a case of you Les mains enfouies dans les poches de sa veste, Ethan foulait les rues de ce quartier qu’il n’avait pas réellement l’habitude de fréquenter. La principale raison de ses venues dans le Garden District était ses visites au cimetière où étaient enterrés les membres de sa famille. Ses parents et ses grands-parents, ces derniers étant ceux qui l’avaient réellement élevé. Leur absence lui pesait particulièrement alors qu’il vivait ces moments difficiles. Qu’il se sentait seul, aussi. Bien qu’il fut protégé, trop parfois, par son entourage. Suite à sa visite, Ethan avait décidé de s’aventurer davantage dans le quartier. Il n’était attendu nulle part, de toute façon. Il lui semblait que de passer le temps était sa seule préoccupation dernièrement. Il passait devant une boutique d’antiquités quand la porte du commerce s’ouvrit, une femme y émergeant, un grand miroir dans les bras. Le cadre travaillé et sa taille de la pièce trahissaient sa lourdeur. — "Let me give you a hand with that thing…" Lança-t-il, sans hésitation. Sans non plus attendre une réponse de la jeune femme. Il attrapa un côté du miroir massif, faisant en sorte de supporter la majeure partie de son poids. Probablement un réflexe de pompier. Toujours prêt à aider, à prêter main forte. Son congé forcé commençait à lui peser. Il avait cette impression de tourner en rond, de se tourner les pouces et s’il pouvait se rendre utile en effectuant ce genre de chose, aussi futile soit-elle, il était partant. Il n’en pouvait plus de se sentir autant inutile. Un fardeau. — "Looks valuable, you wouldn’t want to break it." Ajouta-t-il, simplement. Un sourire chaleureux accroché à ses lèvres. Il recula de quelques pas, permettant à la jeune femme de le rejoindre sur le trottoir. — "Is your car parked nearby?" S’enquit-il, regardant par-dessus son épaule, sur la chaussée, à la recherche d’un véhicule qui pouvait appartenir à la femme. — "The name’s Ethan, by the way." Dit-il, soufflant un léger rire. Prenant conscience de la manière dont il s’était imposé à elle. Si son geste découlait d’une bonne intention, il réalisait qu’il s’était peut-être montré insistant, motivé par son besoin de se sentir utile. Il posait son attention sur la jeune femme, s’attardant pour la première fois sur les traits de son visage. Il lui était impossible de ne pas remarquer sa beauté. Baissant légèrement les yeux, légèrement nerveux. Soudainement bien conscient de l’anneau qui ornait son annulaire gauche. Espérant que son insistance ne lui paraisse pas comme une tentative maladroite de lui faire la cour. — "Guess I’ll have to shake your hand later." plaisanta-t-il, haussant légèrement les épaules. Relevant finalement les yeux vers elle, prêt à la suivre dans la direction qu’elle indiquerait.
Elle n’avait pas pu résister quand elle l’avait aperçu au travers de la vitrine d’une petite boutique d’antiquité qui avait attisé sa curiosité. Il n’était pas rare que Lena se permette d’exorbitantes, et souvent futiles, dépenses sur un coup de tête, et cet imposant miroir dont elle venait de faire acquisition en était la preuve. Enchantée de son nouvel achat, qu’elle imaginait déjà enjoliver sa chambre d’amis, elle n’avait pas pensé au détail le plus important, celui de le rapporter chez elle. C’est avec grande difficulté qu’elle franchit la porte du commerce, après avoir rassuré d’un sourire peu convaincant le vieil employé derrière le comptoir qu’elle saurait se débrouiller. Elle ne devait cependant pas sembler en contrôle de la situation, car elle ne put faire que quelques pas avant qu’on vienne à sa rescousse. — "Thank you...", commença-t-elle, à bout de souffle, avant de s’interrompre, figée, son regard s’arrêtant sur la silhouette de son sauveur. Son cœur s’arrêta. Ethan. Comment n’avait-elle pas reconnu sa voix? Elle ne s’était pas préparée à de telles retrouvailles, s’étant fait à l’idée, après avoir tenté de le voir à l’hôpital, qu’il était préférable qu’elle se tienne loin de lui. Sa femme s’était d’ailleurs montrée bien ferme sur le sujet. Elle n’avait jamais considéré l’éventualité de le croiser dans les rues du quartier. Elle mit quelques secondes avant de se ressaisir, adoptant une attitude qui se voulait, en surface, à la fois décontractée et naturelle, mais à l’intérieur, il s’agissait plutôt d’un tumulte déchaîné. — "And you know what they say about breaking a mirror… seven years of bad luck? I’ve had my fair share of bad lucks. You can’t drop it.", lança-t-elle d’un ton mi autoritaire, mi amusé. Elle laissa échapper un léger rire, qui trahissait sa nervosité. — "I’m not too far… just around the corner. I honestly don’t know how I was planning on doing this by myself.", avoua-t-elle une moue penaude aux lèvres, quand il lui demanda où se trouvait sa voiture. Puis, il se présenta. Une phrase si simple, mais un rappel brutal à la réalité. Pour lui, elle n'avait jamais existé. Ses yeux ne quittaient plus l’alliance au doigt d’Ethan. Ce même anneau doré qu’il portait quand ils s’étaient