take me back to the night we met (crystem)

take me to the night we met
nouvelles-orléans • @crystal reyes

Les midis avaient toujours été une constante agitation dans le petit diner, fraichement ouvert. Les touristes de passage adoraient s’y prélasser entre deux visites de la ville musicale. Les locaux dans leur vie trépidante ne manquaient pas à l’appel et finissaient de remplir les trous laissés ici et là sur les tables. L’ambiance était pourtant bonne enfant et les conversations n’étaient qu’un brouhaha plaisait pour les employés qui se démenaient à servir chaque client comme un roi. Les plats se succédaient sur les plateaux jusqu’aux tables demandées sans qu’aucun plat ne soit renversé – ce qui déclenchait pourtant toujours une liesse de cris de joie, tradition assez ancrée à présent dans le petit diner. Chaque employé avait sa part de maladresse et n’était blâmé. C’était peut-être ça que recherchaient les gens venus se détendre entre deux. Un endroit sympathique où la bonne humeur était le seul maître mot. En fond la musique se débattait entre des airs de jazz bien connus et des musiques bien américaines des années 50. Un mélange assez festif aux couleurs de la propriétaire. Cette dernière ne quittait pas le bar et s’acharnait autant que ses employés derrière les coulisses pour tenter de satisfaire chacun de ses clients. Cette ambiance plaisait à Jem, il n’avait le temps pour penser outre-mesure et n’était dédié qu’aux taches qu’on lui demandait, presque par automatisme. Mettant sur le comptoir deux tasses de café fraichement préparées avec la machine à café derrière lui, il prit la commande prochaine de dessert laissée par la serveuse. Un chocolat chaud, ce n’était pas compliqué. Pourtant, alors qu’il n’eut le temps de faire un mouvement vers la machine, une main vint lui retirer le petit bout de papier. « Laisse-moi faire ça. » lui dit Maddie, petite blonde propriétaire. Il ne protesta pas. Il y avait assez de monde dans le petit diner pour qu’il s’occupe avec autre chose. Ce qu’elle lui confirma elle-même. « Tu peux t’occuper de la table numéro dix ? Noah a appelé, il a un cours surprise et Emma est déjà débordée. » continua-t-elle alors en sortant une tasse propre de sous le bar pour procéder à sa commande. Effectivement, la pauvre petite brune naviguait entre les tables à une vitesse assez impressionnante mais jamais elle ne pourrait servir tous les clients en même temps. Cela ne le gênait pas de naviguer ainsi parfois entre les postes. Le petit endroit n’employait pas une dizaine de personnes et il arrivait que certains doivent assurer plusieurs postes quand quelques imprévus étaient au rendez-vous. Jem connaissait parfaitement les rouages d’une hiérarchie tant en salle qu’en cuisine. C’était bien trop strict et organisé – à juste titre certes, mais il adorait cette ambivalence qui caractérisait aussi ce diner. « Bien chef. » répondit-il avec un sourire. Il se pencha un peu sur le bar pour attraper l’un des plateaux noirs vides. Il sortit de sa poche de pantalon un petit carnet noir avec un petit crayon qu’il gardait toujours là au cas où. Cela lui rappelait presque ses premières années d’études où il avait dû faire garçon de café le temps de ses études pour les payer. Douces années qui semblaient être une éternité à présent. Il se dirigea vers le petit espace oublié par une serveuse bien trop débordée avec son propre carré. Noah devait avoir une urgence scolaire bien importante pour déserter son poste – lui qui était si maladroit mais toujours à l’heure quoi qu’il arrivait. Ils devraient néanmoins tous s’en sortir. Ils en avaient vu d’autres et ce n’était pas quelques clients impatients en plus qui allaient les faire plier. S’approchant, il ne fit pas tellement attention aux personnes attablées pour se concentrer avant tout sur son propre carnet. « Bonjour ! Excusez-nous de l’attente, il nous manque un serveur ce midi. » annonça-t-il alors tout en notant sur son bout de papier le numéro et le nombre de convives attablés. Il est vrai qu’avec toutes ses années de pratique, ce carnet n’était pas forcément indispensable et sa mémoire aurait suffi. Il préférait néanmoins éviter les confusions et au moins resterait-il des preuves si parfois un client se montrait un peu trop confus. C’était des choses apprises à New York, ne jamais laisser des choses dans l’air, c’était un moyen de laisser une marge d’erreur trop importante. « Qu’est-ce qui vous fera … » Ses yeux se détachent de son carnet pour tomber sur… elle. Comme un vortex qui l’aspire tout entier, lui et son cœur. Une claque en plein visage n’arriverait à faire cet effet-là. Une sensation qui compresse automatiquement son myocarde. Ces longs cheveux bruns qui encadraient son visage en cœur dans lesquels il avait plongé ses mains tant de fois. Ses lèvres pulpeuses dont il sentait même après des années le gout fruité. Ses yeux de biches qu’il avait tant de fois observés. Il ne pouvait se tromper. Son corps réagissait même avant qu'il n'en prenne vraiment conscience. « …plaisir. » Dernier mot presque soufflé sur ses lèvres, presque en automatisme. Ses prunelles n’arrivent à se détacher de ce visage qu’il a autrefois bien connu. Des traits qu’il connaissait même encore par cœur et qu’il pourrait distinguer parmi tant d’autres. S’il ne se savait aussi bien réveillé, il se pincerait presque pour chasser toute cette vision onirique. Mais elle se tenait là devant lui, comme si… si rien n’était arrivé ? Comme si tout allait bien plutôt ? Il ne savait même plus. Il ne croyait pas à sa présence dans une ville qu’elle avait semblé détester quelques années auparavant. Elle était pourtant bien là, songe rêveur qui était pleinement dans la réalité. Devenait-il fou finalement ? Avait-il trop travaillé qu’il perdait l’ancrage dans la réalité et un semblant de ressemblance devenait une véritable vision ? Ces quelques secondes d’arrêt parurent des heures dans son myocarde qui n’arrivait à battre correctement, tantôt courant à folle