je te laisserai des mots (mallory)

Réveil au cri strident, un manquement à la rareté condamnable, ce matin-là les yeux de Jesper s'ouvrent en sursaut, corps secoué de légers spasmes. Cauchemar odieux aux teintes d'abandon, le corps sans vie de Rosie qui s'étend devant ses yeux, un ventre rond qui vient s'élever avec un étonnement affreux. Et à ce moment là, Jesper il manquerait presque d'hurler et de briser la lampe qui se trouve sur sa table de chevet. Il regarde avec regret son réveil qui affiche une heure bien trop tardive pour qu'il puisse passer encore quelques minutes à rester oisivement dans ses draps trempés de sueur. Il passe une main sur son visage avant d'écarter la couette noire de ses jambes, se dirigeant rapidement vers la salle de bain.
Douche rapide à l'éclaircissement mental salvateur, le garçon enfile rapidement une chemise blanche et un pantalon noir auquel il assortit sa veste. Il se saisit de son sac à la va-vite, attrape ses clefs et ouvre la porte brusquement, bourrasque d'air frais qui vient fouetter son visage. Et lorsqu'il voit son visage, sa mâchoire manque de se décrocher. Parce que ça n'a aucun sens qu'elle soit ici, parce qu'il ne comprend pas comment elle a pu venir ici, trouver son adresse. Mais à peine leurs regards se croisent-il, qu'elle fait demi-tour. Ses lèvres s'entrouvrent mais aucun son n'en sort. Parce que l'espace d'un instant, Jesper il est paralysé. Partagé entre l'idée de la rattraper ou de passer son chemin. Parce que malgré tout il est encore attaché à la brune, loin d'avoir oublié les moments qu'ils ont partagé ensemble. Parce que sa présence lui a permis d'atténuer ce trou béant que Rosie a laissé dans son âme en partant, emportant une part de lui-même avec elle. « Tu vas juste partir ? » Les mots sont hurlés dans la rue, portés par le vent qui claque allègrement dans le Vieux Carré.  « Encore ? » Voix froide qui casse autant que le vent vient casser les feuilles encore présentes sur les arbres. Amertume dissimulée par une froideur qu'il ne lui a jamais présenté quand bien même elle lui est affreusement caractéristique. Parce que ces derniers temps, Jesper il a l'impression de n'être que le jouet des personnes à qui il ouvre son coeur et il refuse de le voir une nouvelle fois ballotté.

Le bout de papier entre les doigts de Mallory se froisse dès l’instant où ses nerfs lâchent pour de bon. Elle n’aurait jamais dû laisser Will griffonner sur ce bout de serviette après s’être enfilé autant de verres — et sans doute, si elle n’en avait pas bu tout autant, aurait-elle remarqué dès le début les pattes de mouche impossible à déchiffrer. Un rendez-vous pour une suite de chiffres, ça lui semblait équitable, quand elle a accepté le deal. Ça l’est beaucoup moins à présent. Plutôt mourir que de l’appeler à nouveau.
Plutôt mourir que de retrouver Peter.
Plutôt mourir que de retrouver Jesper.
Et pourtant. Les pupilles assombries par l’agacement tombent à nouveau sur la serviette écarlate marquée par l’encre noir et elle grimace. Diantre, elle pourrait tout aussi bien devoir se rendre au 203 qu’au 108. Reste plus qu’à les faire toutes les deux.
Sans résultat. Jesper Lane est introuvable, volatilisé sans lui laisser le temps de batailler. Et le désespoir doit se peindre sur son visage, étirer ses traits en une moue qui pousse la jeune voisine, première hésitante, à pointer le 103 d’un geste du menton.
