Dès le départ de sa petite dernière de la maison, Elinor avait été en quête désespérée d’activité, et quoi de mieux quand on s’ennuie que d’entamer une rénovation quasi complète de la moitié des pièces de la maison ? Elle avait cru deviner une envie de changement dans la décoration dans un regard que lui avait lancé son mari un jour – il lui arrivait de ne pas être si perspicace que ça, apparemment – et s’était lancée là-dedans. Enfin « lancée », c’est un bien grand mot, elle s’était contentée d’appeler une architecte dont elle avait entendu parler parce qu’elle avait déjà aidé l’une de ses amies à refaire sa décoration d’intérieur et que cette dernière avait été satisfaite. Elle avait expliqué ce qu’elle avait en tête à l’architecte dès les premiers jours et lui avait fait faire le tour de la maison pour lui donner une meilleure idée des travaux à effectuer. Au programme un rafraîchissement de la peinture dans toutes les pièces de la maison – et elles étaient nombreuses –, une rénovation complète de la salle de bain intégrée à la chambre principale – autant dire que le mari d’Elinor n’était pas ravi de devoir aller se laver dans la salle de bain commune, et ce même alors qu’ils n’étaient plus que deux à la maison – ainsi qu’un changement complet de décoration dans le salon. Ce dernier avait toujours été décoré avec beaucoup de style et d’élégance, comme si on avait essayé de déguiser le fait que la maison comportait des enfants, et aujourd’hui qu’elle se sentait seule, Elinor avait besoin d’une ambiance plus cosy. Elle espérait encore que ça aiderait à la réconforter pendant qu’elle attendait patiemment le retour de son mari. Elle avait aussi imaginé l’aménagement d’un window seat pour pouvoir y lire paisiblement, et bien sûr, il fallait que le piano ait une place d’honneur dans la pièce, que tout le monde sache qu’elle en jouait encore bien. Les travaux avaient commencé depuis maintenant quelques semaines et son mari commençait à s’impatienter, alors bien sûr, Elinor aussi. Elle se sentait coupable d’avoir lancé ces travaux puisque de toute évidence ils étaient une nuisance dans la vie de son mari et elle avait à la fois hâte qu’ils soient finis pour ne plus sentir son regard lourd de reproches, et à la fois anxieuse à l’idée de ne plus rien avoir à faire ou à imaginer une fois que tout serait terminé.
Pour dire la vérité, elle avait plutôt envie de faire traîner les travaux en longueur, ne serait-ce que pour avoir de quoi s’occuper l’esprit, mais ça, bien sûr, elle n’en dirait jamais rien à son mari. Elle avait demandé à l’architecte qu’elle avait embauchée de venir aujourd’hui pour lui parler d’une nouvelle idée qu’elle avait eu dans l’aménagement de la salle de bain. Elle était assise sur son canapé à l’attendre impatiemment quand elle entendit finalement la sonnerie de la porte d’entrée. Elle sursauta malgré elle et se releva rapidement afin d’aller ouvrir la porte. « Ah bonjour, merci d’être venue ! » Déclara-t-elle avant d’ouvrir en grand la porte pour permettre à Joey d’entrer. La jeune femme faisait du très bon travail jusqu’à présent et Elinor se sentait un peu coupable d’abuser de sa gentillesse, mais d’un autre côté elle faisait taire ses remords en se rappelant qu’elle était payée pour être là. Elle se sentit aussitôt pathétique en se rendant compte qu’elle était obligée de débourser de l’argent juste pour se sentir moins seule mais balaya quasiment aussitôt cette pensée de son esprit. Ce n’était pas le moment, elle avait du travail devant elle, enfin ! « Je vous ai appelée parce que j’ai eu une nouvelle idée hier soir avant d’aller dormir. Pour la salle de bain, tout bien réfléchi je me demandais si on ne ferait pas mieux de revisiter cette idée de douche à l’italienne. » Elle força une grimace, comme pour prouver qu’elle comprenait que c’était une mauvaise nouvelle et qu’elle abusait clairement. Quand Joey était venue la première fois et qu’elles avaient discuté de ce qu’Elinor imaginait pour la nouvelle salle de bain, l’idée première avait été une douche à l’italienne. Et juste au début des travaux, elle avait changé d’avis et s’était dirigée vers une grande baignoire dans le style des années soixante. Elle se doutait que Joey ne serait pas ravie de ce revirement, surtout que les ouvriers avaient déjà changé toutes les arrivées et évacuations d’eau dans la pièce.
