Spellbound (ft. Winnefride)

[ Spellbound ]

- Spellbound, Siouxsie and the Banshee.

Cette soirée était l'image-même d'une connerie savamment acceptée sur un coup de tête, l'amertume du souvenir de ces fêtes où Ida ne dansait jamais et se satisfaisait d'être ignorée par tout un chacun ; un confort qui avait un goût de souffrance. Dans l'antichambre de l'Enfer qu'avait été le lycée, l'artiste n'avait jamais trouvé qu'une place : celle qu'on lui avait donné dans la pyramide alimentaire adolescente et qui était une parodie, une ébauche un peu vulgaire de ce que serait la vie d'adulte. D'un côté, de l'autre, de petits paquets d'humains en construction tous habillés pareil, entassés les uns sur les autres comme de petites poules rousses et des coqs de basse cour tout ergots dehors. Les sportifs, qu'on identifiait aux bullies, avec la pression d'être toujours lea meilleur‧es ; les intellos, souvent victimes mais tout autant bourreaux, qui pensaient qu'un gros cerveau valait mieux que tout pour essayer de se mettre en valeur là où le monde leur disaient qu'iels étaient juste assez bizarres pour rester entre eux. Les supercifiel‧les, qu'on accusait d'être des salopes et des pointeurs et qui bien souvent cachaient derrière leur maquillage la main lourde d'un papa un peu trop porté sur la bouteille. Et puis, il y avait les gens comme elle. Weirdos, misfits, basket cases. Trop étranges pour rentrer dans le moule, trop dans leur monde pour s'entendre avec l'écosystème du lycée et y trouver une place quelque part entre les proies et les prédateurs ; c'était non pas faire peur pour ne pas avoir peur. C'était faire peur et avoir peur. C'était le tableau en rouge et noir qu'Ida aimait brosser quand elle pensait à ces années qu'elle avait passé à errer dans les couloirs du Benjamin Franklin High School, entre deux renvois de cours et gnons à coller dans la gueule de jocks qui se moquaient des fringues que lui imposait son père pour lui enseigner la modestie féminine.

La voilà dans le fond de la salle à se taper le pire retour vers le passé qu'il lui fut possible d'avoir, le regard nerveux passant d'un convives à l'autre en essayant de se souvenir s'il elle l'avait croisé‧e ou pas. Rien n'avait changé : la jeune femme ressemblait toujours à ce poulain aux yeux fous, effrayés par l'agitation et les multiplicités des visages qu'elle ne reconnaissait pas. Elle demeurait la fille mal fagotée aux cheveux en désordre qui passait ses samedi en colle pour avoir frappé quelqu'un ou cassé quelque chose, qui avait redoublé deux fois et que tout le monde détestait parce qu'on disait qu'un jour, elle buterait quelqu'un. Ida serra la mâchoire jusqu'à en ressentir de la douleur et ses phalanges blanchirent tant elle serrait les poings ; ses bagues lui coupaient la circulation. Elle avait songé à rentrer chez elle au moment où elle avait posé les pieds dans cette réunion d'anciens élèves mais le maigres espoir d'y revoir le seul visage connu et bienvenue qu'elle avait jamais aimé avait été plus fort. Surement n'était-elle pas venue, Winnefride, car elle n'avait pas non plus les meilleurs souvenirs adolescents. Son regard vide, son aura tragique et son mutisme avait source de moqueries comme de crainte. Winnefride, elle était vraiment différente. Surement qu'on la voyait comme la Nancy Downs du lycée, toute prête à jeter ses terribles sorts comme dans The Craft. La Dubois qu'ils disaient, comme on nomme une sorcière d'un autre âge. Surement que les gens étaient justes cons, à ne pas savoir reconnaître la douleur dans ses grands yeux noirs. Ida l'avait toujours trouvé forte et authentique ; bien plus qu'elle-même. Un sentiment de culpabilité gronda dans les viscères de la jeune femme qui décida que cette soirée ne lui apporterait rien de bon, commençant à traîner sa carcasse hors du gymnase qui s'était improvisée salle des fêtes comme dans le pire des teen movies des années 90. Elle ne put cependant que rester coulée sur place, épinglée par les regards qu'on dardaient sur elle et ses fringues non conformes, son piercing au septum, son allure de mauvaise fille à l'air revêche en face de ces autres bien habillés avec des vies bien rangées, bien normales avec une putain de maison à barrière blanche, trois mômes-tyrans hyperactifs, une épouse qui baise le prof de yoga et un chien juste là pour la déco. Et puis, soudain -

Comme un nuage qui cachait la lumière douloureuse, comme la pluie après la chaleur, elle était là. Un diamant sombre dans un océan de verre. Un trou noir dans la galaxie du paraître, qui avala Ida toute ronde pour la recracher quelques années plus tôt, quand elle plongea pour la première fois son regard bleu dans celui, si noir, de Winnefride Dubois. L'artiste, quand elle avait son regard à vif d'adolescente qui exagérait tout (et qu'elle n'avait jamais réellement perdu) avait toujours trouvé à la jeune femme des airs de madone noire. Elle lui rappelait que chaque peur était, au fond, un désir : celui de prier pour la revoir et de craindre de la voir apparaître. Ida fit alors ce qu'elle faisait le mieux : n'importe quoi. Dans un élan plus fort que la lâcheté dans laquelle elle se claquemurait, la jeune femme se rapprocha de cette première amie - unique amie, avec qui elle avait plus partagé que n'importe qui d'autre qui pouvait parler.

"Wi ... Winnie ?", la question, posé accompagné d'un rire nerveux pathétique et de grands yeux nerveux comme chamarrés d'humidité, n'était que rhétorique. Bien sûr, pauvre trou d'balle, qu'c'est Winnefride, se fustigea mentalement Ida ; personne d'autre ne ressemblait à Winnefride, ici ou ailleurs.