C’était plus facile pour les deux précédentes — un peu comme si elle jouait à la loterie avec la certitude d’en ressortir perdante, de ne pas avoir à affronter les méandres d’une relation brisée au moment où ils auraient dû la voir décoller. Elle a à peine le temps de faire quelques pas, gravir les marches qui mènent au perron que la porte s’ouvre pour laisser se dessiner dans son encadrement la silhouette de l’ancien amant. Mallory a le coeur qui tressaute en même temps que l’estomac et le cerveau qui fond encore plus rapidement. Elle sait même pas quand elle donne l’ordre à ses jambes de faire demi-tour exactement, si elles se décident pas à prendre l’initiative seules, d’ailleurs, avant qu’elle fasse une bêtise de plus, sachant pertinemment que le cerveau est déjà grillé. Elle sait juste qu’elle reste plongée dans une sorte d’état second jusqu’au presque rappel à l’ordre que Jasper scande comme l’accusation ultime. Ça relance la machine, au moins — le cerveau, le coeur, mais ça stoppe les jambes dans leur lancée. Elle a besoin de quelques secondes supplémentaires pour se tourner dans sa direction, prendre appui sur la rambarde qui longe les quelques escaliers du porche. « Besoin d’un micro pour avertir tout le voisinage de ton mécontentement ? » Mallory se hisse jusqu’à la dernière marche, resserre l’étau du manteau qu’elle porte avec la maladresse qui annonce le malaise qu’elle ressent. Elle aimerait bien pouvoir anesthésier le côté gauche de sa poitrine au passage. « Et si je me souviens bien, c’est toi qui es parti. » Elle relève les yeux pour croiser ceux de Jesper. Avant qu’il n’ouvre la bouche, elle lève la main pour l’arrêter dans son élan. « Je n’ai même pas eu le temps de… » De lui expliquer. Elle fait un vague geste de la main pour accompagner les mots qui se meurent au fond de sa gorge. Elle ignore ce qu’elle est supposée lui dire, de toute façon, parce que y'a la peur qui gronde. Celle de dire quelque chose de travers, de le perdre pour de bon. C’est pas déjà le cas ? « Est-ce qu’on peut parler ? »

Sans doute qu'il aurait pas dû s'emporter comme il l'a fait Jesper. Qu'il aurait pas dû hurler dans la rue, à la vue de tous, brisant cette image d'homme lisse et impeccable qu'il se tue à cultiver depuis son retour. Parce que ce n'est pas lui au fond. Lui, aux yeux du monde entier il est cet homme froid et sûr de lui. Très peu de personne ont pu passé outre, très peu de personnes ont eu le droit de le voir se dévoiler pleinement et être cette personne bienveillante et généreuse qu'il a toujours été. Et pendant quelques mois, elle a pu voir cette personne Mallory. Il s'est pleinement dévoilé à elle, à une autre femme que Rosie, ce dont il se pensait tout bonnement incapable. « Si t'étais pas partie en me voyant j'aurai pas eu à hurler. » Le garçon souffle au fur et à mesure que la pression redescend, les bouffées d'air frais ont un effet apaisant sur son esprit. Loin d'être à la hauteur des mots de Candace, c'est néanmoins suffisant pour cette fois. Pourtant il reste tendu et sur la défensive Jesper. Parce qu'il comprend pas pourquoi elle est là, et qu'il est partagé entre l'envie d'avoir des explications et l'envie de partir le plus loin possible d'elle. Garçon qui abhorre les mensonges, meilleur moyen qui existe pour briser sa confiance. Et il a la simple impression que pendant tout ce temps, elle s'est joué de lui. Alors Jesper il cherche pas plus loin. Parce qu'elle a eu sa chance, et parce qu'il n'est plus vraiment sûr de vouloir lui en donner une deuxième. « Oh et si je me souviens bien c'est toi qui es mariée. » Au début, Jesper il esquisse un grand sourire carnassier qui s'efface au fur et à mesure que les mots sortent de sa bouche. Parce qu'il n'a pas encore digéré cette nouvelle et que si elle lui en avait simplement parlé, tout aurait pu être différent. Alors il souffle doucement, quand elle lui demande de parler. Indécis, déchiré entre l'envie de l'envoyer balader et celle de l'écouter. « C'est urgent ? Je suis déjà en retard. » Parce qu'il est blessé Jesper il peut pas être aussi aimant qu'il l'était il y a plusieurs semaines. Douleur à la métamorphose partielle, l'envie de lui faire comprendre qu'il a été blessé dans le processus de guérison qu'était leur relation.

