can't pretend || laniel

Depuis que Lily a revu Haniel, elle occupait toutes ses soirées de sorte de ne pas le laisser envahir ses pensées trop régulièrement – lui qui était déjà redevenu sa pensée première en se réveillant –. Sorties avec ses collègues, amis, anciens amis parfois même lorsqu'elle ne trouvait personne. Tout était un bon prétexte pour occuper sa tête et son cœur. Mais la présence du beau brun ne s'en allait jamais vraiment. Dès qu'elle rentrait chez elle, qu'elle se retrouvait seule avant d'aller dormir, il était là, elle était avec lui, à Paris. Et à chaque fois, elle regrettait amèrement son choix. Ca la rendait dingue. Elle voulait devenir proche des bouteilles, anesthésier son esprit en continu. Mais heureusement pour elle, son père a très rapidement remarqué qu'elle sombrait de nouveau, qu'elle se perdait. Il l'a mise en garde, l’a protégée, l’a cajolée comme il a pu. S'accrochant à l'amour protecteur de son père, Lily s'est donc promis de ne pas sombrer de nouveau en s'efforçant de n'être jamais seule, d'occuper ses soirées à d'autres choses que des sorties dans les bars. Cinéma, course à pied en groupe, théâtre, karaoké, musés, concert. Elle n'a jamais eu une vie aussi rythmée que depuis qu'elle sait qu'Haniel vit dans la même ville qu'elle.

Ce soir, pour une fois, ce sont ses collègues qui lui ont proposé de sortir. Elle a hésité quand ils lui ont donné le nom du bar mais après des semaines à se battre contre eux, Lily a cédé face à ses vieux démons. En quittant le travail, elle a suivi ses collègues dans un bar du Faubourg Marigny. Elle a été surprise en entrant par l'ambiance douce et chaleureuse qui y régnait. Peut-être allait-elle réussir à commander une boisson sans alcool cette fois-ci ? Malheureusement pour elle, un de ses collègues a proposé de payer sa tournée et diverses pintes sont arrivées sur leur table sans qu'elle ne puisse rien y faire. Et elle ne s'est pas défendu. Deux pintes plus tard, les collègues les plus sérieux se sont en aller. Les deux restants sont passés à des alcools bien plus forts mais Lily a réussi à refuser leur invitation. Mais la brune a commencé à se sentir seule, ses collègues ne la faisait pas rire et l'envie de prendre un autre verre la démangeait. Elle a fini par craquer, s'est levé et c'est en s'accoudant au bar pour appeler un serveur qu'elle a croisé son regard.

Immobile, Lily croise le regard d'Haniel, assis à l'autre bout du bar. Son cœur bat déjà dans ses tempes et le rouge lui monte aux joues. Encore ? Est-ce un message de l'Univers ou bien est-ce simplement le destin qui aime les tourmenter à ce point ? Gênée, Lily lui sourit timidement puis détourne le regard, décidant de continuer sa soirée comme si elle ne l'avait pas vu. Ce qui sera impossible, bien sûr, elle le sait. Le regard perdu sur les étagères du bar, elle hésite à partir. Peut-être est-ce la meilleure solution ? Pour lui, pour elle, pour eux. La gorgée nouée, elle reste pétrifiée. Il est là, tout près d'elle. Elle qui en avait tant rêvé. Le serveur arrive alors à sa hauteur, lui demandant ce qu'elle souhaite boire. Elle craque. « Une vodka, s'il vous plaît. » En quelques secondes, la voilà servie. Son verre à la main, elle s'échappe, fuyant la direction d'Haniel et s'assied à sa place, en face de sa collègue qui ne cesse de charrier le collègue assis à côté d'elle. Eméchés et bien trop épris l'un de l'autre, ils ne remarquent pas le teint pâle de Lily. Leurs taquineries sont stoppées par un bras qui tire la collègue de son siège. « Eh ! s'exclame-t-elle en dévisageant celui qui vient de la déranger. » En moins de temps qu'il n'en faut pour dire bonjour, Haniel s'assied à sa place, faisant face à Lily. Surprise et totalement déconcertée, Lily écarquille les yeux. « Lily, dit-il coupant les exclamations à venir. » L'homme s'est levé pour défendre sa femelle mais Lily le stoppe d'un ton sec. « Changer de table, je vous rejoins plus tard. » Captant la tension déjà présente entre Haniel et Lily, ses collègues se regardent, haussent les épaules et changent de table, sans rien dire. Ils rient même, se moquant de leur collègue dont ils connaissent la réputation. « Encore un autre, semblent-ils ricaner en retournant à leurs ébats. » Lily les ignore. Ils ne se sont jamais vraiment appréciés de toute manière.

