another day, another pain -- Sofia

Il y a des jours où tout va bien, où elle oublie, n’y pense plus. Certains jours les couloirs de l’hôpital ne sont que cela, des couloirs, son lieu de travail. Ils ne cachent rien d’autre, aucune tristesse qui lui est personnelle, aucun regret, aucune question. Ces jours-là sont les meilleurs et malheureusement ils ne viennent pas quotidiennement. En une semaine, il y a aussi des journées lourdes, éreintantes, étouffantes. Ses bras se couvrent de frissons lorsqu’elle passe devant la chambre que Seoirse a occupée quelques semaines plus tôt, et elle ne voit plus les urgences de la même manière. L’image de Mike arrivant sur un brancard est gravée dans sa mémoire, et il semblerait que rien ne puisse vraiment la chasser. Ses collègues comprennent, évidemment, tout le monde est patient, lui offre des sourires compatissants, mais c’est sans doute ce qu’il y a de pire. Ca l’a met hors d’elle Gina, parce qu’elle n’en veut pas de leur pitié. Oui, elle est la pauvre femme qui a perdu son mari dans un accident de voiture. Ça arrive. Il suffit de regarder tout autour, dans chaque recoin de cet hôpital, pour voir que des gens perdent leurs proches. Son malheur n’est pas unique, alors elle aimerait qu’on arrête de la traiter comme si c’était le cas. Elle veut juste avancer Gina, voir ses enfants reprendre des forces, retrouver leurs sourires. Qu’importe si elle s’endort en pleurant dans son lit vide, qu’importe si ses pensées se tournent vers un autre homme. C’est plus simple de se concentrer sur les autres, d’être là pour eux, plutôt que pour soi-même.

Aujourd’hui c’est bien l’une de ces journées où elle en a assez. La matinée vient de s’écouler aussi lentement qu’une décennie, sa patiente a atteint toutes sortes de limites. Elle voudrait claquer les portes, rentrer chez elle pour ne pas crier sur certains patients. Mais elle prend sur elle, utilise toute la bonté de son être et soupire un grand coup quand elle arrive enfin dans la cafétéria. Il faut se dire que ces derniers temps elle n’a pas vraiment pris le temps de cuisiner à l’avance, elle ne prévoit pas ses repas du midi, elle n’a plus vraiment de goût. La nourriture de l’hôpital est ce qu’elle est, mais ça lui suffit. Son regard passe d’une table à l’autre, jusqu’à voir Sofia, déjà assise avec une assiette face à elle. Hésitation qui dure quelques secondes, avant qu’elle ne sourit et la rejoigne. Ça demande des efforts, mais elle ne peut pas s’enfermer dans une bulle, il faut bien qu’elle reste en contact avec des gens. Et qui de mieux qu’une amie de longue date ? « Hey, comment tu vas ? » Axer la conversation sur la brune dès qu’elle s’installe face à elle, sourire toujours posé aux coins des lèvres. « Toi aussi tu as l’impression que la journée est affreusement longue ? » Dans tous les boulots c’est comme ça, certains jours on ne les sent pas, l’humeur générale est pesante, pas entraînante.