Au Paradis vert (Nina)

@Nina Gold | dimanche 23 janvier - fin de matinée

Après avoir fait un pas vers mon père je me sentais beaucoup mieux. J'avais compris que je ne m'en voulais qu'à moi-même.. à tort ! Je n'avais rien fait et ce n'était pas de sa faute non plus. C'était la vie. Encore une fois. La vie qui m'avait déjà tant brisée et qui pourtant continuait de me sourire. Je m'étais fait des amis, des vrais. Et j'avais aimé, profondément, quelqu'un. Certes, cela s'était terminé sur une rupture douloureuse, mais je crois que ça en valait la peine. Puis c'était du passé maintenant. Je me relevais enfin. Il faut dire que le fait qu'il ait déménagé loin de NoLa m'avait grandement aidé à passer à autre chose, même si son amitié me manquait encore trop. Le fait de songer à son amitié et non son amour était un beau pas et je souriais.

Ce dimanche-là, je n'étais pas de service, alors j'avais décidé d'en profiter pour me balader. Mes pas m'avaient menés aux quais, j'adorais ce lieu, voir les bateaux et les vagues. Je rêvais parfois de monter dans un et de partir loin, mais ce n'était qu'un doux rêve à faire sur la terre ferme. Je n'avais aucune envie de le réaliser, j'étais presque certaine d'avoir le mal de mer. Un large sourire sur mes lèvres plus tard, je me rends compte que mes pas m'ont mené devant un autre lieu. Au paradis vert, chez cette fleuriste si intrigante. Enfin, je venais pour Nina, pas pour sa mère.

Je pousse la porte et entre timidement en souriant. Sa mère m'aborde. « Je voudrais un nouveau bouquet, mais je ne sais pas encore lequel. » lançai-je gaiement pour faire sortir Nina de la résreve.

Elle sort et fait signe à sa mère de se décaler. Tu ne peux t'empêcher de regarder leur échange et savourer le sourire qui nait sur la bouche de Nina. Il y a quelque chose de reposant à être ici. Entourée de fleurs et de bonnes odeurs, tu te sens bien, car c'est beau et agréable. Et puis Nina, cette jeune femme unique, douce et fragile et qui pourtant te semble forte. C'est assez contradictoire et tu n'arrives pas à mettre précisément un mot dessus, mais tu aimes cette atmosphère alors tu reviens sans cesse. Sans la moindres raison d'ailleurs.

Et voilà qu'elle te pose la question à laquelle tu n'as pas de réponse. « C’est un bouquet pour quelle occasion ? A destination de qui ? » Tu souris et te mords la lèvre, à chaque fois tu te dis "avant d'entrer je cherche une idée" et systématiquement tu es prise au dépourvu. Pas grave, tu vas trouver. « Pour Faith Atwoood » Le prénom est sorti avant que tu ne puisses le retenir. Et ça te fait sourire, c'est une bonne idée. Et puis tu ne veux pas qu'elle croit que tu aies quelqu'un dans ta vie, pour la simple et bonne raison que tu ne veux pas lui mentir et que ton coeur est en miettes. « Pour la remercier de m'avoir soigné. » Faith n'est pas infirmière, elle est majordome, chez ton père. C'est une femme qui sait tout faire, sauf avoir du tact et être délicate, mais ça, c'est pas grave. Sauf qu'elle ne t'a pas juste recousue, elle t'a épaulée, sortie, soutenue. Et tu as envie de la remercier, de lui dire combien elle a pu compter pour toi.

Bon en réalité, tu n'es pas sûre d'aller lui porter ce bouquet, il y a moyen que tu le gardes dans ta chambre. Tu ne paies pas Nina juste pour faire marcher la boutique, mais tu aimes le temps passer ensemble. « Tu me conseilles quoi ? » demandes-tu, les yeux brillants en ayant hâte de la voir se déplacer dans les rayons pour choisir les fleurs idéales. Nina te compose toujours des bouquets magnifiques et sur mesure, quant elle ne choisit pas plutôt une plante qui dure plus. Bref, elle tombe juste, à chaque fois. Et pourtant, tu ne lui donnes que peu d'informations, mais ta relation avec Faith est ... délicate à expliquer.

