(terminé) rainy day, friendly day (Jill&Wendy)

Il y a des jours avec et des jours sans. Aujourd’hui est un jour sans. Non sans moral, mon humeur est bonne à son habitude. Je faisais référence à la l’absence de client.e.s. Personne n’a poussé la porte de ma boutique de la journée. Je serai restée fermée que ce serait revenu au même. J’aurai pu gratter des heures de sommeil. Elles n’auraient pas été de trop tant je me suis couchée tard. Je me suis laissée embarquer dans la spirale ludique. J’ai beau m’être répétée que « Cette quête est la derrière. », je les ai enchainées sans m’écouter. Je l’ai payée ce matin au réveil. Ce soir, je rentre, je prends une douche, je mange et au lit ! Comment ça, je ne suis pas crédible ? Il est vrai que je ne peux passer ma soirée sans jouer ou regarder un épisode de série. Quand ce n’est pas trois épisodes à cause de leur maudit cliffangher. Mais ma clientèle n’a pas vécu une nuit identique à la mienne. Je n’arrive pas à expliquer cette désertion. J’ai toujours au moins un.e curieux.euse qui entre chaque jour. Peut-être que la météo menaçante a démotivé les promeneur.euse.s. Je dois admettre qu’il n’est jamais agréable de sortir et de prendre une averse sur le dos.

Tout n’est pas encore perdu. Il reste dix minutes avant que sonne mon heure de fermeture. Instant que choisit le ciel pour déverser sa rage sur la ville. Un violent orage débute, y allant de sa pluie battante, de ses éclairs et de son tonnerre. Finalement, je risque de fermer plus tard que prévu. En tous cas, je ne compte pas sortir de mon magasin avant une accalmie. Sans être en sucre, je ne tiens pas à être trempée. Les yeux sur mon écran d’ordinateur à regarder mes mails, le tintement de ma porte d’entrée s’ouvrant résonne. Je lève mon nez et découvre une femme blonde accompagnée d’un chien. A la voir, elle a subi de plein fouet la colère céleste. « De ce temps-là ? Ce ne serait pas raisonnable. » Je glousse légèrement. Large sourire aux lèvres, je m’approche d’elle dans mon jean troué aux genoux, mon débardeur blanc un peu trop large et ma paire de basket. « Je serai toi, j’attendrai que ça se calme. » Tutoiement habituel de ma part. Ce n’est pas un manque de respect, juste un refus de cette distance sociale. « Et je pense qu’il est de mon avis. » Mes prunelles dévient sur la boule de poils à ses côtés. Nullement dérangée par sa présence, je me permets de caresser le sommet de son crâne.

Il est clair que les animaux ne sont pas autorisés dans ma boutique. Ils ne le sont dans aucun magasin des environs. Exception faite du salon de toilettage pour des raisons évidentes. Je suis certaine que cette femme est au courant. Et à en voir le déluge extérieur et son état, je sais pourquoi elle est entrée ici. Je ne tiens pas ma première cliente de la journée. Si j’en suis un peu triste, je m’en réjouis également. Mes comptes seront plus faciles à faire. Je n'aurai pas à perdre du temps dans les chiffres. Ce qui m’en fera plus pour jouer. C’est un mal pour un bien même s’il est préférable que cela ne se reproduise pas souvent. J’ai besoin de rentrée d’argent pour vivre. Les factures ne se payent pas toutes seules. En soi, cette femme n’a rien à m’apporter si ce n’est de l’eau et de la saleté et donc du nettoyage à faire. Si la méchanceté m’habitait, je l’aurai effectivement invitée à ressortir. Heureusement que je suis bienveillante bien que je manque régulièrement de tact. Les humains sont si compliqués. Les bestioles sont bien plus faciles à comprendre. Quelques papouilles et ce chien est déjà satisfait. Cette chienne plutôt après correction de sa propriétaire. « A tes souhaits Luna ! Moi, c’est Jill. », lui lance-je enthousiaste à la fin de son éternuement. Oui, je me présente à l'animal avant sa maîtresse. Déjà adoptée au presque, le canidé me redemande des caresses. Je lui en offre de nouvelles avant de m’arrêter et de me focaliser sur l'être humain à ses côtés en relevant mon regard vers elle.  