rencontrés la première fois, mais qui avait fini par quitter son annulaire. Elle eut un pincement au cœur en constatant qu’il avait retrouvé sa place. — "I’m more of a ‘get to know each other over a drink’ kind of girl" lui répondit-elle, sans réfléchir, quand il suggéra de lui serrer la main plus tard. À une époque il ne se serait pas fait prier, mais maintenant qu’elle n’était plus qu’une étrangère à ses yeux, elle se demandait s’il n’allait pas la trouver un peu trop impétueuse. Elle ne savait pas pourquoi elle s’infligeait une telle torture. Il aurait été tellement plus simple de le remercier pour son amabilité, puis de disparaître en espérant ne plus croiser son chemin. Mais ses sentiments prenaient le dessus sur la raison, et elle ne pouvait faire autrement que se jeter dans cette situation délicate qui ne ferait que bousiller davantage son cœur déjà meurtri. Elle regretta son allusion, les yeux à présent rivés sur son alliance. — "But I can settle for a handshake." se reprit-elle, dans une formalité qui lui serrait les entrailles. — "Well, this is me", indiqua-t-elle, pointant du menton sa voiture qu'ils avaient enfin rejoint. — "Thanks again, Ethan." dit-elle faiblement, en lui tendant une main tremblante. C'est en prononçant son prénom, la gorge nouée, qu'elle se rendit compte qu'elle n'avait pas pris la peine de se présenter.
a case of you À bout de souffle, elle le remercia. Il haussa les épaules, balayant ses remerciements d’un revers de la main. C’était naturel, c’était la chose à faire. Tout simplement Il ne s’était pas questionné, n’avait pas hésité. Elle lui sembla d’abord légèrement tendue, déroutée. Peut-être qu’elle n’avait que peu l’habitude d’accepter qu’on lui vienne en aide, songea Ethan. La jeune femme sembla tout à coup plus décontractée, détendue. Elle s’adressa à lui d’un ton faussement autoritaire, amusé qui ne manqua pas de lui arracher un sourire. — "I won’t drop it. I wouldn’t let that happen." La rassurait-il. Il avait décelé une sorte de nervosité dans son ton, s’imaginant qu’elle avait sincèrement peur de briser sa trouvaille. Loin de se douter des réelles raisons de son émoi. Ethan ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur les épreuves qu’elle avait pu vivre, descellant sous sa blague une part de vérité. Elle avait eu sa part de malheurs. Il acquiesçait tandis qu’elle lui donnait les directions vers sa voiture, se mettant à exécution. Ethan fut pris de court, surpris par sa réplique alors qu’il lui avait offert une poignée de main. Étonné par sa répartie, par l’audace. Il ne put retenir un rire empreint de nervosité alors que ses pommettes prenaient une teinte rosée. — "A handshake it is then,… I’ll see what I can do for the rest." Répliqua-t-il d’un ton qu’il espérait neutre, voir détaché. Pourtant nerveux, intimidé. Une nervosité qui lui rappelait son adolescence. Il ne parvenait pas réellement à s’expliquer ce qui lui arrivait. Pourquoi il était attiré vers elle. Il ne la connaissait pas, ne l’avait même jamais croisée auparavant. Et pourtant, il y avait quelque chose de familier, de complice dans leur échange. Comme s’il n’était pas prêt à la laisser partir. Elle était belle, c’était une évidence. Mais il ne s’agissait pas de ça. Il était marié, était amoureux de sa femme. Il ne lui avait jamais été infidèle et ce n’était pas l’ennui causé par une convalescence forcée qui lui ferait franchir un tel interdit. Ses yeux se baissèrent vers la main gauche de la femme. Aucune alliance, remarqua-t-il. Son propre doigt affichant cet anneau qu’il ne tentait pas de cacher. Puis ils étaient arrivés à sa voiture. Déjà. Le miroir délicatement posé au sol, elle le remercia. Lui tendit la main pour la poignée promise. — "My pleasure, really." Répliqua-t-il, avant de serrer la main qu’elle lui tendait. Les sourcils froncés, une moue penaude au visage, il réalisait qu’elle ne lui avait pas dit son nom. Il supposait qu’à cet instant, alors que leurs chemins étaient sur le point de se séparer, il ne s’agissait plus que d’un détail sans importance, une futilité. Pourtant, il se surprit à ouvrir la bouche, à insister. — "And are you also a 'no first-name basis before the third date' kind of girl or something ?" demanda-t-il, un sourcil haussé et un air amusé au visage. Réalisant qu’il tenait toujours sa main dans la sienne, Ethan ouvrit sa main, la laissa retomber à ses côtés. Encore ce sentiment envahissant de courtiser dangereusement la limite de l’acceptable, à se demander lui-même s’il essayait de flirter avec elle. Venait-il d’insinuer qu’il s’agissait d’un rendez-vous ? Il ouvrit la bouche, prêt à bégayer une excuse, mais se ravisa. Convaincu qu’il ne ferait qu’empirer son cas s’il tentait une quelconque justification. Ethan poussa un léger soupire et haussa légèrement les épaules. — "Well, I guess this is it then." Conclut-il finalement. Il plongea les mains dans ses poches, prêt à reprendre cette promenade qui l’avait mise sur son chemin. Une rencontre aussi inattendue que rafraîchissante.