Tu le sais bien, tu en as trop peu dit. Nina est douée mais elle n'est pas magicienne. C'est impossible qu'elle comprenne de qui tu veux parler et pourquoi tu veux tant la remercier. Surtout qu'il y a de grandes chances que tu n'oses même pas offrir les fleurs ensuite. Mais qu'importe, ce qui compte c'est de passer du temps avec Nina et sa douceur. Même son prénom te fait penser à une fleur, délicate, fragile, mais qui embaume tout l'air par force. Nina est unique, comme tu n'as jamais vu de personne de la sorte. « Des hortensias. » Tu souris à pleines dents. Elle a eu une idée, avec si peu de chance, finalement, elle est peut être bien magique cette gamine. « Hum, elle porte souvent des couleurs sombres, mais je ne pense pas que ce sont ses préférées. » Tu ne sais rien d'elle, c'est honteux. Faith est tout pour toi et rien à la fois, c'est très ambivalent. Quand elle te demande des qualités, tu paniques presque. Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir dire ? Comment expliquer votre relation et ce qu'elle représente alors que tu ne le sais pas toi même ? Tu fermes les yeux. Et tu prends le temps de réfléchir. « Elle est forte, organisée et stricte. Mais j'imagine que ça ne va pas trop t'aider tout ça. » Tu te penches un peu plus dans tes souvenirs et respire profondément. Tu inspires d'un coup toutes les odeurs différentes de fleurs et ça te fait tourner la tête. Comment fait-elle pour rester là toute la journée ? Dehors l'air doit puer pour elle ! « Faith est quelqu'un de droit, un roc sur qui tout le monde peut compter, par contre, elle n'est pas forcément douce. » Ce n'est pas une critique, tout le monde ne peut pas l'être. « J'imagine que je vois en elle un adulte à respecter parce qu'elle m'inspire... confiance ? » Le dernier mot a eu du mal à sortir, parce que c'est la réalité, tu as du mal à faire confiance aux adultes. Et Faith était l'une des premières à qui tu te sentie vraiment attachée, vraiment prête à lâcher prise. Après des mois à la bouder et l'ignorer. Tu te souviens de ses moments-là. « Je pense que je veux la remercier parce que je ne sais pas lui dire à voix haute. » Tu n'es même pas sûre qu'elle t'écoute la remercier, elle est comme ça Faith, directe. « Désolée Nina, » son prénom roule sur tes lèvres, c'est joli « c'est fouillis mais j'ai pas trop l'habitude de faire cette introspection sur moi-même » Voilà comment lui dévoiler que tu n'étais pas venue ici pour des fleurs, mais bien pour la voir. « Pourtant je dois avouer que c'est intéressant. » Tu ne veux pas qu'elle croit que tu es gênée par ses questions, elle a raison de les poser, c'est toi qui est venue pour un bouquet après tout...

Réfléchir à qui tu es et ce que Faith représente pour toi, c'est quelque chose de nouveau et pourtant tu le fais avec plaisir. Pour Nina. Elle dégage cette douceur et cette discrétion qui te fait prendre conscience que tu peux tout dire. Nina n'ira jamais parler à qui que ce soit, elle a en elle cette pudeur qui te fait du bien. Tu souris quand elle accepte les mots que tu as choisis pour décrire Faith puis tu la regardes avec curiosité. Tu as toujours aimé voir les gens réfléchir et agir. Or c'est précisément ce qu'elle fait. D'un côté, de l'autre, hésitant quelques secondes avant de choisir d'une main sûre. C'est fascinant de la voir et tu profites du spectacle.

