ELEANOR › Perdre. Donner. Vivre en accéléré pour tenir en équilibre entre le futur et le passé

(one) Coeur bancale dès la naissance. Malformation cardiaque qui fait dérailler le tambour. Rythme bordélique qui s'enrage quand les émotions se font tempêtes, quand le stress se fait monstre dévoreur. Si les tourments ne s'apaisent pas, c'est l'hôpital qui la cueille à chaque fois, petite fleur fragile dont les émois règnes en maître. Alors Nisrine a posé des remparts autour de sa cadette. Quand les autres enfants couraient et sautaient à pieds joints dans la boue, Eleanor se faisait grignoter par les solitudes derrière les vitres de sa cage dorée. « C'est pour ton bien » Et son bien ne lui a jamais fait autant de peine ... Sahar s'est faite soleil et ciel dans cette chambre prison. Elle était les récréations de sa scolarisation à domicile et les sourires pour gommer les larmes salées. Sa grande soeur, elle était tout pour Eleanor. La tendresse et les caresses pour palier l'absence paternelle. Pour rafistoler les hivers laissés par une mère trop froide, trop distante, trop sévère. « Pourquoi maman ne m’aime pas ? » « Maman t’aime, ne dis pas des bêtises » Eleanor en a jamais eu l'impression et en a toujours voulu à ce coeur qui part en dérive. Ca doit être à cause de lui que maman ne l'aimait pas.
(two) « Maîtrise-toi » Toujours. Oui. La gifle qui siffle dans l'air en guise de glas à chaque fois qu'elle n'y arrive pas, Eleanor. Nisrine veut que sa cadette aie le contrôle sur ses chiens fous d'émotions, elle la veut moins humaine, plus à son image et elle essaie la môme. Met tout sous cellophane avant d'enterrer le tout. Puisqu'il ne faut plus rien ressentir ... Les émotions, sang des veines, deviennent cadavres silencieux.
(three) La danse classique. Une activité qu'elle a pu pratiquer après avoir bataillé contre sa mère, catégorique dans son refus. Un loisir qu'Eleanor affectionne mais aussi une torture qu'elle s'inflige. S'abîmer les orteils, les chevilles. Sentir son corps souffrir et se plier, s'agoniser sous la douleur abrupte. Une sorte de mutilation incognito. Puisqu'il lui faut toujours étouffer ses émotions, ne jamais les ressentir pleinement, elle se libère ainsi. Expie les tristesses et la solitude dans la douleur corporelle. Dans les muscles et les os qui souffrent.
(four) L'étau à ses chevilles tombe et la liberté, Eleanor y goûte enfin lors de son départ de la maison pour sa prestigieuse école en plein coeur de Manhattan. De découverte en découverte, elle explore le monde, défait les remparts imposés par sa mère avec sa grande soeur veillant sur elle, inséparables jusqu'à se retrouver à NY ensemble. Les premiers déboires, de ces gueules de bois explosant la matière grise gorgés de rires en feux d'artifice. Eleanor traîne dans les fêtes universitaires oscillant entre plaisir et session de révisions intenses car elle ne parvient pas à en oublier son but : créer un jour ses propres vêtements. Puis parce que la voix de Nisrine n'arrive jamais à la quitter vraiment. Le contrôle, elle se doit de l'avoir, de le garder, coûte que coûte.
(five) Avec la liberté découverte vient les premiers émois intenses. Explosions qui mettent à mal son palpitant. Le corps se réveille face à des sensations jamais éprouvées et toutes ses premières fois portent son nom : Adriel. Adriel et son regard en bord de ciel. Adriel et cette attraction indéfinissable. Adriel, le début de la fin. Sa fin. Succomber et perdre le contrôle, un instant. Un jour. Une semaine. Un mois. Jusqu'à ne pas voir les émotions gonfler, prendre plus de place. Jusqu'à que les sentiments creusent leur trous et se rendre compte avec stupéfaction qu'Adriel s'est fait fossoyeur. Que tout qu'elle a enfoui et enterré, refusé et réfuté, il les a déterré et la met face à tout ça. Alors Eleanor s'est mis à vouloir reprendre le contrôle. De tout maîtriser jusqu'aux magies qui les caractérisaient. Tout s'est étouffé sous sa poigne imposante, les néants se sont creusés et la magie a fini par se crever petit à petit les menant à une fin certaine. Adriel & Eleanor, les fameux, c'était terminé. Les beautés ravagées par le besoin de contrôle. Soif constante pour tromper les vérités. Celles qui disaient qu'elle perdait bien. Qu'elle faiblissait. Oui. Dans le ciel de son regard, contre son myocarde battant contre le sien.
