(Aoden) Le sujet tabou

Il ne sait pas vraiment ce qu’il fait là. Aoden lui a demandé de venir lui rendre visite au manoir pour parler. Il se tient donc devant la grande porte d’entrée, les épaules basses, le visage dégarni de son sourire, sa main droite tripotant anxieusement la flasque qu’il a achetée récemment. Un véritable cliché, mais c’est tout ce qui lui permet de tenir, ces derniers temps. Il se contrôle et résiste à la tentation de soulager sa peine par un moyen que, jusque-là, il trouvait minable, mais il faut bien avouer que l’esprit embrumé chasse bien des pensées, comme le fait qu’il n’a pas vu le visage de sa femme depuis deux jours, et que ça lui déchire le coeur de la voir lui tourner le dos. Il secoue la tête, tâchant de bloquer toute réflexion qui l’embarquerait trop profondément dans une mélancolie qui n’est pas à propos pour l’instant. Il a fait tant d’efforts jusqu’à maintenant pour faire comme si tout allait bien, ne pas montrer, du moins, que sa femme et lui ne sont plus que des étrangers l’un pour l’autre, qu’il s’enfonce dans un trou noir qu’il n’aurait jamais cru venir. Au lieu de ça, il affiche ses plus beaux sourires, un peu tordus, certes, mais c’est tout ce qu’il a jamais su faire. Sourire pour s’empêcher de pleurer.

Il se laisse encore un instant de répit, inspire profondément, lâche enfin la flasque à l’intérieur de sa poche, puis parvient enfin à sonner à la porte du manoir, reprenant le sourire que tout le monde lui connaît pour sauver les apparences. Il n’a à attendre que quelques instants avant qu’on ne vienne lui ouvrir et qu’on le fasse rentrer. Cette invitation à discuter l’angoisse un peu, bien meilleur auditeur qu’orateur, mais ça ne doit pas être si sérieux, si ? Il rejoint bien vite Aoden et s’approche de lui avec un large sourire aux lèvres pour lui faire une accolade et le saluer. « Comment tu vas ? Tu voulais me parler ? Un nouveau plan pour faire craquer Liv ? » Ça le soulagerait que ça ne soit qu’un moyen de le ramener ici pour discuter d’un plan machiavélique pour embêter son frère et ses sœurs. Mais quelque chose lui dit qu’il s’agit d’un sujet bien plus sérieux qu’il n’est pas sûr de vouloir connaître.