Aucune fleur ne te parle, tu ne connais pas les noms, juste tu admires les pétales et les couleurs, c'est tout ce qui est à ta portée, mais en même temps, ce n'est pas le bouquet en lui-même qui t'importe. Pourtant, quand elle le tend sous ton nez tu ne peux t'empêcher de faire briller tes yeux. Tu ne vois pas le visage de Faith dans ce mélange de fleurs, mais pourtant, l'ambiance qui se dégage... c'est précisément ce que tu ressens. C'est fou. En regardant rapidement ce ne sont que des fleurs, mais quand tu regardes le bouquet, tu es subjuguée. « T'es une magicienne, c'est ça ? » C'est bien la seule chose que tu es capable de dire. Tu souris en inspirant les odeurs de fleurs. « C'est très très joli et en même temps, sans que je n'y connaisse rien, je ressens un truc en voyant ce bouquet. » Tu souris, un peu gênée de tes paroles. Tu ne sais pas vraiment quoi dire de plus et tes mots sont maladroits, mais « c'est génial. » Voilà bien une chose vraie que tu peux dire.

Tu acquiesces donc à ce bouquet et tu regardes à nouveaux ses doigts s'envoler, déplaces des feuilles, faire des ajouts feuillus et l'enrober pour le protéger. Faceà Nina qui s'active, tu te revois comme une enfant qui regarde un pro faire ce qu'il fait de mieux. Elle est vraiment installée dans cette vie de fleuriste, elle sait ce qu'elle fait et elle le fait bien. Et ça te renvoie à ce que toi, tu ne sais pas faire. Tu es serveuse et tu te débrouilles, mais il n'y a aucune passion derrière tes gestes et tu n'as jamais été l'employée du mois. Tu es incapable de trouver un domaine dans lequel tu excelles et dans lequel tu te sens à ta place. Alors, malgré toi, tu te renfermes sur toi-même, sentant les larmes poindre. Ta vie n'est qu'un échec. Tu te forces à sourire pour cacher ton désarroi et tu te concentres sur les odeurs. Elles sont vives, mais totalement neutre pour toi. Tu inspires et sourit. Oui, ça va déjà un peu mieux.

Au moment où tu la félicites du bouquet, tu sais déjà qu’elle sera sa réaction. Tu sais déjà qu’elle va trouver une excuse pour justifier qu’elle ne doit pas être complimentée et… bingo. Elle rend grâce aux fleurs. Et, s’il est vrai qu’elles sont splendides, tu n’aurais pas été capable d’en faire autant. Tu aurais mélangé les tiges au hasard et cela n’aurait pas été beau. C’est évident. Tu as essayé de faire des bouquets toi-même et il y a toujours une couleur qui pèse, en trop en décalé. « Les fleurs sont magiques mais je soutiens que tu es la magicienne qui lie le tout. » Et ce n’est même pas de la drague ou une réplique bien préparée, c’est vraiment juste ce que tu penses. Nina mérite de se rendre compte qu’elle est exceptionnelle. Mais tu es incapable de lui dire toi-même, alors tu te contentes d’acheter des bouquets, de temps en temps. Et de plus en plus régulièrement, s’il faut être honnête envers toi-même.

Quand elle propose de rajouter un petit mot tu secoues la tête. « Oh non non ça ira, merci. » Que pourrais-tu mettre comme message ? Surtout que tu n’offriras jamais ce bouquet à Faith, comme tant d’autres, il traînera chez toi. Jusqu’à ce qu’il faille jeter les fleurs. Un jour, sûrement, tu trouveras le courage d’aller offrir ces bouquets aux personnes que tu aimes, mais pas aujourd’hui. Tu n’es pas prête. « Merci beaucoup et… à la prochaine ! » salues-tu Nina après avoir payé le bouquet.

Puis tu quittes la petite boutique qui sent bon à regret. Tu aurais aimé trouver un sujet de discussion ou juste l’inviter à marcher dans le parc à côté, lui proposer de sortir, boire une limonade ou effrayer les pigeons. Mais tu es incapable de faire tout cela, parce que Nina, c’est pas juste une nana que tu croises et sur laquelle tu as envie de tester ton pouvoir de séduction. Nina, c’est une gamine perdue qui dégage quelque chose de si fort que ça te fait un peu près.

***

Un bon mois plus tard, tu entres avec énergie dans la boutique. Tu es déjà revenue deux fois – tu sais pertinemment le nombre d’entrée ici puisque tu as encore les vestiges des précédents bouquets sur le bar de ton appartement – mais aujourd’hui tu es pleine d’excitation, peut-être un peu trop énervée.