vitesse, tantôt se paralysant à l’agonie. Quelle ironie de la voir ainsi, elle cliente et lui la servant. C’était l’exacte configuration de la nuit où ils s’étaient tous deux rencontrés il y a cinq ans environ. Le destin se fichait littéralement d’eux, leurs riant éhontément à la figure. « Excusez-moi une seconde. » put-il simplement articuler en se retirant vers les cuisines, son carnet et son plateau toujours dans les mains. Il n’allait pas faire ça, il ne pouvait pas faire ça. Dans sa poitrine, son myocarde était proche de faillir. Comment ? Pourquoi ? Tant de questions se bousculaient dans son crâne, qu’il en avait presque la nausée. Dans le minuscule couloir menant aux cuisines, il respirait à peine mieux. Un an. Il avait cru avoir dépassé tout ça, il avait cru pouvoir s’en ficher si jamais cela arrivait. Pourtant, une éternité entière n’aurait surement fallu pour endiguer le poids qu’il trainait depuis leur dernière rencontre. Passant ses mains sur son visage, il aurait presque envie d’hurler. Dans un sens, il se sentait tellement ridicule. Ridicule de réagir ainsi après un an. Ce n’était qu’une faiblesse d’inattention, un effet de surprise qui avait réussi à le déstabiliser. Il avait juste à se reprendre. D’un coin de l’œil, il vit Maddie garder un œil inquiet vers lui, à travers la petite fenêtre de la porte. Si elle savait. Mais il allait y arriver. Il allait retourner à cette table et faire son travail. Il en avait vu d’autres. Il se savait professionnel. Tout se passerait bien. Que pourrait-il réellement se passer. Elle n’était pas seule, les autres feraient surement la conversation. Des plats à noter et jamais plus, ils ne se rêveraient surement. C’était mieux ainsi. Chacun reprendrait sa route comme si de rien n’était. Pourtant, alors qu’il franchissait à nouveau les portes vers la salle, son cœur battait toujours autant dans sa poitrine malgré son visage de marbre. Chaque battement irradiait son être d’une douleur lancinante. Son esprit s’arrêtait de penser, malgré ce qui tentait inlassablement de revenir à lui. Réminiscence douce-amère d’un passé qui hantait encore leurs deux âmes.

take me back to the night we met
@Jem Cooper

Une journée comme les autres certains diraient, pour Crystal c’était la même routine depuis son arrivée et elle ne s’en plaignait pas, ces habitudes qu’elle commençait à prendre devenaient presque un point d’encrage. Les journées semblaient se ressembler, elles commençaient la même heure, même rituel pour se préparer avant de prendre son petit déjeuner, ne sautant jamais ce que l’on appelait le repas le plus important de la journée, elle savait que si elle n’en prenait pas elle aurait du mal à se concentrer correctement, avant de se mettre en route pour le travail. Elle avait commencé à prendre ses marques depuis son arrivée, les lieux lui paraissaient plus familiers, elle commençait même à se diriger en ville sans utiliser le gps de son téléphone ce qui en soit était déjà un gros progrès. Elle avait commencé à prendre son rythme chez Matthew Architects, se retrouvant sur des projets qui lui changeaient les idées et stimulaient sa créativité, elle commençait doucement à se faire sa place au sein de l’équipe, apprenant à connaitre chacun de ses collègues et s’adaptant à leur dynamique. Tout était encore frais, nouveau et étrangement elle aimait beaucoup cette sensation, elle qui avait toujours connu la même ville, qui avait tous ses repères au même endroit, c’était un gros changement et ça ne lui déplaisait pas. « Tu viens avec nous ? » relevant la tête des plans sur lesquels elle travaillait depuis quelques heures désormais après un rendez-vous avec un client, la jeune femme était si concentrée qu’elle en avait perdu la notion du temps. Elle haussa un sourcil, quelque peu perdue avant que son regard ne se pose sur l’heure, comment ça c'était déjà le moment d’aller manger ? A croire que son estomac attendait un signe parce que quelques secondes après cette réalisation, ce dernier se mit à râler et les gargouillements la firent rigoler « Je prends mon sac et j’arrive ! » et c’était là sa première erreur, ne pas demander où ils iraient. La jeune femme les avait suivi, pensant naïvement qu’ils n’iraient pas deux jours d’affilé au diner dont elle avait tant entendu parler. Depuis son arrivée, ils avaient tendance à changer de lieux fréquemment, pour pas se lasser et varier un peu de ce qu’elle avait cru comprendre. Mais elle n’était plus aussi sûre maintenant qu’elle les suivait, le doute augmentant à chaque nouveau pas. Jusqu’ici elle avait réussi à éviter le diner parce qu’elle savait qu’il y travaillait, elle ne comptait pas l’éviter éternellement mais elle n’avait pas encore trouvé le courage nécessaire pour lui parler depuis son arrivée en Nouvelle-Orléans. Un sourire quelque peu crispé et la brune lâcha un soupir lorsqu’elle leva les yeux et se retrouva face au diner. Peut-être que ce n’était peut-être pas une si mauvaise chose, peut-être qu’il ne travaillait pas aujourd’hui ? Elle était là depuis un mois et demi, et durant ces quelques semaines elle n’avait pas trouvé d’excuses pour aller le voir, lui parler, peut-être parce que finalement il n’y en avait pas ? D’un pas beaucoup moins assuré, elle entra dans le diner, suivant ses collègues qui semblaient déjà bien connaitre les lieux, ne pouvant s’empêcher d’observer l’intérieur d’un œil curieux. Elle avait l’impression d’avoir fait un bon dans le temps, l’atmosphère lui rappelant les années 50 avec toutes ces touches de bleu, un peu plus et elle pourrait se croire dans l’un des décors de comédie musicale de Broadway qu’elle avait l’habitude d’aller voir avec sa famille. Ce souvenir lui fit un petit pincement au cœur, elle y allait chaque année avec ses parents et sa sœur, ses parents avaient insisté pour maintenir ce rituel qui était important et précieux à leurs yeux. Elle espérait que son départ de New York ne changerait pas cet évènement qu'elle attendait impatiemment chaque année.

