the loneliest time (johanna)

S'il fallait être honnête, c'était plus une flemme flagrante qu'une incapacité crasse à s'occuper d'elle même : Ianthe était indépendante depuis trop longtemps pour ignorer comment survivre en se faisant des pâtes, et se sentir redevable auprès de quelqu'un pour lui faire gagner une dizaine de minutes dans sa journée n'était pas tant à son goût. Sa mère ne lui avait pas appris grand-chose, mais au moins avait-elle pris soin d'enseigner à sa fille l'art et la manière de faire des tambouilles non nocives pour la santé avec des fonds de placards en relativement bon état. Non, c'était davantage l'envie de profiter des talents de quelqu'un d'autre plutôt que de perdre son temps à concocter un met dégueulasse et imbouffable. Surtout, et cette partie là, elle ne l'admettrait pas : son implacable envie de présence et de proximité avec autrui l'empêchait de rester seule trop longtemps face à une assiette. L'idée était dure, impossible à avaler ; Ianthe avait besoin d'être entourée à tout instant pour ne pas se laisser aller à des pensées néfastes, et bien souvent, c'était Johanna qui faisait le mieux le taf – peut-être parce que, à son contraire, elle ne disait rien, la fixait avec cet air entre jugement et compassion mal assumée et qu'Ianthe prenait toute la place dans la conversation (et le frigo) sans grande protestation.

« Hey babes », qu'elle lâche à peine la porte ouverte après qu'elle ait sonné, abandonnant son sac de boulot digne de celui d'une écolière dans l'entrée comme si elle rentrait chez sa mère après une journée au collège – elle en serait le portrait parfait, si elle ne faisait pas deux têtes de plus que ladite mère et qu'elle ne venait pas simplement dévaliser sa cuisine avant de repartir sans date de venue prochaine. « Missed me, I hope. » Elle n'était même pas sûre d'avoir prévenu Johanna ni de son départ en Égypte, ni de son retour – c'était rare qu'elle pense à prévenir, et plus commun qu'elle crise si on lui faisait la même chose. « I brought some stuff, just as I promised. » Le sac lâché dans l'entrée retrouve d'un coup tout son intérêt alors qu'elle jette un coup d'oeil en sa direction, lui qui contient un vase en albâtre authentifié et un t-shirt à la con avec la sale tête de Toutankhamon dessinée dessus. Elle s'y replie pour extirper le petit vase et le tendre à son hôte improvisée : « It's an alabaster jar. A real one, at that. I had to fight off the mafia and sell like, three kidneys to get it at an auction. » Elle n'en précise pas plus, dérive sur l'humour pour éviter le sérieux. « So you can store more food for me when I come over », qu'elle justifie gracieusement, un peu trop embarrassée à l'idée de faire un cadeau à cette femme qu'elle ne connaît finalement que très peu. « I got your roomie a shirt. Believe it or not, but King Tut was wearing it when he died. »

@Johanna Huang