@ashley kehler & @holly kehler Holly c’est ton petit rayon de soleil. D’aussi loin que tu t’en souviennes tu as toujours eu envie de la protéger. Elle est si différente de toi et pourtant si semblable. La génétique vous rapproche, là où vos personnalités vous éloignent. Elle est trop fragile Holly, trop précieuse pour le monde hostile qui l’entoure. Et t’aimerais qu’elle s’endurcisse. Depuis le décès de votre père, tu sens que quelque chose ne va pas mais tu n’as pas encore pris le temps d’en parler avec elle. Tu détestes l’admettre mais il faut te rendre à l’évidence. Les projets commencent à vraiment s’enchaîner et même si tu es très contente que tes talents de décoratrice d’intérieur soient enfin reconnus, t’aimerais pouvoir passer plus de moments avec ton petit chaton. Mais il y a une chose que tu ne louperais pour rien au monde : son anniversaire. Le premier sans lui. Ta mère vous a proposé de diner tout de même à la maison et ta petite soeur a accepté. Tu sais qu’elle appréhende et tu mets un point d’honneur à lui faire passer la soirée de sa vie. Même si tu te doutes qu’elle préférerais probablement faire la fête avec sa bande de potes. Tu frappes à la porte de sa colocation et attend qu’elle vienne t’ouvrir. Quand enfin tu la vois, tu te jettes presque sur elle. « Joyeux anniversaire Lily ! » Tu fais un pas en arrière pour l’observer. « Par contre devenir de plus en plus canon au fil des années c’était pas prévu au programme ça. » Tu lui fais un grand sourire avant de lui demander : « T’es prête ? On peut y aller ? »
@ashley kehler & @holly kehler Quelqu’un a dit un jour, « les années passent, les gens changent mais les souvenirs restent ». Cette citation ne t’a jamais paru aussi vraie qu’aujourd’hui. Vingt-cinq ans, un quart de siècle déjà que tu existes. Plus de deux décennies que tu respires l’air de cette Terre et pourtant, tu n’as rien vu passer Holly. Il y a encore quelques temps, tu n’étais qu’une adolescente ordinaire et timidement maladive qui se planquait dans son coin pour pouvoir observer les gens de loin. Aujourd’hui, tu fêtes ton anniversaire tout en devant gérer le décès de ton père, la tristesse de ta mère, la fausse gaieté de ta sœur, tes sentiments pour ton meilleur ami aux habitudes polygames, tes partiels de fin de master qui approchent, ton attitude plus que douteuse vis-à-vis de l’alcool et le contre-coup des fêtes de fin d’année sans ton paternel. T’es sur le point d’exploser Holly, tu le sais, tu le sens. Tu sais pas trop comment désamorcer la bombe à retardement que tu es devenue mais tu sais qu’à un moment, quelque chose va se briser. T’appréhendes un peu, et t’es d’autant plus stressée que ta mère a insisté pour vous réunir toutes les deux à la maison familiale avec ta sœur. Tu te souviens encore de votre dernier repas tous ensembles, ça te fait mal d’y penser mais t’arrives pas à l’oublier. De toute manière, tu n’en as pas vraiment envie. Tu n’as pas envie non plus de te recréer des souvenirs dans lesquels ton père ne sera pas là, t’as pas envie que ta mère te prenne en photo quand tu souffleras tes bougies –parce qu’elle le fera toujours c’est sûr–, t’as pas envie que tout le monde te regarde faire un vœu qui ne se réalisera jamais et t’as encore moins envie d’ouvrir tes cadeaux. Ton père disait toujours quelque chose de drôle pour détourner l’attention des invités. Il te connaissait par cœur, savait que tu détestes être au centre de tout, alors il sortait toujours une blague pour détendre l’ambiance et faire réagir les gens. Qui le fera cette année ?