C’est un mouvement qui attira son regard, ses yeux se posant instinctivement sur Jem qui se trouvait derrière le comptoir, même après toutes ces années il arrivait toujours à attirer son attention comme au premier jour. Rien de bien surprenant jusque-là parce que malgré leur séparation il y a un an, c’était toujours lui qui hantait ses pensées mais le revoir là en réel, même de loin lui fit un pincement au cœur. Elle détourna le regard et suivi le mouvement de groupe, s’installant à une table et fixa le menu qui se trouvait devant elle, un peu perdue entre toutes les émotions qui remontaient d'un coup, le bruit ambiant et ce lieu qu’elle ne connaissait pas. Ce sont les conversations à table qui la ramenèrent sur Terre, faisant éclater cette bulle dans laquelle elle avait commencé à s’isoler pendant quelques minutes, comme pour remettre de l’ordre dans ses pensées et calmer son cœur qui semblait s’être emballé en le revoyant. Crystal réintégra la conversation, souriant de temps à autre, jetant à nouveau un coup d’œil au menu, ils attendaient qu’un serveur vienne prendre leur commande mais elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait choisir, les mots se suivaient mais son cerveau n’assimilait rien de ce qu’elle lisait. La brune finirait surement par improviser au moment donné, sortant la première chose qui lui passerait par la tête. Et en un clignement d’œil il était là devant elle, plutôt devant eux, son carnet à la main alors qu’elle savait pertinemment qu’il n’en avait nullement besoin. Elle le connaissait par cœur et savait très bien qu’il pouvait se souvenir des commandes d’une table bien plus importante que la leur sans noter le moindre élément mais elle savait aussi que c’était sa façon à lui d’assurer ses arrières. Elle ne put s’empêcher de le détailler, ses yeux traçant les traits de ce visage qu’elle n’avait pas vu depuis désormais un an, il n’avait pas changé si ce n’est qu’il semblait peut-être un peu plus fatigué qu’il ne l’était lorsqu’ils vivaient tous les deux à New York. Il avait l’air d’aller bien et cette pensée lui fit esquisser l’ombre d’un sourire sans même qu’elle ne le réalise, il voulait réaliser son rêve et tout ce qu’elle voulait pour lui c’est qu’il soit heureux. Mais la réaction du jeune homme lorsqu’il posa les yeux sur elle la déstabilisa, son dernier mot quittant ses lèvres dans un murmure. Elle ne s’attendait pas à le voir sourire et être heureux de la revoir lorsqu’ils se recroiseraient, surement pas vu comment les choses s’étaient finies entre eux, et pas lorsqu’ils avaient passé tant d’années ensemble et que leurs chemins s’étaient séparés à cause de leurs visions du futur. Mais tout comme lui, elle n’arrivait pas à détourner le regard, comme si elle était aspirée par les iris de celui qu’elle n’arrivait à oublier malgré toute la volonté du monde. Lorsqu’il s’excusa à nouveau pour s’éclipser quelques instants, Crystal ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose mais aucun son n’en sorti. La jeune femme baissa les yeux, elle était incapable d’interpréter sa réaction et ça l’effrayait. Le reste de la table continuait leur conversation initiale en attendant dans la bonne humeur. Ce repas était très loin de ce qu’elle imaginait ou même de ce à quoi devait initialement être sa journée. Quelle ironie pour eux de se revoir après tout ce temps dans la même disposition que leur première rencontre. Était-ce un signe pour dire que peut-être leur histoire n’était pas finie où était-ce une blague du destin qi se moquait d’eux ouvertement ? Seul le futur pourrait répondre à cette question mais elle espérait de tout cœur que c’était la première option. Se reprenant après quelques instant, elle fut surprise que personne ne remarqua son changement d’attitude ou alors personne ne fit de réflexion et si c’était le cas, elle leur en était reconnaissante. Au bout de quelques secondes, elle se leva, s’excusant à son tour « Je reviens dans quelques instants. Si jamais quelqu’un vient prendre la commande en mon absence, je prendrai le plat du jour ! » elle leur lança son plus beau sourire mais aussi son plus convainquant avant de se dirigea vers les toilettes, elle devait passer devant la porte qu’avait emprunté Jem quelques instants plus tôt. C’est à ce moment-là qu’il en sorti, les deux manquant de rentrer en collision. Le souffle coupé, elle ouvrit de grands yeux, surprise par une telle proximité « Jem… » elle croisa son regard, ne sachant par où commencer, ses yeux commençant à piquer. Elle cligna rapidement des yeux pour chasser cette sensation « Je ne savais pas qu’on viendrait manger ici avec mes collègues ce midi, je comprends si tu es mal à l’aise et je peux trouver une excuse pour prendre quelque chose à emporter et partir. » deuxième gaffe de la journée, parce que ce n’était surement pas la meilleure façon de lui annoncer qu’elle vivait et travaillait désormais ici, elle qui avait tant insisté sur le fait qu’elle ne se voyait pas quitter sa ville natale mais elle avait cette tendance à trop parler lorsqu’elle paniquait, comme si elle n’avait plus de filtre lorsqu’elle ouvrait la bouche. Il semblait que certaines choses ne changeaient pas. « Est-ce que tout va bien ? » question presque maladroite mais sa réaction ? Elle n'arrivait à la chasser de son esprit.

