craqûre ((reid))

Poupée qui n’appréciait pas qu’on touche à ses breuvages ! Sa dernière pinte de lait à la fraise, vide ! Si la jeune fée pouvait sembler adorable en tout point, il existait une chose sur cette terre qui la faisait perdre tout état d’esprit rationnel. Elle aurait pu aller balancer une pique à ses colocs, les insulter, les injurier, les traiter de tous les noms d’oiseaux que sa langue lui permettait de dire. Elle n’en fit rien, puisque son regard se posa sur Reid. Petit oisillon abandonné. Elle approchait de l’âme vagabonde, glissant son bras autour de son épaule et lui montrant la pinte vide. « Prochaine fois, on rachète ! » soufflait-elle en posant le carton vide sur le plan de travail. Habituellement, elle avait le don de faire tourner en bourrique les gens, trop hyper active pour arriver à chasser ce point désagréable qu’elle créait. Et pourtant, à cet instant, elle était silencieuse. Ses doigts encrés et bagués serraient l’épaule du cadet. Ils n’avaient pas pris le temps de parler, elle l’avait laissé s’installer et s’occuper avec les détails de la saison qu’on était en train de peaufiner. Une façon de se perdre sans doute dans ces sentiments. Mais qu’est-ce qu’elle en savait la poupée ? Elle n’avait jamais eu une relation comme la leur, elle avait beau taquiner Bram, voir Reid ainsi la chagrinait. « Tu pense encore à lui ? » Question tout à fait idiote, elle le savait, ô oui, elle le savait, mais la subtilité ce n’était pas son point fort. Si ça avait été le cas, elle ne serait pas aussi colorée. Tirant un tabouret à elle, glissant une fesse sur l’assise, elle plongea son regard sur le visage de son ami. « On l’emmerde ! On pourra te trouver quelqu’un d’aussi bien ! Tu verras. » Elle ne savait pas trop qui ni comment, surtout s’il restait là à jouer la statue de sel. « Que dirais-tu qu’on se fasse livrer ? » C’était l’avantage des ruptures se goinfrer et cela, Billy avait bon espoir de le faire, elle qui raffolait de manger. « Une préférence ? Thaï ? Italien ? Créole ? » demandait-elle en faisant défiler les menus sur doordash. Allez, il pouvait pas lui dire non, c’était elle qui régalait !

Cela devenait fréquent de le voir ainsi; recroquevillé dans un fauteuil ou l’angle d’un canapé, le regard perdu dans le vide et les pensées tourbillonnantes. Sa rupture avait donné un tout nouveau terrain de jeu à son anxiété et c’est en bon tortionnaire qu’il ressassait le passé, se demandant ce qu’il aurait pu dire ou faire pour empêcher l’inévitable. Puis il s’en voulait, encore plus misérable de réaliser qu’il n’arrivait pas à tourner la page. Est-ce que c’était plus facile pour Bram? Est-ce qu’il pensait encore à lui ? Est-ce qu’il l’avait déjà remplacé ? Il sursauta presque en sentant un bras se poser autour de ses épaules. Billy, son phare au milieu de la tempête. Son épine dans le pied aussi par moments. Reid balaya un regard las de la pinte vide au visage de sa nouvelle colocataire. Son ton l’offensait plus que sa réprimande. Elle le ménageait, comme un gamin que l’on prend avec des pincettes pour éviter une crise. « Okay, pardon » maugréa-t-il. Il n’était pas plus fan que ça de la boisson mais s’était réveillé au milieu de la nuit avec une soif qu’il n’avait pas réussi à calmer. Le lait avait semblé plus raisonnable que la bière stockée un étage plus bas dans le frigo.

Peut être était-ce sa punition, d’entendre parler de Bram alors que chaque mention de sa personne lui entaille un peu plus le cœur. Il hausse les épaules, esquive son regard, embarrassé d’être si transparent. Est-ce si étrange que ça? Reid serait incapable de le dire. C’est sa première rupture ; il n’a jamais eu à oublier quelqu’un. Reid s’efforce d’esquisser un sourire à la proposition de Billy malgré le malaise qui le gagne à ses mots. « Ne parle pas de lui comme ça ». C’est bon de savoir qu’elle est de son côté, mais Bram n’est pas le méchant de l’histoire. « Mouais, on verra… » répète-t-il, peu convaincu. C’est qu’il n’a pas très envie, pour commencer. Huit ans qu’ils étaient ensemble et tout ça pour quoi? L’idée de recommencer avec un inconnu l’épuisait d’avance.