Et c’est plus douloureux qu’une gifle, quand lui saute au visage le mensonge par omission qu’elle a entretenu pendant si longtemps qu’il n’en revêtait plus que l’apparence lointaine. Les yeux clos et la tête qu’elle secoue sont la seule réponse qu’elle est capable de lui donner, parce qu’un simple "je suis désolée" lui semble plus désuet qu’approprié. Il le sait forcément, qu’elle regrette et si jurer que mentir n’est pas son genre, en d’autres circonstances, elle est suffisamment intelligente pour s’en abstenir — qui serait suffisamment naïf pour la croire, après tout ça ? Quand elle ouvre à nouveau les yeux, ils se perdent une nouvelle fois sur le visage fermé qu’elle ne lui connaît pas et elle sent la culpabilité lui grignoter un peu plus le palpitant. Il a le sourire carnassier qu’elle déteste, qui ranime cette vive désapprobation qu’elle éprouvait chaque fois qu’elle le croisait aux début de leur rencontre. « Tu ne connais pas toute l’histoire », qu’elle finit par souffler une fois qu’elle a gagné en proximité, calculée, comme presque tout ce qu’elle fait. Et p’t’être que maintenant la pièce est tombée, p’t’être qu’il comprend pourquoi elle s’est toujours abstenue de juger Rosie avec une telle ferveur. Elles sont pas foncièrement différentes, dans le fond, même si c’est pas forcément pour les mêmes raisons. Elle voit bien qu’il est pressé, trépigne presque pour s’évader, mais ce qu’elle sait surtout, c’est qu’elle n’a pas envie de le laisser filer. Pas une seconde fois. « Ecoute, je sais que tu es en colère et je… » Y’a un haussement d’épaules désespéré qu’elle est incapable de retenir et un soupire du coeur qui lui donne tant envie de s’accrocher que d’abandonner. « Oh, s’il te plaît Jesper », finit-elle par soupirer en roulant des yeux, avant d’ajouter : « tu n’es jamais en retard, et tu ne le seras sans doute certainement plus jamais. Laisse-moi cinq minutes. » Parce qu’elle commençait à bien le connaître avant tout ça — pas encore par coeur comme doit le connaître Rosie, mais elle commençait à retenir ces petits détails, finissant par s’en éprendre avec agacement. « Cinq minutes. » Elle insiste, hausse les sourcils et grimace légèrement, prête à effacer un refus. Il doit bien savoir à force, comme elle sait combien il peut être ponctuel, qu’elle est tenace. Faut croire qu’elle tient plus à lui qu’ils ne l’avaient imaginé tous les deux. C’était pas prévu, damnit, Mallory.

Jesper il a envie d’hurler, de lui hurler que si elle lui avait simplement expliqué les choses avant tout serait plus simple maintenant. Si elle lui avait juste dit qu’elle était mariée et sans doute séparée tout irait mieux. Parce qu’après tout ce qu’il a vécu avec Rosie, il aurait été prêt à l’écouter et accepter la chose. Aucune envie de devoir vivre une nouvelle séparation aux déchirements éclairs, simple envie que de pouvoir s’apaiser aux côtés de quelqu’un. « Non je connais pas toute l’histoire Mallory, tu n’as jamais pris la peine de me l’expliquer. » Au fond, il est amer Jesper. Il regrette la façon dont les choses se sont terminées, relation de guérison qui avait un effet positif sur sa personne, sur son âme dont les morceaux commençaient à se recoller. Il manque de s’étouffer lorsqu’il l’entend dire qu’il est en colère. Sentiment dominant en ces temps, parce que personne ne semble capable d’évoluer autour de lui sans lui mettre à l’envers. « Oui je suis en colère et j’ai tous les droits de l’être. » Une froideur éclatante vibre dans sa voix, douce  correspondance avec le vent glacial qui éclate dans l’air environnant. Blessé, trahi. « On ne peut pas être parfait en permanence. J’ai pas le droit d’être en retard, quoi, une fois dans ma vie ? » Le garçon ironise, tente d’élever des remparts entre lui et son ancienne amante, pour se préserver des sentiments qui commençaient à naître en son sein peu avant son départ. Parce qu’à force de passer autant de temps à ses côtés, Jesper il n’a pas pu s’empêcher de s’attacher. Parce que malgré ce mensonge, il nourrit toujours les mêmes sentiments à l’égard de la brune, seule l’intensité a changé. Il soupire face à sa demande, souvenirs d’un autre temps qui viennent éclater devant ses yeux. Le garçon passe une main devant son visage, réflexion de courte durée alors qu’il glisse la clef dans la serrure. Porte ouverte, il entre sans attendre de voir si elle le suit. Parce que c’est bien la seule chance qu’il lui donnera et qu’elle a intérêt de la saisir si elle désire le garder dans sa vie. « Cinq minutes. Pas une de plus. » Il maugréé, jette ses clefs dans la coupelle présente dans l’entrée avant de poser son manteau sur le bar de la cuisine. Il s’adosse contre celui-ci, bras croisés contre sa poitrine pour se protéger, d’une certaine façon. Parce qu’il ne veut pas retomber dans les méandres de la déception amoureuse qui semble hanter sa vie ces derniers temps.