Je souris à sa remarque. « Il faut ouvrir les yeux dans ce cas. » Je ne le dis pas sur un ton de reproche. Mon rire illustre ma plaisanterie. Je prends soin d’arranger ma vitrine toutes les semaines. Je l’aménage en fonction des sorties et des objets reçus pour la promotion. Entre les posters, les figurines géantes en carton et les divers accessoires personnels, mon échoppe se distingue. J’admets ne pas avoir de néons flashy pour illuminer les lettres de son nom. J’y pense par moment. Le prix calme mes ardeurs. Je vais conserver mon panneau imprimé. Ses précisions sont inutiles concernant sa familiarité avec un tel lieu. Ses prunelles se baladant à droite à gauche sur les différentes étagères ont déjà affirmé son inexpérience. « Maintenant que tu le dis, tu ressembles vachement à la première de ma classe au lycée qui avait toujours le nez dans un bouquin. Il te manque juste les lunettes pour être son portrait craché ! » J’explose de rire. Le cliché de l’intello de service. Pour le coup, mon anecdote est véridique. Je n’ai pas inventé cette fille. Qui était d’un ennui mortel au passage. Du moins de mon point de vue. « J’ai pas de livres ici. Mais si tu veux lire, t’as toujours les boitiers de jeux. » Ça peut éventuellement l’inciter à acheter par la même occasion. Je ne perds pas le nord. Mon intention première reste de l’occuper en attendant l’accalmie. Chose qui ne semble pas prévue pour les prochaines minutes tant la pluie tombe à torrent dans les rues. « Je vais me faire un café, t’en veux un ? » Une fois sa réponse donnée, je m’éloigne du duo pour mon arrière-boutique où se situe ma précieuse machine à dosettes.

A la taquiner de la sorte, elle va peut-être finir par préférer le déluge à ma présence. Mon humour n’est pas le plus fin du monde. J’admets même qu’il est parfois (souvent) un peu lourd. Ma foi, il est comme il est. Il me définit en quelque sorte. Il est à mon image : direct et franc. Je me fiche de lui plaire. Je ne suis pas là pour ça. Je ne tiens pas à la vexer non plus. Je suis simplement fidèle à moi-même. Je ne changerai jamais à ce niveau. Je me refuse de jouer un rôle dans ce monde. Sauf, à la rigueur, dans l’intimité mais la question n’est pas là en l’instant. Ce qui signifie que cette blonde n’est pas sortie de l’auberge. Elle n’a pas fini de devoir supporter mes blagues. Mais j’ai l’impression qu’elle les aime bien puisqu’elle n’a pas fui les jambes à son cou. « Fais gaffe, c’est comme ça qu’on embrasse des poteaux ou des murs. » Je lui souris sans rire. J’ai compris dans ses propos que sa vie n’est pas de tout repos. Elle ne l’est pour personne de toute façon. J’ai décidé de la vivre au lieu de la subir. Je marche le dos droit, le regard rivé devant moi, prête à affronter ce que la vie mettra sur mon chemin. « Tu devrais relever la tête plus souvent. Surtout que tu as de beaux yeux. »  Je ne dis pas ça pour la draguer. Je ne suis pas du tout dans cette optique. Ses opales bleutées sont magnifiques. Elle a de quoi en être fière. Ce serait limite un crime de les cacher aux autres.

Mon ancienne camarade de classe n’en avait pas d’aussi jolies. A moins que ses lunettes ne gâchaient tout. « Ah c’est bête ça. Moi, elle m’autorise à jouer et elle m’y oblige même. Un vrai tyran ! » Je ris sachant que je parle de moi-même. Je ne le précise pas. Il est clair que jouer fait partie de mon travail. Si je veux conseiller au mieux les client.e.s, je me dois de tester un maximum de jeu. Je suis davantage heureuse devant un jeu d’aventure qu’un truc du style Animal Crossing. Je fais l’effort par professionnalisme. Mon métier n’est pas qu’un pur amusement. Comme chaque métier, il a des inconvénients. Avec les inconvénients viennent les avantages. Je ne suis soumise à aucune hiérarchie. Je peux aller me faire mon, neuvième ou dixième j’ai perdu le compte, café de la journée sans recevoir de remarque d’un.e patron.ne. L’inconnue trempée souhaite également avoir sa dose de caféine. Ou sans doute avoir de quoi se réchauffer. Je ne l’ai pas proposé de thé ou de chocolat chaud car je n’en ai pas. Ni une serviette pour s’essuyer, je n’en ai pas non plus. Je récupère ma tasse derrière mon comptoir en me dirigeant vers mon arrière-boutique. Je me fais couler un café noir corsé. J’attrape un mug Pikachu par la suite, un cadeau d’un fournisseur, je ne l’ai pas acheté, faut pas déconner. Je le remplis de café à son tour. Je glisse deux dosettes de sucre dans ma boisson, deux dans ma poche de jean, et je reviens dans la pièce principale, mes deux contenus en main.