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nouvelles-orléans • @crystal reyes

Jem se détestait de réagir ainsi. De lui donner autant d’importance après tant de mois à réfuter tout ça. L’année avait beau être passée, Crystal avait toujours ce pouvoir sur lui. Il haïssait ça. Quand est-ce que le charme pourrait être enfin rompu ? Il avait l’impression de devenir fou, de n’être que ce pauvre imbécile incapable de passer à autre chose. Elle devait bien se marrer avec toute sa bande de l’autre côté de la porte, assise à sa table comme si de rien n’était. Alors que lui, il y arrivait tout simplement. Il sentait son propre myocarde enchaîner les courses folles pour mieux se paralyser la seconde d’après. Cela lui en donnait presque mal au cœur. Pourtant, il devait se reprendre. Il devait à nouveau franchir ses portes et agir en professionnel, chose qu’il avait toujours réussi à faire en toutes circonstances. Enfin presque. Même à l’époque, la jeune femme avait réussi à le sortir de sa tâche, ce jour-là où ils s’étaient rencontrés. Des années après, la roue recommençait et le même schéma se dessinait. Il l’avait bien trop dans la peau pour espérer que quelque chose ait changé, que tout son être ne soit pas irrémédiablement attiré vers elle, vers ce visage dont il connaissait encore les traits par cœur. Damn it. Il aurait voulu jeter ce fichu plateau et son carnet qu’il tenait encore du bout des doigts malgré le flot de pensées incessantes qui l’envahissaient contre ce fichu mur. Mais, s’il était en proie aux doutes et à cette colère qui doucement bouillonner dans ses veines, il restait néanmoins conscient. Il fallait juste qu’il se reprenne, qu’il ne soit qu’un simple serveur. Cette table ne devait être différente des autres. Ce n’était pas son ex petite amie assise parmi ce groupe qui allait changer quelque chose. Tout était dans sa tête, il n’avait qu’à oublier son myocarde le temps de quelques instants. Cela ne devrait pas être si compliqué. Croyait-il. Prenant le peu de courage qu’il avait en lui, il sortit. Enfin du moins le voulut-il car à la seconde où il franchit la petite porte de service pour rejoindre la salle, il fallait se percuter à quelqu’un. Ou plutôt à elle. Le destin se joue irrémédiablement de lui. Quelle force supérieure devait se marrer à ce moment même. A jouer avec eux comme de vulgaires marionnettes. Cela lui faisait plaisir de malmener des cœurs de cette façon ? Il fallait croire que oui. Il ne réagit que très peu, si ce n’est qu’il s’éloigne le plus rapidement d’elle. La proximité était une véritable torture même quelques secondes. Son plateau est un bouclier non négociable. Pourtant, lorsque son regard rencontre le sien, à nouveau la magie opère. C’était si simple de se plonger tout entier dans ses yeux sans jamais vouloir en sortir. Pourtant, l’agitation du restaurant autour de lui l’aida à ne pas perdre pied complètement. Il devait tenir sa promesse. Rester professionnel. Pourtant son prénom – ou du moins son surnom – prononcé par ses lèvres est une douce musique, une réminiscence qui lui serre un peu plus le cœur. Cela lui donnerait presque envie d’hurler, d’arracher son propre myocarde pour ne plus ressentir ce vide qui fait si mal. Etait-elle au courant de toute la souffrance que sa présence lui procurait ? Cela ne semble pas le cas. Car elle se met à parler – beaucoup trop. Les mots se succèdent mais Jem n’en prend le sens que tardivement. Sa bouche devient sèche en l’entendant. Les phrases ne semblent avoir de sens réel. Habitait-elle ici ? Rien que sa présence dans cette ville, dans ce dîner précis était une énigme. Etait-elle de passage ? Avait-elle laissé le hasard la conduire ici ? Elle savait très bien qu’il était ici. Ils en avaient assez parlé longuement pour cela, ou plutôt s’étaient-ils assez disputé sur ce sujet-là. Elle avait semblé exécrer la Nouvelle Orléans, pourquoi viendrait-elle ici ? Elle avait dit trop aimer New York pour oser vivre ici, dans ce trou paumé de Louisiane. Pourtant, il avait beau retourné les mots dans tous les sens, il n’en ressortait qu’un seul sens : Crystal travaillait ici. Peut-être que son agence new-yorkaise avait besoin d’un nouveau projet dans la région ou que savait-il. Ce qui ne pouvait qu’expliquer sa raison ici. Le fait qu’elle puisse vivre de façon permanente ici restait absurde. Elle lui avait fait bien comprendre il y a un an. Tout ceci ne devrait qu’une énorme blague. En fait, c’était ça. Crystal était venue ici simplement pour se foutre de lui. Son coup était réussi. A nouveau, il avait cette envie d’hurler un bon coup qui montait dans sa gorge. Pourtant, sa dernière question a failli avoir raison de lui. Elle se fichait bien de lui. Comment osait-elle poser cette question ? Tout ceci n’avait aucun sens. Crystal remuait bien trop de choses