the secrets have gone mad (ft. hayden)

Après d'innombrables heures passées entre les murs cafardeux de l'hôpital, le sommeil ne fut point difficile à rejoindre. À peine s'était-elle couchée dans son lit après une bonne douche bien méritée, la jeune femme s'était rapidement hissée dans les bras réconfortants de Morphée. Elle ne fut toutefois pas capable de s'évader de la réalité plus que deux heures. La reprise de ses esprits ne fut guère sereine; à peine avait-elle ouvert les yeux qu'elle bondit hors de son lit. Tout ce qui s'était passé lors des derniers jours lui revenaient en tête comme une bombe atomique prêt à tout détruire sur son passage. Incapable de se convaincre que plus de repos était nécessaire, elle s'empressa d'enfiler des vêtements propres et de filer en direction de l'hôpital, non sans arrêter prendre quelque chose pour casser la croûte sur la route. Après tout, elle avait un petit être en elle qu'elle devait nourrir. Après une vingtaine minutes de voiture, elle put enfin se garer à l'hôpital. Le coeur lourd mais porteur d'espoir, elle pénétra avec appréhension les lieux qui lui étaient devenus si familiers. Elle était consciente que sa mère était de garde et elle redoutait l'instant où ses yeux croiseraient les siens. En revanche, elle ne pouvait que s'exciter à l'idée de voir Hayden, et ce, même s'il était paisiblement endormi. Jordan ne souhaitait que le voir, être à ses côtés et de le savoir sain et sauf.

À peine avait-elle mis les pieds dans l'aile où était située la chambre du jeune homme, elle fut interpelée par sa génitrice. Faisant volte-face pour répondre à son appel qui, sans grande surprise, lui glaça le sang, elle la salua d'une voix timide et empreinte de culpabilité. « Me permets-tu de te parler? J'ai une quinzaine de minutes devant moi », lui demanda-t-elle d'une voix ferme. La médecin n'attendit même pas que sa fille lui réponde; elle tourna les talons pour rejoindre son bureau. Ne pouvant réellement fuir la confrontation, Jordan la suivit silencieusement jusque dans la petite pièce dont les murs blancs n'étaient ornés que de deux cadres aux couleurs fades, voire déprimantes. Sa mère n'avait pas le sens aiguisé pour la décoration, chose que Jordan s'efforçait toujours de compenser par l'achat massive de plantes d'intérieur de tous genres.