Ces temps-ci, Reid oubliait souvent qu’il avait faim, trop obnubilé par sa pity party pour satisfaire ses besoins primaires, avant de réaliser qu’il est affamé. Il avait dû prendre quelques kilos à force de manger n’importe quoi pour combler un vide qui n’était que dans sa tête, mais il n’y avait plus personne pour regarder ce qui se trouve sous ses vêtements de toute manière. Il faudrait qu’il retourne à la salle de sport ; se donner une routine et des objectifs lui ferait du bien. « Américain » dit-il après un battement, juste pour être contradictoire. Il avait envie d’un bon gros burger, de frites et de soda, de quoi lui déglinguer l’estomac et lui donner d’autres soucis.  « Tu crois que t’arrivera à me trouver un rencard si je deviens obèse? » ironise-t-il, pile au moment où son ventre se met à gargouiller ; le comique de situation culminant.

Chatte vaquant sur son territoire, elle s’inquiétait de Reid comme une maman prendrait soin de son petit. Elle le réprimanda sans montrer les griffes, ce qui pouvait être vu comme un exploit venant de la poupée au caractère bien trempé. Elle miaula plus qu’elle ne cracha et la mine renfrogner de son nouveau colocataire ne l’empêcha pas de claquer sa langue dans son palais, hautaine comme elle pouvait l’être. Ses ongles cliquetaient devant elle, ritournelle éternelle. Elle fit un POP avec sa gomme à marcher, puis l’étira sans fin avant d’aborder LE SUJET défendu. « Tu voudrais que je dise quoi ? » miaula-t-elle en posant ses prunelles sombres sur son ami. « Qu’il va revenir ? J’aimerais bien, mais on sait tous les deux que ce sera pas le cas, alors autant passer à autre chose. » Elle était rude, manquait cruellement de délicatesse en cet instant, mais elle savait aussi que rester là à se morfondre ne ferait pas revenir en arrière. Bram était parti. Bram l’avait quitté, lui. Et elle, elle était là pour lui remonter les bretelles. Elle ne le laisserait pas devenir une larve au lieu d’un papillon. Hors de question ! Elle popa son chewing-gum à nouveau, mastiquant grossièrement cette boule rose.

Son téléphone en main, elle laissait défiler les nombreux restaurants se trouvant sur l’appli. Son ongle conduisant la danse et sa nonchalance face aux menus ne l’encourageait pas plus que cela. La loque près d’elle sortie une réponse qui la fit rouler des yeux, claquant encore une fois, POP. « Allez va pour ça. » Elle en avait pas très envie, mais elle le laissait choisir et si elle avait voulu, elle aurait pu commander ailleurs. Seulement, les amis ça se tient et elle décida de l’accompagner dans sa déprime. Ça lui rappelait sa rupture avec Dumbo, pourtant c’était elle qui était partie, elle qui l’avait largué de la façon la plus affreuse qui soit et KFC avait renfloué ses caisses grâce à elle. « Rien n’est à mon épreuve. » Et elle osa. Étirant sa main, elle laissa ses griffes emprisonner sa joue avant de la pincer comme une vieille matante. « C’est qu’il serait tout mimi ce p'tit Reidoudou tout potelé. » Une lune se dessina sur ses lèvres pourpres. Relâchant sa proie, elle battit l’air de sa main avec une assurance détachée. « Au pire, on finira ensemble comme un vieux couple. » Elle donna un petit coup de postérieur à Reid pour qu’il s’amuse un peu. « Moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Le pied, je sais, je sais ! » Un rire au bord des lèvres, elle en mettait des caisses pour tenter de le faire sourire un peu. Essayé de lui remonter le moral et encore moins enfoncé le clou en avouant que de son côté… il y avait peut-être quelqu’un. Malgré tout ce charabia de possibilité, elle trouva un resto qui offrait ce qu’elle aimerait. « Alors, je te prends quoi ? »

