welcome to my island (alexis)

C’était relativement rare, qu’Ianthe se bouge les fesses et se dévoue à quelque chose qui n’était pas destiné à sa propre satisfaction ; aussi est-elle presque surprise de sa propre consécration à faire un plat beaucoup trop large de salade de tomates et d’avocats avec à peu près tout ce qu’elle a pu trouver à la supérette en bas de chez elle. Elle a goûté dix fois pour être sûre, fait le tour de toutes les allergies possibles qu’elle devait potentiellement éviter, et rempli soigneusement les tupperwares régulièrement volés à ses hôtesses. Ianthe n’est pas une femme à stress ; elle est même plutôt l’inverse, du genre à se prendre un coup de pression en dernière minute en se rendant compte qu’elle a oublié quelque chose d’important - jusqu’à se souvenir que, globalement, elle s’en fout, et retourner à sa nonchalance chronique et parfois maladive.

Pas ce soir. Ni pour se préparer, ni pour sortir ses plus belles fringues (et sous-vêtements, on sait jamais) ou son meilleur maquillage. Si on lui demande à quelle heure elle s’est levée, elle répondra probablement dix-sept heures plutôt que quatre heures du matin - c’est un peu plus socialement acceptable dans le cadre d’un premier date. Son flegme habituel la dédouanera certainement de toute suspicion quant à son taux de fatigue - elle a toujours l’air crevée pour des raisons obscures, et elle s’appliquera volontiers à ne pas laisser filtrer que c’est son possible date-non-date avec Alexis qui la fout dans cet état. Il en va de la santé déjà fragile de son ego surdimensionné.

Pourtant voilà les faits : elle monte jusqu’à leur appartement en ascenseur et se retrouve quand même à bout de souffle, le coeur battant trop fort alors qu’elle hésite à cogner à la porte avec sa prothèse, son bras valide tremblant sous le poids des tupperwares remplis à ras-bord. C’est qu’un putain de premier date - même pas - un date-pas-date - pourtant, se morigène-t-elle, avec une naine renfrognée et une maman hautaine en arrière-plan, trois fois rien et certainement pas de quoi se faire un sang d’encre. Mais y a quelque chose dans le fait que ce soit Alexis, que ce soit un vrai date et pas juste un possible plan cul sans nouvelles ni affection derrière qui complique tout, qui la jette hors de sa zone de confort et qui la retourne, un peu, presque trop. A moins que ce ne soit qu’Alexis, son sourire timide quand elle lui ouvre, à des lieues de la semi-confiance qu’elle laissait poindre dans leurs échanges par message, le rouge adorable qui lui grimpe aux joues et qui se reproduit immédiatement sur celles d’Ianthe, bien hors de son contrôle. « Hey », se retrouve-t-elle à marmonner comme une ado en crush sur le plus beau jock du lycée, lui offrant un grand sourire avant que ses yeux ne plongent vers ses pieds. « Hope I’m not too late. I brought food, Twix candies, Smash Bros and boxing gloves. » Sa main valide relève le sac pour le désigner. « I’m glad we’re doing this. I couldn’t wait to spend some time with you. » Et le coeur repart de plus belle, la tabasse gratuitement un bon coup avant qu’elle n’ajoute, sourire narquois se dessinant sur ses traits : « And them, obviously. »

@Alexis Thornton

Les cliquetis de l’horloge se mêlent aux battements de ton cœur. Chaque minute semble plus pénible que la précédente car tu n’es plus capable d’étouffer ton anticipation. Votre date-pas-date arrive à grand pas. Malgré ton agitation croissante, tu enfiles ton t-shirt sur lequel est imprimé le visage reconstitué de Toutankhamon, nouveau joyau de ta grade robe. Bien qu’il s’agisse d’un date-pas-date, tu laisses de côté tes salopettes et joggings pour te vêtir d’un jean noir qui mettent tes formes en valeur. Tu veux faire bon impression – plus que ça, tu veux lui plaire. Différence notable. Face à ton miroir, tu prends quelques photos pour les envoyer à Noelle afin qu’elle te donne son avis. Sa réponse ne te surprend pas puisqu’elle s’invective de ton choix de t-shirt (commentaire que tu ignores simplement). Hormis cette différence d’opinion, elle te rassure et approuve ta tenue. Soupir de soulagement. Tu t’inspectes une dernière fois. You are enough. Tu te le répètes pour ne pas oublier mais surtout pour ne pas te faire engloutir par l’incertitude. Tu ne feras pas gagner ton père aujourd’hui. Pour la dixième fois, tu passes un coup de chiffon sur les comptoirs, replacent les couverts sur la table afin qu’ils soient correctement alignés, époussettent les meubles pour ne laisser aucune chance à la poussière. Tu es un univers en effervescence.
  
