dompter les vagues • w/ eloïm

dompter les vagues
@eloïm delcán

Les vagues. Une sensation bien différente de ce qu’elle avait l’habitude de voir. Elle sentait le sel de l’océan titiller son nez, les bruits des vagues l’apaisait et le vent soufflant dans ses cheveux lui faisait apprécier particulièrement le moment. Elle savait néanmoins que le skate ne ressemblait en rien au surf. Elle en avait déjà fait quand elle était partie en vacances avec ses parents, plus jeune. Elle profitait de chaque petit instant pour plonger dans l’eau, avec sa planche, comparant constamment avec son frère le skate et la planche. Sur le papier, cela ne semblait pas si différent, mais tout l’était pourtant. Il n’y avait que la notion d’équilibre qui ne changeait pas.
Aujourd’hui, prenant une petite semaine dans des chalets luxueux - parce qu’elle pouvait se le permettre - Jessie venait de planter sa planche de sable et elle profitait simplement de la vue avec un sourire aux lèvres, le visage tourné vers le soleil flamboyant.

Non loin, elle repéra un beau jeune homme au corps sculpté. Si elle le guetta pendant un petit moment, elle eut un léger pressentiment, comme s’il n’osait pas avancer vers la berge. Elle sentait chez lui une légère retenue. Piquée par la curiosité, elle s’éloigna légèrement de sa planche et s’approcha de lui.
« Salut ! Magnifique la vue, nan ? » Quitte à faire des rencontres, autant se lancer sans attendre.

S’évadant du chalet qu’il avait loué pour profiter de l’air salin, vapoteur à ses lèvres, il s’arrêtait dans le sable fin. L’endroit n’avait rien de comparable à sa ville natale, ces eaux d’un bleu azur qui pouvait faire rêver n’importe qui. Mais ça le ramenait un tant soit peu chez lui, de l’autre côté de l’océan où n’avait pas remis les pieds depuis plus de deux ans. Un chemin tracé loin de cette famille qui ne savait que le couver. Las de devoir affronter leur inquiétude qui brillait dans leur regard, Eloïm construisait son chemin seul. Ou à peu près, gardant près de lui certaines personnes. Ses prunelles d’un vert étincelant se perdaient sur les vagues qui venaient caresser le sable avec tendresse. Il poussait un soupir, laissant la volute de fumée blanche sortir de ses lèvres et inonder l’air de sa danse languissante. Nostalgique d’un lieu lointain, le ramenait forcément à Enoch. Frère disparu en mer, avalé par les vagues. Sans trop y penser, le bouclé venait perdre sa main sur son dos, effleurant du bout des doigts cette cicatrice qui barrait sa peau, relique de ce temps, de cette bataille incessante sous les vagues. Une lutte pour en revenir indemne et pourtant, il avait plus de chance d’y laisser sa peau que son aîné. Un destin funeste qui se jouait de lui, encore et encore, le laissant airer sur cette terre sans comprendre ce qu’on attendait de lui.

Il n’avait pas approché de la rive, gardant bonne distance même si nager lui faisait envie. Il y avait des jours comme ça où sa tête lui rappelait les épreuves du temps passé et le paralysait dans cette avancée. Surfer, nager, ça avait été vitale pour lui, aujourd’hui, ce n’était que crainte et prison. L’espace trop vaste. La nature trop cruelle. Il s’humectait les lèvres, avant de balayer son regard sur la plage. Observant ces gens riants et s’amusant, oubliant les risques comme lui autrefois. Une voix résonnait près de lui, tournant la tête pour voir une jeune femme arriver à ses côtés. « Oui très joli. » disait-il de cet accent qui roulait encore sur sa langue. Ses orbes se posèrent derrière elle, observant la planche hérissée dans le sable. « Vous débuter ? » demandait-il en point de son vapoteur la planche qu’il pouvait reconnaître par son allure, loin de ressembler aux planches plus expertes.

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@eloïm delcán

La vue de l’océan avait toujours eu quelque chose de ressourçant pour elle. Apercevoir à l’horizon une étendue d’eau si belle, si pure, dont les vagues venaient pourlécher ses pieds n’avaient rien de plus beau. Elle avait l’impression d’être soudainement basculée dans un autre monde, une petite bulle de tranquillité qui la déconnectait complètement. Un véritable lâcher prise qui lui permettait de faire abstraction des démons de son passé dont elle tentait de se défaire et de la vision d’un avenir incertain. Il n’y avait qu’ici qu’elle se sentait pleinement chez elle. Et peut-être qu’un jour, quand elle aurait davantage d’argent, elle trouvera une petite maison en bord de mer. Mais aujourd’hui, elle est encore jeune. Elle doit laisser le temps au temps.