en lui par sa simple présence, ne pouvait-elle simplement pas disparaître, retourner à New York ? Malgré son souhait silencieux, elle restait bien là devant lui, à attendre une réponse. Autour d’eux, le restaurant tournait toujours autant vu l’heure du déjeuner bien entamée. C’était toujours cet effet qu’elle lui donnait, ce sentiment d’être seuls dans leur petite bulle intime. Mais rien n’était plus comme avant. Et il devait travailler. Le regard d’incompréhension que Maddie lui envoya depuis son comptoir alors qu’il tournait la tête pour trouver un peu de force finit de le ramener complètement. Rester professionnel, il avait dit. Il se décala alors un peu en lui désignant la porte qu’elle voulait de toute façon à la base franchir. « Vous vous êtes trompée, Madame, ce sont les cuisines ici. Les toilettes sont par ici. » Il ne voulait pas rentrer dans son jeu, il n’avait pas la force ni l’énergie en plein service de discuter de tout ça avec elle. Surtout pas après ce choc. C’était impensable. Laisser tomber ses collègues était impensable. Que croyait-elle ? Qu’il allait lui sauter dans les bras avec un grand sourire, applaudis par tous les clients et les employés sous un air de You’re the one that I want de Grease diffusé par le jukebox ? Ridicule. Tenir ses distances était la meilleure chose à faire. Alors simple serveur inconnu il serait. « Je ne vais pas pouvoir servir votre table, néanmoins votre nouvelle serveuse sera ravie de prendre votre commande quand vous reviendrez. » ajoute-t-il. Au moins, était-elle prévenue. Tout serait plus simple pour tout le monde ainsi. Chacun s’occuperait de sa petite vie sans que l’autre ne vienne court-circuiter l’autre comme ils venaient si bien de le faire. Tout cela serait bien trop facile. Chose qu’il finit par comprendre. Avec cette petite tentative de conversation ou du moins prise de contact, la jeune femme lui montrait sa volonté de parler. Très bien. S’il fallait finalement passer par là pour qu’enfin ils se libèrent définitivement, soit. Il fallait mettre un dernier point final à leur histoire. Pour enfin se libérer de ses chaînes qui l’étouffaient depuis un an maintenant. Il ne savait pas où cela les mènerait mais il sentait qu’au fond ils en avaient tous deux besoin. Il fallait crever l’abcès avant que celui-ci ne les engouffre totalement. Il reprit alors son propre carnet pour noter quelque chose avant de tendre le bout de papier vers la jeune femme. « Vous devriez essayer ce plat, c’est une nouveauté qui n’est pas encore à la carte. » Elle semble décontenancée par son attitude si désinvolte, si détachée. C’était la meilleure façon pour qu’il ne succombe encore à la douleur lancinante de son cœur. Pourtant, elle prit le bout de papier qu’il lui tendait. Il ne lui laissa pas le temps de le lire en sa présence, il profitait de son inattention pour pouvoir s’échapper enfin. Sur la note, quelques mots y figuraient. Même endroit, à la fermeture, vingt-trois heures. Cela lui laissait quelques heures de répit. Quelques heures pour digérer tout ceci et qu’enfin ils finissent par s’expliquer pour tout ceci. Il n’y comprenait décidément rien. Sa présence était incompréhensible. Sa façon de lui parler était presque insultante. Comment pouvait-elle s’adresser à lui en ces termes, lui demander s’il allait bien ? Etait-elle devenue amnésique tout à coup ? Avait-elle reçue un coup à la tête qui l’empêchait d’avoir accès à ses souvenirs ? Il n’avait réussi à comprendre mais surtout à encaisser toutes ces paroles. Elle savait très bien quels sentiments devaient le traverser à l’heure actuelle, elle savait très bien qu’il était partie en plein milieu d’une prise de commandes, comment pouvait-elle lui demander ça ? Surtout pas après qu’elle lui ait proposé de s’en aller. Dans sa tête résonne encore son prénom murmuré par ses lèvres, alors qu’il s’approche du bar. Il glisse quelques mots à l’oreille de Maddie. Comme « je ne peux pas », « je t’expliquerais » et « s’il te plaît ». La petite blonde sembla acquiescer et se prépare à servir en salle tandis que Jem reprend sa place derrière le comptoir, bouclier bien plus efficace qu’un simple plateau. Il n’ose regarder dans sa direction mais finit par s’y risquer. Elle a disparu. Peut-être était-elle finalement aller aux toilettes ou a rejoint sa propre table. D’ici, il ne voyait sa place cachée par quelques clients et la silhouette de Maddie. C’était peut-être mieux ainsi. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de glisser des regards vers sa direction, tentant de savoir si son invitation serait acceptée. Se reconcentrer sur son travail fut une épreuve tant son cœur tambourinait encore dans sa poitrine. Pourtant, finalement, il se remit au travail reprenant les commandes laissées sur le bar pour préparer cafés et autres desserts glacés.