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber

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“Winnefride, tu devrais y aller et…” Pour couper la parole à son collègue, elle mit en route le steamer en le regardant noir ce qui le fit sourire. Le lait prêt, elle posa le jug et essuya soigneusement l’embout : “Tu sais que tu n’arriveras pas à me censurer hein ?” Elle ne répondit rien et alors qu’il allait reparler, elle remit en route le steamer pour bien s’assurer qu’il soit propre avant de taper contre le zinc. “Tu les laisses gagner si tu n’y vas pas.” Vrai. Il marquait un point. Elle termina d’enlever les bulles dans l’émulsion de lait et fit une citrouille dans le chocolat chaud. La fierté lui interdisait de ne pas être piquée au vif. Elle se contenta donc de soupirer. “Très bien. J’irai.” Elle prit un marshmallow, puis un autre pour parfaire la boisson chaude : “Mais si c’est un fiasco, je t’en tiens responsable et je vais te trouer à coup de pieux.” Ce qui le fit rire alors qu’il posa la tasse sur un plateau en lui faisant un clin d’œil. “Tu as de la chance d’être mignon.” Feula-t-elle avant de regarder les prochaines commandes. Winnefride pensait déjà à ce qu’elle allait porter. Le thème était blanc. Évidemment. Une couleur qu’elle n’aimait pas. En achetant la bâtisse, sa marraine avait trouvé de vieux vêtements dont une magnifique robe noire dans le style victorienne qu’un habituée du bed et breakfast avait rafistolé à merveille pour lui donner un coup de neuf. Winnefride n’était pas aussi douée avec un fil et une aiguille. Elle était plus à l’aise avec les travaux manuels : donner lui un marteau et elle était heureuse.

La semaine était passée rapidement, trop au goût de la jeune femme qui avait vu l’arrivée de ce rassemblement sans queue ni tête comme une épreuve. Le pire restant à venir. Elle devait se mêler à des personnes qui encore aujourd’hui était dans ses plus sombres souhaits. Il n’y avait aucune trace de culpabilité dans son esprit tandis que les pires dessins défilaient dans son imagination. Ce n’était pas un crime après tout d’imaginer la perdition des autres et si le karma la rattrapait : alors il avait également du travail à faire envers toutes ces personnes qui avaient ruiné le lycée pour beaucoup. À chaque fois qu’une rumeur, qu’une histoire tragique arrivait à une de ces anciennes persécutions : Winnefride regrettait de ne pas être une souris pour les voir malheureux. Pour les voir désespérer, être misérable. Une chance qui ne lui ait pas encore tombée dessus, mais en s’habillant : elle se répétait que la soirée était encore jeune et les possibilités infinies. Montant dans la voiture, elle la démarra sans grande espérance malgré tout, ce genre de personnes arrivait toujours à échapper à leur destin. Ce soir, pourtant, ceux qui ont été persécutés et qui étaient encore en contact avec elle ont organisé une surprise pour faire un beau fuck à toutes ces années de persécution. Elle se gara sur le parking du lycée et en sortit. Les regards se tournèrent immédiatement vers elle. Winnefride se retenait de sourire en coin. Elle se contenta de les toiser avec son regard noir, le menton relevé alors qu’elle passait à côté d’eux. Son collègue avait raison. Elle ne pouvait pas les laisser gagner. Jamais. L’ondulation de son corps sous la robe montrait des formes qui avaient finalement poussé. Elle n’était plus plate comme une limande comme on lui avait si souvent collé dans les dents.

Dans les couloirs qui ont été pour beaucoup une maison et pour d’autres un enfer sur terre : Dante serait si fier de voir que son œuvre était bel et bien à l’image de la société. L’enfer, ce sont les autres. En voyant l’immense sapin dans le hall, elle croisa ses mains et vit toutes ces décorations à vomir. Déjà qu’il y en avait trop à son goût dans le bed et breakfast… Mais alors là un elfe de Noël avait carrément vomit sur le pauvre sapin qui n’avait rien demandé à personne, qui n’avait fait aucun mal pour se faire couper de la sorte. En voyant une pile de cadeaux, elle s’approcha et se mise à genoux. Il était clair qu’une sorte de Secret Santa avait eu lieu, sans que les exilés de la petite société pète-sèche et coincé du cul soient conviés. En voyant le prénom de Sarah Peterson, une idée lui vient à l’esprit. Elle attrapa le cadeau et le vola alors qu’il n’y avait personne autour avant de pénétrer la tête haute dans le gymnase qui avait été pathétiquement décoré comme toutes ces séries américaines et niaiseuses. Elle remarquait déjà du coin de l’œil ses acolytes qui eux aussi ont brisé le dress code. Risette en coin. Elle n’avait aucune peine à reconnaître ceux qui étaient toujours aussi populaires. Et ils allaient gâcher leurs retrouvailles de faux-semblants. Parce que ce n’était que ça aux yeux de Winnefride et alors qu’elle se fendait un chemin dans la foule qui murmurait encore à son passage, une ombre s’immisça dans sa vision.

“Ida.” Un souffle sortit d’entre ses lèvres alors qu’elle s’arrêta pour la regarder. Un sourire franc et sincère éclaira son visage à peine maquiller. Seul un trait d'eye-liner et du mascara venaient souligner son regard noir, qui ne l’était jamais envers cette amie perdue de vue à contrecœur. Winnefride n’avait jamais refermé la porte pour cette personne qui avait percé son épaisse armure. Elle montra le cadeau entre ses mains : “Devine à qui j’ai volé ce cadeau ?” Dit-elle fièrement, faisant comme si depuis tout ce temps elles ne s’étaient pas perdus de vue. Pour une fois, elle se concentrerait sur le présent et non sur le passé. “Sarah Peterson.” Et elle se mit à rire, la jeune femme devant elle était bien une des seules à entendre ce son sortir de sa gorge : “Et on n’a pas fini de les surprendre ce soir.”

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber
Personne ne ressemblait à Winnefride dans sa sombre robe victorienne qui donnait l'impression qu'elle était un vestige du passé là où les autres s'évertuaient dans le présent. Entendre son prénom sortir de la bouche de la jeune femme tira à Ida un frisson qui la ramena immédiatement sept en en arrière ; la voilà qui a de nouveau quinze ans, qui déteste le monde entier et qui passe son temps simplement assise à côté de Winnefride en silence. Il y a la gothique, la Dubois, la sorcière. A côté d'elle, la délinquante, la droguée aux pulls plein de trous de boulette, la moche. Celle qui crève les pneus des gens qui ennuient Winnefride, qui les tire dans les toilettes pour les tabasser. Ça lui semblait si proche et si loin à la fois mais le sourire franc et sincère de la jeune femme, rare et précieux, gonfla le cœur d'Ida d'une reconnaissance infinie. Encore une fois sans qu'il n'eut besoin d'une parole, elles se comprirent et Ida se fendit d'un sourire en retour, exprimant à la fois le soulagement et le franc bonheur de retrouver sa toute première amie, celle qui lui avait appris à faire confiance en silence et que les autres étaient tout simplement des cons. Mais elle n'a pas le temps de se morfondre - ce qu'Ida adore faire - car Winnefride est déjà dans l'action, dans le moment présent.