Son petit verre entre ses doigts pour éviter toute possibilité de les voir trembler, la brune ne quitte pas les yeux d'Haniel. « Salut Haniel, lui répond elle doucement comme si prononcer son nom lui coûte. » Ses mains devenant de plus en plus moites, elle porte son verre à ses lèvres et avale son contenu d'une gorgée. Elle repose ensuite le verre sur la table accolée à la leur. Ramenant ses mains l'unes sur l'autre en face d'elle, elle repose son regard noisette sur lui. Son cœur continue de battre fort, en témoignent ses doigts qu'elle serre très fort. « Je suis désolée pour la dernière fois, à ton restaurant. Je... Je sais que ce n'était pas le bon moment, ni la bonne manière mais.. c'était plus fort que moi. » Elle mord sa lèvre inférieure, l'air navré. « Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? demande-t-elle, en l'observant. » Dans le fond, elle brûle d'envie de savoir ce qui l'a poussé à traverser la pièce pour venir s'asseoir en face d'elle, les dires d'Alisha toujours ancrés au fond de son cœur dans un terrible espoir qu'elle ait un peu raison. Car malgré tout ce qu'il s'est passé, de nouveau en face de lui, des papillons continuent de virevolter dans son ventre.

S'il y a bien une chose que ses études lui ont enseigné, c'est sans aucun doute savoir montrer son assurance, qu'elle soit réelle ou fictive. Dans tous ses oraux, l'important n'était pas d'avoir raison mais de montrer qu'on était persuadé d'avoir raison. Dans ses entretiens, l'important n'était pas d'être confiant mais de montrer qu'on était confiant. C'est d'ailleurs ainsi que Lily n'a cessé d'appliquer cette leçon que ce soit dans ses relations professionnelles et personnelles. Elle se prête toujours volontiers à cet exercice, à ce jeu des masques qui lui permettent d'à la fois garder le contrôle mais aussi mettre à distance des situations de son fort intérieur, bien plus fébrile qu'elle ne le laisse transparaître. Elle a toujours réussi à tenir ses rôles ; excepté cette année-là, avec lui. Lily s'en rend compte car elle sent déjà que la situation lui échappe, qu'aucun rôle ne pas convenir. Elle lui fait donc face avec un air à la fois soulagé et inquiet. Soulagé de le revoir. Inquiète de devoir faire face à son irréparable erreur : l'avoir abandonné. Lui pour qui elle ne jouait aucun rôle, lui pour qui elle s'est abandonnée entièrement, touchée par sa sensibilité, sa franchise, sa chaleur, son intelligence, son authenticité. Rien n'a jamais sonné faux auprès d'Haniel. Pourquoi l'a-t-elle rejeté ainsi ? Pourquoi n'a-t-elle pas fait confiance à leur alchimie ?

Encore une fois, Haniel a les mots justes. Ni de bon moment, ni de bon endroit. Lily baisse les yeux sur ses paumes, plaquées contre la table en bois. Elle hoche la tête en silence en signe d'approbation. Elle n'ose rien dire, ni même relever les yeux pour soutenir son regard, honteuse d'elle-même. Pourtant, son ancien amant parisien lui fait un aveu – qu'elle rêvait d'entendre –. Ses yeux le transpercent alors de toute part. Touchée, elle ne peut retenir un fin sourire. « Moi aussi, s'empresse-t-elle de lui répondre, le cœur papillonnant vers lui. Je... » Mais elle se tait, réalisant qu'il n'était pas là pour lui avouer qu'il pensait à elle mais parce qu'il souhaitait, peut-être, passé à autre chose. Lily est alors plus hésitante. Doit-elle réellement tout lui dire si tout lui dire implique qu'il l'oublie ? C'est égoïste, elle le sait, elle qui lui a déjà caché bien assez caché de choses au point de l'abandonner à son sort sur Paris. Les souvenirs envahissent son esprit mais aucun mot ne peut les décrire. La brune inspire profondément sans pourtant réussir à chasser la boule qui noue son ventre. Ils semblent bien loin les souvenirs heureux de leurs étreintes.

