_Voici vos médicaments. Pour l'ordonnance n'oubliez pas de la renouveler avant la fin du mois de septembre par un médecin, nous en avons des très bons en ville si besoin. _C'est gentil, mais je ne pense pas rester aussi longtemps. Ce ne sont que des vacances de quelques semaines. _Dans ce cas il n'y aura pas de problème. Passez une bonne journée, à bientôt
Ambre salua la jeune femme d'un signe de tête. Ses doigts attrapèrent le petit paquet posé sur le comptoir, le glissant dans son sac. Puis en tournant les talons elle évita scrupuleusement le regard curieux de trois personnes âgées. Le genre qu'on imagine facilement sur un banc à faire des commérages sur chaque citoyen de la ville, avec un avis bien prononcé et un jugement que nul ne saurait contrer. Elle pouvait sentir leurs yeux ridés suivre le moindre de ses mouvements, passer de haute en bas sur sa personne jusqu'à enfin disparaitre du champ de visions. Le tintement de la porte automatique dans son dos dénoua la tension qui s'était logé sur ses épaules. Elle détestait ce genre de personne, ils avaient le don de la mettre sur le qui-vive. Comme si chaque action de sa vie était minutieusement observée et décortiquée pour y mettre un avis – souvent déplaisant et blessant – mais qui semblait justifié et juste. Pathétique à vrai dire.
La grande bouffé d'air frais extérieur, le regard levé vers le ciel, les nuages qui commençaient à entreprendre une danse dangereuse au-dessus de la ville, elle inspira un grand coup, puis deux avant de marcher paisiblement le long du trottoir. L'inconvénient à partir en “vacances” sur un coup de tête c'est que certaine chose n'était pas aussi simple que ça. Elle avait pris la route, organisé l'arrivée, loué la chambre, néanmoins il n'y avait pas de réelle date de retour planifié. Alors qu'elle savait que des obligations l'attendaient, une vie, un travail, mais rien de tout ça ne lui donnait envie. Son fils ne pouvait rester indéfiniment en vacances, il fallait bien qu'il reprenne l'école, plus encore avec la rentrée approchant à grands pas. Mais là encore, rien ne lui convenait. Pourtant, elle aimait sa vie dans la grande ville, son entreprise et tout ce qu'elle avait pu faire pour en arriver là. Quelques amis qui lui manquaient et l'ambiance différence qu'on ne trouvait pas à la Nouvelle-Orléans.
Et parmi tout ça, il y avait aussi sa santé qu'il était impossible de négliger. Un traitement, des soins, un suivi par un médecin. Des faits qu'elle ne pouvait tout simplement pas mettre de côté et attendre que les choses passent. Attendre que les choses aillent mieux, comme si ce n'était qu'une simple égratignure. Cette maigre pensée donna un nœud au creux de sa gorge. Évidemment s'il avait été possible de choisir, jamais elle ne serait tombée malade, jamais elle n'aurait eu d'accident, jamais... jamais toutes ces choses ne seraient arrivées. Mais tout cela survenait pour une bonne raison, du moins, c'était les quelques mots qu'elle se répétait pour se donner bonne conscience et apaiser son esprit torturé.
La trentenaire attrapa son mobile vibrant comme un diable dans le fond de son sac. L'écriture en gros et gras du nom de sa belle-mère donna à son visage des rides bien avant l'heure. Une grimace désagréable et un soupire las qui s'échappa. Elle n'avait ni le temps, ni l'envie d'entendre cette vieille mégère à l'autre bout du téléphone. Assurément pour lui remonter les bretelles de son absence si longue, l'empêchant de voir son petit-fils comme elle le voudrait. Certainement pour lui dire qu'elle avait manquée bien trop de repas et que cela était inadmissible. Sa voix résonnait déjà dans le fond de son crâne pour son plus grand déplaisir. Ni une ni deux, elle jeta le portable dans le fond de sa poche. Un peu de patience ne lui faisant guère de mal. Elle l'échangea contre sa bouteille d'eau, son rythme de pas ralentissant grandement, les yeux passant sur les alentours. Elle regardait les citoyens de cette ville, vivre leur vie paisiblement, les changements qui s'y étaient opérés et elle était aussi surprise qui mitigé face à tout ça. Le temps s'était écoulé, rien n'était réellement resté tel qu'elle l'avait connu. Ce qui n'était peut-être pas plus mal.
Ambre s'arrêta à un passage piéton. Elle avala une nouvelle gorgée d'eau tandis que ses yeux fixèrent le passant de l'autre côté. Elle s'attarda plus que de raison sur cette personne, il avait un je-ne-sais-quoi qui l'intriguait. Quelque chose qui l'empêchait de détourner totalement le regard et passer à autre chose, c'était presque malpolie. Néanmoins, c'était plus fort qu'elle. Comme une sensation que cet homme ne lui était pas totalement inconnu.
