Count the memories, not the calories.

« Tu peux y aller, tu as bien mérité le long week-end qui t’attends ! Profite bien de ta famille et… Tiens… Prends quelques pâtisseries pour leur montrer ce que tu apprends à faire ici, depuis le début de ton apprentissage ! » Je peux voir à son regard qu’elle hésite, à la recherche d’un signe de ma part, d’une confirmation quelconque alors j’acquiesce sans me défaire de ce sourire bienveillant et rassurant. Elle est ma première apprentie, mon poulain, en quelque sorte. J’apprends à la façonner à mon image, de la même manière qu’Harrison m’a transformé quelques années en arrière en révélant un potentiel sur lequel je n’arrivais pas à ouvrir les yeux. Je n’aurais jamais pensé être à ce point transcendé par cet exercice de transmission. Force est de constater que j’ai encore beaucoup à apprendre sur moi-même. Je me passionne, me redécouvre au contact de cette jeunesse qui ne souhaite rien d’autre que s’initier, s’éveiller, apprendre et songer à ce que pourrait être un avenir joyeux, où il ferait bon se lever tous les matins pour aller travailler sans avoir à avancer à reculons. « File ! » J’insiste, en une confirmation verbale qu’elle semble mieux recevoir, à en juger par le sourire qui lui étire les lèvres. « Oh et… Gemma… Très beau travail cette semaine ! » Elle progresse à une vitesse folle. Curieuse et soucieuse de tout mettre en œuvre pour parvenir à intégrer les techniques que je lui présente au quotidien, en fonction des commandes et des pâtisseries qui sont exposées au magasin. L’adolescente quitte le laboratoire, les mains encombrées par la boite dans laquelle je lui ai généreusement glissé plus de pâtisseries que de raison. J’ai le cœur sur la main, même si ce trait de caractère n’est pas celui que l’on repère en premier lorsqu’on me rencontre. Les apparences peuvent parfois être trompeuses… Ou pas… Un connard fini, je peux l’être à mes heures perdues. La complexité humaine dans toute sa splendeur. Je jette un coup d’œil à l’horloge accrochée sur l’un des murs du laboratoire, Adriel ne devrait plus tarder. J’ai préparé quelques prototypes de pâtisseries à lui faire goûter, des expérimentations autour du thème d’Halloween, plus à la mode que jamais, puisque nous attirons constamment une clientèle en quête de produits de qualité, certes, mais aussi – et surtout – de saveurs à exposer sur Instagram.

Vendredi et le début du week-end qui sonne avec lui, après une semaine longue et relativement éprouvante. La fin de l’année approche et si en ce moment les rues de la Nouvelle Orléans sont couvertes de décorations d’Halloween, bientôt ce seront des sapins de Noël et des ornements verts et rouges qui illumineront la ville. Adriel aime cette période, celle qui vient après la fête des morts, puisqu’elle lui rappelle son père et les traditions qu’il aimait lui transmettre. Si aujourd’hui le compositeur sent plus sa foi reliée à Hanouka, il continue tout de même de célébrer également le jour de Noël, à la fois en mémoire de son père, mais également pour sa femme qui n’a pas grandi dans la même religion que lui. Malheureusement, en plus des nombreuses fêtes, la fin d’année signifie également une charge de travail non conséquente. Les gens ont souvent cet état d’esprit de tout finir avant le premier de l’an, pour commencer la nouvelle année avec une ardoise propre et prête pour de nouvelles aventures. C’est un peu son cas aussi à Adriel, il doit bien l’avouer, mais cet entrain vient avec une certaine fatigue au bout d’un certain temps. Pas du genre à laisser ses responsabilités tomber, il prend tout de même du temps pour tout et pour chaque personne ayant besoin de lui. Aujourd’hui c’est Beau qu’il s’apprête à voir. Ancien apprenti de son père, aujourd’hui successeur en quelque sorte, puisqu’il gère à peu près comme il le souhaite la pâtisserie Tucker. Adriel a quelques demandes, une envie que les traditions soient respectées et que les recettes préférées de son père soient toujours préparées, mais la vérité est qu’il n’y connaît pas grand-chose à l’art du gâteau alors il laisse au jeune Beau la liberté qu’il mérite.

L’odeur qui règne dans la boutique lui met toujours un sourire aux lèvres. L’impression de replonger en enfance est délicieuse, il sent la gourmandise titiller sa langue, mais il se retient la plupart du temps, entendant la voix de la raison plutôt que celle du sucre. « Bonsoir Beau. » lance-t-il sans voir encore le pâtissier. La sonnette de la porte l’aura notifié de son arrivée, qui était prévue de toute façon. La journée touche à sa fin, il doute que d’autres clients arriveront à cette heure-ci alors il fait quelques pas dans la boutique, inspectant avec un œil curieux les gâteaux dans la vitrine. « La déco est vraiment réussie ! » Qu’elle soit sur les meringues, les tartes ou les biscuits, elle est partout aux couleurs d’Halloween, sur les murs et le comptoir également. On peut dire que le jeune homme y est allé à fond, sans doute pour fournir son compte instagram pour la saison. Une mode qui n’est pas entièrement au goût d’Adriel, mais au fond de lui il pourrait presque entendre son père rire avec entrain en voyant tout cela. « Salut, comment tu vas ? » demande-t-il finalement une fois que le pâtissier entre dans son champ de vision.