« Et j’étais supposée te l’expliquer quand ? Un petit matin en nous servant du thé ? » Y’a la voix qui vrombit et la mine qui s’obscurcit, par un froncement de sourcils surpris. Il a beau la mettre soudainement en colère, elle sait très bien qu’il a raison, d’une certaine façon (plutôt mourir que de l’admettre, pourtant). Qu’importe les circonstances, le mauvais timing, la peur de tout faire foirer — elle aurait dû lui avouer, l’honnêteté c’était le clé. « J’ignorais qu’on finirait par se voir régulièrement, que ça deviendrait… » Nouvelle grimace, incertaine du qualificatif. Sérieux ? A quelques notions près, peut-être. Ils ont jamais réellement apposés de mots sur ce qu’ils vivaient, tous les deux, si loin de la Nouvelle-Orléans, d’un passé qu’elle se sentait bien incapable de ne serait-ce qu’évoquer. Mallory, elle a pas envie de lui avouer que si elle ne lui a rien dit, c’est surtout parce qu’elle ne s’est jamais réellement sentie prête à en parler — le mariage aurait irrémédiablement entraîné le sujet de la cause d’un tel abandon. Et ça… C’est trop douloureux. Plus que de perdre Peter. Plus encore que de perdre Jesper. « Je sais », qu’elle se contente de répondre avec un peu plus de douceur, cette fois-ci lorsqu’il évoque la légitimité de sa colère, les lèvres pincées et le regard vagabondant partout ailleurs, pourvu qu’il ne croise pas celui de Jesper. Elle a soudainement l’impression d’avoir le coeur trop lourd pour se battre, de toute façon. Qu’après tout, c’est pas en cinq minutes qu’elle pourrait expliquer un enchevêtrement de mauvaises décisions et d’erreurs en tout genre. Jesper, pourtant, chasse les sombres pensées dont regorgent son esprit quand il tourne la clé dans la serrure de sa maison, lui laissant la chance inespérée. Mallory reste plantée sur le bord des marches où elle se tient déjà depuis quelques minutes pendant quelques secondes supplémentaires, peu certaines de ne pas être frappée par un songe. Cinq minutes. Pas une de plus. Les clés lancées dans la coupelles, Mallory sur ses talons, l’oeil qui se perd sur la pièce dans laquelle ils débouchent — la cuisine. Comme il s’adosse au bar, elle se tient devant lui, aussi droite qu’un i, incapable de remuer les lèvres. Elle a pas les sanglots faciles, Mallory, écoeurée par ce qu’elle relègue à la fragilité, mais c’est plus compliqué, cette fois-ci. Ça l’est toujours quand y’a un peu trop de sentiments à la clé. « Ne me déteste pas, s’il te plaît. » Elle marque une pause, relève les yeux dans sa direction, la voix un peu plus sûre. « Pas à nouveau. » Nouvelle pause pendant laquelle elle recule d’un pas, se détourne, en quête de l’inspiration divine — par où est-elle supposée commencer ? « Te parler de mon mariage, c’était… J’en sais rien. » Bien entendu qu’elle sait. « C’était trop douloureux, d’accord ? Parce que te parler de Peter, c’était immanquablement te parler de… » Mais y’a un bloc de pierre dans son estomac, sur ses épaules qui s’affaissent automatiquement et le coeur qui vrille un peu plus encore. Mallory pivote, lui lance un regard presque implorant, suppliant presque de ne pas lui demander d’en parler, finalement. « Je ne t’ai pas menti par intérêt ou pour te blesser. Ou pour je ne sais quelle autre raison. Peut-être par facilité. Mais surtout parce que c’était trop douloureux. Et si j’étais à Los Angeles, c’était pour ne plus ressentir de peine. » Pour anesthésier cette foutue douleur constante. Pas une grande réussite, ceci dit. Jusqu’à-ce que Jesper se pointe dans sa vie.

Porte et coeur ouverts, Jesper espère qu'il ne regrettera pas son choix. Parce qu'en tournant la clef dans cette serrure, c'est une seconde chance qu'il lui offre. Une seconde chance pour s'expliquer, pour réintégrer sa vie. Et il n'est pas encore totalement sûr d'être prêt à l'accueillir à nouveau en son sein. Sentiments partagés, Lane au coeur et à l'esprit déchirés face à de tels tourments. Ressentiments mêlés à de forts sentiments naissants, toupie aux vrilles incessantes qui lui font tourner la tête. Et même là, droite comme un i devant lui, elle est magnifique. Parce qu'il l'a toujours trouvée plus jolie que de raison, dès le premier moment où elle est entrée dans son bureau. Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres, « je ne t'ai jamais détestée » alors qu'il répond à ses supplications. « Juste je... ne t'appréciais pas particulièrement au début. » Manières de princesse, compte en banque qui se reflète sur le visage porcelain de la douce, loin de ce avec quoi Jesper a pu grandir, loin de ce qu'il a appris à apprécier. Pourtant, il a également appris à l'apprécier, elle. Loin d'être uniquement cette allure princière qu'elle reflète, une personne aussi intéressante qu'attrayante. Il fronce légèrement les sourcils lorsqu'il l'écoute parler de la douleur qu'aurait provoquée cette discussion. Partagée entre la compréhension et l'égoïsme, il ne dit rien. Silence bien plus ravageur que ses cris, colères assourdissantes face à un silence des plus oppressants. Il s'apprête à ouvrir la bouche lorsqu'il croise enfin son regard, iris implorants pour lesquels il était déjà tombé une fois. Peine non dissimulée, loin d'être feintée, qui vient le frapper de plein fouet. Alors il referme doucement la bouche et respecte cette demande de silence, cette demande de ne pas embrayer sur le sujet. Parce que même s'il a été blessé, il ne tient pas réellement à lui faire du mal. Loin d'avoir oublié ses sentiments à son égard, il cherche toujours d'une manière à la protéger. Sa langue rosée vient passer sur ses lèvres, les yeux perdus contre le sol. Alors il relève la tête, Jesper. « Peut-être, mais tu as quand même menti. Peu importe les raisons, tu l'as fais. » Voix d'un calme olympien, le garçon ne bouche pas, aucune vibration ne vient ébranler sa voix aux accents graves. « Il aurait simplement fallu que tu me dises que tu étais mariée mais séparée, pas encore divorcée. Et je n'aurai pas posé plus de questions. » Pour lui, les choses étaient d'une simplicité ahurissante, loin de se positionner de son côté à elle, d'imaginer sa perspective. « Enfin. Si c'est bien le cas. » Il hausse doucement les épaules, mesquinerie qui ne peut s'empêcher de pointer à nouveau le bout de son nez.