Il y a des gens en blanc, et d'autres en noir. Inconsciemment, l'artiste avait mis des vêtements à l'opposé du dress code - celui de la soirée, mais pas celui de leur groupe de weirdos. Ses yeux rencontrent le cadeau que lui montre son amie. "A qui ?", qu'elle demande bêtement alors que la réponse allait arriver sous peu. Le nom lui évoque quelque chose qu'elle exhume du fond des chiottes du passé pour en extraire une belle raclure. "Ha p'tain, l'aut' cul béni". Miss "j'ai un anneau de pureté, je vous fais la morale à vous autres, bande de gueux, et à côté je baise avec le capitaine de l'équipe de foot sur le parking" ; le visage-même de l'hypocrisie. Le rire de Winnefride la surprit à peine mais la grande bouclée prit un instant pour le graver à nouveau dans sa mémoire. Elle qui pensait que la Terre allait s'effondrer sur elle-même si elle recroisait sa sombre amie, les voilà à nouveau complice à se sourire en miroir, réunie dans l'action et pas la rumination ; réunies pour jouer de mauvais tours.

Le visage d'Ida se pare de cette expression mauvaise qu'elle avait dans ses années ingrates. La jeune femme tire de sa poche un couteau-papillon replié. Elle n'en aurait peut-être pas besoin mais il avait été son objet fétiche au lycée : avec lui, elle en avait crevé des pneus et rayé des carrosseries pour venger son amie. Et des années plus tard, elle était prête à remettre le couvert. "Laisse-moi v'nir avec toi, Winnie", son sourire se fit plus large tandis qu'elle regarda par dessus l'épaule de son amie, "j'veux lui faire payer c'qu'elle nous a fait." A toute les deux, peu importait si c'était du passé. La blessure demeurait chez Ida, creusant une boule dans sa gorge. Mais c'était le plan de Winnefride et elle, elle n'était là que par le fruit du hasard qui faisait définitivement bien les choses. "Tu m'as manquée, tu sais. J'ai pas arrêté d'penser à toi", se permit-elle tout de même malgré le fait que c'était une évidence, avant de revenir dans le présent et de lancer un: "Alors, on fait quoi ?" en maniant son couteau en le faisant tourner entre ses doigts avec une habilité qu'elle n'avait jamais perdu. Ça allait être pire que Carrie au Bal du Diable, Ida n'en doutait pas une seconde.

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber

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Comment oublier ces traits de visages ? Comment oublier la chaleur de son regard que beaucoup pensaient froid, mais pour Winnefride. Il était parfait. Deux billes aussi sombres que les siennes. Elle ne pouvait que l’aimer un peu plus. Elle avait changé et pourtant, elle pourrait reconnaître Ida entre mille. Parce qu’on n'oubliait pas sa meilleure amie et son alliée. On la gardait au chaud dans un coin de son esprit et c’est pourquoi elle décida d’agir comme si rien ne s’était perdue entre elles. Sept ans, qu’est-ce que sept ans quand elles avaient une vie devant elle ? Alors, elle décida de l’embarquer sans plus attendre dans une douce folie : celle de faire payer aux gens qui avaient fait de leur vie un malheur. Montrant le cadeau volé, elle finit par dire le prénom de la victime. “Ouep ouep.”Elle hocha la tête. Winnefride n’avait jamais mâché ses mots, ni ses actions, mais le fait d’être plus vieille lui donnait un nouveau souffle. Elle osait plus. En sept ans, elle avait appris de beaucoup d’erreurs. Admirant le couteau d'Ida, elle sourit un peu plus : “Tu l’as toujours ?! Quelle question en même temps !” Elle l’avait regardé pendant des heures jouer avec ces lames : fascinée. “Évidemment que tu vas venir ! Je ne voyais pas les choses autrement.” Elle remit le cadeau dans l’ombre histoire de, avant de glisser sa main dans celle de son ami pour l’emmener au stand de boisson.

Une fois posée innocemment devant lui, elle écouta attentivement Ida et lui sourit : serrant sa main. “Je sais.” Elle l’avait senti. “Tu n’as jamais quitté mon esprit non plus, tu sais ? Mais je savais qu’on se retrouverait. Les histoires comme les nôtres, elles n’ont que des happy ending.” Parce que Winnefride n’avait pas beaucoup d’amis. Ceux qu’elle avait cependant étaient les meilleurs. Lâchant finalement la main de son amie, elle profita que personne ne regardait pour plonger la cadeau dans le bol de cocktail. “Voilà une bonne chose de faite.” Elle regarda avec un sourire mauvais le cadeau sombré au fond : se gorgeant déjà de liquide. De quoi ruiner ce qu’il y avait à l’intérieur, c’était certain. Et puis si Sarah était toujours aussi précieuse : jamais elle n’oserait plonger ses mains dans l’alcool. En parlant du loup, elle la vit non loin de là. À parler toujours fort pour se vanter. Attrapant à nouveau la main d'Ida, elle prit son courage à deux mains. Ni une, ni deux, elle s’approcha ni vu, ni connu près d’elle.

“Mon mari n’est pas encore là, mais vous savez, il est toujours très occupé.” Ce qui la fit sourire, mais Winnefride voyait le doute, la peine sur son visage. Alors, elle se glissa dans la conversation. Juste sa tête. Un mouvement de recul se fit dans le cercle. “Tu sais ce qu’on dit hein ? Homme en retard, liaison dans le tiroir.” D’un air sérieux, faisant pâlir Sarah qui s’éclipsait déjà avec son téléphone. Fière d’elle, Winnefride les toisa du regard alors qu’ils allaient tous à sa poursuite. C’est seulement seule avec Ida qu’elle sourit : “Oh comme les mots peuvent être plus piquants qu’une lame !” Elle en était fière. “Installer le doute est le pire des poisons tu ne trouves pas ? Et puis, on attire à soi que ce qu'on mérite. C'est pour ça que je t'ai retrouvé !”