Elle décrocha les yeux de ce vaste environnement pour les poser sur un beau jeune homme qui se tenait devant l’étendue, un vapoteur à la main. Elle admira les volutes de fumée monter dans le ciel et souria en s’approchant de lui. Elle avait l’impression d’être basculée quelques années en arrière quand elle allait à la rencontre de quelques personnes sur la plage pour faire des rencontres - qui débouchaient souvent nulle part malheureusement. Lorsqu’il lui répondit, elle détecta un léger accent qu’elle ne reconnut pas tout de suite. « Vous n’êtes pas du coin, je me trompe ? » Finalement, il pointa sa planche. Il avait dû remarquer qu’elle ne ressemblait en rien à ceux qui pratiquaient très souvent le surf. « Je connais pas mal les bases, mais j’avoue ne pas en faire régulièrement. Puis, j’avais pas de quoi me payer une planche de pro. » avoua-t-elle en passant une main sur sa nuque, un peu gênée. « Vous voulez essayer ? Au fait, ça te dérange si je te tutoie ? »

Tableau lyrique qui s’offrait à son regard, les vagues diffusant cette mélodie. Les rires, les conversations qui polluaient l’air ne rendaient pas moins le tableau intéressant. Vie. Plaisir. Ça coulait de source, comme l’océan prêt à venir jouer avec eux. De fines caresses sur leur peau, baiser délicat sous la surface. Des sensations qui se perdaient, qu’Eloïm ne prenait plus vraiment le temps d’apprécier. Craintif. Observateur. Il se laissait bercer par cette mélodie accordée à cette journée délicieuse. Il tirait une latte de son vapoteur, avant qu’on ne l’aborde. L’été possédait cette effervescence, cette facilité à aborder des inconnus. Chemins qui se croisaient pour s’évanouir lorsqu’il était temps de retourner à la vie, celle qu’on menait tout le reste de l’année. Les prunelles verdoyantes du franco-hispanique se posaient sur la jeune femme. Sa main libre se glissait dans la poche de son bermuda. « Euh non. Je suis français. » disait-il avec un petit sourire en coin. Il ne s’étonnait pas de cette question, habitué désormais et sachant très bien que son accent persistait. Le temps ne lui avait pas encore volé cet héritage, même si son anglais s’était amélioré. Sa prononciation, tout comme sa confiance face à cette langue qu’il avait mis un temps à dompter. Ses amis se moquant parfois lorsqu’il buttait sur des mots, cherchaient ceux-ci avec détermination en se donnant des airs de constipé. Tendant l’oreille, laissant son vapoteur au bord de ses lèvres, il regardait la place qu’elle avait mise de côté pour le rejoindre. « Ça ne sert à rien de brûler les étapes. C’est une bonne planche. » avouait-il sachant que ça ne servait à rien de prendre une planche experte si on en faisait pas régulièrement. Manier la bête n’était pas toujours facile et il fallait du temps, même en connaissant les bases. « Tu peux. » disait-il en lui adressant un sourire en coin. « Je ne surf plus. Et je ne suis pas certain que je retrouverais mes marques depuis le temps. » Il haussait les épaules avec nonchalance, tentant l’indifférence alors que tout son corps brûlait de cette passion délaissée.

