Never forget. // Lily

ensemble dans le deuil Son anniversaire. Il fut un temps où plus jeune, il avait adoré le célébrer. Recevoir les cadeaux, un peu plus d’attention que d’habitude. Et puis, en grandissant, il avait compris au combien ce jour était injuste pour Hector et Helena, surtout elle. Alors, il avait pris l’habitude à partir de ses 8 ans de demander que des choses qui feraient plaisir à son frère et à sa sœur. Astrid n’y voyait que du feu. Tout du moins, si elle voyait clair dans son jeu : elle n’a jamais rien dit. Une fois, ses aînés partis, chaque célébration était une corvée. Il devait feindre les sourires, feindre d’être heureux et rarement sa mère a cerné au combien il souffrait. Quand ils étaient là, la donne était différente. Ils fêtaient tous ensemble : s’empressant d’avaler le dessert et le repas pour pouvoir se retrouver tous les trois. Cela était rare, mais assez pour que Calhoun s’en souvienne et chérisse ces instants.

Depuis trois ans, cela était une torture de fêter ce jour. Il n’y avait plus rien à célébrer. Il n’y avait que des larmes, des cris, de la douleur. Constamment. Il vivait avec au quotidien, mais encore plus en ce terrible jour. À peine ses yeux ouverts, qu’un long râle traversa ses lèvres. Il tourna sa tête, caressa mécaniquement la place vide à côté de lui avant de se tourner et d’enfouir son visage dans l’oreiller pour pleurer. Calhoun pourrait appeler sa sœur, elle savait pour la mort de Clémentine. Il pourrait composer le numéro de Bram pour entendre sa voix et entendre sa respiration surtout alors que des sanglots l’empêchaient de parler. Il n’en fit rien. Il resta seul. Il l’était, malgré sa famille présente pour lui. Un sentiment que Clémentine avait dissipé. Quelle erreur de croire que cela lui était acquis.

La journée passa lentement, rien n’avait de goût. À un tel point que Iago, agacé de le voir tirer la gueule, l’a renvoyé chez lui. C’est sortit qu’il envoya un sms à Lily, pour lui demander si elle voulait la retrouver quelque part. Si une personne souffrait autant que lui, cela devait être elle. Calhoun pourrait toujours boire comme un trou plus tard dans la soirée et chercher la merde à des petits jeunots qui pensaient mieux savoir que tout le monde. Il pourrait se sentir coupable dans l’alcool. Parce qu’il l’était. Il avait condamné Clémentine. Il ne l’avait pas fait sciemment. Mais il aurait dû se douter au lieu d’être aveuglé par son amour grandissant. Trop même. Calhoun avait prévu de lui demander sa main. Cette bague reposait maintenant avec sa petite amie, six pieds sous terre. Aucune autre femme ne pourrait la porter.

Le rendez-vous accepté, il alla dans le parc et s’installa sur un banc entouré de fleurs. Clémentine aurait adoré. L’endroit était reposant, le temps clément. Les familles marchaient dans le parc, les enfants jouaient et lui regardait le sol : les mains dans les poches de son épais manteau. En voyant une paire de chaussures devant lui, il releva ses yeux pour croiser le regard de Lily. Immédiatement, son regard se remplit de larmes malgré tous ses efforts pour être fort. Il se leva et sans rien dire passa ses bras autour de celle qui aurait dû devenir une sœur par alliance.

Pas besoin de parler pour le moment. Les yeux fermés, il prit une longue inspiration avant de s’éloigner. Silencieusement, deux sillons s’étaient creusés. “Je… Tu…” Il se racla la gorge : “Merci d’avoir accepté de venir.” Lily avait le Calhoun brisé. Ceux qui croiseraient sa route ce soir rencontreraient ses poings et sa rage. “Tu tiens le coup ?”