Est-ce toi ? TW : mention de disparition, idées noires
Tes journées se ressemblent. Tu te réveilles alors que ton corps est encore ralenti par la fatigue. Tu repousses les draps trempés de sueurs et maudit cette maison trop bien isolée à ton goût. Tu attends la clochette du tramway qui n'arrive pas. Volets ouverts, une vue misérable s'offre à toi. Ce plein pied ne trouve son charme que dans la nostalgie. Tu as grandi en regardant ce vieil arbre esseulé te boucher la vue. Verre de jus en guise de petit-déjeuner et une heure et demie de spleen, dans le vieux fauteuil qui grince sous ton maigre poids.
San Francisco te manque. Ce mensonge que tu balançais à qui voulait l'entendre est devenu réalité. Tu es impressionné par ta capacité mémorielle à ne retenir que les bons souvenirs. Burn-out minimisé, relégué au rang de "mauvaise passe". Intimement persuadé que si tu y retournais, tu pourrais arranger les choses. Oublier ton passé, pour de vrai. Changer de nom de famille, en plus d'utiliser ton second prénom. Effacer ce que tu es. Combien de fois tu en as rêvé sans oser ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui t'en empêche ? L'amour pour tes sœurs ? Cela ne t'empêcherait pas de prendre des nouvelles.
Gonds qui grincent, serrure qui résiste. Cette maison tombe en ruine. Endeuillée, elle s'est mise à vieillir comme le reste d'entre vous. Cet été, personne n'a repeint la porte. Tu t'en veux de ne pas avoir perpétué la tradition. Tu traînes les pieds jusqu'à l'arrêt de bus, attends. Regard perdu. Mains dans les poches. Les voisins n'osent pas te saluer. Rain et ses nuages gris. Défaut de caractère qui ne s'est pas amélioré depuis son retour. On l'ignore, c'est mieux.
Des retours et des emprunts. Et ça s'enchaîne. Longues périodes creuses où tu avales du pop-corn en fixant le film qui se joue sur ton écran d'ordinateur. Tu te tiens à jour sur la marchandise. Tu occupes ton cerveau pour qu'il ne finisse pas en bouillie. Quelques notes pour te donner bonne conscience, somnolence. Tu pourrais disparaître toi aussi. T'évaporer. Ignorer toi-même où tu te trouves. Personne ne foulerait le bayou à ta recherche. Tout le monde est las de ce petit jeu.
Ces idées continuent de coloniser ton esprit tant que tu les laisses faire. T'as un nœud dans la gorge et l'envie de chialer. Regard sur ta montre. Deux heures que tu n'as pas eues de client. Tu te décides à disparaître, juste quelques heures. Voir ce que ça fait. Inviter les abysses à t'engloutir si elles le souhaitent. Message rédigé en deux secondes et scotché à l'intérieur de la porte. Fermeture pour urgence personnelle. Playlist coupée. Lumière éteinte. Liberté arrachée grâce à la force des pensées noires.
Tes pieds te guident. Gauche, droite, selon les odeurs et les silhouettes intéressantes. Invisible dans la masse. Esprit mis en pause. Tu n'es plus qu'un corps qui se meut mécaniquement. Droite. Gauche. Des façades sur plusieurs étages, des balcons en fer forgé. Le vieux carré est un territoire qui t'est pratiquement inconnu. Terrain de jeux des touristes et des fortunés. Tu n'as été ni l'un ni l'autre dans ta vie. Les bars s'alignent dans des rues fréquentées. Des terrasses déjà occupées malgré l'heure, ces voix porteuses d'alcool qui te font froncer le nez.
Encore des pas. Une rue plus calme. Toi, planté sur le trottoir, partagé entre l'envie de dessiner et le vide dans ta poitrine. Tu regardes les visages que tu croises, ignorant si tu cherches ta mère ou de l'inspiration. Grande respiration. Tu lèves le pied pour reprendre ta marche, mais un regard te change en pierre. Des yeux sombres entourés de cheveux ondulés. Ton corps comprend avant ta tête. Un fantôme, pas celui que tu t'attendais à croiser. T'as un rire amusé, un truc discret qui n'appartient qu'à toi et qui te fait monter les larmes. Retrouver Ambre te paraissait plus impossible que retrouver ta mère. Qu'est-ce que t'es con, Rain.
Main levée avec mollesse. Salutation hasardeuse. Le fantôme l'est devenu de son propre chef. Tu l'as haïe un moment, jusqu'à la réalisation que ta colère n'était nourrie que par de la jalousie. Puis tu es parti, toi aussi, et tu as compris sa décision. Mais elle est là. Séparée de toi par cette route facilement franchissable. Alors tu le fais. Un pied devant l'autre. Le regard sur elle puis sur le bitume. Attitude qui trahit ton incertitude. Planté devant elle, les mots te manquent.