Finalement les heures défilèrent bien plus vite que prévues. Plongé dans ses plats et autres, Jem ne vit pas passer le temps et bientôt le diner se vida peu à peu. Les derniers clients servis ce soir terminaient leurs dessers quand l’équipe commença à remballer le tout pour pouvoir fermer le restaurant. Il fallait alors nettoyer la cuisine notamment les plaques mais aussi la salle avec les détritus laissés par les clients. Maddie, quant à elle, se chargeait généralement de faire les comptes de la journée tandis qu’un autre employé faisait un rapide contre rendu de l’inventaire. Une organisation bien rodée avait été mise en place au sein de leur équipe. Ce soir, il était corvée de poubelles, ce qui en soi ne le dérangeait pas tant que ça. Thomas s’occupa assez vite de la cuisine et quitta presque en même temps qu’Emma qui avait apparemment un truc de prévu – de que Jem avait compris. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait faire à cette heure-là un jour de la semaine mais cela devait être assez important pour que Maddie accepte. Quoi que cette dernière acceptait beaucoup de choses en fait, elle était sûrement une patronne des plus laxistes pour le coup. Mais jamais aucun de ses employés n’en avait profité. C’était probablement leur force à tous. S’assurant que les deux sacs étaient bien fermés, le jeune homme les prit pour sortir par la petite porte derrière qui donnait directement sur une petite impasse qui donnait sur la rue où les poubelles étaient rangées. Il balança assez facilement son butin avant de rentrer à nouveau. Dans la grande salle, la musique avait été augmentée et Maddie semblait en proie à une dance des plus joyeuses avec son balai. C’était souvent qu’elle se lançait dans des chorégraphies improvisées, considérant que le ménage ne devrait pas être une corvée mais un joli moment tous ensemble. Elle n’avait pas tort. Tout passait mieux ainsi, elle avait raison. Se tenant sur le seuil de la porte, Jem sourit en la voyant faire. Dès qu’elle l’aperçoit, la petite blonde n’hésite pas à vouloir l’entraîner. Quel étrange spectacle devait-il donner tous les deux ainsi, lui à moitié gauche ne sachant comment s’en sortir et elle riant aux éclats. « Je dois y aller » phrase qu’elle répondit avec un léger « T’es vraiment pas drôle ». Finalement, il réussit à se sortir et souhaita une bonne soirée à sa patronne – assez curieux quand on connaît l’âge de la jeune femme. Jem n’avait pas oublié. Si Maddie avait réussi à l’évader le temps d’un instant, avec sa bonne humeur improvisée, ce n’était plus le cas à présent. A nouveau, toute son âme se tendit en attendant le moment fatidique. Moment qui allait arriver d’une seconde à une autre alors qu’il franchissait les portes d’entrée du petit dîner. Au dehors, le mois d’avril avait laissé place à un doux réchaud de l’atmosphère. Heureusement, il ne faisait pas encore si chaud qu’en été mais c’était bien loin des avril plutôt friquets du nord des Etats-Unis. Il n’avait même pas pensé à prendre sa veste et finalement, c’était mieux ainsi. D’un regard, il balaya la rue d’un regard et c’est ainsi qu’il l’aperçut, se tenant debout à quelques pas à peine du restaurant dans un petit coin reculé, l’attendant sûrement qu’il sorte enfin. Il arrive assez vite à sa hauteur. « C’est tout ce que tu as trouvé à dire ? Si tout allait bien ? » Cette phrase n’était vraiment pas passée. Et il ne peut s’empêcher de directement lancer la conversation de cette façon. Au fond, il n’était que cet animal blessé. Une âme en souffrance qui avait perdu énormément il y a un an. Elle l’avait laissé soit disant réaliser ses rêves et c’était fort louable de sa part, mais pourquoi venait-elle ici remuer ainsi la plaie encore béante ? N’en avaient-ils pas assez fait l’un à l’autre il y a un an ? Il semblerait que non. « Sérieux, qu’est-ce que tu fiches ici Crystal. » ne peut-il s’empêcher d’ajouter en mettant les mains dans les poches de son jean. Souffrir en silence dans son coin était une chose. La voir débarquer ainsi après les discours qu’elle lui avait tenus pendant des semaines en était une autre. Doucement et insidieusement, la colère commençait à s’insuffler dans son cœur. C’était sans doute plus facile de lui en vouloir, de transformer toute cette douleur vers quelque chose pour tenter de l’expédier une bonne fois pour toutes. C’était raté. La souffrance restait malgré tout. Rien ne semblait la déloger de leurs deux cœurs. Encore et encore ils étaient voués à se blesser. Destinés à être le bourreau de l’autre.