(six) Coeur de pierre, coeur en guerre. Eleanor a encaissé la rupture. S'échouant dans les bras tièdes, étouffant chaque émotions dans des draps froissés. La valse des corps endiablés jusqu'à gommer férocement son nom, son regard, les sensations dont il est le magicien. Promesse prononcée, celle de ne plus jamais laisser une personne pénétrer le temple du palpitant bancal. Ne plus perdre le contrôle pour qui que ce soit. Et Eleanor a tenu cette promesse pendant deux années. Personne n'a profané ce temple, les remparts se sont dressés entre elle et les autres, lui valant le surnom de reine des glaces. Qu'importe, tant que ça tenait les autres à distance ? Les sourires se gèlent, l'hiver sombre dans son regard et ses rejets en deviennent cruels.
(seven) Le printemps vient toujours après l'hiver et il finit par arriver. Sahar n'a jamais vu d'un bon oeil le retour d'Adriel dans la vie de sa petite soeur, voulant la préserver. Mais elle a vite constaté le changement, l'éclosion des sourires, de cette flamme brillant dans le fond des iris. L'amitié a planté sa graine et l'amour a pris ses droits. D'amis à amoureux. Puis d'amoureux à époux dans une cérémonie majestueuse. Un rêve de gamine qu'Eleanor nourrissait avec Sahar. Ensemble, elles avaient rêvé leur mariage sublime et Adriel le concrétisait. Malgré un palpitant défaillant, Eleanor était si heureuse. 
(eight) Le deuil lacère ce bonheur construit avec tant de ferveur. Tout dégringole quand l'inspecteur de police toque à sa porte pour annoncer le décès de sa grande soeur. L'horreur se déroule sous l'annonce, des mots qui font mal : viol. torture. meurtre. Elle succombe, Eleanor et souffre de la culpabilité de la survivante. Si seulement elle avait accompagné sa soeur à cette maudite soirée. Si seulement. « Si ta soeur était à NY c'était uniquement pour être avec toi et toi, il a fallu que tu décides à faire tes études dans cette maudite ville, de t'y marier, d'y faire ta vie » Eleanor ne dit rien, laissant des larmes chaudes dévaler ses joues « Ta soeur est morte à cause de toi » Les mots maternelles qui resteront gravés dans son crâne. Plantés en elle comme une lame.
(nine) Assoiffée de justice, Eleanor est obsédée par l'enquête. Elle veut le coupable puni pour ses crimes mais hélas, le meurtrier fait d'autres victimes mais n'est pas écroué. Commence l'enfer des insomnies, le labyrinthe des paranoïa et l'érosion du deuil. Adriel est un réel soutien et pilier, le seul qu'il lui reste. Quoi de plus normal que de le soutenir quand lui-même perd son père deux ans plus tard. Quoi de plus normal d'accepter de venir à la Nouvelle Orléans quand il le lui demande ? Pour Adriel, elle déplacerait des montagnes, Eleanor. Alors elle cède, accepte de quitter NY et ses jours sombres. NY et ses envies de justice en sachant qu'elle y reviendra, qu'un jour le meurtrier de sa soeur sera retrouvé et qu'elle, elle sera en paix enfin.
(ten) en vrac : tic nerveux quand Eleanor sent les émotions s'étirer en elle et prendre trop de place. Elle se mord l'intérieur de la joue, parfois jusqu'au sang. Parfois ce sont les poings qui se serrent férocement, laissant les ongles lui entailler la chair. La douleur physique est ce garde fou qui maintient les déferlantes d'émotions qui malmènent son coeur -- Née dans un milieu aisé, elle mesure sa chance et est bénévole dans plusieurs associations -- A cause de son coeur défectueux qui la maintenait prisonnière de la maison, Eleanor s'est tissé des rêves et a souvent voyage à force de son imagination. Pour la consoler, Sahar lui faisait faire une liste de chose à faire, à voir, à visiter et qu'un jour elles feraient ensemble. A ce jour, elle a coché quelque cases mais pensant avoir le temps, Eleanor n'a pas pu finir cette liste avec sa soeur. Aujourd'hui, elle garde précieusement cette liste mais n'a plus le courage ni le coeur d'en cocher les cases ... un jour, peut-être  -- Ca lui arrive d'en venir aux mains, oui. Quand elle est trop poussée à bout. Qu'elle perd le contrôle parce que vous l'avez trop agacé voir blessée. Son orgueil et sa dignité sont grands et elle les protège farouchement. Sa ligne de conduite est simple : si l'on me blesse, je dois le rendre mais au double -- Femme fatale qui s'ignore. Qui se renie. Si tout le commun des mortels n'est pas aveugle à son charme, elle, elle l'est. Complexe d'infériorité. Eleanor se trouve quelconque, allant à se croire moche. Elle n'est jamais assez bien pour les autres, des croyances écopées à cause de sa mère castratrice. -- Le contrôle. Eleanor en a besoin. Ce besoin de tout contrôler autour d'elle : son environnement, son coeur, ses sentiments, ses émotions. Plus que nécessaire à sa santé, c'est devenu un besoin psychologique dont elle n'arrive pas à se défaire. Elle ne boit que très peu d'alcool pour ne pas perdre le contrôle. Ne se laisse jamais emporter dans un plaisir quelconque. Le contrôle, toujours et encore le contrôle.