Ton verre de mocktail à la main, tu tentes de masquer ton agitation face à Johanna et Clémentine, que tu rencontres pour la première fois. Médiocre actrice, tu peines à t’investir dans leur conversation, trop occupée à surveiller l’heure toutes les trois minutes. Tu sursautes alors que la sonnerie résonne dans tout l’appartement jusque dans tes os. Sans même réfléchir, tu te diriges comme une flèche en direction de la porte, essuyant tes mains moites de nervosité sur ton jean. La porte s’ouvre, ton visage s’illumine. Tu ne te souviens plus quand ton sourire est apparu. Tu dois avoir l’air d’une guirlande. « Hi. » Elle se dresse devant toi comme dans un rêve, éblouissante. Au creux de ton ventre virevoltent des papillons incandescents. À cet instant précis, tu es prise au dépourvu par l’émoi que l’arrivée d’Ianthe provoque en toi. « You’re right on time. You really brought a lot of stuff uh, even the boxing gloves. » Un petit rire complice t’échappe alors que ton cœur se gonfle de tendresse. Tu lui sommes intimement de se calmer. « I couldn’t wait either. I’m glad we’re doing this, you have no idea. » Tu relèves timidement le regard pour le baisser aussitôt, décontenancée par ta propre impatience. « Yeah, I think they’re almost as eager as we are. » L’ironie teinte tes propos, qui rejoignent ceux d’Ianthe. Les deux autres protagonistes sirotent leurs vins à quelques mètres de votre cellule. Deux paires d’yeux scrutateurs vous transpercent, elles vous jaugent silencieusement. Tu avais presque oublié que vous n’étiez pas seules. « Let me help you with that. » Tu la débarasses de son fardeau, avant d’ajouter : « By the way, you look amazing. » Le souffle te manque alors que tu prononces les dernières syllabes. Tes joues déjà roses prennent une teinte rouge carmin et tu t’empresses de ne pas laisser se diffuser ton propre embarras. « Come in. » Sans réfléchir, tu saisis sa main valide avec douceur, similaire à une caresse, afin de l’entraîner dans le ventre de l’appartement.  

@Ianthe Braddock

Le rouge de leurs joues se reflète en miroir et Ianthe le remarque à peine, trop occupée à poser son regard partout, sauf sur sa vis-à-vis ; elle est curieusement timide, face à cette jeune femme qu’elle voit pour la première fois d’une différente façon que toutes les précédentes. Elles se sont croisées une quantité sûrement impressionnante de fois, pourtant, sans qu’Ianthe n’éprouve le besoin de faire preuve de modestie, et c’est sûrement ça, le malaise : qu’a-t-elle pu bien dire, en sa présence, comme inepties sûrement un peu vexantes et franchement connes ? Si Alexis les a retenues et lui en a tenu rigueur, en tout cas, elle ne le montre pas. « Wasn’t gonna forget the boxing gloves », qu’elle renchérit d’un air entendu, sourire en coin, quand son hôte remarque l’épaisseur du sac. C’est en constatant l’air ravi d’Alexis qu’elle s’autorise à confier sa hâte et sa joie d’être ici - joie partagée, mais de toute évidence pas par les chaperonnes qu’elles doivent supporter ce soir. En arrière-plan, Clementine et Johanna sont l’incarnation d’une peinture de la Cène, des condamnées à mort qui les fixent de biais en attendant que quelqu’un, qui que ce soit, mette fin au supplice.

Ianthe ne compte pas leur donner cette satisfaction.

Le sac rejoint prestement les mains d’une Alexis soucieuse de la libérer alors qu’elle entre dans l’appartement avec l’impression de le voir pour la première fois ; peut-être est-ce l’attention notable accordée au ménage, peut-être est-ce le contexte. Elle reporte pourtant ses yeux en direction de la rousse lorsque celle-ci lui offre un compliment, et elle tâche de reprendre ses esprits (putain, comme si rougir n’était pas dix kilomètres en-dessous d’elle) pour lui retourner un sourire de connivence en coin : « It’s the red, isn’t it? » Le fameux rouge demandé avant de partir, qu’elle désigne d’un doigt pointé en direction de son eyeliner. Le doigt mécanique se déplie et se tend avec une demi-seconde de retard, mais Ianthe est déjà passée à autre chose - nommément, la main qui saisit la sienne, et elle doit s’exhorter à ne pas entremêler leurs doigts - ce serait pourtant si naturel que ça lui fout le vertige. « But I mean, did you look at yourself? » C’est plus fort qu’elle ; forcément, quand Alexis se détourne, ses yeux longent sa silhouette, du t-shirt à ses jambes ; elle ne l’a jamais perçue autrement que comme la colocataire de Johanna, parce qu’elle n’a jamais eu à le faire et qu’Ianthe a tendance à ne pas percevoir autre chose qu’elle-même, quand elle le veut. Force est de constater qu’elle aurait beaucoup mieux vécu le crush soudain si elle l’avait remarqué avant d’être mise au pied du mur. « You’re gorgeous. » C’est ni maquillé ni poli ; c’est tout ce qu’il y a de plus sincère et ça ravive le pourpre sur son visage, mais elle ne baisse pas les yeux, cette fois. « Nice shirt, by the way. Whoever got it for you has immaculate taste. » Le sourire en coin se fait plus goguenard, sourcils haussés sur son front comme pour signifier une véritable question. « Um, perhaps now’s a good time to mention I’m not sure the food’s gonna be any good », la blonde se sent obligée de préciser, d’un geste du menton en direction du sac. « It’s salad - wasn’t sure if you had food intolerances or if you were vegan, so I thought it was better playing on the safe side. » Ca, et elle n’aurait pas su cuisiner plus compliqué si sa vie en dépendait. « But it’s worth mentioning the sauce looked funky. » Elle plisse le nez, déjà désolée. « And so I bought other stuff, because I thought it’d be fun if we…cooked, I guess. If you’re in. » Coup d’oeil rapide en direction de leurs mains toujours liées, le pouce valide d’Ianthe caressant le dos de la main de la jeune femme. « Or we can just hold hands and starve. I honestly wouldn’t complain. »

@Alexis Thornton