take me back to the night we met
@Jem Cooper

Crystal était à mille lieux d’imaginer le voir réagir ainsi mais avec du recul, elle ne pouvait que le comprendre, surement que dans son cas elle aurait eu les mêmes réflexes. Il avait rapidement disparu dans un espace réservé au personnel, très surement pour assimiler la situation, elle-même était prise de court, ne s’imaginant pas un seul instant se retrouver face à lui dans de telles circonstances. Elle venant manger avec son équipe et lui sur son lieu de travail ne sachant pas qu’elle venait d’emménager dans la même ville que lui. Ville qu’elle n’avait jamais envisagé de rejoindre un an auparavant et qui avait été le sujet central de beaucoup de leurs discussions mais aussi de disputes juste avant leur rupture. Et pourtant plusieurs mois après, elle était là en chair et en os, ayant décroché un job dans ce lieu qu’elle avait catégoriquement refusé de rejoindre à l’époque. Pour beaucoup, cela pouvait paraitre ridicule, pourquoi avoir refusé de la sorte par le passé pour y être désormais alors que leur couple n’était désormais qu’un souvenir qui ne cessait de les hanter tous les deux… Alors Crystal s’était levée avec pour but d’aller aux toilettes, de quoi se donner quelques minutes pour elle aussi reprendre ses esprits. Le malaise de ce qui venait de se passer ne cessait de s’amplifier au fur et à mesure que les minutes passaient, l’étouffant un peu plus chaque seconde, comme si quelqu’un s’amusait à comprimer son cœur pour voir combien de temps elle pourrait tenir avant de s’effondrer. Le mouvement de recul du jeune homme lui fit prendre instinctivement un pas en arrière aussi, ce geste la blessant plus qu’elle n’oserait l’avouer. La brune le connaissait suffisamment pour interpréter ses moindres faits et gestes, il ne comprenait pas ce qu’elle faisait ici, il devait surement même se demander si son but n’était pas de le faire souffrir d’avantage vu toutes les émotions qui traversaient ses yeux. Il lui répondit de façon détachée comme si elle était une inconnue, était-ce ce qu’ils étaient désormais ? Agissait-il de la sorte parce qu’il ne voulait vraiment plus rien à voir avec elle ou parce qu’il était sur son lieu de travail ? Elle en conclu que c’était un peu des deux alors lorsqu’il lui indiqua la direction des toilettes, elle hocha la tête dans un mouvement presque brusque. Lorsqu’il enchaina en lui disant qu’il ne pourra servir sa table, elle ne put qu’acquiescer forçant un petit rictus qui devait plus ressembler à une grimace qu’autre chose « Je comprends… » laissa-t-elle échapper de façon à peine audible, plus par principe que pour se faire entendre. Il était si froid, si cordial et professionnel que la jeune femme eut presque l’impression d’avoir imaginé leur relation mais ce n’était ni le lieu ni l’endroit pour avoir cette conversation. Il griffonna quelque chose sur son carnet avant de le lui donner, lui disant qu’elle devrait essayer ce plat, elle attrapa le bout de papier tout en baissant les yeux sachant déjà que ce qu’il avait inscrit dessus ne correspondait en rien avec ses paroles. En un clignement d’œil il s’était échappé comme un nuage de fumée, elle fit volte-face et rentra dans les toilettes, laissant échapper un gros soupir, elle ne s’en était pas rendue compte mais elle avait l’impression d’être restée en apnée durant tout cet échange. Elle ouvrit le robinet, ses yeux brillant des larmes qu’elle essayait tant bien que mal d’empêcher de couler. Crystal se passa un peu d’eau sur le visage avant de se sécher les mains et d’enfin jeter un œil au bout de papier qui pesait lourd dans sa poche, il lui avait donné rendez-vous à 23h et bien qu’elle redoutait cette conversation à la vue de leur échange quelques instants auparavant, elle savait qu’ils avaient besoin tous les deux de mettre les choses au clair. Elle retourna dans la salle et rejoint sa table, prétextant une urgence et se servant de cette excuse pour prendre son repas à emporter.

De retour au bureau elle se pencha à nouveau sur son projet, s’isolant du reste du monde comme elle savait si bien le faire. Elle partageait ça avec ses parents, lorsque plus rien n’allait, elle se plongeait dans le travail, ça lui permettait de faire le vide et d’occuper son esprit au moins de façon temporaire. Ca avait toujours été sa façon à elle de se protéger, c’était comme construire ces murs de béton qui la faisaient se sentir en sécurité. Elle n’avait pas touché à son repas, qui demeurait sur l'un des coins de son bureau, elle savait qu’après tout ce qui s’était passé, rien ne pourrait passer. Quelques heures plus tard alors que la fin de journée s’approchait de plus en plus, elle décida de rentrer chez elle pour essayer de se détendre un peu. Son esprit désormais trop occupé à penser au fait qu’elle allait devoir se retrouver face à Jem à nouveau et qu’elle n’avait aucune idée de la façon dont cet échange se déroulerait. La jeune femme pris une douche avant de passer un peu de temps avec Yeppi, le chat qu’elle avait adopté il y a deux ans et qui sentait d’ores et déjà son mal être étant donné qu’il ne la quittait pas. La nuit était le moment de la journée que Crystal préférait autrefois, elle avait toujours l’impression de pouvoir mieux réfléchir lorsque son environnement était un peu plus calme, c’était comme-ci le temps ralentissait et lui laissait la possibilité de savourer chaque seconde de vie sans être dans le rush constant de devoir être productif. Il y a quelques années, c’était son refuge, son moment préféré… Combien de fois cette petite routine l’avait rassuré, elle qui travaillait sur des devoirs pendant de longues heures, perdant complément la notion du temps, bercée par le bruit de New York cette ville qui ne dormait jamais en fond avant que Jem ne rentre de certains de ses services alors qu’il faisait nuit noire dehors. Quelquefois ils se retrouvaient à un endroit et rentraient ensemble, ils en profitaient ensuite pour parler de leur journée ou de leur soirée, ça devenait leur moment à eux alors qu’une bonne partie des gens dormaient. Mais depuis leur rupture, la nuit était devenu ce moment qui paraissait interminable, parce que maintenant Crystal se retrouvait en tête à tête avec sa conscience et elle n’était plus aussi certaine d’apprécier ce vide qui s’était installé.