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber
C'était fou comment communiquer avec Winnefride avait toujours été facile, naturel, une évidence dans un océan de doute et malgré les années qui étaient passées dans l'angoisse pour Ida, rien n'avait changé. La franchise de la petite brune faisait le pont entre les deux périodes comme si l'artiste n'avait jamais disparu dans la nature et cela lui fit un bien fou. Pour la première fois depuis des mois, Ida se sentait plus légère. Un sourire timide se dessina sur ses lèvres pleines, plein d'une tendresse qu'elle n'avait que rarement pour les autres et qu'elle avait dédié pendant des années uniquement à celle qui avait été son univers, sa première relation avec un autre être humain sans le moindre jugement. Le couteau n'était qu'une relique de plus dans leur mythologie à deux, l'arme de méfaits divers et variés mais également de temps de pause silencieux à jouer avec la lame dans l'air. L'artiste ne trouva rien à répondre qu'un sourire en ouvrant et refermant l'objet d'un habile coup de poignet. "De toute j't'aurai suivie, tu crois quoi ?", sa voix charriait un sourire ; elle aimait leur évidence qui lui avait tant manqué, leur amitié aussi nécessaire que l'air et l'eau. Et cette main qui se glissait dans la sienne, beaucoup plus grande et large que celle de Winnefride, et qui lui avait donné ses premiers frissons amoureux quand elle était adolescente. Et c'est la même électricité qui court le long de son échine alors qu'elle referme sa grosse pogne sur la main délicate de Winnefride. Personne ne lui a jamais pris ni repris la main à part elle et rien que pour ça, Ida la suivrait au bout du monde.

Mais pas besoin d'aller jusque là car leur objectif se trouvait non loin, au stand de boissons. Elle sait. Winnefride avait toujours été sensible à des choses qui dépassaient la pragmatique Ida. Peut-être savait-elle aussi qu'elles se retrouveraient un jour, alors même que la grande bouclée pensait de son côté ne plus jamais revoir sa meilleure amie ? Grande gueule agressive avec les autres, Ida est plus timide avec Winnefride, plus tranquille. Ses mots la touchent plus profondément qu'elle le voudrait et cela se voit, alors elle se tait et baisse la tête comme une adolescente qu'elle était encore un peu malgré son âge. Un happy ending. Comme elle en avait envie, comme elle en avait besoin. Comme elle avait envie d'y croire en se persuadant que c'était impossible. Son regard pote avec lui une interrogation maladroite. Tu crois ? Demande-t-il tout en sachant déjà sa réponse. L'évience revint, un peu trop intense. Un peu trop dramatique. "T'es mon seul happy ending, Winnie" ; parce que c'est vrai, encore plus aujourd'hui. Il n'y avait que Winnefride qui ne l'avait jamais fait souffrir. Il n'y avait que Winnefride qui savait lui pardonner et l'accepter comme elle était : un naufrage humain agité de grandes vagues qui détruisait tout ce qui la frôlait. Le cadeau coule dans le bol de punch ; Ida sort la tête de l'eau de sa déprime, s’accroche à la main de Winnefride comme une ancre ; en quelques minutes, elle va mieux.

Elle la suit à nouveau au bout de leur monde pour glisser dans un autre, briser un cercle pour non pas s'y intégrer mais faire une simple halte le temps de quelques coups de poignard dans la fierté à la con de Sarah Peterson et sa bandes de heathers embourgeoisé‧es. Un vrai nid de vipère. Et tandis que Winnefride leur balance à la tronche un beau trait d'esprit, Ida reste en retrait, le regard sombre. "... l'est sûrement occupé à r'filer la chlamydia à l'ancienne équipe des cheerleaders", qu'elle glousse à l'adresse de sa meilleure amie. Pour sûr, c'est moins subtile que Winnefride. "tu m'étonnes mais c'toi l’experte de c'genre de choses". Parce qu'elle, elle s'était toujours vue comme une brute. Les dires de la petite brune l'apaisent pourtant à nouveau alors que l'artiste se fend d'un rire méchant, déjà prête à aller crever des pneus, jeter de la peinture rouge sur les participants du bal ou voler dans les poches de leurs vestes au vestiaire. "Déconne, j'te mérite pas", elle se déprime, encore,toujours. Continuellement? "T'es ce qui m'est arrivé de meilleur, Winnie. Sans toi ma vie c'était d'la merde." Et la voilà repartie dans son intensité un peu pathétique, toujours trop à fond, toujours à exagérer. Une chose pourtant n'était que la stricte vérité : Winnefride était son souvenir le plus heureux ; mieux encore : elle n'était plus juste un souvenir. L'amitié pouvait, allait et devait reprendre où elle s'était simplement mise en pause. Ida savait qu'elle n'aurait pas d'explications à donner et cela l'apaisa tant... serrant la main de son amie dans la sienne en retour, elle se souvint de toutes les promesses silencieuses qu'elles s'étaient faite, et de celle qu'elle le lui avait jamais formulé. "Hé, Winnie", qu'elle murmure soudain, plus proche, "j'sais où y entreposent la peinture au lycée..." Ce n'est pas ce qu'elle aurait vraiment voulu lui dire mais à défaut, c'est ce qu'elle avait envie de faire. Encore un cran dans la démesure, punir une seule harpie ne suffisait pas à Ida. "On leur fait un Bal du Diable ?"

L'envie de s'afficher, de montrer à tout ces clowns tristes à mourir dans leurs vêtements blancs se fit plus forte chez Ida qui tout comme Winnefride avait grandi en évacuant cette timidité adolescente pour en faire autre chose : une rage d'adulte. Jamais elle n'aurait songé à inviter qui que ce soit à danser quand elle était plus jeune, même sa meilleure amie. Et pourtant ce soir, l'artiste osa lui tendre l'autre main, un sourire aux lèvres. "T'as déjà dansé avec le Diable au clair de lune ?", qu'elle lui lance, un peu naze avec sa petite citation de Batman mais drôlement fière de parvenir à faire ce nouveau pas vers sa meilleure amie et son crush du lycée, pour accomplir ce qu'elle n'avait pas su faire plus jeune... "... on s'quitte plus jamais, promis ?"

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber

- Black Sheep, Dorothy.