Tu es essoufflée même, puisque tu as couru sur toute la rue et tu t’accroches quelques secondes sur la porte pour reprendre ton souffle au milieu des douces odeurs.

« Nina Nina ? » appelles-tu sans prendre de pincettes.

Tu espères qu’il n’y a personne avec elle où qu’il n’y a pas douze mille bouquets qui attendent. Tu avales ta salive, cache tes larmes et réfléchit à comment le formuler. Quand tu la vois, tu te lances à l’eau. De toute manière, ça fait 24h que tu n’as pas dormi et tes yeux sont encore bien rouge d’avoir tant pleuré.

« Nina, mon père est à l’hôpital, blessé. Et je veux que sa chambre qui est affreuse soit recouverte de fleur. J’ai un budget illimité et je sais que toi seule peut faire quelque chose pour ça. »

Tu es venue voir Nina, ta fleuriste, pour décompenser du drame des derniers jours. Tu es venue parce que Nina c’est la simplicité de la vie normale, c’est un havre de paix où tu te sens bien. Et après plus de quarante-huit heures à paniquer sans savoir ce qu’il allait advenir de ton père, tu avais besoin de ça. Cela va faire dix heures maintenant qu’Aoden est réveillé et tu avais besoin de sortir des ténèbres, sortir de cet hôpital malsain et sombre. Et, Nina, ce petit rayon de soleil dans ta vie, t’a paru être la meilleure échapatoire.

Essoufflée, énervée, triste et exténuée, tu entres pleine d'espoir dans ce lieu calme et accueillant. Pourtant, rien ne va se passer comme prévu et la première phrase de Nina te stoppe totalement.

« Je ne vais pas pouvoir t’aider, désolée… »

Deux larmes quittent tes yeux sans que tu ne puisses y faire quoique ce soit. Ce refus, pur et net, sûrement logique, te brise encore un petit peu plus. Ton père se réveille tout juste de son opération dont il a failli laisser la vie, cela fait vingt-quatre que tu n'as pas dormi et le rayon de soleil que tu pensais réconfortant vient de te brûler la face avant de disparaître. Tu t'assieds sur le sol parce que tu ne tiens plus sur tes jambes.

Quand elle touche ta main, tu relèves la tête vers elle et la regarde. Ses yeux, plein de douceur, passent un baume sur ton coeur. Et tu t'en veux à toi-même d'avoir réagit si vite. Evidemment, qu'il y a une raison, l'hôpital refuse les fleurs, voilà ce qui explique mieux. Tu souris d'un air d'excuse. Et apprécie cette main contre la tienne. Cette chaleur qui se dégage, c'est exactement ce qu'il te fallait. Tu as passé beaucoup de temps dans les bras d'Isaac qui attendait avec autant voire plus d'impatience que toi que ton père - et son amant - se relève. Mais le contact de Nina est complètement différent, tout en étant aussi réconfortant. Tu souris.

« Désolée, j'ai paniqué à ton refus. Je suis un peu fatiguée je crois, mes émotions.. »

Tu ne finis pas ta phrase et te relève en prenant appui sur elle. Tu n'as aucune envie qu'elle ne lâche ta main, alors tu ne fais aucun geste pour cela. Tu avales ta salive et, de ton autre main, tu essuies les larmes sous tes yeux.