Lena n’avait réalisé l’ampleur de son attachement pour Ethan qu’une fois qu’il était trop tard, alors que son amnésie l’avait complètement effacée de ses souvenirs. Et ce n’est qu’une fois qu’elle vit sa femme à ses côtés que son cœur, qui avait commencé à se réconcilier avec l’idée de s’ouvrir à de potentiels sentiments, s’était retrouvé à nouveau abîmé. Ethan était marié, mais surtout, convaincu de son union harmonieuse avec sa femme. Il ne lui était plus accessible, et plusieurs fois elle s’était empêchée d’essayer de l’approcher, gardant ses distances malgré une ardente envie de l’appeler, ou d’aller tout lui avouer. D’être à présent face à lui, sa main ancrée dans la sienne, éveillait en elle un assortiment d’émotions contradictoires. Prétendre de ne pas le connaitre lui faisait probablement plus mal que le fait qu’il ne gardait aucun souvenir d’elle. Elle avait cette dérangeante impression de le duper, ce mensonge qu’elle entretenait lui nouant les entrailles. Elle s’efforçait de se répéter que c’était pour son bien, que c’était ce qu’il était raisonnable à faire, mais entre la sensation de sa main dans la sienne et ce sourire lui rappelant leur ancienne complicité, il lui était impossible de ne pas flancher. Ethan la sortie de sa réflexion d'une répartie qui ne manqua pas de la faire rire. — "You got that right… But since you were so kind, I could make an exception.", plaisanta-t-elle, ses yeux rieurs et son sourire enjôleur dissimulant parfaitement sa détresse intérieure. Il relâcha sa main, et déjà, la chaleur réconfortante de sa peau contre la sienne lui manquait. Elle n’arrivait pas à le déchiffrer. Il semblait à la fois nerveux et détaché, mais également chaleureux, comme s’il ne savait pas comment l’approcher. Sa dernière allusion laissait croire à un flirt anodin, mais l’anneau à son annulaire qu’il ne cherchait à dissimuler la mettait en doute. Elle cherchait à comprendre quelles étaient ses intentions. — "My name is Lena.", ajouta-t-elle enfin, plongeant ses yeux dans les siens. Son prénom, prononcé lentement, l’espoir dans le regard, souhaitant naïvement que cette appellation raviverait un certain souvenir chez lui. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander si un déclic pouvait se faire, si un petit détail parviendrait à lui faire retrouver tous ces souvenirs oubliés. Ses mimiques, l’odeur fruitée émanant de ses cheveux, ses petites habitudes singulières qu’il avait jadis commencé à remarquer, son doux parfum, qu’elle laissait subsister autrefois sur son oreiller, ou encore la douceur de sa peau hâlée. Elle se doutait cependant qu’il lui en faudrait davantage pour se tirer de ce brouillard dans lequel il était plongé et qu’elle devrait se contenter d’être la jolie inconnue qu’il avait décidé d’aider, sans plus. Ce triste constat lui arracha un profond soupir, alors qu’Ethan s’apprêtait à continuer sa route. — "It was a pleasure meeting you.", souffla-t-elle, résignée. Elle tourna les talons, se dirigeant vers sa voiture et ce n’est qu’une fois la portière ouverte, prête à s’engouffrer à l’intérieur qu’elle se ravisa. Elle interpella Ethan, qui s’éloignait déjà. — "About that drink? I know a good place right next door.", lui lança-t-elle, les mots s’étant échappés d’entre ses lèvres avant qu’elle ne puisse les réprimer. Elle craignait qu’il la considère indélicate de se montrer aussi entreprenante, alors qu’elle avait sans équivoque vu l’alliance qui ornait son annulaire, mais elle ne pouvait le laisser partir comme ça. — "As a thank you. For your help.", s’empressa-t-elle d’ajouter, cherchant à justifier son invitation. — "It’s not everyone who’d help a complete stranger off the street.", continua-t-elle, son cœur se serrant dans sa poitrine au mot étranger. Il ne pouvait se douter de la douleur provoquée par ce simple mot, qu'elle avait difficilement prononcé. Elle redoutait se heurter à un refus de sa part. Elle referma sa portière, puis s’avança sur le trottoir. — "I mean, you don’t have to. If you have somewhere else to be, I totally get it. But if you want to join me, we're practically already here.", conclue-t-elle, pointant dans la direction d'un petit bistro, coincé entre deux commerces non loin d'ou sa voiture était stationnée.