De retour à ses côtés, je lui tends le mug et le sucre si elle m’en demande. Je souffle sur le liquide fumant avant de m’en engloutir une gorgée. « Je vois que tu t’adonnes à la lecture. T’as de la chance que c’est gratuit. » Je lui envoie un clin d’œil. Si je faisais payer un dollar à chaque individu qui lisait un boitier, je serai probablement millionnaire à l’heure actuelle, à bronzer sur un transat, sous un soleil éclatant, à la place de faire face à ce ciel gris déversant sa pluie en continue. Triste réalité. « Ça fonctionne pas trop mal. Ça fera trois ans dans deux mois que j’ai ouvert. Je t’avoue que c’est pas facile tous les jours. C’est pas simple d’être un petit commerce indépendant face aux enseignes du genre. Et beaucoup achètent les versions digitales des jeux de nos jours. » Je ne suis pas en train de me plaindre. Je suis juste lucide sur la situation. Un clic, un téléchargement et le jeu est acheté. Il n’y a plus besoin de se déplacer en boutique. Je fais partie des irréductibles qui aiment avoir le boitier et le cd d’un jeu. Puis c’est cool de lire des commentaires en ligne sur un jeu, c’est mieux d’avoir un avis constructif en direct à mon sens. Je propose également des démonstrations pour voir le gameplay avant de se lancer dans un achat. Au prix que ça coûte, c’est appréciable.

Je n’ai pas complimenté ses yeux juste pour lui faire plaisir. Je n’ai pas non plus tenté de la draguer avec mes propos. Je trouve réellement joli son regard. Et je ne dis pas cela car elle réunit le duo de la blonde aux yeux bleus. J’ai simplement exprimé ma pensée. Je ne me m’estime pas gentille mais sincère. Dans ce monde, les gens ont souvent tendance à confondre les choses. Je peux vous assurer que sincérité et gentillesse ne sont pas synonymes. Par contre, elle n’a pas souligné mon humour ravageur. A croire qu’il n’est pas si ravageur que ça. Ça ne m’empêchera pas de poursuivre dedans. L’énoncé de son prénom est idéal pour. « C’est mignon. T’as pas un frère qui s’appelle Peter par hasard ? » Je glousse légèrement. J’espère qu’elle aura la référence sinon mon effet va tomber à l’eau. Peter Pan est archi connu. Que ce soit le livre ou le dessin animé. Il me semble impensable qu’elle ne le connaisse pas. Il passe presque tous les ans à la télé en plus. « Moi, je m’appelle Jill. » Je me présente en retour par politesse. Je tais l’origine de mon prénom. Nullement familière des jeux vidéo, elle ne peut connaître Resident Evil. Peut-être les films à la rigueur. Mais cela ne l’aiderait pas à comprendre. L’héroïne se nomme Alice au cinéma. La joie des adaptions qui ne sont pas exactement fidèles à l’œuvre originale.

Ce n’est pas spécifique à cette licence. Il existe toujours des différences entre les versions suivant les supports. Harry Potter en est le parfait exemple. Même si les films sont bons, je me demande pourquoi le réalisateur a revisité certaines scènes.  Sans doute pour mieux rendre à l’écran. Je ne suis pas une puriste alors je m’en fiche. Je suppose que la blonde n’est pas de mon avis. A l’entendre, c’est une lectrice passionnée. Elle doit faire des bonds de temps en temps en découvrant les changements. « J’aime pas lire tout court de mon côté. Que ce soit sur papier ou sur écran. Un écran est fait pour jouer de mon point de vue. » Mon avis est biaisé par mon boulot et mon hobby. Je suis geek, les écrans sont ma vie. Ils sont également la raison de mon manque de sommeil et de mes courtes nuits. M’en éloigner serait bénéfique pour ma santé. Je le fais actuellement en discutant avec cette femme. Comment ça ce n’est pas suffisant et je suis de mauvaise foi ? « Je sais pas. Un jeu vidéo est pas fait par une personne. Il y a pas de séance de dédicace organisée. Mais avoir un boitier permet de se construite une ludothèque et de garder une trace de son évolution. » La mienne est immense. J’y ai mes premiers jeux joués sur une console désormais obsolète. Un objet de collection maintenant. Et surtout des souvenirs plein la tête passés avec mon père.

Un coup de téléphone reçu de sa part met sur pause notre échange. Curieuse, je tends l’oreille pour entendre ce qu’elle raconte dans le combiné. Une fois raccrochée, elle revient vers moi. Je détourne mon regard et fais mine de replacer un jeu sur une étagère en sirotant mon café. Je l’observe à son explication. Un sourire se dessine sur mon visage. « Il craint que tu sois avec ton amant ? » Je ris de ma plaisanterie. Loin de moi l’idée de la mettre mal à l’aise. Et très loin de moi de penser que la belle en a réellement un. « Je le comprends. Avec ce qu’on lit dans les journaux en ce moment… » J’évoque les dernières agressions. Se promener seule dans la rue n’est pas recommandée en fin d’après-midi. Et vue la tête d’ange de sa chienne, je doute qu’elle soit apte à la défendre en cas de souci. « D’ailleurs, c’est peut-être mieux que je raccompagne chez toi. Ça t’évitera de te faire tremper et de risquer un éventuel problème. » Je termine ma tasse de café et la pose sur mon comptoir. « Si ça te dit, je fais ton taxi. La course est gratuite. Enfin, te me devras un café mais on verra le paiement plus tard. » Je lui lance un clin d’œil. « Je te demande juste dix minutes le temps de fermer ma boutique. Deal ? » Je lui tends ma main droite, paume en l’air. A elle de décider.

Si je me suis plantée, logiquement, sur le fait qu’elle aurait un frère se prénommant Peter, j’ai vu juste sur l’origine de son prénom. Après, que ce soit le conte ou le livre n’a pas d’importance. Je ne connais pas les différences. Je ne connais même pas le fond de l’histoire. Je n’ai jamais lu le bouquin et je n’ai vu qu’une fois le film dans ma jeunesse. Les dessins animés ne m’ont jamais intéressée. Quand j’étais devant la télé, c’était pour regarder mon père jouer à la console. J’étais sa première supportrice. Sauf quand il ne m’autorisait pas à l’encourager. Les jours où il décidait de jouer à Resident Evil par exemple. Il voulait me préserver de la violence. « Les filles uniques sont les meilleures ! » Je lui lance un clin d’œil complice. Une façon implicite de lui signifier que je le suis également. Une façon de rire une nouvelle fois. Je ne m’estime pas meilleure que les personnes ayant une fratrie. Nous sommes tou.te.s uniques. Nous avons nos qualités et nos défauts. Je ne déroge pas à cette règle universelle même si ma conception est inhabituelle et ne suit pas le chemin de base de la vie.

J’hoche la tête positivement à ses propos. « C’est clair que les ordis savent pas encore bosser tout seul ! » Dans un monde où le numérique prend de plus en plus de place, l’humain reste nécessaire. Il y aura toujours besoin de quelqu’un pour appuyer sur un bouton, pour réparer une machine en panne, pour imaginer un monde virtuel et j’en passe. Chaque innovation est née d’un cerveau. Regardez le téléphone portable. Belle invention en soi. Et à la fois triste invention quand on y regarde de plus près. Impossible d’être totalement déconnecté.e à présent. Nous sommes joignables à tout instant. Sauf quand il est éteint. Wendy en fait les frais et se fait déranger dans notre conversation. Je ne peux lui en vouloir. Entre une inconnue et son mec, son choix est évident. Je ne m’en offusque pas. Je ne peux m’empêcher de la taquiner à son retour malgré tout. La taquiner en restant un brin sérieuse. « Ah oui ? Elle a l’air tellement adorable pourtant. » Je m’approche de Luna. Grand sourire aux lèvres, je caresse une nouvelle fois le sommet de son crâne. Elle semble apprécier au point où elle lèche ma main lorsque que je m’arrête. Je crois bien m’être faite une amie. Une amie animal. Une première pour moi. Ma relation avec les animaux n’est pas au beau fixe. Je ne suis pas très à l’aise avec les boules de poils. Enfin, je les aime bien en soi. Chez les autres quoi.

Hors de question que j’en possède une. Je préfère les gens. Peut-être deviendrai-je amie avec sa propriétaire ? Le temps me le dira. En attendant, le temps est aux préparatifs de fermeture. La blonde ayant validée ma proposition de la raccompagner. Je m’empresse de m’y atteler. Je récupère son mug et file dans mon arrière-boutique déposer les deux tasses dans mon petit évier. Je ferai la vaisselle demain. De retour dans la salle principale, je coupe mon pc. J’attrape mon sac à main et je suis prête. « C’est la voiture rouge juste là. » Je pointe de mon index mon bolide garé à quelques dizaines de mètres. Je détache la clé de mon véhicule de mon trousseau. « Vas-y avec Luna pendant que je ferme le rideau. Je vous rejoins. » Ce n’est pas la peine qu’on soit deux, trois pardon, à se faire tremper. Sorties dehors, je m’active à verrouiller ma porte et à abaisser mon rideau pendant que la pluie s’abat sur moi. Une fois terminée, je cours jusqu’à mon abris à moteur. Assise à la place conducteur, je constate les dégâts. Je suis trempée de la tête aux pieds. « Quel temps de chien ! » Je me tourne vers Luna. « Je dis pas ça pour toi, hein ! » Je glousse. Je démarre par la suite. Je mets les essuie-glaces pour y voir clair. « Direction où ? » Pour la raccompagner chez elle, il me faut son adresse. Je ne suis ni télépathe ni devin.