luke, il aimait l'enthousiasme de Jayesh. Ça faisait toujours du bien à entendre. Au-delà d’une bonne partie d’échecs, c’était aussi de ça, dont il avait eu besoin, Luke. Raison de plus d’être satisfait d’avoir réussi à quitter son appartement aujourd’hui. Un peu de bonne humeur et d'enthousiasme dans sa vie, ça devrait l’aider à mettre un peu de côté ses pensées déprimantes. Toutes celles qui allaient inlassablement vers Violet et qui lui faisaient plus de mal que bien. Comme quoi, tomber amoureux, ce n’était clairement pas la chose la plus belle au monde. Autant se concentrer sur autre chose que sur l’amour. Le boulot, par exemple, il y consacrait beaucoup de son temps, ne lésinait pas sur les heures supplémentaires. Ça l’occupait autant que ça le passionnait. Même si ce n’était pas complètement le job de ses rêves, c’était déjà quelque chose qui le comblait. « C’est déjà bien, oui. La lune a bien inspiré Debussy, tu finiras bien par trouver quelque chose. » Il aimait la musique, Luke. Il jouait de la guitare, du piano, du violon, mais se savait incapable de composer quoi que ce soit qui tienne la route. Il n’en dirait pas autant d’une personne comme Jayesh. Chacun son domaine de prédilection. « C’est ce qu’ils disent, en tout cas. J’y participe de très loin quand même. » Il n’était qu’un petit maillon d’une chaîne de production énorme. Dans tous les cas, ce serait vraiment extraordinaire, d’après lui, si la Nasa parvenait vraiment à envoyer du monde sur Mars. Histoire qu’il suivait quand même de très près. Dans les projets plus proches et moins difficiles à réaliser, il y avait l’école de musique de Jayesh. Il était curieux de savoir où il en était, Luke. C’était un projet vraiment sympa et qui méritait de voir le jour. Lui, ça l’intéressait d’autant plus qu’il avait envie de se lancer dans l’apprentissage du saxophone. « Ce serait vraiment chouette. Je débute, j’en ai jamais touché de ma vie. » C’était un peu un coup de tête cette histoire de saxophone et comme l’ensemble de ses coûts de tête, Luke avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout. S’il avait du temps, il lui proposerait bien un coup de main pour la guitare, le piano ou le violon, mais il avait un emploi du temps plutôt chargé Luke et il savait qu’il ferait un piètre professeur. « J’imagine, ça doit être compliqué. Les instruments coûtent cher en plus. » Un bon piano pouvait facilement représenter un trou conséquent dans un budget. C’était un beau projet qu’il avait Jayesh, mais ça devait être difficile à gérer. Il lâcha un rire à sa remarque. « Pendant quelques secondes, j’ai cru que tu me mettais dans la catégorie ado. » Il faisait plus jeune que son âge, mais quand même. « Mais ce serait avec plaisir. » Il risquait d’être très pointilleux par contre, du genre à faire des calculs d’échelle pour que ce soit vraiment au plus proche de la réalité. Mais comme ça le passionnait et que ce n’était pas quelques calculs qui lui faisaient peur, il était plutôt partant. « C’est vraiment un beau projet, je pense sincèrement que ça peut en aider certains. Compte pas sur moi pour expliquer quoi que ce soit par contre, je supporte pas quand on comprend pas ce que je dis. » Il rigola de nouveau Luke. C’était bien pour ça qu’il n’était pas fait pour l’enseignement le brun. C’était tellement évident pour lui qu’en plus de ne pas savoir comment expliquer, ça le frustrait qu’on ne comprenne pas. Il ferait un très mauvais prof et il en avait parfaitement conscience, Luke.

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