L’heure fatidique se rapprochant, elle se trouvait enfin devant le diner pour la deuxième fois de la journée, Crystal s’approcha doucement du restaurant tout en gardant quelques distances tout de même, jetant un œil par la vitre, elle constata qu’il n’y avait plus aucun client. Elle regarda sa montre avant de réaliser qu'elle était un peu en avance comme à son habitude. Un mouvement attira son attention et elle vit Jem et une femme qu’elle avait aperçu un peu plus tôt dans la journée en train de danser ou du moins s’amuser, la jeune femme décida de s’éloigner discrètement dans un petit coin pour l’attendre, ne sachant comment réagir à la scène à laquelle elle venait d’assister. Parce qu’après tout qui était-elle désormais pour se permettre de réagir de la sorte ? Elle l’avait laissé partir, elle ne lui avait pas tout dit des séquelles qu’elle essayait d’ignorer depuis bien trop longtemps. Elle n’avait pas été totalement transparente sur les difficultés rencontrées depuis ces sept dernières années, elle se pensait suffisamment forte pour vaincre ses traumas toute seule mais tout ce qu’elle avait réussi à faire était de les glisser dans un coin de sa tête en pensant qu’elle les avait déjà surmontés alors qu’en réalité ils étaient toujours là, cachés dans l’ombre et l’empêchaient d’avancer. C’était pour ça qu’elle avait commencé à consulter un psychologue depuis quelques mois, dans l’espoir qu’elle puisse enfin reprendre le court de sa vie, de ne se retrouver dans des situations similaires ou la peur reprenait le dessus mais le chemin était long et peu linéaire. Elle avait encore beaucoup de travail à faire mais elle avait fini par réaliser qu’elle devait changer si elle voulait profiter de la vie comme elle se l’était promis à elle et à sa soeur. C’est le bruit de la porte du diner qui la ramena sur terre, le regard de la brune se posant sur le jeune homme qui s’approchait d’elle. Aucun sourire présent sur son visage, une réaction bien éloignée de celle qu’elle avait vu quelques minutes auparavant. Elle le regarda droit dans les yeux, le ton de sa voix tout aussi glacial qu’elle l’avait imaginé, cette conversation serait mouvementée mais elle s’y attendait. « C’est la première chose qui m’est venue en tête après ta réaction mais il semblerait que je ne suis plus en position de m’inquiéter. » elle pencha la tête légèrement sur le côté, rentrant ses mains dans le sweat oversize qu’elle avait enfilé avant de sortir à nouveau, comme si ce mouvement pouvait la protéger de ce qui adviendrait de cet échange. « Je te l’ai déjà dit mais je ne savais pas qu’on viendrait manger ici, je ne serai pas venue sans que tu saches que j’étais en ville. Je suis désolée que tu l’aies découvert de la sorte… » elle le fixa droit dans les yeux en disant ça, il fallait qu’il comprenne que tout ce qui s’était passé n’était pas volontaire. Leur séparation n’avait pas fini en bain de sang mais elle avait été douloureuse autant pour l’un que pour l’autre et jamais elle n’avait voulu le faire souffrir, ni à l’époque ni maintenant. Elle s’attendait à cette deuxième question mais pas au ton employé par Jem et elle fit un peu en arrière sans même s’en rendre compte. « Pourquoi j’ai l’impression que peu importe ce que je dirais tu ne me croiras pas ? » elle laissa un petit rire amer échapper ses lèvres, est-ce qu’emménager ici pour le voir réaliser son rêve et l’aider si elle pouvait était vraiment une bonne idée ? Elle commençait à en douter maintenant, peut-être qu’au final il ne voulait plus rien à voir avec elle, peut-être même avait-il déjà tourné la page… « J’ai déménagé ici il y a peu donc on va très surement être amenés à se recroiser. » elle était blessée par sa réaction mais elle continua. « Beaucoup de choses ont changé cette dernière année Jeremiah, probablement autant pour toi que pour moi. Je ne viens pas dans l’optique de te blesser ou quoi que ça soit, je… » la jeune femme avait du mal à trouver ses mots, elle avait du mal à formuler et amener le sujet principal de son choix de destination, étrangement pudique de lui avouer qu’elle n’avait pas réussi à l’oublier malgré le temps qui s’était écoulé depuis leur séparation. « Je voulais savoir comme tu allais, voir cet endroit dont tu avais tant parlé... »