Il n’était pas question qu’elles se quittent maintenant qu’elles s’étaient retrouvées. Winnefride comptait bien garder Ida dans son champ de vision et dans sa vie. Elle ne la laisserait plus s’éloigner, même si elle devait l’attacher quelque part. Elle le ferait. Elle en serait capable. La concernée ne semblait de toute façon pas motivée pour s’éloigner. Tant mieux. Pour appuyer ses paroles, elle attrapa sa main et ainsi s’assure que son amie soit effectivement près d’elle. Il y avait tellement de choses à faire pour ruiner la soirée de ceux qui ont défait des adolescences. C’était le retour de la monnaie, le temps pour tous les gens populaires et qui ont harcelé les élèves de passer à la caisse. En route vers le buffet pour détruire le cadeau, Winnefride parla franchement et avouer ne jamais avoir douté du fait qu’elles se revoient un jour. Ida était son âme-sœur. Elles ne pouvaient pas rester éternellement l’une de l’autre : d’où l’importance de reprendre leur union là où elle s’était arrêtée et ne plus s’arrêter en si bon chemin. La vie continuait et leur amitié allait se renforcer. Croisant son regard en cherchant un passage, elle sourit et hocha la tête. “Deal.” Elle acceptait d’être le seul, n’étant pas certain de toute façon qu’elle en voulait un autre. Ida au moins ne la décevrait pas et ne détruirait pas son cœur à coup de talon. Reprenant la course pour noyer le cadeau : elle était amusée de la situation. Pour ne pas dire hystérique, ce mot ne lui allait pas, mais ses yeux étaient plus pétillants et il était certain que la présence d'Ida y faisait pour beaucoup. Winnefride n’était pas comme ça avec tout le monde. Elle se gardait bien d’être trop aimable avec son prochain de peur du retour de flammes.

Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, la barista passa sa tête dans une conversation tout en continuant de tenir la main d'Ida : puisant sa force dans la présence de sa meilleure amie. Les mots jetés, elle hocha la tête en entendant les commentaires de son âme-sœur. “J’en mettrais leurs mains à couper.” Pas la sienne, elle en avait besoin. “Je ne suis pas experte.” Winnefride n’avait pas tout le temps cette audace, mais revenir ici lui donnait des envies de tout brûler, de hurler sa rage. Elle n’avait donc pas d’hésitation dans son comportement. Elle s’arrêta à la confession d’Ida : sentant que cela méritait une réponse en bonne et due forme et non courir à droite, à gauche à la recherche de la prochaine connerie à faire. “Bien sûr que si tu me mérites. Comme je te mérite.” Elle ne laisserait pas un autre discours sortir de ses lèvres. “Tu m’as redonné envie de parler. Sans toi, je serais encore muette.” Son amie lui avait permis de comprendre qu’en effet, il y avait une vie en dehors du chagrin, qu’elle avait le droit d’être triste, mais elle avait également le droit d’être heureuse. S’approchant, elle sourit : “Oh…?” Voilà une information intéressante. “Et qu’as-tu en tête pour l’utiliser à bon escient ?” Le plan formulé, elle hocha la tête : “Quelle magnifique idée !” Elles devaient encore trouver comment mettre tout ça en place, mais cette ébauche était déjà délectable.

Attrapant l’autre main d’Ida, la quotation de Batman la fit sourire un peu plus : “Nice !” Elle avait réussi à bien la placer. Jack Nicholson étant un de ses acteurs préférés. “Plus jamais. Je te le promets.” Et Winnefride tenait toujours ses promesses, sinon elle n’en faisait pas. En voyant le signal sur scène d’un ancien élève devenu hackeur : elle se trémoussa. “Here we go !” Une épaisse fumée sortit de la scène et bientôt une chanson bien plus rock se fit entendre : bien loin de la playlist qui jouait. Bien plus symbolique pour ceux qui n’avaient jamais osé danser lors de toutes les soirées étudiants sortirent de l’ombre pour se mêler aux autres. Certains restaient, enthousiasmés par le rythme, d’autres partaient en ronchonnant et en étant outragé. Winnefride attira Ida au milieu et commença à danser sans se soucier du regard des autres. Cela faisait longtemps qu’elle n’en avait plus rien à faire.

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@Winnefride Dubois & Ida Gruber
Winnefride ne cessait de surprendre Ida depuis les quelques minutes où elles venaient de se retrouver. Là où l'artiste s'était inventé toute une prophétie de la culpabilité - imaginant son amie lui en vouloir de l'avoir abandonnée, ou lui demander des comptes - l'autre jeune femme ne demanda rien, n'exigea pas plus. Elle reprenait leur relation où elle s'était interrompue, pas arrêté, suspendu à un fil d'araignée. Les gens n'avaient pas idée de combien la toile d'une araignée, meilleure architecte de la nature, pouvait être résistante. Sans complexifier les choses, Winnefride ôtait à Ida tout le poids de sa honte, son angoisse, ses doutes. Elle lui retira une souffrance, soigna les symptômes du mal qui bien qu'il ne pourrait être guéri mais pouvait être allégé par la confiance et l'affection. Cette main, si petite, dans la sienne grande et massive, elle lui redonne confiance en cette humanité pourrie qui rendait initialement Ida malade ; mais un seul être vous voit et l'humanité est sauvée. Et cette personne, c'était Winnefride. Au delà de ses récentes rencontres, de ses sentiments délétères pour Elena, c'était avec Winnefride qu'Ida avait appris à sociabiliser, à avoir la patience de s'intéresser à une autre personne. Elle avait rencontré cet autre petit mouton noir hors du troupeau, seule et silencieuse et s'était simplement assise à côté d'elle sur les marches des escaliers. C'était ainsi qu'elles étaient devenues amies : dans le respect silencieux des grandes douleurs muettes.

Ces douleurs qui à présent sont des rancœurs et qui doivent crier là où elles avaient toujours été tues. Le gymnase serait un jeu d'échec avec des pièces noirs et blanches, elle le comprend d'instinct. Mais Ida, toujours un peu trop intense, s'émeut un peu maladroitement de ce que lui dit alors son amie qui la tient toujours par la main. Là où d'autres auraient essayer de lui dire qu'elle serait heureuse un jour et aurait cherché à la réconforter, Winnefride ne mâche à nouveau pas ses mots ; elle accepte d'être le seul happy ending de l'artiste. C'est fort, cette promesse ,et ça implique beaucoup de choses. Ça réveille à la surface ces sentiments qu'Ida n'a pas eu le courage d'avouer à son amie, au temps du lycée. Elle sait qu'au moins son amie ne piétinerait pas son cœur, ne la décevrait. Alors peut-être cela vaut-il la peine qu'elle lui dise, juste pour dire ce qu'elle avait sur le cœur. Les yeux pétillants de la jeune femme lui rappellent en miroir inversé cette adolescente au regard vide qu'elle était au lycée et tout le chemin que Winnefride a fait.