« Tu pensais me le dire quand? », lui demanda-t-elle sur un ton incriminant en croisant les bras sur sa poitrine. L'étudiante pouvait sentir le sang de sa mère qui bouillait sous la rage qu'alimentait le sentiment de trahison. « Bientôt, bientôt. Je savais que tu ne serais pas pas contente... À vrai dire, je savais que tu m'en voudrais terriblement et... et je n'étais pas prête à affronter ta réaction », lui répondit-elle en baissant les yeux vers le sol. « Tu savais qu'on était en train de préparer les papiers d'adoption? Jim et moi voulions solidifier la famille et faire de vous des frère et soeur », ajouta-t-elle comme si elle n'avait pas pris la peine d'écouter la réponse de sa fille. Les yeux de Jordan s'arrondirent comme deux billes, surprise d'entendre une telle révélation qu'elle n'avait pas vu venir. « Et toi, pendant ce temps-là, tu le baisais sous notre propre toit, comme si c'était normal. D'ailleurs, depuis comment de temps dure votre connerie? », demanda-t-elle sèchement. Jordan fut sidérée d'entendre sa mère être aussi crue. Bien qu'elle n'était pas fermée d'esprit, il lui arrivait très rarement d'utiliser des mots qui n'étaient pas... particulièrement classes. « Depuis... depuis que Jim et lui sont venus à la maison... » Jordan fut coupée avant même qu'elle ne puisse continuer : « Wow... Depuis des mois, donc... C'était une belle histoire inventée de toute pièce, ton mec dans un bar! Et Kyle, lui? Lui jouais-tu dans le dos pendant tout ce temps, ou est-ce un autre mensonge que tu m'as fait avaler pendant des mois? » Les yeux de la blonde furent rapidement envahis de larmes. Elle sentait qu'elle perdait le contrôle, mais aussi, qu'elle perdait sa mère. « Je ne savais tellement pas comment te le dire... Et... Et au début, je ne savais pas si ça durerait ou si ça se terminerait rapidement comme avec tous les autres. Mais avec lui, c'est différent... », réussit-elle à dire d'une voix saturnienne. Sa mère secoua sa tête de gauche à droite, refusant d'accepter tout ce qui émanait de la bouche de sa fille. « Comment veux-tu que je te crois? Tu m'as menti pendant des mois et des mois! Comment veux-tu que je sache quand tu es honnête ou non? », s'exclama-t-elle en levant les bras vers les airs, comme si elle s'attendait à une explication qui, tout compte fait, ne serait clairement pas à la hauteur de ses attentes. « J'en suis tellement désolée... Tu dois me croire... Et tu me dois me croire quand je te dis qu'Hayden n'est pas du tout l'homme que vous pensez qu'il est, bien au contraire.... », répliqua-t-elle en espérant de tout son être que sa mère accepte de l'entendre et de la comprendre. « Ah oui? Alors, tu tombes enceinte de lui, et lui décide qu'il veut se tuer et te laisser seule avec votre enfant. Quel homme d'exception, j'en suis bien d'accord! Tu aurais dû avorter, Jordan. Je veux être grand-mère un jour, mais tu aurais dû penser à toi avant tout. », lui dit-elle avec rancune. Le moral de Jordan en prit un violent coup. Évoquer l'avortement était devenu on ne peut plus sensible, d'autant plus qu'Hayden avait frôlé la mort et que s'il n'avait pas survécu, son fétus aurait été la seule chose lui restant de lui. « Sa tentative de suicide n'a rien à voir avec ses sentiments envers moi ni envers le bébé. Il voulait vous le dire, lui! Le mensonge le rongeait... Il... il n'était pas heureux et vous le voyiez comme un monstre alors qu'il était tout autre... Si nous vous l'avions dit dès le début, vous auriez pu le voir et peut-être... peut-être qu'il n'aurait pas essayé de se suicider... », lâcha-t-elle avec désespoir, réalisant qu'elle avait peut-être un rôle à jouer dans cette décision fatidique. « Et si Hayden n'avait pas survécu, je m'en serais voulue à mort d'avoir avorté. Pourquoi es-tu si fermée vis-à-vis notre relation? Ne réalises-tu pas que tu auras exactement ce que tu souhaites? Une famille plus soudée que jamais? Un petit-fils avec ton mari! » Plus elle s'exprimait, plus ses paroles transpiraient une confiance certaine, malgré qu'elle ne pouvait taire cette petite voix empreinte de remords qui hantait ses arrières-pensées. « Exactement ce que je souhaite? Une fille incapable de ne pas penser avec son entre-cuisses? Un beau-fils qui fout ma fille enceinte et qui tente de se tuer quelques mois après, la laissant seule avec son bébé alors qu'elle n'a même pas de diplôme? » Le ton de Susan montait à son tour. Elle se montrait devant un nouveau jour. « Est-ce que tu t'entends seulement parler? T'es tellement égoïste, maman! Tu crois vraiment que papa aurait voulu que tu refasses ta vie en priorisant ton bonheur au risque de mon propre malheur? », protesta-t-elle avec consternation. À titre de réponse, Susan se contenta de gifler sa fille. Portant sa main sur sa joue rougie par le geste imprévisible de sa mère, l'étudiante demeura silencieuse. « Jordan, je... je m'excuse! », confessa une Susan qui se montrait surprise par ses propres actions. Elle tenta de s'approcher de sa fille qui, incapable d'accepter un tel acte de violence, recula d'un pas, prête à fuir cette conversation qui n'avait plus d'avenir. Au même moment, Susan fut appelée d'urgence sur son téléavertisseur.

Saisissant l'intervention imminente de sa mère auprès d'un patient nouvellement arrivé, l'étudiante prit la poudre d'escampette. D'un pas décidé, elle se rendit jusqu'à la chambre d'Hayden pour s'y réfugier. Toutes les larmes de son corps se déversèrent avec hâte sur son visage ravagé par la fatigue. Voyant qu'Hayden dormait paisiblement, elle se faufila sur son lit pour s'allonger à ses côtés avec une discrétion irréprochable. Exténuée par l'angoisse, la peine et les remords, elle s'endormit contre lui.  