Le réveil a un goût amer. Ce n'est pas parce qu'elle déteste sa sonnerie mais n'a jamais pris le temps de la changer. Ce n'est pas non plus parce qu'elle doit se lever pour aller travailler dans un bureau qu'elle n'aime plus vraiment. C'est parce que c'est le jour. C'est parce qu'aujourd'hui, c'est le 11 mars. La boule au ventre, la franco-américaine se lève difficilement. Elle déjeune à peine, le regard vide et le cœur cramoisi. Voilà maintenant 3 ans qu'elle n'est plus parmi eux. Le temps sera son meilleur ami lui avait-on dit. Mais plus les années passent et plus Lily souffre de son absence. Cette cousine qui était en réalité comme une sœur pour elle. Son rayon de soleil dans cette famille bancale. Son pilier, son phare dans l'océan tumultueux des relations familiales. Personne ne pourra mieux écouter et comprendre la complexité de ses relations parentales qu'elle. Personne ne pourra partager avec elle des cousinades aussi belles parce qu'elle n'est plus là pour les rendre incroyables. Dans les transports pour aller travailler, Lily n'a pas pu s'empêcher d'écouter une playlist qui la ramène un peu plus à elle. Sa mère lui dit sans cesse de ne jamais vivre dans le passé et que c'est ridicule de s'infliger pareilles souffrances consciemment. Mais c'est plus fort qu'elle. En temps normal, Lily s'occupe la tête avec une multitude d'activités, elle s'épuise toute la journée pour ne pas penser. Mais pas les 11 mars. C'est le seul jour de l'année où Lily s'autorise de vivre son deuil de plein fouet ; parce qu'inconsciemment, elle n'est pas encore prête pour la laisser partir. Sa jolie cousine. Clémentine.

Au bureau, elle ne parle à personne. Elle saute la pause du midi pour pouvoir partir plus tôt et éviter le moindre instant de sociabilisation. Elle reste seule devant son ordinateur, ses écouteurs visés dans les oreilles avec des musiques toutes aussi tristes les unes que les autres. Même les joyeuses sonnent mélancoliquement à ses oreilles ; parce qu'elle se revoit projeter des années en arrière auprès d'elle. C'est alors que son téléphone vibre. Lily pense que c'est certainement Penelope qui doit lui envoyer des mots d'amour et de réconfort puisque sa meilleure amie se souvient très bien, elle aussi. Mais quand ses yeux se posent sur l'écran, Lily se fige. Calhoun. Parcourue d'étranges frissons, elle hésite à ouvrir le message, sentant la vague d'émotions l'envahir déjà. Finalement, elle ouvre le message. Après tout, la seule personne qui pouvait comprendre et partager sa peine, c'était lui. Il demande si elle peut le retrouver quelque part. Lily n'a pas hésité une seule seconde, écoutant son cœur meurtri qui a terriblement besoin d'être accompagné par un autre. Ils conviennent d'une heure et d'un lieu et Lily s'empresse de finir sa journée.

Calhoun. Lily n'oubliera jamais la façon dont Clémentine parlait de lui. Elle l'aimait. Elle l'aimait tant que parfois, sa cousine en était jalouse. Quelle chance elle avait d'être amoureuse ainsi. Quelle chance ils avaient. Puisqu'elles étaient très proches, Lily a très rapidement rencontré Calhoun. Eux, en revanche, n'étaient pas spécialement proches mais leur unique point commun, aimer terriblement Clémentine, à leur manière, les rapprochait inévitablement. Si bien que Calhoun est venu demander conseil à Lily pour demander Clémentine en mariage. Lily était folle de joie pour eux – et encore plus jalouse de leur idylle –. Puis, plus rien. Ils ne se sont jamais revus après sa mort. Lily a tout de même tenu à lui écrire ; parce qu'elle désirait partager ce deuil avec lui. Alors chaque année, elle prenait de ses nouvelles et lui écrivait chaque 11 mars ; cette date maudite – qu'elle savait encore plus maudite pour lui –. Autrefois, l'amour les rapprochaient ; aujourd'hui, c'est la mort.

Elle l'aperçoit, assis sur un banc du parc dans lequel ils se sont donnés rendez-vous. La gorge serrée, Lily s'approche. Tandis qu'il pose sur elle un regard plein de larmes, elle sourit, tristement luttant de toute son âme pour retenir les siennes. Ils s'enlacent, sans échanger le moindre mot ; ce n'est pas nécessaire. Lily le serre terriblement fort contre elle, yeux fermés, laissant échapper quelques larmes. Ensemble, ils prennent une longue respiration et s'éloignent. « Mais de rien ; c'est normal, lui répond-elle en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille. » « Tu tiens le coup ? » La phrase résonne en elle de longues secondes. Sa mère lui a posé la même pendant l'enterrement. Elle se racle la gorge, regarde en l'air pour chasser ses larmes et répond, la voix légèrement brisée : « Hmm.. Ca te dit, on marche un peu ? » Elle commence à marcher droit devant elle, sans réfléchir à la direction qu'elle prend. Elle inspire, expire, noyant ses poumons d'air frais. Elle essuie discrètement ses joues puis quand elle se sent prête, parle de nouveau : « Chaque année, j'espère que ce soit moins dur. Mais étrangement, j'ai l'impression que c'est pire d'années en années. Sa voix se brise vraiment cette fois. Je n'arrive pas à la laisser partir, putain. C'est trop dur. » Elle se racle de nouveau la gorge et fait fuir son regard sur le côté, dans les parterres fleuris. Puis, rapidement, elle se sent mal de paraître faible aux yeux de Calhoun. Sa peine à lui doit être tellement.. Alors, elle se concentre sur lui, rapidement. Après tout, c'est lui qui lui a demandé pour qu'ils se voient. C'est lui qui doit avoir besoin de vider son sac. Pas elle. « Et toi alors ? Comment tu vas ? Ca fait longtemps qu'on ne s'est pas vu. » Dans un franc sourire, elle ajoute avec tendresse : « Ca me fait plaisir de te voir. » Car même si c'est douloureux, il lui rappelle des souvenirs joyeux qu'ils ont pu partager tous les trois.