En l'écoutant à nouveau, Lily admire son calme. Avec des mots justes et clairs, il lui confie avoir souffert, s'être accrochée à eux, être tomber amoureux d'elle. Le cœur de Lily semble s'arrêter quelques secondes. La jeune architecte n'est pas sûre de bien saisir la signification de tels mots à son égard. Amoureux d'elle. Il était amoureux d'elle. Cette donnée l'emplie à la fois de joie et de tristesse. Pourquoi l'a-t-elle rejeté ainsi ? Est-ce simplement parce qu'elle refusait de s'avouer que, elle aussi, elle était tombée amoureuse de lui ? Lily se concentre sur les questions  du brun, qui font écho avec les siennes. Pourquoi Lily ? Pourquoi tu as fait ça ? La brune tapote la table de ses doigts pour masquer les tremblements qui commencent à la secouer. Elle regarde sur le côté pour faire fuir les larmes qui lui pique les yeux. Non, elle ne peut pas se laisser aller. Pas devant lui. Surtout pas lui. Elle doit être courageuse, elle doit arrêter de fuir ce qui l'effraye. Elle sert alors les poings dans une grande inspiration pour donner l'impulsion aux premiers mots, les plus difficiles à sortir. « Je me suis fait renversée le dernier soir où l'on s'est vu. » L'alcool aidant, Lily ne perd pas du temps à décrire le cadre, les évènements. Elle va droit au but. « J'étais à une soirée, avec des amis. J'avais... » Elle se mord les lèvres, honteuse de ce qu'elle allait dire. « J'avais trop bu. » Elle regarde Haniel, l'air grave. Même s'ils n'en ont jamais parlé, Lily sait qu'il savait qu'elle buvait parfois trop, souvent trop. Chaque fois que l'occasion s'était présenté, elle priait pour qu'il ne dise rien, trop effrayée de devoir affronter son regard déçu. Aujourd'hui, elle doit en affronter bien d'autre car il n'est pas seulement déçu, elle le sait. Elle baisse alors les yeux pour trouver le courage de continuer. « J'ai traversé, sans regarder. Je me suis réveillée sur un lit d'hôpital le lendemain, mon père me brayant dans les oreilles qu'à cause de mes conneries, j'ai failli y rester. » Lily a un sourire désamparé par son récit minable. Mais elle doit continuer jusqu'au bout. Elle regarde alors de nouveau Haniel pour lui témoigner de son honnêteté. « J'ai voulu t'écrire. Te tenir au courant mais.. j'avais tellement honte de ce qui m'arrivait. Parce qu'après ça, j'ai fait un séjour de quelques semaines dans les services psychiatriques pour soigner une dépression que j'ai beaucoup nié ; avant même de te rencontrer. » Dépression. Elle déteste ce mot. C'est la première fois qu'elle en parle réellement et cela lui coûte énormément. Le poids de sa culpabilité pèse des tonnes sur ses épaules.

En prenant appui sur la table, elle se penche vers lui pour murmurer une dernière phrase : « Je t'ai tenu à l'écart, pensant te protéger, nous protéger de notre inévitable séparation. On le savait très bien tous les deux non ? » Mais est-ce véritablement la vraie raison ? Là, face à lui, Lily refuse de croire que leur relation était inévitablement vouée à l'échec. Pourquoi s'aimer autant ? Pourquoi se retrouver ainsi ? S'ils étaient véritablement voués à l'échec, elle comme lui ne seraient pas venus l'un vers l'autre non ? Les yeux brillants des larmes qu'elle retient, Lily tend son bras pour poser sa main sur celle d'Haniel. De nouveau, son regard plonge dans le sien et s'y accroche car en lui, elle a toujours su trouver une force inexpliquée qui lui donne de l'élan. « Haniel.. Tu avais tellement de traumatismes à guérir, toi aussi. Qu'est-ce que tu aurais fait avec un déchet comme moi à ce moment-là ? » Car à ses yeux, les maux de Lily n'étaient rien comparés à ceux de son beau brun. Elle avait déjà bien assez honte de son état et savait qu'elle ne pourrait pas supporter de le voir la rejeter, certainement à raison.