« Je savais pas qu'il y avait une interdiction, mais ça peut se comprendre. » Tu grimaces, cette chambre est hideuse et le restera. « Pour le manoir c'est parfait, j'espère qu'il sera content. » Tu tentes de sourire. T'en sais rien s'il acceptera, mais tu as besoin de faire quelque chose. « Il s'est pris une balle perdue » Ce n'est pas tout à fait vrai, mais la vérité est trop dingue pour qu'elle puisse l'être de toute manière. Et puis tu n'as sûrement pas le droit d'en parler. « et j'ai bien cru qu'il ne se relèverai jamais. » Encore cette peur, terrifiante, qui te noue les entrailles. Tu ne sais pas pourquoi tu lui racontes tout ça, elle ne t'a rien demandé. Tu serres ses doigts, à ton tour, pour qu'elle soulage ta peine, parce qu'elle est capable de te faire sourire à ce moment. « Mais finalement il s'est réveillé et il a commencé par faire une blague. » Tu lèves les yeux au ciel à ce souvenir datant d'il y a quelques heures. Tu expires l'air de tes poumons et tu te sens trembler de la tête au pied. Comme si tu expulsais la pression et la peur. C'est fini. Il va bien. Et tu vas lui offrir des fleurs. « Du coup j'ai besoin qu'il comprenne ma peur je crois, parce que, bah je viens souvent ici, tu sais que je suis pas douée avec les mots. » Tu marmonnes tout ça dans ta barbe, mais elle peut le comprendre. Aoden, tu as déjà fait un bouquet pour lui. Plusieurs mêmes. Et, s'il est vrai qu'ils sont toujours chez toi et que tu n'oses pas les offrir, c'est aussi une manière pour toi de mettre des mots sur ce que tu ressens. « Qu'est-ce qu'on peut faire comme bouquet ? Plusieurs ce serait bien. » Tu souris avec douceur en plongeant ton regard dans le sien.

Au milieu des fleurs, ta tristesse et sa douceur se mélangent. Vous êtes deux gamines perdues dans un monde trop grand, alors tu attrapes sa main pour tenter de survivre au torrent d’émotion qui pourrait t’entraîner au loin. Mais elle est là, Nina, ancrée dans le réel. Et ça t’aide. Elle réfléchit, elle sait. Et tu peux lâcher prise. Sa peau contre la tienne te rappelle que tu es vraiment là et non plus loin, perdue, seule, abandonnée. Ton père n’est pas morte et tu es entourée. Un sourire s’étire sur tes lèvres et ton coeur te fait mal. Est-ce normal d’avoir autant de chance dans sa vie ? D’avoir des gens là pour toi ? Tu n’en as pas l’habitude et pourtant de plus en plus de monde est là pour toi.

Elle te pose une question mais disparais avant que tu ne puisses répondre. Tu étais en train de sortir ton téléphone pour voir si tu avais des photos, il faut avouer que le miroir de l’entrée est absolument parfait pour les selfies, mais ça ne doit sûrement pas lui suffire. Puis tu n’es pas sûre d’oser lui montrer ces photos.

Elle revient quelques minutes plus tard, le visage souriant et les joues rosées d’excitation. Tu souris à ton tour, par réflexe. Son sourire est si doux, si contagieux, si saisissait. Bon sang qu’elle est belle ! Tu avales ta salive et songe à ce qui est urgent maintenant : des fleurs pour ton père. Tu n’es là que pour cette raison. Pour la première fois d’ailleurs. Tous les autres moments où tu as passé la porte d’entrée, ce n’était que pour la voir, elle et aujourd’hui, tu vas offrir les fleurs de sa boutique pour de vrai à quelqu’un d’autre. Un frisson d’excitation te parcourt le dos à sa proposition. Elle semble timide en la faisant et tu trouves que ça lui va bien. « Trop bonne idée oui ! » t'exclames-tu gaiement.

Puis tu réalises ce qu'elle va voir : un manoir somptueux, un peu trop grand d'ailleurs, du luxe et Faith. La majordome. Quelle famille en a encore une de nos jours ? Des familles ultra riche, bien sûr, ou aristocrate, ce que tu n'es clairement pas. Tu sers les dents en te demandant comme tu vas justifier ça. « Par contre t'es pas prête pour ce que tu vas voir et j'espère que tu ne vas pas me juger. » lances-tu timidement.

Tu attrapes ton téléphone et appelle le chauffeur, vu la distance, ce sera plus simple d'y aller directement avec la voiture de ton père plutôt que de prendre six bus différents. Elle a un travail et même si tu vas dépenser sans compter, tu sais qu'elle a besoin de travailler. Pendant que vous attendez la voiture, tu te tournes vers elle. « Je sais que je devrais pas me justifier, mais Nina, c'est pas ma vie ce qu'on va voir. Fin, je pense de plus en plus à aller habiter avec lui, après l'accident là » Pendant un instant tu avais presque oublié ce qui t'amenait ici, et pourquoi tu avais besoin de Nina. Oui, tu vas sûrement quitter ton minuscule appartement pour aller vivre au Manoir afin de profiter du temps avec ton père. « Bref, je suis arrivée ici il y a à peine 2 ans, je connaissais pas Aoden avant. » C'est pas clair et tu te mords la lèvre, mais comment expliquer ?