ensemble dans le deuil Non, ce n'était pas normal. Calhoun était le pire des exemples. Il ne devrait pas seulement contacter Lily lors de cette terrible journée. Enfin, il ne la contactait pas que lors de ce terrible anniversaire. Il la contactait également pour prendre de ses nouvelles. Malgré tout, et ce, depuis trois ans, ils ne se voyaient que pour parler de leur chagrin. Une personne les a réunis, elle n'est plus là aujourd'hui, mais elle serait probablement contente de voir qu'ils continuaient de se parler. Ils se soutenaient dans l'adversité. Acceptant de marcher, Calhoun tira sur son manteau avant de suivre Lily. Il la laissa guider. Son esprit était bien trop chagriné pour vouloir prendre une quelconque décision. Mieux valait donc que cette amie prenne les devants et mène la danse. Clémentine lui faisait confiance : alors Calhoun le ferait également. Son ancienne petite amie avait toujours et ce don pour cerner les gens. C'est après tout pour cela que sa vie et celle de la jeune femme s'était liée. Même morte : son cœur ne battait que pour elle. Ce n'était pas sans raison. Quand elle est décédée, une partie de lui l'avait suivi. Si on lui demandait laquelle il répondrait sans hésiter : la meilleure. Car Clémentine était la seule femme en dehors de sa sœur à pouvoir le calmer. Ce qui on soit était faut un miracle. Il fallait appeler un chat, un chat : ce garnement était difficile à apprivoiser. Son ancienne dulcinée avait réussi là où tant d'autres avaient échoué. Un exploit donc. Calhoun avait toujours cru que la seule personne à avoir cette influence sur lui était Helena. Force était de constater que non. Il y avait d'autres femmes. Ou plutôt une autre femme. Et elle se trouvait à présent six pieds sous terre.

Un jour un client dans un bar avait osé lui dire qu'il y avait d'autres poissons dans l'eau. Grossière erreur. Surtout quand le mec à qui vous sortez cela est ivre et à les poings encore défoncés de son dernier combat. Pour sûr qu'il lui avait donné le change. Et tous les pence qui allaient avec.

"Je comprends tellement ce que tu veux dire. Je ne pense pas être un jour capable d'accepter cette idée." Il ne le pensait pas, au fond. Il en était certain. Pas besoin de terminer le fond de sa pensée. Lily comprendrait. C'est bien pour cela qui lui avait proposé de se retrouver. Pourtant, il était douloureux d'être en sa présence. Probablement, car il n'avait jamais été réellement honnête avec elle. Avec la famille de Clémentine en général. Il n'avait jamais osé avouer la vérité. Est‐ce que sa cousine lui avait partagé les travers de Calhoun ? Le malheureux n'en serait pas offusqué. Encore une fois, si Clémentine l'avait fait : cela était pour une bonne raison.

"Je ne la laisserais jamais partir." Il se le refusait. Comme si être heureux était une insulte à sa mémoire. "Je ne mérite pas d'être..." Il se tut. "C'est de ma faute si elle est morte. Jamais je ne me pardonnerai." Et rien, ni personne ne pourra lui enlever cette idée : vouant toute future relation à un cuisant échec. Calhoun se condamnait volontairement. Dans le but d'expier cette faute ? Certainement. "Moi aussi, je suis content de se voir." Est‐ce qu'elle continuerait à répondre à ses appels si Lily savait la vérité ? "Je...." Il arrêta de marcher en même temps que sa phrase. "Je dois t'avouer quelque chose."