Cette fois-ci, et contrairement à la majorité du temps, la jeune femme dormit comme une bûche. Une main déposée entre son visage aux traits paisibles et l'oreiller blanc et l'autre affalée contre son ventre rebondi, elle n'émettait pas le moindre son. Elle ne fut réveillée que par les mouvements d'Hayden qui, aidé par une préposée, complétait sa toilette. Ses paupières exécutèrent leurs premiers battements tandis qu'elle reprenait lentement mais sûrement conscience. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres rosées lorsqu'elle vit que son prince charmant était réveillé à ses côtés. Elle se redressa un peu pour s'asseoir et le contempla lorsqu'il finit de s'habiller tandis que la préposée reprenait ses choses avant de quitter la pièce, laissant derrière elle une débarbouillette humide, du savon et un saut d'eau propre.. « Je voulais être avec toi, c'est tout... », lui répondit-elle simplement d'une voix qui ne faillirait pas à susciter son inquiétude. Elle repensait encore à la discussion houleuse qu'elle avait eue avec sa mère et qui s'était terminée par la réception d'une gifle qu'elle n'avait jamais vu venir. D'ailleurs, elle savait qu'elle ne devait pas en parler avec Hayden. Savoir que sa mère lui avait réservé un tel traitement, bien que fait sous l'impulsion et la frustration, le rendrait tout simplement fou.

« Non non, le bébé va bien. Ne t'inquiète pas. » , s'empressa-t-elle de le rassurer tout en caressant doucement son ventre. « J'ai parlé avec ma mère... Et tu peux te douter que ça ne s'est pas bien passé », justifia-t-elle en demeurant volontairement vague. Or, le regard instigateur de son amoureux lui fit comprendre qu'elle ne s'en sortirait pas avec ce peu d'informations-là. Rassemblant son courage, elle poursuivit : « Évidemment, elle se sent trahie. Elle n'accepte pas le fait qu'on lui ait 'joué dans le dos' pendant des mois et surtout, que je lui ai fait avaler moultes mensonges... » Elle baissa les yeux et se mit à jouer nerveusement avec le rebord de son t-shirt tandis qu'elle cherchait ses mots. Elle ne pouvait possiblement pas lui dire les méchancetés qu'elle avait tenues à son égard. Était-ce réellement le moment idéal de lui en faire part? « Tu avais raison... Si on avait été honnête avec eux dès le début, peut-être est-ce que la situation se serait mieux déroulée. Et peut-être... peut-être qu'ils t'auraient réservé un autre traitement qui ne t'aurait pas poussé à bout comme ça. J'aurais dû lui dire dès le départ que le bébé était le tien. Tu avais raison... », finit-elle par souffler sur un ton rempli de remords. Plus elle y pensait, plus elle sentait qu'elle avait eu un rôle à jouer dans sa décision de s'enlever la vie. Elle avait été égoïste en essayant de sauver sa relation avec sa mère alors qu'au fond, elle le poussait de plus en plus au bord du précipice. Elle se pencha légèrement pour chercher refuge contre son corps qui lui manquait tant. « Si tu as besoin d'aide pour ta toilette, n'hésite pas à me demander. Je crois qu'elle a d'ailleurs oublié une section importante », finit-elle par lui dire sur un ton amusé, question de changer un peu l'ambiance qui se voulait un peu trop lourde.

Peut-être était-ce égoïste de sa part de vouloir conserver certains éléments de l'échange catastrophique avec sa mère que pour elle. Elle voulait lui épargner la rage et la contrariété que de connaître tout ce qui s'était dit causerait sans l'ombre d'un doute. Or, il fallait être sotte pour penser qu'il ne serait pas capable de lire entre les lignes et de comprendre que sa mère n'avait pas de rancoeur que pour sa fille. Elle avait vu le geste d'Hayden comme une preuve d'égocentrisme éloquent et d'un abandon impitoyable vis-à-vis son propre enfant à naître. Peu importe les justificatifs qu'elle tentait de balancer à l'urgentologue, rien ne semblait satisfaire ses idées préconçues. Et pour le temps à venir, Jordan préférait ne pas lui parler pour éviter d'attiser l'incendie qui s'était créée entre eux. « En fait, c'est plutôt moi qui semble être celle qui s'envoie en l'air un peu partout... », corrigea-t-elle en affichant une mine honteuse. Elle s'empressa d'ajouter une précision, souhaitant ne pas faire naître en lui des doutes indésirables à son égard : « Ne t'inquiète pas, par contre. Il n'y a eu personne d'autre quand j'étais avec toi. J'veux dire... quand on s'est vraiment casés ensemble. Mais, j'ai quand même toujours été du genre à cumuler les fréquentations. » D'une certaine façon, elle ne lui apprenait rien. Il avait déjà eu vent de sa réputation. Elle n'était peut-être pas du genre à s'envoyer en l'air avec un mec différent à chaque soir, mais plutôt à avoir plusieurs fréquentations qui ne faisaient guère long feu.