Coupant court à tes explications foireuses, tu ouvres la porte passager arrière. « Après toi. » La ville défile sous vos yeux et tu es à la fois stressée et excitée.

Devant le manoir tu sors en cherchant tes mots. « Bienvenue au Manoir Lynch. » lances-tu devant l'immense bâtisse qui date d'un autre siècle. Tout respire la beauté, mais sans être si ostentatoire que ça. Aoden a vraiment bon goût, tu ne peux pas ne pas le reconnaître. Tu sors la clef pour ouvrir la porte, même si Faith doit être dans les parages et que la maison doit être ouverte.

Vous pénétrez dans le hall, celui avec le beau miroir doré. D'un côté, il y a le salon, de l'autre l'escaliers puis le couloir qui mène aux pièces du bas. C'est immense et tu te sens soudainement gênée.

Sa main dans la tienne, tu as envie de croire à ses mots. Mais elle va te juger. C'est certain, obligé, tu n'as pas de doute, parce que tu n'es pas une fille comme elle l'imagine. Tu as déjà laissé Nina entrer dans ton coeur, tu lui as montré, par ta gentillesse, ta douceur, qui tu étais vraiment, mais personne ne te connaît de la sorte. Et elle risque d'avoir un choc. Tu as tellement envie qu'elle reste à côté de toi pourtant, que tu commences à trembler, transpirer, mais pour l'instant, elle est là.

Quand elle te colle pour entrer dans la bâtisse, tu souris, instinctivement. Tu es bien là, avec elle. Tu aimerais jouer les maîtresses d'accueil, les femmes à l'aise, mais tu ne l'es pas. Tu vois dans son regard vers le haut plafond, dans ses petits pas malhabiles qu'elle n'est pas à l'aise ici. Que c'est trop grand, trop luxueux, trop trop. Tu te mords la lèvre et attrape sa main.

Soudain elle refait surface, la Nina professionnelle que tu connais. Celle qui sait, qui n'hésite pas. De la lavande, tu notes. Tu souris. Puis tu t'écartes, instinctivement quand tu entends les pas. Faith. Bien sûr, elle est là, toujours là. Tu avales ta salive, ne sachant que faire. Nina a bien dû remarquer que tu t'étais déplacée de quelques centimètres et que c'est complètement idiot.

La majordome entre dans la pièce et tu fais les présentations. « Faith, Nina. Nina, Faith. » Tu te mords la lèvre, est-ce que ça suffit ? « Faith est la personne qui gère cette maison » Tu n'aimes pas le terme de majordome, ça te fait trop ancien, trop riche aussi. « Nina c'est la fleuriste, je l'ai appelé à la rescous pour » soudain tu t’arrêtes. Est-ce qu’elle sait ? Quelqu’un lui a dit ? Tes yeux s’ouvrent et pétillent. « Il s’est réveillé ! Aoden va bien. » Enfin, aller bien est un grand mot. Vu sa tête, Faith devait être au courant, alors tu avoues du bout du lèvre ton idée - stupide mais qui te fait du bien - « alors j'ai demandé à Nina des fleurs, pour décorer la maison, enfin au début je voulais que sa chambre soit belle et sente bon, mais on n'a pas le droit. Alors on est ici. Enfin on peut d'ailleurs ? Oui, je vois pas pourquoi on pourrait pas. » Tes mots s'emmêlent, ta langue prend vie et tu parles, beaucoup trop, avec maladresse, mais tu n'es pas dans ton état normal. Tu es chez ton père, avec la fille qui fait battre ton petit coeur et ton père vient de se réveiller après plus de 24h de coma. Tu inspires quand Faith pose sa main sur ton épaule. Un simple contact qui te ramène à terre. « Tout va bien Lenaïg et bienvenue mademoiselle, si vous avez la moindre question, n'hésitez pas. » Faith, professionnelle jusqu'au bout des ongles.