Ashley sonne à la porte et durant quelques secondes, tu penses à faire la morte. Mais tu sais qu’elle ne partira pas de sitôt. Elle a insisté pour passer te prendre alors que ce n’est pas vraiment sa route. Tu lui as pourtant dit que tu n’étais pas en manque de gazoil ou que tu n’étais pas épileptique, que tu étais parfaitement capable de conduire toi-même jusqu’à chez votre mère. Mais elle a insisté, et tu as laissé couler. Tu n’aurais jamais eu le dessus sur elle de toute manière. « Merci ! » Tu lui rends son sourire et lèves les yeux au ciel. « C’est toi qui dit ça ? Regardes-toi un peu. » Tu attrapes ta veste, ton sac et hoches la tête. « J’y vais ! » Tu n’attends aucune réponse et refermes la porte derrière toi. « Prête ! » Une fois installée dans la voiture, tu tiens tout de même à la remercier. « Merci de venir me chercher mais comme je t’ai dis, j’aurais pu venir par moi-même tu sais. J’ai vingt-cinq ans maintenant, dont huit de permis. » Tu sais très bien qu’à ses yeux tu resteras à jamais son bébé, mais qui ne tente rien n’a rien.
@ashley kehler & @holly kehler Holly est probablement la seule personne avec qui tu te sens vraiment toi-même. Pas besoin de faux semblant avec elle. Elle te connait par coeur. Elle n’est pas une très grande fan de tes amies proches qu’elle juge aussi superficielles que celles de votre mère, mais elle ne leur montre jamais. Elle est heureuse pour toi et Louis mais elle sent également qu’il y a quelque chose de différent entre vous depuis quelques temps. Là encore, elle ne dit rien et se contente de sourire quand tu lui parles du mariage. Et ça te va. Tu sais qu’elle sait, comme toujours. Elle lève les yeux au ciel quand tu la complimentes mais tu t’en fous. « Tu seras toujours mon bébé, même à cinquante ans Holly. » Et peu importe si elle est légèrement plus grande en taille que toi. Tu l’as vu grandir et tu la verras toujours comme ta petite soeur qu’il faut protéger à tout prix. Surtout en ce moment. Depuis le décès de votre père, vous n’aviez pas vraiment pris le temps de parler de tout ce que cela représentait vraiment pour vous. Et notamment de ce que vous pouviez ressentir. De ton côté tu savais que ton rôle était maintenant de veiller sur ta mère et Holly. Il te l’avait demandé. Et tu ne comptais pas le décevoir. Tu savais que votre maman avait du mal à remonter la pente et que toutes ses amies ne s’étaient pas montrées présentes. La veuve éplorée, on évitait de l’inviter dans les soirées. Ça te dégoutait. Mais au moins ça faisait le tri. Mais ce n’est pas ce qui allait l’aider à aller mieux. Quant à Holly, c’était plus délicat. Tu ne l’avais pas vu depuis quelques temps et le peu de fois où tu lui avais envoyé un sms, elle prétendait que ça allait. Tu ne voulais pas lui forcer la main. Tu ne le ferais pas ce soir non plus. Tu te dois juste de lui demander, simplement : « Comment tu te sens ? » Tu te doutes bien qu’aller chez vos parents fêter son anniversaire sans votre père allait probablement être très bizarre. T’espérais que ton cadeau lui changerait les idées et lui remonterait un peu le moral. « Tes colocs ne nous détestent pas de t’enlever le soir de tes vingt-cinq ans ? » demandes-tu pour rendre l’atmosphère moins pesante tout en démarrant ta voiture.
