on the mend (victoria)

Deux mois : deux putain de mois, à se taper l’invitée de Victoria à l’accent particulièrement irritant, sa façon de se coincer un cure-dent dans la bouche comme un cowboy ferait avec une paille et à les entendre batifoler et rire super discrètement depuis la porte de chambre en face de la sienne. Ca veut dire deux mois à ne pas bien dormir, à se demander quand est-ce que Mathilda décidera enfin de retourner dans son putain de Tennessee, ou quel que soit le territoire d’où elle vient ; mais ça fait deux mois, aussi, à voir Victoria sourire, se prendre des violentes montées de rouge au joues quand leurs colocataires la questionnent sur son invitée, et prendre soin d’elle d’une façon toute relative mais tout de même plus honnête que Leo ne l’a jamais vue le faire auparavant.
Tout ça, puis plus rien. En l’espace d’une semaine, l’appartement a revêtu un silence de mort qui ne le quitte plus, Victoria semble ne plus quitter son lit et son chat ne vient les gratifier de sa présence que pour chier sur le paillasson avant de repartir dans les bras de sa maîtresse. C’est horrible à dire - et Dieu l’en préserve -, mais Leo en vient presque à regretter l’autre couillonne au cure-dent. Parce que quand elle était là, au moins, elle n’avait pas à entendre Victoria pleurer ou la voir se traîner comme une loque dans sa couette pour aller dans la salle de bains un jour sur trois.

C’est décidé : ça se termine aujourd’hui ou elle déménage. Leo sort son meilleur mac and cheese du four alors qu’elle coince un énième joint entre ses lèvres, mains sur les hanches alors qu’elle entrouvre la porte de sa colocataire pour passer sa tête blonde dans l’encadrement, soudain davantage inquiète et intimidée que réellement colérique. D’un coup toute petite, et foutrement déplacée avec son air de maman inquiète, elle se sent sortir un ridicule : « Hey. » Ça la gêne, de voir les yeux rougis de Victoria ; elle déteste voir autrui pleurer, encore plus quand ça lui pince le cœur de cette manière. Baisser les yeux est incontournable ; s’éclipser et prétendre qu’elle n’a jamais rien dit est foutrement tentant. Mais partir, c’est aussi la laisser seule dans sa morve jusqu’à ce qu’elle crève de faim, et Leo n’est pas de ces gens-là. « There's food in the kitchen if you want some. » C'est sa façon à elle, détournée, de dire qu'elle a préparé à Victoria de quoi manger, qu'elle s'inquiète de la voir dépérir, et que c'est bien la seule dans cette coloc (ou dans sa vie actuelle, tout court) qu'elle ne tolère pas de voir dans cet état. Mais loin d'elle l'idée de l'exprimer autrement qu'avec un commentaire dénué de sentiments ou de précautions. Au lieu de ça, elle prend une nouvelle taffe de son joint, entrouvre un peu plus la porte, adresse un hochement de tête presque craintif à Captain Ronron qui la détaille avec une méfiance teintée de respect. « Wanna come and keep me company? » finit-elle par demander, timidement, clope au bec en guise de défense ultime, parce que Leo ne sait pas bien faire autrement, et demander ouvertement à Victoria si elle veut passer du temps avec elle lui semble absurde au mieux.
@Victoria Pearson

Victoria n’a pas envie de sortir du lit, ni de la chambre, ni de la tristesse - c’est la même réponse depuis plusieurs jours et Leo a été tentée d’arrêter plusieurs fois. Ce n’est pas son problème, après tout ; pas ses affaires, pas sa pote, pas sa relation. C’est au plus sa coloc, et elle ne veut rien avoir à faire avec ce genre de dramas qui n’attirent ni son regard ni sa curiosité. Mais voilà : Victoria a été là pour elle, d’une façon plus douce et moins frontale, toujours en filigrane, et Leo n’a jamais su lui retourner la pareille. C’est aujourd’hui ou jamais - et ce qu’importe son profond désarroi et son impression flagrante d’inutilité complète. « I mean, you don’t have to eat, you can just sit your ass and put an appearance for a few minutes. » Elle joue les détachées, Leo, parce qu’elle n’est pas douée pour se faire du souci et que la pression sociale de jouer des sourcils et de revêtir un petit sourire désolé lui pèse franchement, et qu’elle a autre chose à foutre qu’essayer de s’y plier. Faire manger la femme face à elle qui se laisse crever, par exemple. « Just some shrimp and grits, actually, nothing too fancy, but Marilyn is from South Carolina and I thought she'd like the gesture. » Pas besoin de montrer la marmite pour que Victoria devine qu’il y en a assez pour trois, voire même pour quinze - elle s’est levée à 6h pour réunir tous les ingrédients et faire assez à bouffer pour s’isoler dans un bunker en cas d’attaque nucléaire avec assez de bouffe pour passer l’hiver, telle est la coutume.

Blondie sort deux bols qu’elle remplit à ras-bord, davantage encore pour Victoria que pour elle, lui lançant une oeillade de biais : « You know, getting out of bed and actually seeing the sun is good for you. » Captain Ronron grimpe sur la table pour sentir les crevettes de plus près, et Leo l’admonestie gentiment en le prenant dans ses bras pour lui faire retrouver le sol. « I don't want to sound like an overbearing mom. You're a big girl. » Elle pose les bols sur la table et merde, elle sonne vraiment comme une daronne envahissante. « But a big girl needs food and water and generally speaking oxygen to survive. And judging by the smell in your room you're not getting much of that, either. » Elle se rend compte distraitement qu’en l’absence de Victoria pour l’en empêcher, le salon s’est mis à sentir une odeur très distincte de weed. Comme dans l’espoir de noyer le poisson, Leo se penche par-dessus la table, une cuillère à la main qu’elle tend à la jeune femme : « Mathilda left, huh? »
@Victoria Esteves