D'un mouvement brusque, tu te retournes vers Nina. « C'est mieux du coup de mettre des bouquets dans plusieurs pièces ? Ou plusieurs dans la même pièce plutôt ? Comment on fait ? Dis-moi ce que tu penses, je m'adapte à tout. » Enfin, ton porte-feuille ne s'adapte clairement pas à tout, mais ça, c'est une autre question à laquelle tu répondras plus tard.

La majordome s’éloigne et c’est seulement à ce moment-là que Nina se remet à parler, plus détendu. Tu ne pose aucune question, ce n’est pas le lieu, pas l’endroit, mais tu commences à mieux la comprendre. Tu te doutais bien qu’elle avait souffert, qu’elle portait sa solitude et sa timidité comme un costume pour éviter d’avoir a faire face à ses vieux démons. Tu as envie de lui prendre la main, mais tu ne le fais pas. Incapable de savoir si ça va lui plaire ou au contraire.

Puis elle redevient souriante et ses yeux brillent du défi que tu lui proposes. Le fait de décorer cette maison. Tu n’imagines pas combien ça peut lui plaire, pour toi, tout te passe au-dessus et sans Nina tu ne te serais jamais intéressée aux fleurs… mais il faut avouer, que, petit à petit, tu commences à apprécier ces dernières. Tu fermes les yeux et imagines la pièce, avec un petit sourire.

« Ah ça, ouais, les pièces sont grandes ! » lâches-tu, prête à tout. Tant pis pour l’argent que tu dépenseras aujourd’hui, rien de tout ça ne t’inquiète actuellement. Tu mettra mille dollars s’il le faut, tant que la maison ressemble à un conte de fée ensuite !

Tu lui attrapes la main, là, ça te semble naturel, et l’attire vers la pièce suivante. « Allez viens ! » Vous quittez le petit salon - celui dans lequel tu as pleuré toutes les larmes de ton corps quand Aoden t’a demandé pardon - et retraversez le hall. Faith est sûrement dans la cuisine, tu l’évites. « Dans le hall tu vois des fleurs aussi ? » demandes-tu rapidement puis, après sa réponse évidemment, tu l’entraînes vers la salle à manger. « J’ai encore jamais utilisé cette pièce j’avoue, je mange plutôt sur le tabouret de la cuisine quand je suis là. » Mais tu n’es pas souvent là, maintenant, ça va changer. Tu imagines les longs repas et eurk, ça ne te fait pas envie. Tu n’es pas réellement fan de dîner de famille, après, ça fait très peu de temps que tu as une famille donc tu en as sûrement une idée fausse. Tu continues de la perde dans le réseau de pièces du bas. « Là c’est la petite bibliothèque, je crois qu’Isaac s’est moqué d’Aden en l’appelant son boudoir, mais j’sais pas ce que ça veut dire ?! » Tu n’es pas férue de lecture ni de série tv, tu n’y connais donc rien au siècle passé. Tu passes rapidement devant le bureau « J’y suis jamais rentrée, je pense que c’est fermé à clef. » Tu n’essaies pas et n’en a même pas envie. « Et là c’est le balcon ! Ou une terrasse ? C’est quoi la différence ? » Pour toi c’est à l’extérieur, sur du bitume ou du béton ? t’en sais rien, comment pourrais-tu connaître tous les termes ? La visite faite par Aoden des mois plus tôt te semble lointaine. « Il reste donc la cuisine, mais on met pas de fleurs dedans et sa chambre, mais pareil, j’y suis jamais entrée… » Tu fais une petite moue hésitante sur ton visage « Je suis sûre que ce serait joli des fleurs dans sa chambre et vu la convalescence qu’il va avoir, il y passera longtemps, mais j’ose pas entrer dedans… » Tu te mords la lèvre, toujours à l’extérieur. Soudain, ton regard apperçoit le jardinier et la situation te parait cocasse. « Tiens, c’est rigolo, le jardinier est là. » dis-tu en pointant ton doigt vers le jeune homme.

