Mars 2023Les paupières closes et le menton relevé, tu soupires une buée opaque contre la vitre de ta cabine de douche, profitant de cette sensation grisante de l'eau chaude contre ton visage, ruisselant contre ton corps nu, complètement offert à cette douce torture suivant tes exercices quotidiens.
Dieu que tu appréciais ces instants hors du temps. Hors de la vie réelle et de toutes tes obligations.
Là, seul dans ta salle de bain, tu n'avais plus besoin de faire semblant. Plus besoin de jouer le moindre rôle.
Tu vivais là un instant de paix qui, malheureusement, ne durerait pas.
Sitôt quitté l'habitacle, tu repris durement pieds dans la réalité. Une réalité que t'imposait ton miroir, positionné de façon à ce que la première chose que tu vois soi ton reflet, comme pour te rappeler qui tu étais et ce qu'on attendait de toi.
Être beau. Charmant. Cultivé. Ambitieux.
Un roc au sourire charmeur, mais aux dents acérées, le regard alerte et le corps avenant.
Un corps que tu fixais depuis plusieurs minutes maintenant, emmitouflé dans une serviette que tu laissas tomber au sol afin de l'inspecter, comme chaque jour.
Et comme chaque jour, cette contemplation te tiras un rictus désabusé.
C'était ainsi depuis de nombreuses années maintenant -depuis toujours, sans doute-. Ton corps t'inspirait tour à tour narcissisme et dégoût. Tu te trouvais tantôt magnifique, la perfection faite homme, tantôt comme l'être le plus abject que cette terre ait jamais porté.
Tu étais à la fois trop et pas assez.
Trop gros, trop moue, trop vieux, pas assez musclé, pas assez grand, pas assez bien proportionné...
Parfois, tu souriais à ton miroir, cancanant devant ton reflet et ses démonstrations de forces, bandant tes muscles et bombant ton torse avec une fierté exacerbée.
D'autres fois, tu détaillais chaque centimètre carré de ton anatomie, pinçant les plis et replis de ton corps que tu trouvais disgracieux avec la furieuse envie de les découper en petits morceau jusqu'à devenir l'idéal de beauté à laquelle tu aspirais.
Depuis la découverte de ta maladie, et à mesure des années passant et des marques que l'âge apposait sur ton corps, tu avais l'impression que cette voix dénigrantes se faisait de plus en plus fréquente.
Tu avais peur, si peur de vieillir.
Mais aujourd'hui, tu étais dans un bon jour et, après avoir séché ce corps que tu adulais tant que tu l’exécrais, tu jetas ta serviette au linge sale avant d'enfiler un jean sur mesure surplombé d'une chemise en coton mettant subtilement ta musculature en valeur.
Souriant à ton reflet, tu coiffas tes cheveux avec soin avant de te parfumer légèrement et quitter ta salle de bain.
Ce soir, tu avais rendez-vous avec une jeune femme. Mia.
Et si d'aucun trouveraient sans doute présomptueux de parler de rendez-vous lorsqu'il s'agissait en réalité d'une invitation à aller boire un café avec une collègue, tu jugeais que tout entretiens en dehors de la vie professionnel avec une personne du sexe opposé pouvait être décemment considéré comme un rendez-vous.
Car si cela faisait plusieurs mois que tu croisais Mia dans les couloirs des tribunaux, ayant parfois eu affaire à ses services de psychocriminologue lors d'affaires nécessitant des expertises psy, ce serait la première fois que vous vous verrez en dehors des murs de ces maisons de la justice.
C'était toi qui, après quelques mots et sourires échangés, avait choisi de lui proposé de vous retrouver autour d'un café durant vos repos et elle avait accepté. Signe de plus pour toi s'il en fallait qu'il s'agissait bien d'un rendez-vous.
Arrivé en avance à votre point de rendez-vous, tu laissas ton regard traîner le long des passants, cherchant des yeux celle sensée te rejoindre, souriant à certaines femmes dont les yeux se posaient sur toi un peu trop longtemps pour leur propre bien.
Si tu n'avais d'impératifs, sans doute que tu aurais inviter l'une ou l'autre à te rejoindre. Sans doute d'ailleurs que si Mia ne venait pas, c'était ce que tu feras. Tu ne te formalisais pas vraiment de la femme avec laquelle tu passerais la soirée, tant qu'elle était mignonne et pas trop farouche.
Un long soupire s'échappa d'entre tes lèvres à cette pensée alors que tu plongeais ta main dans la poche de ta veste par instinct, jouant machinalement avec la boite à bonbon servant à cacher ton traitement.
Les filles pas trop farouches... Voilà ou elles t'avaient mené.
Tu n'eus cependant pas l’occasion de t'appesantir plus en avant sur ta situation que tu aperçus du coin de l’œil l’objet de tes convoitise approcher, faisant naître un sourire charmeur à la commissure de tes lèvres alors que tu quittais le mur contre lequel tu t'étais adossé pour venir à sa rencontre.
« Bonjour... » La saluas-tu, le regard pétillant et le sourire charmant avant de lui ouvrir la porte du café dans un geste voulu galant.
« Si je puis me permettre, je te conseille leur latte macchiotto. Il est le plus proche que tu puisses trouvé en Amérique de ce qui se fait en Italie »@Mia Crane