Un instant, rien qu'un seul, Ida se gausse. Bien sûr qu'on parlait de couper d'autres mains. L'humour caustique de son amie lui parle plus que les vannes des autres. "Pas pour ça", répondit l'artiste en se tapotant sur le crâne, "t'es experte avec ta tête". Brains and brawn ; elle aimait à penser cette dynamique car la grande bouclée s'était toujours vue comme le bourrin du duo, utilisant sa tête uniquement pour les coups de boule. Oh, comme elle aime cette absence d'hésitation chez son amie. Juste le présent, pas de regret. Comme ça faisait du bien après toute cette période de doute et d'auto-flagellation. Les dires de Winnefride viennent la toucher en plein cœur dans le constat que les années difficiles avaient éloignée d'elle : Ida avait un jour aidé quelqu'un à aller mieux. Elles se méritaient. Ida n'était pas un poids. "Putain, j't'aime tellement" Il faudra quelle lui dise plus sérieusement plus tard, cela dit. Un lourd soupir gonfla la poitrine de l'artiste et elle jeta aux orties le reste de ses scrupules, serrant plus fort la main de son amie dans la sienne pour se donner entièrement à la soirée et proposer sa touche de couleur à cette dernière. "Sarah va sûrement venir faire un p'tit discours avec ses pétasses, nan ?", elle sourit largement, malintentionnée, "un p'tit pot en hauteur, et poof." Mais elle verrait bien car l'ordre du moment, c'était ce que Winnefride avait prévu avec ce qui semblait être des gens qui allaient modifié un peu l'ambiance sonore de la poste de danse.

Contente de se souvenir des goûts de son amie, Ida accueillit la promesse de cette dernière avec le simple plaisir de savoir qu'elle pouvait lui faire confiance. "J'le le promet aussi. Plus jamais, même pas dans la mort", et elle le jure, sur son sang, sur tous ce que Dieu a crée et défait. Ça sonne un peu désespéré et adolescent, de parler au delà de la mort mais l'artiste est comme ça : intense, dramatique et romantique d'une manière un peu gamine. Son langage est fait de toujours et de jamais, rien entre. L'épaisse fumée qui les entoure, les paroles de la musique choisie, tout semble enfin fait pour eux, les misfits, les petits moutons noirs si bien que quand Winnefride l'attire sur la piste de danse Ida oublie sa timidité farouche et ses doutes et se laisse porter par l'instant. Son amie se fichait pas mal du regard des autres et son attitude rendait l'artiste plus forte, même si c'était pour un instant. Elle qui était généralement si tragique eut un éclat de rire, se moquant soudain des regards, des vindictes, des tristesses et des colères. Elle se foutait bien du monde entier parce qu'elle venait de retrouver son bashert - son âme-sœur - et le reste pouvait bien aller au Diable. "Danken dir, danken dir !", s'entendit-elle claironner avec joie dans son yiddish natal à l'adresse de cette amie libératrice tandis qu'autour d'elle les autres anciens élèves se divisaient entre celleux qui restaient et celleux qui s'indignaient. Grisée par l'instant, la jeune femme eut le courage de lancer : "j'ai un truc à t'dire, plus tard. Un truc que j’ai pas pu t'dire avant parce que j'avais pas l'courage." Maintenant, elle l'avait trouvé. Il n'était pas trop tard pour dire ce qu'on avait sur le cœur, même si ça ne menait à rien. Parce qu'elles avait que Winnefride ne la jugerait pas, et parce que rien ne pourrait ruiner cette putain de soirée.

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On pouvait aisément dire qu’il y avait deux, voir plus, Winnefride. Celle qu’elle avait été avec sa famille, celle qu’elle est avec Ida, une autre pour ses autres amis et pour le reste une autre facette. Jouer sur différents tableaux, déstabilisés les gens qui ne la connaissent pas, mais rassurer ceux qui comptent : une douce balance qu’elle tenait à la perfection, grâce à des années d’entraînements. Elle en avait eu des possibilités pour perfectionner cet art. Car oui, cela en était un et s’ouvrir, baisser ses armes pour une nouvelle personne est toujours une mission périlleuse. Une qu’elle n’aimait pas faire, mais force était de constater que parfois cela était pour le mieux alors elle s’en accommodait et faisait avec. Winnefride savait que pour survivre : elle devait s’adapter et c’est pour ça que revenir ici et faire un beau fuck à tous ceux qui l’ont mise plus bas que terre avait un goût de reviens-y. Chose qu’elle comptait faire, encore plus maintenant qu'Ida était de retour dans sa vie : sa main dans la sienne comme une promesse silencieuse qu’elles avaient de beaux jours devant elle. Elle adorait cette idée. Elle aimait celle qui la suivait dans cette foule de faux-semblants. Dans un monde où tout n’est que Polichinelle : Ida était ce zéphyr rafraîchissant. Alors si elles étaient le happy-ending de l’autre, Winnefride allait sauter les pieds joints dans cet avenir : tant qu’elle était là pour lui tenir la main. Après tout, elles avaient encore années devant elle avant de ranger leurs affaires pour toujours. Autant remplir les valises de bons souvenirs et de solidarité entre deux âmes faites pour s’aimer.

C’est bien pour embrasser ce présent, ce sentiment fou d’avoir retrouvé une moitié qu’elle entraîna Ida dans d’autres périples. Pourquoi pas ? Ida semblait autant vouloir qu’elle passer un bon moment au détriment des autres : comme eux l’avaient fait pendant des années quand elles n’étaient que des adolescentes. Si on n’est pas prêt à payer le prix, il ne sert à rien de commettre des crimes. Winnefride et l’artiste, c’était bien trouvé au fond et c’est grâce à Ida qu’elle a pu retrouver la parole. À une époque où un regard et le silence étaient tout ce qu’elle avait à offrir : sa meilleure-amie a pris cette maigre pitance pour en faire un festin. Serait-elle cette jeune adulte sans la présence et l’influence de celle revenue dans sa vie ? Certainement pas. Souriant à la confession, elle se tourna pour la regarder dans les yeux et montrer sa sincérité : “Moi aussi Ida.” Toujours. Depuis qu’elle a compris que son salut pouvait se trouver dans ses grands yeux aussi torturés que les siens. Écoutant son plan, elle hocha la tête : elle ne savait pas réellement le programme. “Nah on prends le risque que ça rate. Faut qu’on soit devant la scène et qu’on le fasse nous-même. Ça ne sera pas difficile de trouver des volontaires pour nous aider.” Quelques noms lui venaient déjà en tête sans grande difficulté.