Déjà devant son ordi à plancher sur des idées, des inspirations qui peuvent plaire à ses clients. Le jour était à peine levé, un café fumant à côté d'elle venait confirmer le fait qu'elle venait de se lever. D'habitude elle prenait le temps de déjeuner, de prendre une douche avant de se mettre devant son ordinateur. Aujourd'hui c'était différent, une famille venait de lui demander son aide pour refaire toute leur maison et le moins que l'on puisse dire c'est que le délais imparti était plutôt court. Ils voulaient que toute la maison soit opérationnelle d'ici 6 semaines. Alors il fallait qu'elle mette les bouchée double. Et avec tout cela des clients déjà bien avancé dans leur travaux qui appelaient pour qu'elle intervienne, en règle général ça ne sentait pas très bon. Les travaux avaient déjà commencé et de ce fait tout avait été validé, si elle avait besoin d'intervenir comme cela c'est que les clients avaient quelque chose à redire. Elle n'aimait pas trop ce genre de situation. En tout cas ce matin, elle était déjà sur le pied de guerre pour cette famille. Flânant sur les sites pour trouver un peu d'inspiration. Elle se demandait toujours comment ils faisaient avant lorsqu'il n'y avait pas toutes ses ressources sur internet. Pinterest, sa mine d'or, c'est souvent là qu'elle trouvait toute son inspiration. Évidemment avant il y avait les magasines, mais avoir autant de choix maintenant c'était encore mieux... Ou pire selon si les clients étaient exigeant ou pas. Elle avait fini par terminer sa planche d'inspiration pour une bonne partie des pièces lorsqu'elle venait de regarder l'heure. Elle n'avait pas vu qu'elle était restée aussi longtemps. Elle se précipita dans la salle de bain afin de prendre une douche, un ravalement de façade, avec un peu de BB crème, de blush et une pointe de mascara. Elle avait tendance à être pâle lorsqu'elle ne sortait pas, et puisqu'elle a été devant l'ordinateur toute la matinée, elle devait avoir l'air d'un zombie. Elle opta pour quelque chose de décontracté, après tout c'était la visite d'un chantier, un jean boyfriend, un pull noir et son perfecto qu'elle traîne de partout. Une écharpe, car mine de rien il faisait encore froid, le dossier correspondant aux clients et c'est parti. Elle ne savait pas trop à quoi s'attendre en y allant.
Elle venait d'arriver sur place elle sonna à la porte d'entrée et la réponse fut quasi immédiate comme ci on l'attendait de pied ferme. "Bonjour ! Oui j'ai cru comprendre que c'était important..." Visiblement sa cliente avait l'air d'être pressé de lui exposer ce à quoi elle avait pensé. Elle suivit sa cliente qui avait l'air toute excitée de sa présence. Pour autant Joey n'était pas très rassurée, après tout Mme Nash avait eu un peu de mal à se décider sur ce qu'elle voulait faire alors elle s'attendait un peu à tout. Et la sentence ne m'y pas très longtemps à arriver. Une idée soudaine, un soir... Oui ces clients avaient souvent ce genre de lubie. Joey eu un temps d'arrêt, l'histoire de la douche à l'italienne avait fait grand débat avant le début des travaux. Un coup oui, un coup non, pendant un moment Joey ne savait plus où donner de la tête. Et encore pour ces travaux elle n'avait que l'avis de Madame, Monsieur avait l'air de passer à côté des rénovations, et heureusement, elle avait déjà assez de boulot à gérer avec Madame. "Une douche à l'italienne." Répéta t-elle. Comme-ci le simple fait de le dire allait effacer cette demande en un temps record. "Pourquoi ?" Elle n'y allait pas par quatre chemins Joey, elle voulait savoir pourquoi se revirement de situation. "Vous savez que ça à une incidence sur les travaux !" Elle voulait être sûre qu'elle mesure toutes les conséquences de ce changement.
petit message:
Toutes mes excuses pour le temps de réponse. avec le télétravail à la maison, j'ai un phobie de l'ordi lorsque vient la fin de la journée.