« Ne t'en fais pas pour ma mère. Elle m'en veut à moi. Et on s'en fout de ce qu'elle pense. Les choses ne se sont pas déroulées comme elle le souhaitait, et c'est son problème. L'important, c'est que ton père en soit venu à des réalisations. Il m'a dit qu'il t'avait parlé... Je crois que ça lui a fait beaucoup de bien de s'ouvrir et de chercher à te comprendre un peu plus », lui répondit-elle avant qu'il ne s'enflamme davantage. Elle passa délicatement sa main sur sa joue qu'elle caressa de son pouce avec affection. « Peu importe ce qu'ils pensent ou disent, l'important, c'est notre bonheur et notre famille. Quand tu iras mieux, on se trouvera un petit logement où on s'installera, les trois ensemble », le rassura-t-elle en ne le lâchant pas du regard. Se rapprochant un peu plus de lui, elle s'hissa doucement contre son corps dont la maigreur la surprenait toujours autant. Et, dans une tentative de changer l'ambiance démoralisante, souleva sa disposition à l'aider à effectuer sa toilette.

« Hmm.. Je suis persuadée que je ferais un bon travail. Mais tu sais que je performe toujours mieux sous la douche », lança-t-elle d'une voix remplie de sous-entendus accompagnée d'un franc éclat de rires.  

Bien qu'elle ignorait comment les choses évolueraient, non seulement dans leur couple mais aussi au niveau de leur situation financière, elle espérait qu'ils seraient en mesure de se procurer un chez-soi. Certes, leur appartement serait certainement des plus modestes, mais ils devaient prendre en compte qu'ils étaient encore que des étudiants. Ainsi, des obstacles les attendaient encore et encore, mais elle était persuadée qu'ensemble, ils seraient capables de s'en sortir. Il fallait toutefois qu'Hayden prenne le temps de s'occuper de son état, autant physique que mental, afin qu'il puisse se remettre sur pied et prendre la voie de la guérison avec succès.

Se désolant de l'entendre dire qu'il devait faire une croix sur sa future moto, la jeune femme passa son bras autour de ses épaules pour lui apporter un tant soit peu de réconfort. Elle se doutait que son handicap rendrait tout plus compliqué, mais elle avait espoir. Plus les jours avançaient, plus les sensations sur ses jambes augmentaient. C'était, selon le médecin, un bon signe. Jordan s'accrochait à cet espoir comme si sa vie en dépendait, car elle savait ô combien tout ce qu'Hayden aimait requérait des jambes fonctionnelles. « Sois optimiste. Tu commences déjà à avoir quelques sensations ci et là. Ça avance bien et le médecin croit de plus en plus que tu risques de les récupérer », contesta-t-elle pour tuer, ou du moins essayer de, tout doute qu'il pouvait avoir quant à son pronostic.

« Le pire qui pourrait arriver, c'est que ça devienne un ménage à trois! », répliqua-t-elle en rigolant de plus belle. Elle cacha son visage de ses mains, comme si elle avait honte d'avoir pu dire une telle connerie. Il semblait que Jordan reprenait tranquillement son côté espiègle qui, ces derniers temps, avait disparu. D'une certaine façon, l'étudiante avait besoin de se montrer rieuse et taquine, comme elle l'avait toujours été. Même si la situation était des plus difficiles, elle ne pouvait s'avouer vaincue ni se montrer à plat. Hayden avait besoin de son soutien, de son sourire et de ses rires incessants. « Mais sans rigoler, je crois que ça pourrait te faire du bien. Prendre une douche, je veux dire! », prit-elle le temps de spécifier, non sans reprendre ses éclats de rires qui semblaient ne plus finir.