Jesper et sa discrimination envers les castes aisées, quel drame. Mallory a petit roulement d’yeux, légèrement agacée par le souvenir, comme elle l’a été pendant des jours entiers aux prémices de leur relation. Elle sait pas trop, dans l’esprit de Jesper, quand est-ce qu’elle est passée de cette femme au port altier trop princier pour être supportable à celle à laquelle il a tant voulu offrir un verre. Ils ont en jamais réellement parlé — tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a fini par craquer après l’avoir trop repoussé, lutté contre une attirance qu’elle ne s’explique toujours pas. Ça doit forcément avoir quelque chose avoir avec le regard qu’il avait pour habitude de lui lancer, la flamme d’un désir dansant au fond des pupilles, parfois tamisée par une douceur nouvelle dont elle n’avait pas tant tardé à s’éprendre. « J’ai menti, je sais et je suis désolée », qu’elle finit tout de même par avouer en secouant doucement la tête, les yeux tournés vers le plafond pour éviter d’avoir à croiser les siens une nouvelle fois, le coeur empli de remords trop lourds à porter sans vaciller. « J’ignorais que notre relation allait prendre une telle ampleur. C’était juste un stupide verre, c’était supposé être qu’une nuit », qu’elle concède, lèvres pressées l’une contre l’autre l’espace de quelques instants, juste le temps de retomber sur ses pieds, trouver les mots. Mais ça s’est reproduit. Encore et encore, sans qu’elle ne s’y attende. « On a jamais défini ce qu’on était, Jes et quand c’est devenu un peu trop sérieux, c’était trop difficile. Je m’étais attachée et j’avais peur de te faire du mal, t’avais déjà tellement souffert ». Elle pense à Rosie, bien entendu et la complication que ça aurait engendré de lui avouer qu’elle n’était pas mieux, pas plus digne de lui. Elle l’a fait pour lui, finalement, ou par simple égoïsme ? « Et j’ai fait pire », conclut-elle en le désignant d’un geste de la main, perdue entre douleur et agacement envers elle-même. Il aurait simplement fallu que tu me dises que tu étais mariée mais séparée, pas encore divorcée. Et je n'aurai pas posé plus de questions. Mallory incline la tête qu’elle secoue avec douceur, les yeux légèrement brillant de cette fichue fragilité qui l’empêche de respirer. « Oh, Jes, je… » Elle est encore plus désolée, se trouve encore plus détestable — c’est inévitable, il va la haïr. « C’est pas aussi simple que ça. » Elle voudrait bien, pourtant. Peut-être qu’il pourrait lui pardonner alors. Mais entre Peter et elle, c’est encore trop compliqué. « Je n’aurais peut-être pas dû venir », finit-elle par couper, incapable de lui révéler qu’elle a fui, trois ans auparavant, sans rien dire — une véritable voleuse, dérobant des années de mariage et détruisant tout sur son passage. Dans une tentative désespérée de voir la tension qui règne partir en fumée, elle ajoute avec nonchalance : « et dire que j’ai dû accepter un rendez-vous avec Will Harrington pour te retrouver. T’aurais au moins pu me donner dix minutes, pour la peine. » Elle bat des cils, chasse l’émotion d’un regard qui l’a trahirait un peu plus. Bras relevé, doigts qui soulèvent la manche de son manteau pour jeter un coup d’oeil à la montre qui y brille. Elle s’apprête à fuir, encore. C’est ce qu’elle fait de mieux, de toute façon.