Tu regardes ensuite Nina et te rend compte que vous êtes allées bien vite dans les pièces, pressée comme tu l’étais de lui faire visiter. En courant comme deux enfants qui découvrent une nouvelle cabane. « Tu veux retourner dans quel pièce ? Maintenant que tu as tout vu, je te laisse décider et je te suis ! » grand sourire sincère, tu es heureuse d’être ici avec elle. Nina apporte un air différent à cette luxueuse maison. Elle apporte de la fraicheur, de la joie, de la simplicité. Tu aimerais oser lui demander de venir, une autre fois, juste pour être avec toi, mais tu n’oseras sûrement jamais le lui dire.  

Depuis longtemps, tu as conscience que Nina te fait un privilège en sortant pour t'accueillir dans la boutique, mais jamais tu n'avais osé placer tes espoirs plus haut. Jamais tu n'avais songé pouvoir lui avouer ce que tu ressentais en sa présence. Ce sentiment de bien être, ce coeur qui bat la chamade, cette envie de la toucher, tout ça, c'est nouveau pour toi, complètement nouveau et complètement bouleversant. Tu as envie, mais tu n'oses pas. Alors tu le gardes, au plus profond de toi et tu continues à sourire, rire, parler, comme si de rien n'était. Comme si elle n'était que fleuriste et peut être même, qu'une amie. Vous n'avez jamais défini de termes, mais tu serais heureuse de pouvoir - au moins - la compter comme amie.

Alors, quand elle dit qu'elle ne veut retourner dans aucune pièce, tu as un instant de doute. Vous êtes passés vite, elle n'a pas eu le temps de tout voir ? A moins que voilà, déjà, elle est déçue du manoir et elle le déteste. Et toi avec. Cette vie de bourge, que tu adorais et détestais à la fois. Cette vie qui, quoique tu en dises, te ressembles bien trop pour t'en détacher. Tu te forces à sourire, comme si ce n'était rien, pour cacher ton trouble. Tu espères être bonne joueuse. Pourtant, elle replace une mèche derrière ton oreille, elle touche ta joue. Elle doit sentir ton coeur. Bon sang, pourquoi ne peux-tu pas être plus discrète ? Et pourquoi elle n'est pas dans tous ses états comme toi ? Tu avales ta salive et sourit pour de vrai cette fois-ci. Sentant ta joue se réchauffer au contact de sa main.

« Oh. » C'est ta première réponse, un peu de surprise sans doute. « C'est que, ok viens. » Tu lui attrapes la main et l'emmène vers l'escalier. Toutes les chambres sont là-haut, c'elle d'Ao, celle des invités, la tienne, d'autres sûrement, tu ne sais pas. Devant la troisième porte sur la droite, tu marques un arrêt. « J'ai une chambre, bien sûr, mais j'y vis pas encore dedans. Je pense bouger dès aujourd'hui et lâcher ma coloc, qui n'en est plus une depuis qu'Achil est parti, mais du coup c'est pas vraiment ma chambre tu vois, pas mes meubles, ma déco... » La liste pourrait être longue encore, alors tu ne la fais pas patienter plus, elle doit avoir compris ton point. C'est Faith sous les directives d'Aoden qui l'a préparée pour toi, tu en es sûre, et en vrai, il te connaît bien parce qu'il a mis une ambiance que tu apprécies, mais ce n'est pas toi. Tu avales ta salive et pousse la porte.

Doucement, vous pénétrez dans les lieux. La pièce est jolie, simple, un peu carrée. Les meubles sont beaux sans être totalement et futilement chers, bien agencé. L'immense fenêtre donne sur un petit balcon en plein sur l'ouest. Il y a un grand lit, une armoire en bois - tu ne sais pas duquel - et deux cadres, des reproductions de tableaux - il avait proposé d'acheter un vrai tu as refusé - représentant une côte irlandaise et un grand champ vert. Evidemment, les peintures viennent de chez lui, d'Europe, tu adores ça. Il a voulu t'inclure dans son passé, chose qu'il n'a pas pu faire pour de vrai puisqu'il ignorait alors jusqu'à ton existence. « Voilà. » lâches-tu en relevant enfin les yeux vers elle après avoir exploré ta chambre en même temps qu'elle a dû le faire.