Acquiesçant à son offre, la jeune femme se leva pour récupérer la chaise roulante qui dormait dans un coin de la chambre. Elle la plaça à la hauteur idéale pour qu'Hayden puisse s'y glisser sans trop de souci. Lorsqu'il fut installé, elle poussa la chaise jusqu'à la salle de bain qui n'était qu'à quelques pas du lit. Tandis qu'Hayden s'affairait à retirer ses vêtements, Jordan ne put s'empêcher de constater avec stupeur qu'il avait continué de maigrir. Hayden remarqua rapidement sa consternation et, prit d'embarras, remis ses vêtements pour cacher son corps abîmé. L'observant quitter la petite salle de bain pour regagner son lit, Jordan se sentit affreusement mal d'avoir laissé sa réaction transparaître avec autant d'éloquence. Il n'avait pas à subir un sentiment de rejet ni de dégoût à son égard, quoiqu'elle était bien loin de se sentir ainsi. Émergeant à son tour hors de la petite pièce, elle s'empressa de s'excuser. « Hey, je suis désolée. J'étais juste... Je veux dire que... Enfin, c'est sûr que de te voir comme ça m'inquiète beaucoup. Mais je ne te juge pas pour autant. Je te trouve toujours aussi beau, ne t'en fais pas. C'est une question de temps pour que tu ailles mieux, autant physiquement que psychologiquement. D'ici là, peu importe de ce que tu as l'air, je veux t'aider autant que je le peux », lui expliqua-t-elle en l'invitant à regagner sa place sur la chaise. « Allez, viens. Tu n'as pas à avoir honte. Tu vas me voir sous toutes mes couleurs aussi le jour de l'accouchement. Il n'y a pas de tabou ici », renchérit-il sur un ton se voulant insistant. Il était vrai que, le jour où elle accoucherait de leur fils, elle ne se montrerait pas sous son meilleur jour. Or, force était de constater que, peu importe son état mental ou physique, il l'aimerait inconditionnellement. C'en était de même pour elle.
 

Il n'y avait de mots pour expliquer à quel point elle se sentait monstrueuse pour l'avoir ainsi regardé. Ce n'était évidemment pas volontaire que de porter à son égard un regard aussi consterné, mais elle ne pouvait s'empêcher d'être horrifié devant cette vision qui lui glaçait le sang. Certes, il était incontestable qu'elle l'aimait d'un amour profond et sincère, et il l'était tout autant qu'elle ne pouvait possiblement pas faire une croix sur toute l'inquiétude qu'elle avait ressentie ces dernières semaines. Portée par le besoin d'atténuer la honte qui l'affligeait, elle le suivit à la chambre avec malaise. Elle sentit le besoin de se justifier mais surtout, de le rassurer. La jeune femme ne voulait certainement pas qu'il se sent comme un extraterrestre. Au contraire, peu importe son état, aussi piteux pouvait-il l'être, elle l'aimait et le trouvait beau. Cependant, ses paroles bienveillantes ne suffirent pas à calmer l'humiliation qu'il ressentait et, d'un ton plus ferme, demanda une nouvelle fois à être aidé pour retourner sur son lit. D'un simple et timide hochement de tête, Jordan s'exécuta et l'aida à regagner le lit d'hôpital. Prenant place sur la chaise placée à côté, elle l'écouta déblatérer ses explications en jouant nerveusement avec le rebord de son chandail. Ce dernier commençait à recouvrir difficilement son ventre légèrement bombé qui ne masquait plus sa grossesse. « Ça ne sert à rien de te sentir mal vis-à-vis ce que tu as fait ni les séquelles que tu as. Tu ne peux rien y changer, et moi non plus. Il faut apprendre à vivre avec et à avancer malgré tout. Si on veut que tu ailles mieux, il ne faut pas que tu te ronges de remords... », lui dit-elle d'une voix triste, mais qui tentait tout de même d'être rempli d'espoir.

Il fuyait son regard comme la peste, et elle ne pouvait possiblement pas lui en vouloir de se cacher de la sorte. Elle prit doucement sa main pour l'encourager à la regarder et, dans un ultime essai de changer l'atmosphère, il lui demanda de grimper à ses côtés pour le rejoindre dans une étreinte amoureuse. Jordan s'abandonna à sa demande et, dans une délicatesse infaillible, le rejoignit dans le petit lit qui peinait à accueillir leur deux corps. Elle passa son bras sur son corps maigrichon et enfouit sa tête dans son cou.

« Écoute, dis-toi que c'aurait pu être pire. Tu aurais pu être quadraplégique ou déformé ou... je ne sais pas! Ta situation n'est pas perdue. Tu dois simplement prendre le temps te guérir et de te reprendre en main », le rassura-t-elle en caressant avec tendresse son torse. Elle ne put s'empêcher de rire à sa remarque quand il lui demanda de ne pas désigner un autre homme, aussi beau fut-il, comme père de leur enfant. Il était évident qu'une telle crétinerie n'avait pas passé son esprit. « Tu divagues! Tu le sais bien que tu seras le seul et unique père de cet enfant. Il en sera très chanceux », s'empressa-t-elle de le rassurer en se levant légèrement pour déposer un tendre baiser sur le bout de son nez.

Partageant tout l'amour qu'il ressentait envers elle, elle serra son emprise autour de lui et écouta ses douces paroles. Elle se sentit envahie d'un sentiment de bonheur olympien et, à son tour, lui exprima tout l'amour qu'elle lui portait à travers un doux et sincère baiser.