Le cœur emplit de sentiments bien différents, les doigts de Lily cherchent à s'agripper aux doigts de la main sur laquelle ils se sont posés. La brune se demande même si elle rêve. Est-ce vraiment lui, là, devant elle, à qui elle peut dire tout ce qu'elle aurait aimé lui dire au bon moment, quand ce n'était pas encore trop tard ? Le revoir ici alors qu'elle le pensait à l'autre bout du globe est inespéré. Lily ne peut s'empêcher de croire au destin, à une étrange bonne étoile qui a bien voulu lui donner une seconde chance. Le cœur désespéré d'amour manqué, elle ne peut s'empêcher de demander si leur amour aura-t-il droit lui aussi à une seconde chance ? Quand Haniel commence à parler, Lily est incapable de le regarder car il a raison. Ni lui, ni elle, n'étaient des déchets à écarter. Il lui confirme ce qu'elle a eu trop peur de tester : il aurait pu l'aider. Elle relève ses yeux toujours plein de larmes vers lui. Son regard dans le sien lui coupe le souffle, la ramenant des années en arrière quand ils s'enlaçaient avec fougue. Non, il n'était pas au fond du gouffre à ce moment-là car ils avaient trouvé une lueur incandescente dans leur relation, une passion dévorante qui ravivait toutes les flammes éteintes.

Haniel continue, confirmant ce qu'elle pressentait : il avait remarqué. Quelque part, il savait mais n'avait rien dit. Quand il refait le monde avec un si, Lily ne peut s'empêcher d'imaginer ce que serait leur vie s'il l'avait aidé dès qu'il avait su. Elle ne se serait pas fait renverser. Elle serait revenue le voir le lendemain, avec des croissants, comme promis. Elle se serait blottie dans ses bras, le suppliant de lui pardonner ses sauts d'humeur et ses états d'âme, sa frivolité et ses indécisions. Elle lui aurait arraché mille baiser jusqu'à ce qu'il lui pardonne. Et peut-être, lui aurait-elle enfin dit ce qu'elle n'avait su lui dire. Je t'aime, murmure-t-elle dans sa tête en lui dévorant des yeux, perdue dans cette histoire utopique. Haniel pose alors sa main sur la sienne. De nouveau, le souffle court, Lily observe leurs doigts proches de se lier les uns aux autres. Elle brûle de serrer ses mains, de s'approcher de lui, de l'enlacer, de l'... C'est à son tour de s'exprimer, de dire ce qu'il s'est passé pour lui, ce qu'il a ressenti. Lily se mord la lèvre quand il dit ce qu'il aurait préféré car elle sait, encore une fois, qu'il a raison. Elle aurait du. Elle aurait tellement du. Mais... Quand il parle de ce qu'il a pensé, imaginé d'elle, elle secoue la tête nerveusement. Non. Non. Non. Ce n'est pas ce qu'elle voulait. Ce n'est pas ce qu'elle ressentait. Pourtant, elle sait qu'Haniel a toutes les raisons du monde de croire cela, vu comment elle s'était comportée.