Le revoir est à la fois étrange et évident à la fois. Etrange, parce qu'ils se connaissent si peu, sans Clémentine autour d'eux. Evident, parce qu'ils la connaissaient si bien ; ils ne peuvent donc que se comprendre. « Je comprends tellement ce que tu veux dire, lui répond-il d'ailleurs. » Lily sourit tristement. Oui, dans leur malheur, ils se comprennent. Le cœur de la brunette se serre quand Calhoun exprime sa pensée de ne pas se sentir capable de l'accepter un jour. Ce n'est pas une simple pensée. C'est une certitude. Pourquoi la mort doit-elle, en plus d'emporter un être cher, vous emporter un morceau d'âme avec elle ? C'est tellement injuste. Lily demeure muette. Parfois, il faut simplement savoir se taire et partager le silence. Son vacarme est suffisant.

« Je ne la laisserai jamais partir. » Lily redresse sa tête pour poser sur Calhoun des yeux humides. Elle a l'impression qu'il est le miroir de son âme. Une part d'elle lui crie de ne pas penser ainsi, qu'ils doivent la laisser partir. Mais elle sait très bien dans quel état il se trouve ; elle se trouve. C'est vain. Ils sont encore avec elle, sous un soleil couchant qui illumine ses yeux pétillants, plein de vie. Elle est encore là, avec eux, quelque part. Calhoun enchaine une série de phrases douloureuses. Il ne mérite pas ? Pas quoi ? Lily fronce les sourcils quand il affirme que c'est de sa faute si elle est morte. Qu'il ne se le pardonnera jamais. Instinctivement, elle pose une main sur son épaule, balbutiant quelques mots : « Qu'est-ce que... Ne dis pas.. Quo.. Tu.. » Finalement, elle se tait. Calhoun s'est arrêté. Lily continue de faire quelques pas, trop sonnée par son chagrin pour réagir correctement. Elle s'arrête alors à son tour et se tourne vers lui, le visage triste. Elle l'observe avec une étrange tendresse. Il est comme son frère d'arme dans ce combat.

A travers son visage, elle revoit celui de Clémentine. Lily se souvient des quelques anecdotes que sa cousine lui comptait lorsqu'elles se retrouvaient à New-York ou bien dans leur cousinades françaises. Lily a toujours eu la sensation que Clémentine savait comment apaiser son homme. Elle semblait le connaître si bien. C'était une évidence pour elle. Elle était destinée à le rencontrer. A l'apaiser. A le guider. A l'aimer. Elle se sentait vivre auprès de lui. Elle avait trouvé son but, son rêve. Lui. Ensemble, ils étaient le meilleur d'eux-mêmes. Lily n'a jamais vu sa cousine aussi épanouie qu'au contact de Calhoun. Elle ne lui a d'ailleurs jamais avoué combien elle jalousait leur amour. Parce qu'ils le méritaient. Parce qu'elle aimait trop Clémentine pour lui faire la moindre ombre à cause de ses problèmes d'affection. Et Clémentine la connaissait que trop bien pour toujours trouver les mots pour l'apaiser. Elle aussi. Lily sait que trop bien que Clémentine n'aurait jamais laissé Calhoun seul dans cet état. Alors, pour elle, elle ne doit pas le laisser seul aussi. « Qu'est-ce qu'il y a ? lui demande-t-elle, son regard bienveillant plongé dans celui du jeune homme. Je t'écoute. » Je suis là murmure son cœur. Elle n'a aucune idée de ce qu'il peut bien vouloir lui dire. Certainement quelque chose à propos de lui et de Clémentine. Quelque chose qui l'a fera peut-être pleurer. Un souvenir joyeux mais douloureux ? Lily se sent prête pour l'entendre. Elle veut en tout cas être l'oreille attentive. Celle qui vous fait du bien. Mais est-elle la mieux placée, en étant aussi proche, elle aussi, de Clémentine ?

ensemble dans le deuil Il était bon de ne pas avoir à justifier les larmes dans ses yeux, ni sa mine triste. Calhoun n'avait pas à inventer en énième mensonge et à se perdre dans une réalité qu'il créait au fil de ces derniers. Un jour viendra où il devra passer à la casserole. Les non-dits, les fausses excuses et raisons devront être dévoilés au grand jour. En attendant le jour du jugement par son Adelphie et le reste de ses proches: Calhoun se demandait s'il n'y ne serait pas bon d'avouer à Lily les réelles causes de la mort de sa chère et tendre Clémentine. Est-ce que cela l'aiderait à faire son deuil ? Un secret de plus, un de moins : il savait que ça ne changerait pas la vie du couturier. Cependant, cela pouvait changer celle qui lui faisait face. En réalité… Cette confession pourrait boulverser sa vie. Lily ne voudrait certainement plus lui parler après ça il le savait.