@ashley kehler & @holly kehler Tu ne peux t’empêcher de sourire face à la réponse de ta sœur. Tu le sais très bien, que tu seras toujours la petite sœur, celle sur qui on doit veiller, celle qui paraît fragile et un peu perdue. Ça t’a jamais dérangé de jouer le rôle de bébé de la famille, d’être sans cesse couvée et surveillée ainsi, t’as jamais rien eu à cacher de toute manière, Holly. Mais t’aimerais aussi qu’Ashley vive pour elle, qu’elle cesse de s’en faire pour toi et qu’elle se concentre sur sa vie. Tu le sais bien, qu’elle feint un sourire et une force qu’elle n’a pas forcément au naturel. Bien-sûr, tu l’admires et tu sais quelle femme forte, déterminée et indépendante elle est. Mais tu sais aussi à quel point elle aimait votre père et à quel point il doit être dure de feindre d’aller bien alors que ce n’est probablement pas le cas. Tu l’admires pour ça, pour ce qu’elle dégage, pour la manière qu’elle a de sauver les apparences. T’y arrives pas toi Holly, alors tu préfères éviter les gens qui te connaissent afin de broyer du noir en tout anonymat. T’as envie de lâcher un « si j’arrive à cet âge » mais tu te retiens, ce n’est clairement pas le moment de se lancer dans ce genre de pensées macabres alors tu hoches la tête en souriant, ta douceur naturelle reprenant le dessus. « Je sais, oui. Merci. » Tu ne développes pas plus, elle sait pourquoi tu la remercies et pourquoi tes yeux brillent. Elle sent que tu l’aimes et que t’as besoin d’elle mais si tu ne lui dis pas tout le temps. T’es trop pudique pour ce genre de déclaration Holly, alors tu préfères ne rien dire. Fondre en larmes le soir de tes vingt-cinq ans pourrait être catastrophique, parce que si tu commences, t’as bien peur de ne jamais pour t’arrêter de pleurer. « Je vais bien ! » Tu as répété cette phrase des dizaines et des dizaines de fois devant ton miroir. La tête haute, le regard droit, un sourire collé aux lèvres et un imperceptible hochement de tête pour accompagner le tout. C’est le plus beau mensonge dont tu sois capable, c’est celui que tu répètes chaque matin en te levant depuis plus de sept mois maintenant. « Et toi, ça va ? Tu sais qu’à chaque fois que je prends de l’âge, toi aussi. » Ce n’est pas la remarque la plus raffinée à faire mais c’est la vérité, tu sais que certaines personnes réalisent l’âge qu’elles prennent lorsque leurs cadets fêtent leurs anniversaires. Installée bien au chaud dans la voiture, tu secoues la tête avant de te mordre la lèvre. « Non en fait je… Je leur avais demandé de ne rien organiser. Cette année, je ne me sentais pas trop de le fêter... » Tu fais la moue, tu sais déjà que ça ne va pas lui plaire mais tu ne mens jamais Holly, et encore moins à Ashley, ta meilleure meilleure amie en ce monde.
@ashley kehler & @holly kehler La route jusqu’à chez votre maman n’est pas très longue. Tu pourrais même laisser la voiture conduire toute seule tellement tu as emprunté cette route maintes et maintes fois. La fatigue de ton projet de réhabilitation de la bibliothèque (et surtout la tuile qui t‘étais tombée dessus) se faisait de plus en plus sentir. Ajoutez à cela les problèmes de couple que tu rencontrais actuellement avec Louis et on comprenait la raison pour laquelle tu fronçais les sourcils en regardant devant toi. Mais c’était le genre de faiblesse que tu ne laissais pas paraitre. T’avais pas le temps d’être fatiguée ou indisponible lorsqu’on avait besoin de toi. Avec Holly c’était différent. T’avais réellement envie d’être là avec elle. Même si elle ne semblait pas vouloir encore se confier à toi. « Ah on s’attaque tout de suite ? Je pensais qu’on attendrait un petit peu. » Tu quittes la route des yeux deux secondes pour lui faire un clin d’oeil. Tu ne prends pas mal sa réflexion sur ton âge. T’es bien dans tes baskets. T’as réussi ta vie et aux yeux du monde extérieur, t’as tout ce dont pourrait rêver une fille de trente-deux ans. La seule chose