La main libre de Lily vient alors se poser par dessus celle d'Haniel. De ses deux mains, elle serre sa main, sa paume, ses doigts. Elle avance son buste, laissant ensuite sa tête tomber sur ses poignets. « Non. Non. Non. Je suis.. Je comprends que tu aies pu penser ça, c'est légitime. Tellement légitime. Mais non, je te jure, que non. » Répondre à la négative c'est tout ce qu'elle est capable de faire pour le moment. Elle relève la tête et s'accroche à son regard, encore. « Ce qu'on avait à Paris, ce n'était pas que ça. Ca n'a jamais été que charnel avec toi. J'adorais passer du temps avec toi, te retrouver le soir dans les rues de Paris, réviser mes cours à tes côtés, partir en week-end pour se promener, parler de tout et de rien jusqu'à s'endormir au milieu d'une phrase. J'adorais aussi partager les silences, le plaisir de ne rien faire ensemble, de juste être ensemble, sans programmes, sans objectifs. Tu me rassurais, m'apaisais par le simple fait d'être toi et enfin, j'avais la sensation d'être à ma place, d'être juste. » Sentant son cœur battre à tout rompre devant l'évocation de tels souvenirs, Lily se tait. Elle en a dit beaucoup. Peut-être ne lui avait-elle d'ailleurs jamais dit. Parler de sentiments, c'est vrai qu'elle ne l'a jamais vraiment fait avec lui. Volage, la brune pouvait lui dire qu'elle l'adorait puis s'envoler pendant plusieurs jours sans un mot. Lui a-t-elle seulement déjà un jour qu'elle était amoureuse de lui ? Elle inspire tandis que ses doigts serrent plus fort ceux de son ancien amant. « Pardonne-moi Haniel, murmure-t-elle la voix brisée. J'aurais dû te le dire. Je sais. Comme j'aurais dû te dire que je ne suis jamais autant tombée amoureuse qu'avec toi. » Ses lèvres s'étirent dans un sourire chaud et désolé. « Et ce encore aujourd'hui. » Enfin, son cœur se libère d'un poids qu'elle porte depuis des années, un poids qu'elle a emporté avec elle depuis Paris jusqu'ici, qu'elle traine partout avec elle, jusque dans ses rêves. Afin de s'en libérer totalement, elle poursuit, s'achève avec ce dernier aveu de culpabilité : « Pardonne-moi d'avoir été si lâche devant la peur de ne pas mériter toutes ses belles choses que tu me faisais vivre. » Dans un battement de cil, une larme s'échappe pour ruisseler lentement sur sa joue droite. Car malgré le soulagement, elle sent qu'elle a toujours des années de retard et qu'elle ne les rattrapera jamais, qu'à cause de son manque de courage, elle a laissé filer l'homme qu'elle aimait le plus au monde ; qu'elle aime le plus au monde.

Alors que les phalanges de Lily blanchissent sous la pression que ses doigts exercent, Haniel lui demande d'arrêter, de se taire. Pressentant qu'elle risque de perdre son contact, elle agrippe ses doigts entre les siens pour aussi les empêcher de trembler. Elle hésite à s'excuser encore, évoquer d'autres souvenirs pour le ramener à elle. Elle finit par taire ses mots inutiles lorsque la main d'Haniel se dérobe de la sienne. Lily ramène ses mains sur ses coudes, croisant les bras devant sa poitrine. Si Haniel presse ses paupières de ses pouces, la brune lacère sa peau de ses ongles. Vont-ils se disputer, se déchirer à nouveau ? La boule au ventre, Lily finit par ronger nerveusement les ongles d'une de ses mains. « Ha.. Je.. Je voulais just..., balbutie-t-elle tout doucement, cherchant à retrouver son attention, ses yeux, ses doigts. » Mais il parle plus fort et plus juste. « Je voulais simplement des excuses, Lily, simplement des excuses et des explications. » Elle l'a voulu, le voilà, son beau regard, ses yeux puissants qui la transpercent. Une fois encore, elle retient son souffle. « C’est cruel de me dire tout ça alors que tu sais que j’en aime un autre. » Lily baisse le regard, honteuse d'être cet être cruel qu'il décrit mais surtout honteuse de ne pas regretter de l'avoir été. « T’es en train de tout foutre en l’air dans mon crâne, qu’est-ce que tu m’as fait ? Comment est-ce que tu fais pour me rendre aussi fou sans bouger le petit doigt ?  » Les yeux brillants de peine et d'amour, Lily le dévisage. Qu'est-il réellement en train de dire ? Le rend-elle fou comme elle l'imagine – ou du moins l'espère – ?