Des excuses. C'est sans doute ce qu'il voulait tant après de si longs mensonges qui ont eu pour toute impression d'être un poignard dans son dos que l'on viendrait faire vibrer contre sa colonne vertébrale. Paralysé, il l'a été pendant les quelques heures qui ont précédé son départ de Los Angeles pour revenir ici, parce qu'il n'arrivait pas à croire que pendant tous ces mois passés ensemble, il ne s'agissait que d'une illusion. Et il nageait en plein dedans. Et Jesper, quand il voit qu'elle ne le regarde même pas dans les yeux ça l'énerve autant que ça lui brise le coeur. Parce qu'il ne sait pas comment ils ont fait pour passer d'amants à ça, de presque inconnus qui doivent expliquer un problème. Parce qu'il aimerait qu'elle lui fasse face, qu'elle le regarde dans les yeux et qu'il puisse se perdre dans ses iris alors qu'elle parle, parce qu'il aimerait qu'elle assume complètement son erreur. « Mais tu n'as pas pensé que le fait de me mentir finirait par me blesser un jour où l'autre quand je le découvrirai ? » Cette fois, sa voix est dénuée de tout agacement ou de cynisme, âme à fleur de peau qui refait surface, qui montre le petit garçon blessé par l'illusion dans laquelle il s'est bercé. Pourtant, quand elle lui parle de la simplicité dont est dénuée cette situation, c'est comme un électrochoc. Parce qu'à ses yeux, la situation ne pourrait pas être plus simple. « Les choses pourraient être simples si tu seulement tu les laissais l'être. » Mallory qui complique éternellement la situation là où cela n'a pas lieu d'être, Jesper qui aurait été prêt à passer outre cette histoire de mariage si seulement elle lui en avait parlé. Qu'importe qu'elle soit mariée ou enceinte, la seule chose qu'il voulait c'était être avec elle. Parce que la chaleur qui commençait à envahir son être à ses côtés, elle, c'était pas une illusion. Et parce qu'il n'avait pas ressenti ça pour une autre que Rosie, pas depuis elle, il savait que leur relation était une bonne chose. Équilibrée, saine. Loin des tempêtes qu'il vivait avec Rosie. Mais quand il voit qu'elle s'apprête à partir, à le quitter, ses nerfs lâchent. « Alors quoi tu vas juste partir et abandonner ? » Parce que Jesper il déteste la lâcheté dont elle semble vouloir faire preuve, ignorant sa remarque sur Will qui ne lui semble que dérisoire maintenant. Parce que tout ce qui compte, c'est eux. C'était tout ce qui comptait il y a pas plus de deux mois, bonheur et épanouissement qui commençaient enfin à pointer le bout de leur nez d'une manière sincère. « Tu sais quoi ? Si tu veux partir je te retiendrai pas. C'est ton choix, c'est toi qui est venue ici. Alors tu peux soit aller au bout des choses, soit tirer une croix sur moi si tu franchis cette porte maintenant. » Doigt pointé tantôt sur le coeur de la jeune femme, tantôt sur la porte alors qu'il s'est rapproché d'elle, la forçant à le regarder dans les yeux.

Jesper il manque un peu de s’étouffer quand elle lui dit que lorsqu’elle a accepté de boire un verre avec lui, elle ne l’appréciait même pas. Pas sûr de savoir s’il ressentait une simple antipathie envers elle ou si c’était plus que ça. Un désir inavoué et tempestiel qui faisait rage en son sein. «  Oh fais pas comme si j’étais irascible au point que tu ne pouvais pas supporter les deux heures par semaine qu’on passait ensemble pour ton bouquin. » Ses yeux viennent rouler au ciel, détestant le portrait que la brune semble dépeindre de lui, comme s’il n’était rien d’autre qu’une personne détestable et désagréable au plus haut point. Pourtant, quand il voit les yeux de sa belle s’humidifier, il ne peut empêcher le pincement de son cœur et la culpabilité qui commence à le dévorer. « Non ça ne changera rien à ce qui s’est passé.  » Sa voix est calme et se veut être rassurante pour tenter d’apaiser les maux de cœur qui troublent sa douce. « Mais cela peut changer beaucoup de choses pour le futur. » Il lui adresse un sourire triste, épanchement des regrets qu’il nourrit face à la fin de leur relation qui aurait pu être sublimée par de nombreuses années en compagnie l’un de l’autre. À vrai dire, il n’était pas vraiment sûr du futur qu’il voulait avec elle — si toutefois il voulait qu’elle fasse partie de sa vie dans les prochains mois, dans les prochaines années. Parce que s’il ne pouvait pas oublier les sentiments naissants qu’il nourrit à son égard ni le désir brûlant qui s’agite au fond de son être lorsqu’elle est dans la même pièce, il n’arrivait pas non plus à oublier ses mensonges. Mais quand elle s’approche, réduisant la distance de sécurité imposée d’un accord tacite au préalable, Jesper il ne recule pas. Parce qu’à ce moment précis il ne pense à rien d’autre qu’au fait qu’il aimerait que tout redevienne comme avant. Que les mensonges n’aient jamais eu lieu d’être et qu’ils auraient pu continuer leur vie à Los Angeles. Tous les deux. « Si seulement tu savais à quel point tu me manques toi aussi.  » Paroles glissée dans un souffle, cette fois c’est lui qui s’approche pour anéantir la distance entre eux qui lui est désormais insupportable. Sa main vient effleurer la joue de sa belle, rosée par les émotions provoquées par cette discussion. Et jamais il ne retire ses yeux des siens, trop absorbé par ses iris dans lesquels il aime se noyer. Alors que sa main glisse dans le creux de sa mâchoire, Jesper il approche son visage de celui de la brune, les yeux suppliants de la laisser l’embrasser. Juste cette fois sans se soucier du passé, de l’avenir. Alors doucement, il vient poser ses lèvres sur les siennes en un baiser chaste et pur. Il ne se recule que légèrement, plongeant à nouveau ses yeux dans ceux de la belle, dévoré par un feu de passion qui menace de l’embraser. Et parce que le meilleur moyen de lutter contre une tentation est d’y céder, Jesper il vient reposer ses lèvres sur les siennes, affection bestiale qui se trahit par un orage de sentiments, bouches pressées l’une contre l’autre, union parfaite.

Y’a un moment pendant lequel elle hésite à contester, se défendre en se targuant de véritablement n’avoir ressenti autre chose qu’une profonde irritation à son égard. Mais y’a quelque chose qui lui souffle que c’est peine perdue, que de toute façon, il sait — il était là, tout comme elle. Il a intercepté ces regards du coin de l’oeil quand les autres n’observaient pas, il a ressenti l’électricité le jour où elle a craqué pour ce fameux verre, quoiqu’elle scande à haute voix, qu’importe qu’elle essaye de se convaincre elle-même qu’il ne représentait rien. « Irascible au point de te draguer en français au nez et à la barbe des autres avocats », qu’elle admet finalement et c’est moins terrible qu’elle l’avait imaginé jusque là. Ce qui l’est véritablement, c’est de dévoiler cette part d’elle qu’elle rejette sans arrêt. Celle qui lui humidifie les yeux et menace de la faire craquer quand elle a juré que ça ne serait pas le cas avant de se pointer devant chez lui. Elle doit battre des cils, yeux relevés en direction du plafond, pour en chasser les larmes et a même un petit hochement de la tête résolu quand il lui confirme que ses mots ne changeront rien à la situation. Elle s’apprête à ouvrir la bouche, sans doute pour lui demander si elle a vraiment tout fichu en l’air, mais il la devance. Y’a un petit rire, mi-moqueur, mi-triste qui lui échappe et elle a les yeux qui hurlent ce qu’elle pense réellement de la situation — quel futur ? Ils ont jamais été certains d’en avoir, tous les deux, mais cette fois-ci, leurs chances frôlent le néant et c’est entièrement de sa faute. Encore. Elle va perdre Jesper, Mallory, elle le sent bien, qu’elle se fasse la malle ou qu’elle reste, p’t’être qu’ils ont atteint un point de non retour et qu’il ne veut plus d’elle — il aurait raison, dans le fond, ça ne serait que mérité, un retour du bâton comme elle en a rarement, la privilégiée. Ça ne l’empêche pas de lui avouer que, d’une certaine façon, elle se sent bien vide, en son absence, qu’elle s’y attendait pas le moins du monde, qui plus est. Elle attend qu’il fasse le premier pas, de voir si elle se trompe ou pas. Faut qu’il admette qu’elle lui manque, elle aussi, pour laisser glisser un regard nouveau sur lui. Nouveau sans réellement l’être — il connaît bien, Jesper, l’envie qui danse derrière la mine récalcitrante qu’elle lui offre quand il s’approche un peu trop et l’étincelle qui s’apprête à lancer le brasier tant désiré. Le premier baiser, c’est comme une décharge, comme si son corps se réveillait après une anesthésie loin d’être désirée. Elle attend pas forcément qu’il revienne à elle, Mallory a déjà les mains sur sa chemise avant qu’il l’embrasse une seconde fois, histoire qu’il ne lui échappe pas. Elles glissent, descendant jusqu’au torse, jouent un petit temps avec les deux premiers boutons qu’elle fait sauter l’un après l’autre. Elle finit par repousser contre le bar après l’échange passionné qui lui teint un peu plus les joues, fait vrombir son coeur d’envie. « C’est assez. » L’ordre tremble, lui confère moins de pouvoir qu’elle n’en voudrait.