La promesse faite, elle sourit : “Tu sais que je viendrai te hanter si jamais tu m’oublies !” Winnefride était sérieuse évidemment, même si son sourire pouvait porter à confusion. Ida comprendrait. Ida comprenait toujours. Et quand le premier plan se fit entendre, elle n’hésita plus et puis que son amie voulait danser : elle l’entraîna sur la piste commençant à gesticuler dans des mouvements qui étaient siens depuis des années. Pourquoi faire quelque chose si on ne peut pas le faire à cent pour cent ? Winnefride ne faisait jamais dans la demi-mesure, c’était bien connu. Se laissant enlacer par le moment, elle ferma ses yeux pour encore mieux laisser la musique imprégner sa peau et ses sens. C’est la voix d'Ida dans cette symphonie de brouhaha qui la fit sortir de ses songes. Quelque chose à lui dire ? “Quelque chose de grave, j’espère ?” Son humour, toujours aussi particulier, mais qu'Ida comprendrait. “Tu veux qu’on sorte prendre l’air ?” Lui laissant l’opportunité de s’échapper un peu tandis que d’autres morceaux tout aussi rock et métal crachaient dans les enceintes : personne ne semblait vouloir les changer encore même si le regard de Sarah assassinait tous les moutons noirs.

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C'est le plus souvent difficile de confesser ses sentiments pour quelqu'un mais l'euphorie du moment permet à Ida de donner tout ce qu'elle a dans cet aveu et entendre la réciproque sur un ton aussi sincère la déleste encore plus de sa douleur. Aussi bien celle des derniers mois que celle, constante, qui était celle de vivre. Avec Winnefride, tout n'avait pas été facile dès le début. Les choses s'étaient faites progressivement et avec patience et c'était peut-être ça qui avait formé ce lien si profond entre les deux jeunes femmes ; assez profond pour subir une séparation étrange et s'en remettre immédiatement et sans heurt. Tout n'avait pas été facile, mais ça avait toujours été naturel. Ça n'avait pas été tout rose, mais c'était leur histoire. Le plan qu'Ida propose à son amie lui semble presque passer en second plan soudain, maintenant qu'elle a entendu ces mots qui lui était adressé et qui involontairement lui donnait le courage nécessaire pour dépasser les années de culpabilité qu'elle s'était mis sur le dos. "Ouais, t'as raison", parce qu'après tout l'artiste avait toujours vu Winnefride comme la plus maline de leur duo de moutons noirs. "J'imagine que ça manque pas, des gens qu'en veulent à Sarah Peterson", elle ricane un peu, voyant sans mal toute l'animosité que cette femme avait fait naître chez bien des gens au lycée et même après. Et au final peu importe si c'était vrai ou pas : Sarah n'était qu’un bouc émissaire qui emporterait avec elle toutes les iniquités dans le désert, comme disait la Bible. Il en fallait toujours un : Winnefride et Ida avait été les boucs émissaires de bien des gens. C'était à leur tour de se venger, à présent.

Elle aimait ça Ida, les promesses de sang, les romantiques exagérations au delà de la vie et de la mort. Les gens avaient en général peur de ce qui se cachait derrière le voile épais du trépas tout comme ils avaient peur de faire des promesses. Pas Winnefride, et c'était précisément ce qui l'avait toujours tant attirée vers la jeune femme : cette résolution, cette force dans la douleur qu'elle-même n'avait pas. "Jamais je t'oublierai, dis pas d'conneries", ça aussi, c'est une promesse. "Mais viens me hanter tant qu'tu veux", lui répond-t-elle en souriant faiblement. Car soit Ida l'aurait mérité, soie elle serait heureuse de revoir son amie, encore et encore. Elle regarde son amie se laisser emporter par la musique, elle-même plus timide, plus gauche bien qu'elle suive quand même en faisant fi du regard des autres convives qui n'ont plus de pouvoir sur elle le temps où elle était avec Winnefride. C'était grisant, et un peu flippant à la fois si bien que l'artiste parvint alors à lui dire une de ses habituelles demi-vérités sans s'attendre à ce que son amie ne soit bien plus proactive qu'elle. Ida se fendit d'un sourire, "ouais, très grave". Elle aimait son humour pince-sans-rire, sa manière de dire sérieusement ce qui aurait du être léger et drôle, ce goût pour le morbide même dans les plaisanteries. Ida eut un petit rire sans ouvrir la bouche ; elle comprenait. Pas besoin d'en dire plus. Ça avait toujours été comme ça entre elles alors l'artiste hocha positivement de la tête lorsque Winnefride lui proposa de sortir prendre l'air. Il était un peu tard pour se défiler et elle en avait à la fois trop et pas assez dit à une des uniques personnes de sa vie qui ne méritait jamais que la vérité. La vengeance viendrait après, et tant pis pour ce qui se passerait.

Ida prit une grande inspiration et attrapa la main de Winnefride avec douceur pour quitter la piste de danse où les moutons noirs régnaient en maîtres l'espace d'une soirée, d'un instant de revanche délectable ; elle s'en voulu un peu de tirer la jeune femme de ce début de victoire qu'elle avait elle-même orchestré mais rien n’empêchait d'y revenir après. Elle mena son amie vers la sortie de secours de la pièce et s'engouffra dans un couloir qui les mena à l'extérieur. Ida savait où elle voulait aller et ses pas sûrs, pour une fois, la conduire jusqu'à cet endroit à l'extérieur où elles avaient passé tant de temps juste toutes les deux. Le perron arrière du bâtiment de science, qui donnait sur la piste de sport du gymnase. C'est là que dans le silence qui caractérisait Winnefride à l'époque, leur relation était née et s'était développée, assises sur les marches à regarder les autres faire du sport. Quelques mots échangés, parfois. La présence de l'une et l'autre, simplement présente et disponible. Quelques dessins qu'Ida avait fait pour Winnefride, pour essayer de partager quelque chose avec elle. Et surtout ces longs moments sans rien dire, parfois une heure entière entre les cours. Ida se souvint de ce jour où assise à côté de son amie à jouer - mal - quelques notes de Nirvana à la guitare - elle avait songé à s'avouer à la jeune fille mais s'était simplement dégonflée, préférant continuer à jouer en retenant ses sentiments, se disant que Winnefride n'avait pas besoin de ça et avait déjà bien assez de problèmes. Ida s'installa alors comme elles le faisaient dans le temps, posant ses bras sur ses genoux et faisant une place à Winnefride à ses côtés. Winnefride à droite, Ida à gauche. Comme à chaque fois. Ils étaient loin à présent, les moutons blancs et noirs qui se bataillaient pour leur vision du troupeau ; même cette affreuse peste de Sarah Peterson n'était plus qu'une simple tâche dans le décor. La communication avait finie par devenir très aisée entre elles mais Ida se demanda un instant si Winnefride avait conservé cette capacité à pratiquement lire dans ses pensées. Peut-être se doutait-elle un peu de quelque chose ? Alea jacta es, elle se lança parce que foutue pour foutue autant n'avoir aucun regret et toujours se montrer honnête avec la seule qui méritait réellement sa sincérité et ce depuis longtemps.