Alors que des milliards de scénarios foisonnent dans sa tête, Lily ne perçoit pas tout de suite qu'Haniel s'apprête à quitter sa chaise. C'est le bruit du verre qu'il pose sur la table puis celui de sa chaise qui glisse qui la ramènent sur Terre. Surprise, Lily quitte sa chaise à son tour. Il va partir, se dérober ; et peut-être ne le reverra-t-elle jamais. Prise de panique, elle tend une main vers lui espérant trouver quelque chose pour le retenir. « Attend ! s'exclame-t-elle. » C'est tout ce qu'elle trouve à dire alors qu'il fouille ses poches de manteau. Face à lui, elle le regarde d'un air désolé, désemparé, désespéré. Ne t'en vas pas, hurle son cœur. La brune capte son regard, ce regard qu'elle pressent comme le dernier. Le souffle court, elle ouvre puis ferme la bouche. Impossible de trouver quelque chose à dire. Il allait partir, retrouver son fiancé et elle resterait seule, le temps de calmer son chagrin et de noyer sa culpabilité. Et elle le mériterait après tout non ?

Dans ce dernier regard, Lily fait un pas vers lui, espérant peut-être lui bloquer la route. Haniel s'approche d'elle également et sans qu'elle n'ait le temps de le voir venir, leurs lèvres se retrouvent. D'abord surprise, Lily est pétrifiée pendant une fraction de seconde, les mains dans le vide, ne sachant quoi faire. Puis, comme si son corps avait mémorisé son contact, ses mains, elles aussi, retrouvent leur chemin. Elles se posent dans sa nuque tandis que ses lèvres embrassent avec tendresse celles dont elle a tant rêvé. N'écoutant que les battements désespérément amoureux de son cœur, la franco-américaine enroule ses bras autour des épaules d'Haniel pour le serrer contre elle ; ne pas rompre ce baiser, surtout pas. Entre deux baisers, ses mains ont continué leur balade, enlaçant ses omoplates, caressant ses épaules, jusqu'à venir s'accrocher au col du manteau d'Haniel. Calmant tant bien que mal son envie de l'embrasser encore et encore, Lily s'interrompt, posant son front contre celui d'Haniel, yeux clos. « Pardon Haniel, je suis désolée, je sais que c'est injuste et cruel, mais c'est juste que.. » Impossible de terminer sa phrase, ses lèvres tombent de nouveau sur celles de son ancien amant, comme si le manque est déjà trop grand. Tout est confus dans la tête de la brune. Que se passe-t-il réellement entre eux ? Que signifie tout cela ? Pourquoi venir chercher ses lèvres ainsi ? Et pourquoi y répond-elle si fort alors qu'elle le sait engagé ailleurs, qu'il doit certainement encore la détester ? Est-ce un baiser d'adieu ? Le dernier baiser. Pitié qu'il dure pour toujours.

Déboussolée, Lily finit par serrer Haniel contre elle, sa tête posée sur son épaule, sa joue contre sa joue. Dans cette étreinte, elle a presque l'impression d'entendre leurs cœurs battre à l'unisson. Ce flot de sentiments si puissants lui rappellent que c'est très certainement ce qui l'a effrayé autrefois. Comment garder le contrôle sur quelque chose d'aussi incontrôlable ? La voix toujours rayée par l'émotion, elle lui murmure à l'oreille : « Si tu veux t'en aller, c'est maintenant. Je risque de ne pas arriver à te laisser partir après. » Elle le serre encore plus fort, peut-être une dernière fois, profitant de pouvoir goûter de nouveau à la force de ses bras, la douceur de son cou, à son odeur, sa chaleur. Elle doit se faire violence pour reculer et rompre le contact qui les lie. L'air circule de nouveau entre leurs deux corps, rappelant à Lily comme le monde est froid sans lui. Les yeux plongés dans les siens, elle imagine tout sauf le scénario où il quitte ce bar sans se retourner ; jamais.