Sa remarque lui arrache un léger rire, souvenirs d'un autre temps, de longs mois qui se sont écoulés depuis ce moment précis. Après qu'il ait pesté en français lors de leur premier rendez-vous, il n'a été que surpris de la voir rétorquer en français qu'il s'agissait de sa langue maternelle. Dès lors, un jeu s'est installé entre eux. Celui de communiquer en français lors de leurs réunions pour que la signification de leurs mots échappent au reste des personnes présentes. « Je dois admettre que c'était plutôt fabuleux. » Un sourire vient étirer ses lèvres et remonter ses joues alors qu'il lui jette un regard tendre, qu'elle seule semble savoir lui arracher ces derniers temps.
Les mains de la belle sont posés sur sa chemise alors qu'il prend une seconde fois possession des lèvres de sa douce, charnues et bien trop désirables pour qu'il ne puisse y résister. Les boutons de sa chemise sautent, doigts agiles qui ont déjà exécuté ce geste des centaines de fois auparavant, un léger sourire vient se glisser sur les lèvres du garçon et contre celles de la brune. Puis, elle le repousse. Instinctivement, il fronce les sourcils. Parce qu'il ne comprend pas ce soudain revirement de situation, plaisir qui semblait partager. Voix tremblante, Jesper il ne se laisse pas abattre. Parce que maintenant qu'elle est là, devant lui, il ne veut pas la laisser partir. Alors, à nouveau il se rapproche d'elle, brise la distance qui sépare leurs deux corps, leurs deux âmes. Sa main vient glisser le long de son bras dans une lenteur agonisante, abominable avant de finir sa course dans son cou. Poigne douce, il l'attire contre lui dans une étreinte réconfortante. Il vient nicher son visage dans son cou, doux parfum qu'il hume avec plaisir, vague de nostalgie qui le submerge soudainement alors que ses lèvres viennent y déposer un baiser chaud. Puis un second, lèvres qui viennent s'écraser sensuellement contre la chair nue de la brune qui est à présent à sa merci. « Ne me dis pas que tu n'en veux pas plus. » Murmure aux intonations suaves dans le creux de son oreille tandis que pour la troisième fois, sa langue vient effleurer quelques centimètres de la peau de porcelaine avant de laisser place à ses lèvres rosées, frissons qui viennent lui courber l'échine tandis qu'un désir s'élève en lui.

Il revient vers elle, Jesper, pour la deuxième fois déjà et à nouveau, Mallory se laisse aller au geste qu’il initie sans ne serait-ce que chercher à le combattre, étreinte doucereuse sur son cou qui lui arrache un sourire de contentement. Peut-être qu'elle n'a pas tout ruiné, après tout. Ça n’a rien de surprenant quand elle a la main gauche qui se referme sur son épaule et les doigts de la main droite qui glissent le long de la nuque de l’amant qu’elle chérit tant. Le premier baiser lui arrache un soupire d’aise, les émotions finalement délivrées et les sensations ravivées sans la moindre difficulté — Jesper est plutôt doué en la matière, elle s’en est rapidement rendu compte à Los Angeles. Il a pas besoin de chercher bien longtemps, connaît le moindre point sacré, toujours (le seul, après ces années) capable de la faire flancher. Et la tête légèrement renversée, penchée pour lui donner un meilleur accès, Mallory a les pupilles vrillées en direction du plafond pendant qu’un petit moqueur étire ses lèvres en une moue entendue. Le murmure la fait frissonner, doit faire vriller quelques neurones au passage, parce qu’elle met un temps infini à hausser les épaules avec une délicatesse caractéristique, geste faussement détaché pour un tempérament qu’elle a toujours voulu distant — parfait contraste entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle devrait ressentir. Ses doigts se referment sur son menton, l’ongle parfaitement manucuré de l’index glissant sur son long quelques instants. « Ce que je peux te dire, c’est que toi, tu en veux plus », qu’elle minaude, toisant l’amant avec entendement, avant d’ajouter entre deux baisers plus lents : « ça me donne presque envie de te torturer. » Un baiser pour le menton, le haut du cou jusqu’à son creux où elle s’attarde plus longuement. L’index se balade sur le torse de Jesper, s’arrête sur les boutons de sa chemise une demi-seconde, avant qu’elle ne se mette à tirer sur le bout de cette dernière, l’entraînant en direction du couloir emprunté lorsqu’ils sont entrés plus tôt.