Elinor savait très bien qu’elle abusait mais elle n’avait pas envie de laisser ça la culpabiliser. Elle avait le droit de demander ce qu’elle voulait dans sa propre maison et ce n’était pas un choix qui lui paraissait si anodin que ça. Forcément, sa vie était centrée sur sa maison étant donné qu’elle ne travaillait pas, donc tous les choix qu’elle était amené à faire pendant les travaux lui semblaient être d’une importance capitale. Elle ressentit bien l’incrédulité et l’agacement de Joey en comprenant ce qu’elle venait de lui demander, et très franchement, elle ne pouvait pas dire qu’elle la blâmait vraiment. Elle haussa les épaules, faussement désolée à l’idée de lui faire perdre du temps, c’était elle la cliente, c’était elle qui payait, elle aurait pu demander à tout recommencer depuis le début et elle ne se serait pas sentie plus coupable que ça. Du moins c’était ce qu’elle s’efforçait de se rappeler, qu’elle n’avait pas besoin de culpabiliser parce qu’à la fin, c’était elle qui allait signer le chèque. Ce n’était pas ce qu’elle préférait, imposer ses choix, elle n’en avait pas tant que ça l’habitude, elle était plutôt du genre à suivre les décisions de son mari, mais vu qu’il refusait de s’intéresser à l’avancement des travaux il fallait bien qu’elle s’y colle. « Oui je sais bien. » Lâcha-t-elle un peu plus sèchement que nécessaire devant la question de Joey. Bien sûr qu’elle savait que ça aurait une incidence sur les travaux, elle n’était pas non plus complètement stupide. Elle n’avait d’ailleurs pas cherché à dissimuler l’agacement dans sa voix. Elle n’était pas en train de dire ça juste pour l’embêter, elle avait sincèrement changé d’avis et elle aurait préféré que Joey soit plus dans le conseil et l’écoute que tout de suite dans la critique et la remise en question. Au risque d’insister, c’était elle qui avait le dernier mot jusqu’à preuve du contraire. « Je n’ai pas le droit de changer d’avis ? » Demanda-t-elle, sur la défensive et faussement désolée. Elle n’avait pas eu hâte de lui annoncer la nouvelle mais la réaction de Joey faisait taire le peu de culpabilité qu’elle avait ressenti à cette perspective. Depuis quand était-elle obligée de justifier ses choix ? Elle pouvait comprendre que Joey soit déçue ou agacée à l’idée de repousser la fin des travaux et d’avoir perdu du temps mais ce n’était pas comme si Elinor avait le choix ! Elle avait changé d’avis, c’était humain, elle n’allait pas devoir s’excuser d’être humaine quand même ! « Je veux que ce soit parfait, et après réflexion j’ai pensé qu’une douche à l’italienne serait une meilleure idée, c'est tout. » Elle ne voulait pas que ce soit parfait, elle en avait besoin. Peut-être que si elle réussissait à redonner un vrai coup de jeune à la maison son mari s’y plairait plus, et s’il s’y plaisait plus peut-être qu’il finirait par recommencer à y passer plus de temps. Et s’il était à la maison, il finirait forcément par passer plus de temps avec elle. Alors oui, forcément, aux yeux de Joey ça paraissait anodin, superficiel et stupide de changer d’avis sur quelque chose d’aussi impactant alors que les travaux avaient déjà bien avancé, mais pour Elinor, c’était loin de tout ça. C’était quelque chose qui, à ses yeux, avait le potentiel de sauver son mariage.
Spoiler:
pour le coup c'est à moi de m'excuser, avec le confinement je ne vois plus le temps passer j'espère que ça ira quand même :l: