between the heartbreaks - Faith

Depuis des jours le téléphone était silencieux. Aucun appel, aucun message de la part d’Aoden pour égayer ses journées. Et même s’il en recevait, Isaac en serait-il réellement heureux ? Les derniers événements l’avaient marqués d’une manière inédite, il avait peur d’être trop proche de l’Irlandais et pourtant paniquait à l’idée d’être éloigné. Parce que les dernières nouvelles qu’il avait reçues étaient alarmantes. Aoden semblait s’enfoncer dans un mal-être profond, qu’il arrosait d’alcool et pimentait de poudre. Est-ce qu’il avait toujours été ainsi ? Un mafieux violent, rempli de substances illicites mêmes lorsqu’ils étaient ensemble ? Ces pensées alimentaient les larmes qui coulaient trop régulièrement sur les joues d’Isaac et peuplait ses nuits de cauchemars plus horribles les uns que les autres. Il revivait ces jours en captivité, entendait les pleurs de Lenaig, puis la scène changeait et il visualisait un Aoden pâle, immobile, sans vie. Vision d’horreur qui était déjà imprimée dans son esprit. Isaac ne voulait pas revivre ça. Il ne pouvait pas revivre ça.

Il avait plus ou moins compris qu’Aoden s’enfuyait vers l’Irlande pour quelques jours, pour tomber dans des habitudes néfastes et sombres. C’est à partir de ce moment-là que les messages avaient cessé, et Isaac ne pouvait qu’imaginer le pire. La crainte lui rongeait les entrailles, de jour comme de nuit, ne nourrissant que la panique continue qui redevenait sa compagne. Et dire que c’était Aoden, qui après tant d’années avait réussi à faire taire ses peurs.

Ne tenant plus en place, il avait mis dans une boîte quelques affaires qu’Aoden avait laissées chez lui. Pas toutes, il avait bien dit qu’il garderait au moins un de ses tee-shirts. Une torture qu’il s’ingligeait lui-même, mais dont il ne pouvait pas encore se détacher. Mais avec cette boîte servant d’excuse, il avait été jusqu’au manoir qui était devenu un point de repère. Presque un chez eux… et pour la première fois Isaac sonnait à la porte d’entrée, pour s’obliger à montrer que ce n’était pas chez lui. Il ne resterait pas longtemps, comment pouvait-il pénétrer dans le lieu où tout lui rappelerait le propriétaire ? Puis Faith ouvrit la porte. Il tenta de sourire, mais cela ressemblait sans doute plus à une grimace qu’autre chose. « Salut. Il… il n’est pas là, si ? » Sur le visage d’Isaac, tout démontrait la tristesse qu’il ressentait. Au fond peut-être qu’il espérait qu’elle lui réponde que si, mais la crainte de se retrouver face à lui était également présente. « J’ai des affaires à lui rendre. » Une nouvelle tentative de sourire, comme s’il s’agissait d’un sujet léger qui ne lui transperçait pas le cœur. Mais la boîte qu’il tenait restait fermement entre ses bras, et il n’était pas encore prêt à la lui tendre.

Les choses avaient pris une drôle de tournure depuis quelques temps et pas dans un sens potentiellement plaisant. Non, c’était dans le sens qui perturbait ta routine et qui irritait tes nerfs, deux choses pour lesquelles tu n’as aucune patience. Le départ d’Aoden pour l’Irlande n’a rien arrangé en ce sens, si ce n’est qu’en rendant le manoir encore plus vide et votre présence inutile. T’avais permis aux employés de prendre des vacances s’ils en avaient envie, ne gardant que les volontaires pour assurer un minimum d’ordre entre les murs au cas où le propriétaire reviendrait sans prévenir - ce qui semble plus que probable considérant son état. Ton travail devient donc un jeu d’attente plus qu’autre chose, ce qui n’est pas exactement ce que tu préfères. Tu pourrais envoyer des messages à ton patron, lui rappeler de ne pas disparaitre en Irlande, mais tu supposes que ce serait inutile, qui sait s’il te répondrait seulement. Donc tu t’occupes, sans broncher, sans véritable problème. Ce n’est pas ce que tu préfères, t’as jamais été très bonne pour relaxer.

Au moins, parfois, il y avait des imprévus : le bruit de la sonnette qui se fait entendre est un parfait exemple. Machinalement, tu replaces tes cheveux dans leur chignon habituel en te dirigeant vers la porte d’entrée. Tu t’attends à un livreur ou même un colporteur, mais ça reste ton travail de t’en occuper. T’es surprise lorsque la porte laisse place à une tête familière, à quelqu’un qui, jusque là, n’a pas eu besoin que tu lui ouvres pour entrer. Tu peux supposer la raison derrière, difficile d’ignorer la rupture après tout, encore plus vu l’expression qu’il arbore. « Bonjour Isaac. » Des salutations somme toute formelles, même si tu esquisses un fin sourire, t’as appris à l’apprécier avec le temps, ce qui s’est passé la dernière fois n’y change rien. Tu secoues la tête à la question. « Non, il est en Irlande. » Supposément, c’est ce qu’il t’a dit, qui sait s’il y est vraiment.
Si ça ne tenait qu’à toi, t’aurais récupérer la boite sans plus d’histoire, mais la poigne d’Isaac sur cette dernière te laisse croire que ce ne serait pas si simple, que ça ne devrait pas l’être aussi. « Tu veux entrer ? On peut aller dans mes quartiers. » Une proposition qui vise à simplifier les choses pour lui. Parce qu’il n’a pas l’air d’avoir envie d’être là, sans pour autant choisir la facilité de juste te tendre la boite. « Je peux t’offrir un café ou un thé si ça te dit. » T’as surement des choses à manger aussi, mais tu doutes qu’il ait envie de s’attarder si longtemps. Tu t’écartes pour le laisser entrer s’il décide de le faire, mais te prépare aussi à recevoir la boite. Comme quoi, même dans des situations dramatiques, tu restes une (semi) bonne majordome.

Depuis des jours, le simple fait de respirer était devenu difficile, douloureux. Isaac ne dormait plus, hanté par des cauchemars nouveaux qui ressemblaient bien trop à une réalité atroce qu’il avait vécu. Revivre en songe les pires moments de sa vie, il y était habitué, vivant avec ses fantômes depuis des années maintenant, mais cette fois c’était différent. Cette fois, il aurait pu prendre un autre chemin. Au fond, si la rupture lui fait aussi mal, c’est en partie de sa faute à lui, parce qu’il n’arrive pas à s’accrocher. Les sms sont encore nombreux, il ne peut pas lâcher prise, mais il lui est aussi impossible de retourner vers Aoden. Trop de peurs, de déceptions, d’incompréhension. Ils ont échangé des mots durs et brutaux, certains qu’Isaac regrette déjà parce qu’ils ne représentent pas la totalité de ses sentiments. Mais comment faire autrement ? Comment rester neutre alors qu’il a la sensation d’être tombé amoureux d’un homme qu’il ne connaît pas ? Pour lui qui pensait ne plus jamais s’attacher, peut-être que ça aurait été plus simple si ça n’avait pas été le cas.

Le jazzman ne sait plus quand était la dernière fois qu’il a dû rassembler des affaires qui n’étaient pas à lui pour les sortir de son appartement. Ce qu’il sait c’est que la dernière fois, il n’avait pas les larmes aux yeux. Aoden le fait pleurer en continu depuis que toutes les vérités ont éclaté. La figure de l’homme fort et robuste n’existe plus avec Isaac, bien qu’il n’essaie absolument pas de s’y tenir. Il pleure, oui, il crit et désespère, et il se fiche bien de qui est au courant. Jamais une rupture ne lui avait brisé ainsi le cœur, parce que jamais il ne s’était projeté dans l’avenir de cette manière-là, avec un seul et même homme à ses côtés. Mais aujourd’hui, il n’a plus d’autre choix que d’accepter les faits. Aoden et lui ne sont pas faits pour être ensemble, ça n’a jamais été le cas. Alors dans une boîte il a mis tout ce qui traînait dans son appart, tout sauf un tee-shirt qu’il compte encore garder contre lui dans son sommeil. Et le voilà devant le manoir, le cœur serré, la gorge tremblante.

Si Faith est surprise de le voir ici, Isaac ne le capte pas. Trop aveuglé par sa tristesse et sans doute parce que la femme lui donne cette impression générale de n’être jamais étonnée. Comme si elle savait tout, s’attendait à chaque possibilité. Savait-elle qu’Aoden était à la tête d'un gang meurtrier ? Il ne va pas poser la question, pas tout de suite. Bien qu’il sache que le maître des lieux est hors du pays, il s’en assure avant de dire quoi que ce soit d’autre. Il hoche seulement la tête quand elle lui donne la réponse qu’il attendait. L’Irlande. Après tout ce temps, Isaac n’a toujours pas compris si Aoden aimait y retourner ou s’il fuyait sa terre natale autant que possible. Il n’aura jamais la réponse, ça importe peu aujourd’hui. Au moins son absence lui donne la force d’accepter la proposition de Faith. « Je veux bien un thé oui, s’il te plaît. » répond-il en essayant de sourire. Le geste est faible, sans doute parce qu’il sait déjà que c’est une erreur. Après ces cinq minutes écoulées, il aurait dû donner la boîte à la majordome et s’enfuir loin de Garden District, mais c’est trop tard. Déjà ses pas le mènent à l’intérieur. Il connaît les lieux et pourtant attend que Faith le guide, peut-être parce que c’est dans ses appartements à elle qu’ils vont cette fois et qu’il n’y est jamais allé, ou que brièvement pour lui faire une demande rapide. « Tu vas bien ? » Il pose la question avant d’être arrivé, pour s’empêcher de regarder dans les couloirs, d’épier à travers les portes entrouvertes. Se concentrer sur elle, son état, son quotidien, ce sera sans doute plus simple que de prétendre aller bien et ne pas vouloir recueillir des informations sur Aoden.

Tu ne saurais prédire s'il accepterait ou non ton invitation. Tu n'insistes pas vraiment, te contentant d'être une hôte digne de ce nom et lui proposer quelque chose à boire s'il jamais il décidait de rester. Ça semble être le seul comportement décent à avoir, le reste, c'est dans le camp d'Isaac. Il pourrait décider s'il veut se lancer dans une conversation complètement bateau sur la pluie et le beau temps ou s'il désire parler de ce qui le tracasse sans doute, de la raison derrière cette boite qu'il tient plus solidement que de raison. Est-ce que t'es la bonne personne pour l'un comme l'autre ? Probablement. Trop désintéressée pour les discussions inutiles et trop froide pour ce qui est délicat, mais qu'importe. Tu resterais - comme toujours - une oreille attentive en cas de besoin.
Un fin sourire se dessine sur tes lèvres lorsqu'il accepte ton invitation et le thé que t'offre. D'un signe de tête tu l'invites à entrer dans le manoir avant de prendre la direction de tes quartiers. Tu n'est pas certaine de si Isaac y a déjà mis les pieds, mais dans tous les cas, c'est plus simple d'être celle qui vous dirige dans le manoir. Ça évite de laisser les émotions (le) vous prendre et de s'arrêter en route. L'efficacité est nécessaire à tous les niveaux pour toi, même pour des trucs moins importants.

À la question qu'il te pose, t'hausses doucement les épaules. Tu ne saurais quoi répondre, parce qu'au fond, t'es surtout au neutre. Tu ne te sens pas particulièrement bien - certaines choses te pèsent un peu trop pour ça - mais en même temps, tu n'es pas au plus mal non plus. C'est donc avec un certain flegme que tu réponds. « Ça va oui, la routine. » C'est peut-être ce qui est le plus révélateur sur ta personne en fait, le fait que tu parles de routine malgré les événements. Faut dire que t'as rien vécu de traumatisant toi, tu t'es contentée de rapiécer les blessures sans plus d'histoire. Ce qu'est Aoden, au final, ne change strictement rien à tes yeux. C'est sans doute un problème, mais t'es pas assez investie pour t'en soucier. Alors tu te contentes de te concentrer sur ton interlocuteur, tournant légèrement la tête pour l'observer. Est-il vraiment utile de lui retourner la question ? Probablement pas. « Et toi alors ? Tes blessures guérissent bien ? » Tu as au moins la décence de lui offrir un échappatoire en visant spécifiquement ses blessures. Tu parles du physique, de ce que tu as pu voir le soir même. S'il veut aller dans le plus profond, sur comment il se sent mentalement, c'est libre à lui, mais tu ne le forcerait certainement pas.
Surtout que vous arrivez à tes quartiers, cet endroit bien trop luxueux dans lequel tu peux vivre parce que ton patron le veut bien : un étage pour ta personne. Autant dire que tu n'en as pas besoin, mais c'est toujours appréciable. « Installe-toi où tu veux, je vais faire bouillir l'eau. » Tu lui indiques tout de même le salon, une pièce sans prétention qui montre bien que tu n'as aucun intérêt pour la décoration. Une fois la bouilloire mise en marche, tu récupères les différents thés que t'as dans une armoire avant de revenir vers Isaac. Tu déposes le tout sur la table, histoire qu'il puisse choisir ce qui lui convient - t'es quand même une hôte digne de ce nom - avant de t'installer sur le canapé de l'autre côté de la table. « Tu viens reporter ses choses ? » Sans aucune délicatesse ou entrée en matière. De toute façon, c'est évident que c'est le geste logique suivant la situation - leur séparation.

Marcher à travers le manoir semble déjà être une épreuve plus douloureuse que prévue, mais Isaac se rassure en se disant qu’Aoden n’est pas là. Il ne tombera pas sur lui par inadvertance, il n’aura pas à lui parler, pas à le voir. Il ne sait même pas comment il réagirait s’il le voyait, mais il préfère ne pas le découvrir aujourd’hui. Parce qu’il a trop peur de la vérité, de la faiblesse qu’il ressentirait. L’envie de se réfugier dans ses bras, de ne plus jamais le lâcher, mais la peur de l’être qu’il a vu apparaître quelques semaines plus tôt. Au moins il n’a pas à y penser. Secouant un peu la tête, il suit Faith dans les couloirs, observant le moins possible le décor qu’il connaît par cœur. Il apprécie qu’elle veuille lui faire la conversation, bien qu’il ne sache pas quoi répondre quand elle lui parle de routine. Lui n’en a plus depuis longtemps. D’abord parce qu’il était amoureux pour la première fois et se comportait comme un adolescent imprévisible, maintenant parce qu’il a le cœur brisé et ne sait plus comment avancer. Décidément, il se trouve bien pathétique et différent de l’homme qu’il est d’ordinaire. Faith poursuit en lui retournant la question, mais elle est suffisamment sympathique pour lui donner une porte de sortie. « Mon bras me lance un peu parfois, mais ce n’est rien. Je m’en fiche. » Le soir même où il a été sauvé, il s’en fichait déjà. Il se souvient avoir protesté un moment avant de laisser Faith le soigner et panser ses blessures, parce qu’il ne sentait rien. La douleur physique qui transperçait son corps après des jours de captivité et de torture ne lui faisait rien. Ce qu’il voulait, c'était faire taire son cœur et les trop nombreuses questions qui le tiraillaient. « Merci d’ailleurs. Je suis sûr que c’est grâce à tes soins que les blessures guérissent vite. » Bien qu’il se trouve derrière elle, il fait de son mieux pour lui adresser un sourire. Il n’a pas souvenir de l’avoir remercié ce soir-là, mais mieux vaut tard que jamais.

Une fois dans les quartiers de Faith, Isaac observe un peu autour de lui. Si le contexte était différent, il ferait attention à la décoration, aux objets installés çà et là, aux détails qu’il pourraient retenir sur la vie de la femme. Néanmoins, son état amorphe ne lui autorise pas assez de curiosité pour y faire vraiment attention. Quand elle lui dit de s’installer, il ne fait que hocher la tête en balbutiant un « Merci. » à voix basse. Il suit les instructions et s’asseoit dans l’un des canapés du salon, en gardant toujours le carton sur les genoux. Il y aurait la place de le mettre à côté de lui, ce qui le rendrait sans doute plus léger, mais il est encore trop tôt pour s’en séparer. Au bout de quelques minutes, Faith pose devant lui tout le nécessaire pour le thé et il la remercie à nouveau, tout en se penchant pour choisir le parfum qui lui conviendra le plus. « C’est très agréable chez toi. » Les mots sortent mécaniquement, tels une rengaine qu’on lui a appris à déblatérer. Il le fait bien plus pour la forme que par sincérité ou admiration pour ses goûts, en vérité il n’a pas fait assez attention aux alentours pour faire un tel compliment. Mais qu’importe, Faith n’est pas dupe de toute façon puisqu’elle lui pose la question évidente et pourtant qui surprend Isaac. « Je… hum… oui. » répond-il finalement en haussant les épaules. « Je me disais que c’était sans doute la meilleure chose à faire, non ? Il me semble que c’était toujours une étape obligatoire dans mes anciennes relations. » Mais les autres relations n’avaient jamais été comme celle-là. Les anciennes relations, elles avaient pris fin parce que Isaac n’en avait rien à faire, parce qu’il n’était pas impliqué, pas amoureux, qu’il n’y avait pas d’avenir. Avec Aoden, il s’était laissé aller à imaginer un futur ensemble. Il s’était autorisé à tomber amoureux, malgré tous les traumatismes qu’il garde encore en lui. Une belle erreur. « Il y a certaines choses que je n’ai pas pu me résoudre à mettre dans la boîte, tu crois que c’est grave ? Je ne sais pas s’il s’en rendra compte. Sans doute que si… Peut-être que je les ramènerai dans une autre boîte. Plus tard. » Isaac fait les questions et les réponses, sans laisser le temps à Faith de parler. L’émotion est trop forte, les doutes trop nombreux et il ne sait même pas vraiment pourquoi il est là. Qu’espérait-il en venant ici ?

L’absence d’Aoden doit faciliter les choses pour Isaac, sans doute est-ce pour ça qu’il est présent aujourd’hui. C’était sans doute un plan solide vu les émotions contradictoires qu’il doit ressentir depuis les tragiques événements. Tu ne fais pas de commentaires sur la question, préfères même lui offrir une porte de sortie plutôt que le questionner sérieusement sur son état d’esprit. Tu te doute qu’il ne soit pas d’humeur à ventiler avec toi et se vider le coeur sur un sujet sensible. Puis, il faut admettre qu’en soit tu te préoccupes vraiment de la guérison de ses blessures surtout considérant qu’il n’a pas voulu passer à l’hôpital. La réponse qu’il t’offre n’est qu’à demi-satisfaisante. Sur le principe, tu comprends totalement sa position, t’as aussi la mauvaise manie de te ficher de tes blessures. Ce n’est pas pour les mêmes raisons, toi c’est ton côté rigide qui t’empêcher d’avouer tes faiblesses, lui c’est probablement le trop plein d’émotions ou quelque chose comme ça. « Fais quand même attention, tu m’enverras un message si ça persiste. » Est-ce qu’il a seulement ton numéro ? T’en sais rien à vrai dire, tu t’assurerais qu’il reparte avec en quittant le manoir. Pour ce qui est des remerciements qu’il t’offre, tu ne peux pas t’empêcher d’hausser légèrement les épaules, en guise d’indication qu’il n’a pas besoin de te remercier. « Ce n’est rien, il faut bien que mes connaissances en la matière servent un peu. » Puis bon, heureusement que tu les as ces connaissances sinon la situation n’aurait été que plus complexe.

Tes quartiers ne sont pas les plus intéressants à visiter. Il y a quelques éléments de vie ici et là, des plantes surtout, mais aussi de la laine couleur palustre - ton nouveau projet en tricot et un vinyle ou deux dont tu ne te sers pas plus que ça. Le peu de décoration que tu as pris la peine d’amasser est dans ta chambre où on peut voir des photos d’un photomaton avec Beatrice et d’autres souvenirs ici et là. Mais c’est trop personnel pour que l’affiche aux rares visiteurs qui viennent donc Isaac doit se contenter des beaux meubles et d’une froideur qui te caractérise si bien. Ce pourquoi le compliment qu’il t’offre te parait douteux. « Merci. » Pas besoin de faire un cas.
Puis, cette même froideur qui montre le bout de son nez lorsque tu t’installes devant lui sans plus de cérémonie pour lui demander s’il ramenait les choses d’Aoden. Il semble surpris par ta question, même si ça devait être la plus évidente. Ça aurait été étonnant que tu lui demandes s’il voulait une part de tarte - quoi que ce serait peut-être la moindre des choses comme une hôte digne de ce nom - ou s’il avait remarqué que tu avais profité de l’absence d’Aoden pour faire installer un bidet dans certaines salles de bain. T’attends sa réponse sans rien dire de plus, histoire de lui laisser le temps de réfléchir au besoin. Lui, en revanche, ne te laisse pas vraiment le temps de répondre aux questions qu’il soulève dans sa réponse puisqu’il se répond lui-même. Tu pourrais avoir un écouteur dans les oreilles que ça ne changerait rien sur le coup.  « Non, je ne pense pas que ce soit grave. » Est-ce qu’Aoden s’en rendrait compte ? Est-ce que ça le dérangerait ? T’en sais rien en fait, mais l’hypothèse te semble plutôt crédible. « S’il s’en rend compte compte tu pourras ramener le reste plus tard ou l’envoyer par la poste. » Même si tu penses qu’il n’y a pas grand chance que ça arrive. Tu ne sais pas pourquoi tu lui dis tout ça au fond, t’es certainement pas la personne qui pourrait le rassurer le mieux ou lui apporter un quelconque réconfort.

Le pire, c’est que tu vois bien qu’il est mu par l’émotion, que ce n’est pas facile pour lui. « T’es sur que c’est ce que tu veux ? » Il n’y a pas de jugement dans ta voix, tu cherches juste à comprendre son état d’esprit. Parce qu’il garde la boite sur lui et qu’il ne semble pas décidé à rendre le tout. Tu ne comptes pas lui faire la morale ou quoi que ce soit. Tu n’as pas non plus l’intention de chercher à le convaincre d’un côté ou d’un autre. Il peut bien faire ce qu’il veut, juste que tu n’as pas l’impression que ce soit ça. « Je ne pense pas qu’Aoden était pressé de retrouver ce que tu ramènes donc si t’as besoin de plus de temps… » En soit, tu n’es pas la mieux placée pour parler au nom d’Aoden, mais puisqu’il est en Irlande ça ne change pas grand chose au fond. « Enfin je comprends si tu veux essayer de tourner la page comme ça. » C’est tout ce que tu as à offrir en guise de douceur. Ce n’est vraiment pas une de tes forces, après tout.