Les règles du jeu se retournent alors contre la franco-américaine. L'homme de ses rêves recule de plusieurs pas, éloignant leurs cœurs encore davantage. Lily, la bouche entrouverte, retient un appel, un cri, une plainte. Ne t'en va pas, hurle son cœur. Pas si vite, pas maintenant. Pourtant, elle l'avait dit. Pars maintenant où je ne saurais te laisser partir, n'est-ce pas ce qu'elle avait dit ? Émue par le flot de sentiments qui lacère son âme, Lily cherche dans le regard d'Haniel un repère, un signe, une flamme. Tout n'est que confusion et pourtant, elle s'accroche à cet éclat brumeux qu'elle croit percevoir. Mais les premiers mots d'Haniel brisent ses espoirs. « On ne peut pas, Lily. » Ses yeux se brouillent alors de larmes. Il a raison. Et en même temps, pourquoi pas ? Sa conscience ouvre de nouveau le duel qui la déchire depuis qu'elle l'a revu ; et le sait engagé avec quelqu'un d'autre. « C'était une erreur que je ne ferai pas deux fois. » Pas deux fois ? C'était donc bien un baiser d'adieu. Lily déglutit difficilement, retenant sa peine tandis qu'Haniel s'éloigne encore d'elle. Sonnée, Lily n'approche plus. Elle le regarde impuissante, partir. Il dit que ça ne marchera pas et qu'ils le savent. Pourquoi sont-ils là dans ce cas ? Pourquoi ce baiser ? Était-ce qu'il cherchait à se persuader en l'embrassant si soudainement ? Peut-être ; et ce n'est pas la conclusion que Lily en tire. Et pourquoi pas ? La suite la brise encore davantage. Ardal. Son fiancé. Il l'aime. Tandis qu'elle, il veut l'oublier. Du moins, il essaye. Est-ce que tout comme elle, il n'y parvient pas ?

Tout se bouscule dans la tête de Lily tandis que les paroles d'Haniel le décide à partir. « Oublie moi. » Le coup de théâtre, la phrase finale, décisive d'une histoire et celle-ci est aussi brûlante que froide. Avant même que Lily ne puisse dire quoi que ce soit, le brun s’éclipse et disparaît derrière la porte du bar. Estomaquée par les montagnes russes que viennent d'emprunter ses émotions, elle ne parvient à reprendre son souffle que quelques secondes plus tard, sous le regard indiscret des curieux, des voyeurs, des mal polis et des empathiques. Lily baisse les yeux, réalisant alors que beaucoup l'observent, dont ses collègues. Elle essuie très rapidement ses yeux gonflés de larmes. Bouge cette fois-ci, bon sang, bouge ! C'est dans un regard de pitié que Lily trouve la force de décider. Vive, elle attrape sa veste et son sac à main et se précipite à la sortie du bar. Une fois dehors, elle balaye les environs du regard avant de retrouver sa silhouette. Quand enfin ses yeux l'accrochent, elle bondit, court dans sa direction, enfilant maladroitement sa longue veste pourpre. Lily court à en perdre haleine, n'écoutant ni raison, ni bienséance. « Haniel ! l'appelle-t-elle en arrivant à sa hauteur. » Dans sa course, elle le double puis vient se poster devant lui, marchant maladroitement à reculons en sachant très bien qu'il ne s'arrêtera pas pour elle. « Ne t'en va pas comme ça, s'il te plaît. » Elle remet une mèche folle, venue brouiller sa vision. « S'il te plaît. Je.. » Elle inspire, incapable de reprendre son souffle. « Ouh ! expire-t-elle. Je ne peux pas t'oublier. Je ne pourrais jamais t'oublier. Ne t'en va pas comme ça s'il te plaît. Je sais que c'est déplacé de ma part.. Après ce que j'ai fait.. Je sais tout ça. J'ai laissé mon accident, ma dépression et ma trouille, ma putain de trouille, te faire du mal et je suis désolée. Et je le regrette. Si tu savais comme je regrette. » Elle inspire très fort, le visage crispé. Dans sa marche à reculons pour rester face à Haniel, elle manque de tomber à la renverse mais se rattrape miraculeusement. Ses yeux toujours plongés dans celui qu'elle a tant aimé, elle continue : « Parle-moi, s'il te plaît. Dis-moi ce que je peux faire pour réparer tout le mal que je t'ai fait. Parle-moi de toi, de ta vie, de ton restaurant, des raisons qui t'ont amené vivre ici. » Car oui, de toutes les villes du monde, pourquoi celle-ci pour ouvrir un restaurant ? Pourquoi avoir choisi la ville où elle a grandi ? « Dis-moi qu'on pourra se revoir, qu'on pourra en reparler ; qu'on pourra peut-être devenir amis. » Elle est désespérée mais elle s'en moque. C'est un beau châtiment pour ce qu'elle a fait et elle est prête à bien d'autres si cela peut lui permettre de recoller quelques morceaux.