cozy ((beau))

Rien à faire ! Mon rire résonne dans la petite pâtisserie. Mélodieux chant que l’on entend rarement de ma part. Plus habituée à sourire qu’à laisser ma voix se faire entendre de tous. En tout cas, rien qui ne soit fait aussi librement. Tintement du cristal qui chante son euphorie me donne une apparence sans doute plus sympathique face à lui. Lui que je tolère, mais qui fini toujours par m’exaspérer. Il semble exister que pour me faire lever les yeux au ciel. Seulement, tout cela à lieu parce que je le trouve beaucoup trop sérieux. Hop ! Je n’avais pas pu résister à l’envie de lui retirer cet air. Le rendre comme à son habitude, détestable et macho. Main qui prit une poignée dans le sac de farine, je lui lançais au visage. Homme sérieux devint blanc comme neige ! Hourra pour moi ! Avec une tête comme celle-ci, elle valait bien son pesant d’or. C’est ainsi que je me retrouve à rire, gloussant de plus en plus fort, sempiternel rire qui ne veut pas mourir une fois lancé. Sous son regard ébahi je lâche un petit rire de cochonnet qui me surprit à un point que je me sens tomber à la renverse de mon tabouret. Je remercie le destin d’avoir mit une salopette. Les jambes battant dans l’air, je ne trouve pas la force de m’arrêter de rire. C’est étrange… Je crois que je n’ai pas ris autant depuis… depuis leur disparition. Même Tomás n’y arrive pas et là, il a suffit que je balance de la farine à sa belle gueule ! Comme quoi le monde est étrange. Ou bien que les miracles sont possibles ! Non. Je ne lui donnerai jamais autant d’importance… Tornade de cette poudreuse blanche foncé sur moi, je ne peux m’empêcher de rire encore et encore. J’en ai mal au ventre, mais je ne contrôle plus rien.

Mes orbes se posent sur lui, Adonis des rêves de tant de gens, mais pas des miens. Je ne connais pas la maladie du cœur, ni la chaleur des reins à la vue d’un homme comme lui. Je garde peut-être trop en mémoire ce quatuor d’idiots qu’ils formaient au lycée. Aucune compassion quand je sais qu’au fond ils se moquaient de la gamine que j’étais. La voix inconnue, le regard muet, les gestes inexistants, j’étais la gamine aux cahiers remplis de dialogues pour formuler mes pensées. Ça n’avait rien de facile à cet époque et par moment je me demande vraiment comment on a fait pour devenir ami. Je me demande parfois si tout cela n’est pas simplement fictif comme l’archipel d’un rêve isolé. Prince de vingt-trois ans rôdant sur le sable de cette plage toute aussi fictive que le plus beau rêve. Billes toisant ce visage blanc, sous ma poitrine un battement manque le rythme, interrompant mon rire. Je sais pourquoi on s’est rapproché… Je me sens en sécurité aujourd’hui lorsque je suis près de lui. C’est idiot ! Une critique que je me formule, parce que c’est de la folie. Cupidon n’a pas joué de sa flèche sur nous ! Je le renierai toujours, aucune chance ! J’empoigne finalement sa main et me redresse, mes cheveux blonds décoiffés comme une furie. Poche de ma salopette qui laisse entrevoir un emballage de cadeau. Je le sors de celle-ci, paquet petit mais somptueusement emballé dans un papier couvert de flocon. Je lui tends en haussant les épaules. J’ai pensé à lui en voyant cette chaîne, je l’ai acheté, mais ce n’est pas un cadeau de Noël, non non ! Puis une odeur de gazoline caresse mes narines, fronçant le nez je m’empresse de pointer du doigt la cabine où cuit les cookies.