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@eloïm delcán

La jeune femme avait toujours aimer sentir le sable entre ses doigts de pied et sous sa plante de pied, marchant dedans avec amusement comme lorsqu’un enfant marche pour la première fois dans la neige qui crisse sous ses pas. Elle aimait s’approcher du rivage pour sentir l’eau frôler ses pieds avant qu’elle ne s’y engouffre pleinement. Elle adorait entendre le bruit des vagues et se surprenait parfois à s’endormir en entendant ce rythme doux et régulier qui venait la bercer. Mais ce qui la faisait le plus frémir résidait dans cette planche de surf : lorsqu’elle l’avait en main, elle avait l’impression de ressentir l’énergie de la mer jusque dans ses doigts, avant même d’avoir touché la surface de l’eau. Et lorsqu’elle plongeait, lorsqu’elle grimpait sur cette planche, faisant face au vent et jouant sur l’équilibre, elle avait alors l’impression d’être dans son élément, suivant la vague jusqu’à ce qu’elle vienne lécher la plage. Si aujourd’hui elle n’était pas encore dessus, c’est parce qu’elle se prélaissait un peu en écoutant les vagues et parce qu’elle avait cru voir un jeune de son âge intéressé par la même chose qu’elle : la beauté de la mer et de ses vagues. Elle apprit rapidement que l’accent qu’elle entendait était français et acquiesça vivement.
— Oh ! C’est donc de là que vous venez ! Il paraît que c’est beau, la France !
Si elle avait tenté un accent français, c’était complètement raté. Si sa planche n’était pas des plus parfaites, cela ne sembla pas perturber le jeune homme. Au contraire, à son regard, il avait même l’air de s’y connaître, de quoi intéresser la brune qui se plantait assez souvent - bien qu’un peu expérimentée. Elle n’aurait pas dit non à une aide extérieure. Elle n’eût même pas besoin de lui demander s’il en faisait ou s’il en avait fait qu’il lui dévoila qu’il n’en faisait plus. Mais Jessie n’était pas d’accord avec lui.
— Tu plaisantes ! lança-t-elle, consternée. Le surf, c’est comme le vélo, ça s’oublie pas ! Une fois que tu sais monter sur une planche, tu sais monter dessous toute sa vie.
Désormais, elle doutait de lui. Est-ce qu’il mentait pour se vanter, parce qu’il avait un beau corps et qu’il voulait pas passer pour un con face à elle ou bien est-ce qu’il disait la vérité mais qu’il ne lui disait pas tout ? Difficile d’obtenir une réponse à ce stade …

Une apostrophe ponctuant sa contemplation du rivage, cette eau cafardeuse qui brisait le silence de ses vagues sauvages. Eloïm ne s’attendait pas à voir une jeune femme arriver à ses côtés, le questionner. Elle entrait en quelque sort dans sa sphère, ce monde nimbé autour de lui. Ce qui le retenait de faire comme autrefois, mettre un pied devant l’autre pour laisser l’écume venir lécher ses pieds. Non, il ne s’y attendait pas, mais la laissait entrer. Du coin de l’œil, il l’observait, son vapoteur à l’orée de ses lèvres charnues qui s’étirait avec lenteur lorsqu’il divulguait l’origine de son accent. Elle tenta à son tour d’atteindre celui-ci, un essai perdu, mais qui avait une forme de charme. Eloïm trouvait toujours mignon de voir un.e anglophone parler en français, que le mot soit banal ou non, ça réussissait toujours à le faire sourire. Ce qui arrivait une fois de plus, alors que ses lèvres s’étiraient sans conteste. « En effet, mais d’où je viens les plages sont beaucoup plus… Turquoises. » En fait, il aurait pu les décrire pendant des heures ses longues plages de sables blancs, ces paysages chauds qui n’avaient rien à voir avec les Hamptons. Par moment, ça lui manquait tout ça, mais Eloïm savait que sa place n’était plus là-bas. Déviant de sujet, tout en restant dans cette même ligne d’horizon, le franco-hispanique laissa échapper un détail qui fit réagir la nouvelle venue au quart de tour. Stoïque, il posait son regard sur elle, clignant d’une fois ou deux les paupières avant d’éclater de rire. « Décidément, toi tu vois toujours le verre à moitié plein. » déclairait-il en venant cacher ses lèvres de sa main. Geste qui lui arrivait de faire de temps en temps lorsqu’il riait un peu trop et se sentait pudique face aux gens. « Disons que c’est surtout plus compliqué que le simple fait de monter et tenir sur une planche. » D’un geste mécanique, sa main vint s’appuyer sur son dos, dans la région où une cicatrice barrait celui-ci de toute sa largeur. Si celle-ci était néanmoins cachée sous ses vêtements se n’était pas le cas de celle qui marquait sa jambe, frôlant son genou. En même temps, son regard se posait sur l’eau dansante sous ses prunelles, ça lui manquait, vraiment, mais à quel prix cette fois ? « Et si tu me montrais ce que tu sais faire ? »