« Salut. »
Tu réfléchis à ce que tu aurais voulu qu'on te dise quand tu es rentré. Pas de question sur les raisons de ton départ ou pire, sur celles de ton retour. Pas d'attaque, ni de passé remué. Le silence parle en attendant que tu te lances.
« T'as... »
Tu recommences.
« Je te paye un thé ? »
Et c'est comme ça que tu rétablis le contact. Par une invitation, une porte ouverte.
Il était quelqu'un. Quelqu'un qu'elle avait forcément connu avant, côtoyé, adoré. Une désagréable sensation d'avoir la réponse sur le bout de la langue la démangeait. L'impossibilité à mettre le doigt de dessus, à prononcer complètement les mots l'agaçaient. Pourtant, elle n'était pas stupide, elle se souvenait de sa vie, de son passé et des personnes qui en avaient fait partie, ceux qui l'avaient marqué plus que d'autre. Et le jeune homme entrait dans le lot. Cependant, le déclic se mit à envahir finalement son esprit quand l'inconnu traversa paisiblement la rue. Les souvenirs remontèrent les uns après les autres, les rires, les pleurs et la trahison d'être partie telle une voleuse. Sans un mot. Sans même un aurevoir. Cette désagréable sensation se transforma en une petite bile dans le creux de son ventre, se remplissant doucement des regrets. Il était trop tard pour revenir en arrière, pour effacer le passé, elle ne pouvait que lui présentait ses excuses les plus sincères et espérait qu'il les accepterait malgré les années écoulées.
Un sourire se dessina sur les lèvres de la brune. Un “bonjour” dans un murmura s'extirpa. Soudainement timide comme si elle venait de retrouver ses cinq ans. Elle ne savait pas par quoi commencer, ou au contraire, il y avait tant de questions de qui défilait à vivre allure. Mais aucune ne semblait approprier pour un commencement. Impossible de l'inonder de toute part dès maintenant. Et puis, peut-être n'en avait-il tout simplement guère envie. Néanmoins, ses épaules se décontractèrent quand il proposa d'aller prendre le thé. Comme s'il venait de lire dans ses pensées, elle accepta gentiment en lui emboîtant le pas, silencieuse.
Il y avait de quoi satisfaire leur recherche à quelques mètres plus loin. Un petit salon de thé, pas très grand, mais qui avait encore suffisamment de place à l'intérieur pour les accueillir. Une fois à l'intérieur, Ambre pris une table près de la fenêtre. Elle déposa ses affaires et ne put s'empêcher de réfléchir à ce qu'elle devait dire. Par quoi fallait il commencer ? Devait elle être curieuse sur sa vie privée ? Sur son travail ? Ses nouvelles passions, si tant est qu'elles avaient évolué ? Ou simplement s'excuser de but en blanc ? Le choix lui semblait fastidieux.
« Excuse-moi de t'avoir fixé ainsi, je n'étais pas certaine que ce soit toi... tu... tu as tellement changé . »
Les mots s'envolèrent au travers de sa bouche bien plus rapidement qu'elle ne l'imagina. Néanmoins, les dire prononçaient une vérité. Elle l'avait observée un instant et sans le moindre doute, il était différent, si loin de l'image qu'elle s'en était gardé de lui. Le temps avait bien fait les choses. Probablement que si elle ne s'était pas autant attardée sur lui, elle l'aurait à peine remarqué. Un passant parmi tant autre, un regard vaguement échangé pour être oublié quelques instants plus tard. Le hasard faisait bien les choses, s'étaient peut-être un signe de le rencontrer aujourd'hui. Une serveuse s'approcha avant qu'elle ne puisse ouvrir à nouveau la bouche. Ambre commanda un thé fruits rouges, se laissant même tenter par une pâtisserie lui faisant honteuse de l'œil. Elle laissa ensuite son ami – était-ce encore possible de le considérer ainsi ? – commander et, quand la demoiselle s'éloigna, Ambre sorti les questions qui lui traversaient l'esprit les unes après les autres.
« Qu'est-ce que tu deviens ? Tu as fini par te lancer dans tes grands projets ? Est-ce que tu dessines toujours ? Tu t'es marié ? Et comment va ta mère ? »
Mince pensa-t-elle, je ne savais pas quoi dire et maintenant je me transforme comme un moulin à parole qui lui saute dessus. Bravo, vraiment bravo Ambre .
« Désolée... il y a trop de questions... »
Un léger rire nerveux se fait entendre. Elle s'enfonça un peu plus dans sa chaise, croisa les jambes et balayant tout ce qu'elle venait de sortir, la jeune femme repris avec quelque chose de simple, banal, mais essentiel.
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