Il existe bien d’autres manières de passer les fêtes de fin d’année, qu’il soit véritablement Noël ou non, d’ailleurs. Est-ce si important que cela, de célébrer cette occasion le vingt-quatre décembre au soir ou le vingt-cinq décembre au petit matin ? J’aurais pu sortir le grand jeu pour l’occasion, rares sont les fois où je prends véritablement part aux festivités qui me sont interdites depuis que ma famille… N’existe plus vraiment. Ma mère ? Elle est toujours occupée ailleurs, à l’autre bout du monde ou plus près que nous ne voulons bien l’admettre. Toi, et toi seul contre le monde, en définitive. Toi, et tes amis… J’aurais pu faire bien des choses, mais j’ai préféré opter pour un programme simple, articulé autour de ma passion pour la pâtisserie. Un moment de partage, d’échange intime là où la superficialité et les apparences n’entrent jamais en ligne de compte, pas même pour moi. Je ne suis jamais aussi sincère que lorsque j’ai les mains occupées par une poche à douille, le regard pourvu d’étoiles que seule la pâtisserie parvient à faire jaillir là où mon cœur meurtri a, semble-t-il, tout emporté par le passé. J’ai promis à cette amie la plus improbable qu’elle aurait droit à toutes les douceurs sucrées de son choix et je compte bien tenir parole. N’est-ce pas le meilleur présent que je pourrais lui faire ? Il s’agirait à coup sûr d’un cadeau exceptionnel si je ne la faisais pas durement travailler depuis tout à l’heure. Pourquoi ? Parce qu’il est hors de question qu’elle se rince l’œil pendant que je fais tout le travail. C’est aussi cela, ma vision des fêtes. Un moment de partage, rien que tous les deux. Les jolies tenues viendront peut-être plus tard, la soirée est encore jeune, mais pour l’heure… Tu l’entends éclater de rire avant de réaliser la teneur de cet acte odieux qu’elle vient de commettre, comme une déclaration de guerre. La poudre blanche voltige dans les airs, se fraie un chemin privilégié sur mon visage après avoir très largement dévalé mes cheveux et ne manque pas d’élire domicile au creux de ma barbe. Je relève la tête tout doucement, comme choqué… Peut-être même interdit. T’es surtout amusé par cette petite voix que tu n’as pas l’habitude d’entendre, ce timbre d’une clarté insoupçonné que tu aimes tant entendre résonner de la sorte ! Elle bascule sur son tabouret et mes meilleurs réflexes ne l’empêchent malheureusement pas d’éviter une chute magistrale qui me fait exploser de rire à mon tour et noter, taquin : « On appelle cela le Karma ! » J’en sais quelque chose, ne suis-je pas condamné à un destin tragique pour les mêmes raisons ? « Rien de cassé ? » Je m’assure malgré tout, soucieux qu’il ne puisse surtout rien lui arriver.

Elle se redresse et dégaine un emballage qu’elle tend dans ma direction. La surprise, c’est ce qui me gagne en premier, avant de laisser apparaitre une très légère couche de rouge sur mes traits. Tu n’as pas l’habitude qu’on te réserve des attentions comme celle-ci… Tu ne sais même plus comment réagir. « T’es drôlement canon pour un Père Noël, on m’aurait menti sur sa véritable identité pendant toutes ces années ? » Être beauf, le must pour dissimuler la moindre émotion très rapidement, le tout avec une efficacité redoutable ! « Je t’ai préparé quelque chose aussi, mais je te le réserve pour plus tard, dans la soirée ! » En attendant, je la regarde, hésitant. Dois-je l’ouvrir maintenant ? Son regard dévie et entraine le mien dans la foulée, puisqu’elle me fait signe du doigt. Les cookies, ceux que j’ai oublié avec toute cette poudre sacrifiée sur l’autel d’une attaque ô combien odieuse ! « Merde ! » Je m’élance près du four et tire la porte vers l’arrière, le temps de récupérer la plaque sur laquelle les cookies ont eu le temps de prendre de jolies couleurs, bien plus qu’habituellement. Indigne de ma fonction, clairement ! Je grimace, l’air désolé. « Ils seront moins mous que d’habitude… Mais j’crois que t’aimes quand ça croustille alors… »