Les bruits de mastication et de bulles éphémères lui arrachaient une grimace discrète, mais il n’était pas encore prêt à se mettre ses colocataires à dos pour des broutilles. C’est qu’il avait les nerfs à vif ces derniers temps, et la moindre chose semblait l'agacer sans réelles raisons. Le manque de diplomatie de Billy en était un exemple flagrant. Reid se sentait percuté par des mots créés juste pour lui, avec bienveillance et franchise, mais il aurait préféré qu’elle prenne des pincettes en s’aventurant dans ce sujet. Pourquoi est-ce qu’il ne pourrait pas vivre dans le déni un peu plus longtemps? Cela ne faisait de mal à personne, si ce n’est à lui-même. Reid s’était en effet plu à imaginer des scénarios où Bram reviendrait, un beau discours au bout des lèvres et des bras familiers prêts à l’enlacer et lui faire oublier ces derniers mois. Il savait que ça n’arriverait pas, mais la fantaisie était plus confortable que la dure et cruelle réalité. Passer à autre chose ? Plus facile à dire qu’à faire. « On a été ensemble huit ans » dit-il, une excuse et une justification à la fois. « Je peux pas l'oublier comme ça !»

La taquinerie lui arracha un sourire, bien qu’il balaya sa main d’un léger tapotement, massant sa joue rougie juste pour le principe. Mignon et potelé, à défaut de ne l’avoir jamais été lors d’une enfance faite d’angoisses et de retenue. « ”Reidoudou potelé”, ma nouvelle bio Tinder », voilà qui allait être bien engagé. Un échec en prévision, mais hey, s’il avait Billy sur laquelle se rabattre, il y avait pire comme compagnon de vie. Reid avait aimé les femmes à une époque, avant que Bram ne devienne le centre de sa vie et qu’aucune autre silhouette n’accroche son attention, féminine comme masculine. Reid s’était demandé si, peut-être, il ne tombera plus jamais amoureux d’un homme. Si, peut être, il s’agissait là d’une chance d’avoir une vie un peu plus conventionnelle auprès d’une femme. Il balaya bien vite cette pensée de sa tête, malade face à ces angoisses anciennes où être l’enfant parfait pour ses parents adoptifs était une nécessité absolue. « Tu mérites mieux qu’un lot de consolation » dit-il en lui tapotant la jambe. Il lui prit le téléphone des mains pour faire sa sélection et laisser le sujet mourir naturellement. « Tu veux pas plutôt parler de ta vie romantique à toi pour me distraire du désastre qu’est la mienne ?»

« On a été ensemble huit ans. » répèta-t-elle en posant son regard sur son acolyte. « Huit années et combien de temps avez-vous vécu à distance ? » ronchonna-t-elle un peu en continuant de mastiquer son chewing-gum. Inutile de lui révéler cet agacement qui filtre sur les traits de son ami. Elle l’exaspère et elle s’en moque. Félin indépendant de toute remarque. « Alors ne l’oublie pas, mais arrête de te morfondre ! » Toujours là pour dire les choses comme elles sont, sans pincette. Sans parfum délicat pour adoucir les mots et les pensées. Sur ces paroles, elle se portait son attention à son téléphone, cette petite merveille qui comportait un menu éternel.

Un rire perçant s’échappait d’elle, doux et sans mauvaise intention. Elle l’avait vu sourire et sa répartie n’avait qu’accentuer sa victoire. « Je te dirais met ça sur Grindr. Je suis certaine que y’a des mecs à qui ça plairait un Reidoudou. » Petit surnom qui restera gravé dans le temps et l’espace. Elle n’aurait pas fini de l’utiliser au grand dam de son colocataire. Il avait plus de chance de finir heureux ainsi qu’avec elle. Tirant sur la masse rose qu’elle avait en bouche, Billy posa son regard sur Reid. « Mmmh. J’ai déjà eu ma chance et je l’ai gâchée. » Elle n’en parlait que très peu de cette histoire avec Dumbo, le fait qu’elle n’avait pas eu le courage de remonter l’allée, de lui dire qu’elle voulait passer sa vie avec lui. Les mains vides, la féline observait ses doigts où fut un temps, une alliance ornait son annulaire. C’était étrange de repenser à tout cela, à lui. Dumbo. Ses mains enlacèrent ses bras avant de dévisager le jeune homme. « Qu’est-ce qui te fais dire qu’elle est plus intéressante ma vie amoureuse ? » miaula-t-elle en faisant la moue. Que dire. Elle n’était pas si mauvaise, encore qu’elle eût rencontré quelqu’un. Une histoire qui ne comprenait que son prologue, mais tant de chapitre restait à écrire. Billy ne savait pas comment expliquer tout ce qu’elle avait ressentie en rencontrant Calhoun, mais une chaîne restait. Elle finit par lâcher… « Bon j’ai peut-être rencontré quelqu’un. » C’était tout, tout ce qu’elle arrivait à dire sans laisser une lune niait marquer ses lèvres.