fruit défendu chatouille le palais - 03.01.22 - adriel & paloma

L’odeur des cheveux d’Helena embaume la pièce, posant un sourire sur le visage d’Adriel. Peu à peu ses paupières s’ouvrent, il émerge d’un sommeil profond en sentant à ses côtés la chaleur de sa femme. La maison est calme, le voisinage dort encore, il pourrait facilement se rendormir, mais la faim se réveille à mesure que les secondes le maintiennent éveillé. Dans un mouvement habituel et souple, il se tourne vers sa déesse brune, embrasse son épaule, son cou, sa tempe. Il la sent bouger un peu, la voit sourire doucement et il sait, sans qu’aucun d’eux ne parle, que ce genre de matin sont leurs préférés à tous les deux. « Je vais aller acheter quelques petites choses pour le petit déjeuner. Ne bouge pas. » Et dans un dernier baiser il se lève du lit, attrape les premiers vêtements qu’il trouve et sort dans le froid de la ville.

Sans doute aurait-il dû faire plus attention en s’habillant, parce qu’un jogging et un pull ne sont pas assez en cette froide matinée de janvier, mais tant pis. Le fresh market n’est qu’à quelques minutes à pied de chez lui, épicerie de secteur qui permet aux habitants du quartier de ne pas aller trop loin pour quelques petites emplettes. Déjà, il fait un inventaire des placards dans son esprit, pour réfléchir à ce qu’il manque, à ce qu’il doit prendre. Helena est toujours bien plus douée que lui pour ce genre de choses, mais il n’est pas juste que ce soit toujours à elle d’accomplir ces corvées. Du lait, des œufs, de la farine, du chocolat, des pommes. De quoi faire des pancakes rapides et de les garnir pour ravir les papilles de sa femme.

Dans son panier la quasi-totalité des ingrédients est accumulée, il ne manque que les fruits. Deux ou trois suffiront, voilà pourquoi il n’attend pas que la femme devant l’étal ait terminé, ils peuvent bien se servir en même temps. Sauf que leurs yeux visent la même pomme, les mains s’entrechoquent et par politesse Adriel se recule, pour la lui laisser. La femme rit, il l’accompagne avant de tourner son regard vers elle. Et là le rire s’arrête. La simple vision de Paloma Gartzea le ramène quelques années en arrière, lorsqu’il habitait encore New York et fréquentait plus assidûment les galas et les soirées mondaines. « Bonjour. » répond-il instinctivement. Un peu perdu, il ne sait pas comment s’adresser à elle, parce qu’il s’attend à ce que d’une minute à l’autre elle lui rappelle cette situation embarrassante qu’ils ont vécu tous les deux. Elle le fera avec un sourire, peut-être même un rire moqueur, tandis que lui, pour une fois, ne saura plus où se mettre. Il est rare qu’Adriel soit gêné de quoi que ce soit, lui qui prend la vie avec bonne humeur qu’importe ce qu’elle lui donne, mais Paloma est une des rares personnes à le faire changer d'instinct. « Tu vis à la Nouvelle Orléans maintenant ? » La question est sans doute trop directe, mais il n’est pas prêt à avoir une discussion légère avec elle. Il veut simplement l’éviter le plus possible et oublier qu'ils se sont jamais croisés.

Adriel n’a aucun mal à être agréable et avenant avec les gens, même ceux qu’il ne connaît pas. Il a une nature joviale et souriante, reste constamment de bonne humeur et voit la vie de façon optimiste. Pour le mettre mal à l’aise ou en colère, il faut donc en faire beaucoup, et bien que sa matinée commençait de la meilleure des manières, il est clair qu’à présent il n’a pas une seule idée de où se mettre ou de comment agir. Paloma a cet effet chez lui et il déteste ça. Peut-être est-ce en partie parce que c’est une belle femme, puissante, qui sait comment obtenir ce qu’elle désire, mais au fond de lui il sait parfaitement que c’est parce qu’il l’a surpris en plein acte, après avoir lui-même refusé d’aller trop loin. Une vision gravée dans son esprit, qui lui rappelle sa faiblesse lorsqu’il a flirté avec elle. Et voilà qu’elle est là, résidente récente de la Nouvelle Orléans. Elle met quelques instants à le replacer, mais dès que le nom d’Adriel lui revient, elle lui retourne la question. « Depuis quelques années, oui. » répond-il machinalement, d’une voix monotone et presque robotique. Il n’a pas réfléchi avant de parler, victime de son esprit qui digère encore la vision de Paloma devant lui. Ce n’est que lorsqu’elle lui dit de se reprendre qu’il réalise que sa bouche est restée légèrement entrouverte et il passe une main dans ses cheveux, comme pour chasser les questions qui l’assiègent. « Excuse-moi, je ne pensais pas te voir ici. Alors que j’achète mon petit déjeuner. » Rencontre à la fois étrange car la Nouvelle Orléans, bien que touristique, est tout de même loin des grandes métropoles américaines, mais étrange également parce que la scène est trop banale pour Paloma Gartzea. « Toujours compositeur oui, ça ne change pas. Et toi, toujours touche à tout ? Quel projet t’amène en ville ? » Il reprend un peu de contenance, lui offrant un sourire relativement chaleureux, bien que toujours un peu gêné. Il se doute que si elle est là, ce n’est pas seulement pour son bon plaisir ou prendre des vacances. Elle a un projet en tête, un nouveau business qui se développe peut-être.