qui te manque c’est de voyager… Et peut-être de devenir maman. Mais c’est un sujet que tu n’oserais même pas aborder avec Louis. Ton coeur se serre quand tu entends ta petite soeur te confier qu’elle ne veut pas fêter son anniversaire cette année. Ce n’est pas une surprise. « Je sais… » soupires-tu en posant ta main sur la sienne. « C’était important pour maman de le faire. Et je la comprends. C’est tôt mais il va falloir qu’on se réhabitue tu vois ? Qu’on reprenne le dessus sur la vie ? » C’est ton rôle de lui dire ce genre de phrases. Peut-être qu’elle n’en a rien à faire de reprendre le cours de sa vie, très certainement même. Toi non plus tu n’étais plus vraiment toi-même depuis le décès de votre père. Mais si tu ne voulais pas la laisser s’enfoncer dans un état nostalgique, t’étais bien obligée de lui donner le change. Tu gares ta voiture une rue avant la vôtre et te tournes vers Holly. « Est-ce que tu veux qu’on se fasse notre quart d’heure de vérité maintenant ou tu préfères qu’on le fasse au retour ? » C’est comme ça que tu l’appelais. Votre quart d’heure de vérité. Celui où pendant les quinze prochaines minutes vous pouviez absolument tout vous dire, sans filtre. Parce qu’Holly n’était pas n’importe qui à tes yeux. C’était la seule personne à qui tu disais tout. Et c’était pendant ce quart d’heure et pas à n’importe quel autre moment.
@ashley kehler & @holly kehler Le petit clin d’œil d’Ashley fait remonter plein de souvenirs à la surface. Vous avez toujours eu cette relation fusionnelle elle et toi, et vos parents étaient toujours très fiers de dire au monde entier à quel point leurs filles étaient proches malgré leurs différences d’âge. Sept ans de différence, assez pour que ton aînée décide de jouer les secondes mamans et de prendre soin de toi comme une mère l’aurait fait. Au fil des années, elle a délaissé ce rôle de mère pour prendre celui de la sœur complice et à l’écoute. Finalement, elle est devenue ta meilleure amie. « On vient à peine de commencer » dis-tu en lui tirant la langue. Pourtant, elle et toi savez pertinemment que tout cela n’est que pour rire. Ashley est parfaite. Beaucoup trop aux yeux de certaines personnes. A tes yeux, elle est la plus belle et la plus forte. Tu envies souvent sa force et sa stabilité, sa vie de couple idyllique, son travail qui la passionne et ce don qu’elle a de réussir à s’occuper de tout le monde. T’as pas honte de dire que t’as eu un passage à vide Holly, que tu t’es volontairement éloignée de tout le monde. Tu regardes Ashley conduire et votre ressemblance qui saute apparemment aux yeux de tous ne t’effleure même pas, tu n’as même pas un millième de sa classe ni de ce qu’elle dégage d’ailleurs.
Finalement, tu finis par lui avouer que tu n’es pas d’humeur à fêter ton anniversaire. Le seras-tu jamais, d’ailleurs ? « Oui je sais, c’est juste que.. J’aurais préféré attendre l’année prochaine tu vois.. » Parce que vingt-cinq ans est un cap, parce que c’est le premier sans ton père, parce que c’est encore trop proche, trop frais dans ta tête et dans ton cœur. C’est idiot. Et puis tu aurais sûrement trouver une excuse du même genre l’année prochaine. « J’ai juste.. C’est trop bizarre de se dire que sa place restera vide, à jamais.. » La voiture se gare enfin devant la maison de votre mère, la demeure de votre enfance et ton estomac se serre. La proposition d’Ashley te terrifie autant qu’elle est alléchante. La partie lâche en toi souhaite rester dans cette voiture le plus longtemps possible, pour repousser un peu plus l’échéance. La partie encore plus lâche ne souhaite pas participer à ce quart d’heure de vérité qui a coup sûr ne manquera pas de te faire pleurer. Et pourtant.. « D’accord, faisons ça maintenant. » Tu sors un paquet de mouchoirs de ton sac à main et le place entre vous deux, bloqué en équilibre près du frein à main. « Qui commence ? » Tu détestes commencer Holly, et elle le sait.