"Tu te souviens quand on était ici, la dernière fois ?", elle essayait d'avoir l'air cool et calme mais ses grandes mains tremblaient imperceptiblement, tout comme sa voix éraillée, "On a r'gardé les secondes faire de l'athlétisme en s'foutant de leur gueule, pi' j't'ai joué d'la guitare", elle rit, gênée, "... mal en plus, putain j'avais honte. J'essayais d'avoir l'air cool, parce que j'arrivais pas à te dire les choses." C'était dur, mais Ida regarda Winnefride dans les yeux pour revenir à l'exact moment de sa non-confession et faire un retour dans le passée pour corriger une erreur ; celle de n'avoir pas été honnête avec son amie. "Ouais, j'avais un truc à t'dire ce jour-là, tu l'as p'tet senti..." Elle n'hésitait que parce que c'était dur à formuler. Ses récentes expériences et le rejet familial lui avait creusé un cœur brisé et elle n'attendait rien de cette confession. Rien d'autre que de dire la vérité à sa meilleure amie. "Je...", c'est vraiment difficile à dire, et elle peine un peu, "j'étais... j'étais amoureuse de toi mais j'ai jamais réussi à t'le dire." Etait-ce encore le cas maintenant qu'elle la revoyait après six ans de disparition dans la nature ? Ida se trouva gonflée de faire ce qu'elle faisait mais espérait que Winnefride la comprendrait. L'artiste prit une longue et lourde inspiration, se posant la vraie question et y trouvant une vraie réponse, sans se défiler malgré une certaine crainte dans la voix : "et j'crois que j'suis toujours amoureuse de toi, Winnie. J'ai pas b'soin de réfléchir, j'ai juste eu b'soin d'te revoir. Je sais, c'est con..." Elle baisse la tête, un peu vaincue par la difficulté qu'elle avait éprouvé à se confesser deux fois - une pour le passée, l'autre pour le présent - et laissa à son amie le temps de réfléchir, pleine d'angoisse inutile ; elle savait bien que Winnefride ne la jugerait pas.

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Évidemment que Winnefride viendrait la hanter. Encore et toujours. Elle ne se voyait pas vivre vieille de toute façon : préférant largement garder sa peau jeune et lisse avant de passer dans l’haut-de-là. Histoire de faire jalouser tous les vieux qui la regarderaient avec envie. Parler de la morte était monnaie courante dans sa tête, tout comme ne pas manquer une occasion pour répondre avec des mots qui mettraient mal à l’aise les gens. Mais pas Ida. Elle la comprenait. Elle connaissait le caractère du mouton noir. Et c’est bien pour cela que Winnefride aimait autant sa meilleure l’amie et l’avoir retrouvé était probablement la meilleure nouvelle de l’année ! Elle ne laisserait plus la distance se mettre entre elles, sauf si cela était un choix de l’une ou de l’autre. Elle n’était pas du genre à forcer les gens : ne supportant pas qu’on fasse ça avec elle. Winnefride était comme ça, elle ne faisait pas aux autres ce qu’on n'aimerait pas qu’on lui fasse. Sentant qu’elles devaient parler, elle proposa à son amie de sortir prendre l’air avant de passer à un autre plan. La soirée était encore jeune après tout : pourquoi se priver de telles opportunités. Serrant la main attrapée, elle suivit Ida à travers les danseurs qui continuaient de s’éclater : au moins iels avaient mit de l’ambiance, où étaient leurs médailles ?

Reconnaissant sans peine les lieux, elle plia soigneusement sa robe pour s'asseoir à côté de son amie. Elles n’avaient jamais eu le besoin de parler pour se comprendre et les silences étaient de précieux souvenirs pour Winnefride qui les chérissaient. Peu de personnes arrivaient à garder autant leur langue derrière les dents. Hochant la tête à la question d’Ida, elle la laissa parler. Elle baissa ses yeux pour remarquer les mains tremblantes de sa voisine, était-ce si grave ? Sa curiosité était un peu plus piquée. “Tu jouais bien de la guitare, ne dis pas de conneries.” Et même si c’était faux, Winnefride le pensait quand même. “Je m’en suis douté, mais je me suis dit que si tu ne me l’as pas dit, c’est que tu n’étais pas prête ou tu n’en avais plus envie et c’est tout à fait acceptable.” Pouvoir se rétracter quand on en avait envie. N’était-ce pas là le vrai cœur d’une amitié ? Ne pas avoir à se justifier ou à chercher des excuses pitoyables ? Ida n’avait pas parlé, ce n’était pas un problème. Plongeant enfin son regard dans le sien en entendant les mots, elle sourit en coin et attrapa ses mains pour qu’elles arrêtent de trembler de la sorte. Ida était plus forte que Winnefride. Jamais elle n’avait, ne serait capable de dire aussi clairement la nature de ses sentiments pour quelqu’un. Probablement parce qu’elle ne se posait pas de questions. Elle préférait se laisser porter par le courant plutôt que de se battre et mettre des mots sur ce qu’elle ressentait. En entendant la seconde confession, une de ses mains quitta les siennes pour se glisser dans les cheveux bouclés et magnifique d’Ida.

“Moi aussi, je suis amoureuse de toi. Je l’ai toujours été au fond.” Commença-t-elle, s’aventurant sur un terrain dont elle ne connaissait rien. “C’est une forme d’amour que je ne peux pas expliquer… Mais je ne sais pas si c’est celui qui veut dire on se met ensemble.” Maladroite ? Évidemment. Winnefride n’avait plus prit le temps de faire le point sur ses sentiments depuis des années, depuis la mort de sa famille. “Mais je sais que je ne veux plus jamais que tu disparaisses de ma vie. Je veux que toi et moi on reste ensemble. Je veux qu’on fasse partie de la vie de l’autre.” Elle apporta à ses lèvres les mains d’Ida pour les embrasser : “Tu accepterais ? Qu’on reste comme ça ?”

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