Qu'importe ce qui se passerait dans sa vie : Calhoun se refusait de l'oublier ou de la laisser partir. Clémentine était l'amour de sa vie, condamnant toute potentielle remplaçante à ne jamais réellement se faire une place dans son cœur. "Si. Je le dis car c'est vrai." Répondit-il à la confusion justifiée de Lily. S'arrêtant physiquement, il ne savait pas lequel des diables dans son cœur le poussait : celer de la raison ? Mais Calhoun se décida à parler. Lily devait savoir.

De battre, son palpitant s'était arrêté en même temps que celui de Clémentine. Avalant frénétiquement sa salive jusqu'à avoir la bouche sèche, mis devant le fait, Calhoun ne savait pas par où commencer. Avouer la raison du décès, c'était confesser qu'il n'était pas l'homme que connaissait Lily. Est-ce que cette dernière était au courant ? Clémentine, lui avait-elle dit ? Le couturier n'en serait pas offusqué. Si son ancienne petite-amie lui faisait confiance, il ferait de même. C'était bien pour cela qu'il avait gardé le contact avec elle.

"Peut-être que tu sais déjà…" Commença-t-il. "Peut-être que Clem t'en a parlé." Calhoun renifle bruyamment. Ses poings se fermaient petit à petit : faisant rentrer ses ongles - pourtant court dans sa peau. Heureusement, ces derniers étaient cachés dans ses poches. "À New-York, je me battais la nuit. J'ai commencé avant de rencontrer Clémentine. C'est comme ça qu'on s'est parlé, rapproché. Elle me soignait, prenait soin de moi…" Et Calhoun l'avait condamné pour tout remerciement. "Elle a toujours respecté cette partie de ma vie. Elle ne m'a jamais demandé d'arrêter. C'est parce qu'elle a fait de moi un homme meilleur, apaisé, que j'ai décidé de raccrocher cette vie." Est-ce que Lily voyait où Calhoun l'emmenait ? "Quelqu'un d'autre à de m'entendre quand j'en ai parlé… Les paroles ont été rapportées et…" Un râle arrêta sa phrase, sortant de plus profond de sa gorge : un soupir d'un cœur endeuillé. "Peu de temps après je l'ai trouvé." La suite, Lily la connaissait. "Quand j'ai appris la vérité : j'ai échafaudé un plan pour la venger. Cela m'a pris du temps, mais j'ai réussi." Était-il nécessaire pour lui de préciser que sa venue ici découlait de cette vengeance ? En avouant à Lily ce crime… L'avait-il condamné également ? Non. Il ne laisserait rien lui arriver. Jamais. Même si elle ne voulait plus jamais le voir : il la protégeait. De loin, mais il garderait ses yeux sur elle. Toujours. "Je… Je suis désolé. Pour tout… Je… Comment te l'avouer ? Comment contenter de te regarder dans les yeux sans avoir fait payer à ses assassins ?" Baissant ses yeux : honteux, brisé, dégoûté de sa personne. Qu'on l'achève.

Clémentine lui avait dit bien des choses il est vrai. Tant de choses que Lily a toujours eu l'impression de tout connaître d'elle. Pourtant, en regardant Calhoun, elle réalise qu'elle ne sait rien de lui. Elle ne connaît que la romance qui l'a lié à leur Clémentine ; romance sur laquelle elle a fantasmé plusieurs fois, déformant très certainement ses réalités. « Je le dis car c'est vrai. » Lily comprit alors qu'elle est face à une réalité qu'elle n'a encore jamais imaginé. Elle écoute donc l'aveu de Calhoun sans broncher, se voulant la plus transparente mais surtout, solide, possible.

« Peut-être que Clem t'en a parlé. » Le cœur de la brunette manque un battement. Clem. Elle revit en une fraction de secondes les heures de discussions qu'elle partageait avec sa cousine. Savait-elle déjà ? Mais savoir quoi ? Clémentine lui a dit bien des choses, il est vrai. Mais pas tout. Lily ne savait pas que Calhoun se battait. Clémentine ne lui en a jamais parlé. Pourtant, maintenant qu'il le dit, chaque petit détail fait sens. Chaque phrase, chaque mot qui échappaient à la compréhension de Lily deviennent de plus en plus limpides. C'était donc ça que tu me cachais, Clem, se dit-elle à elle-même. Lily se souvient d'un sujet sensible sur lequel Clémentine ne s'aventurait jamais. Tous ces « Bon assez parlé de moi Lily, raconte moi ta vie ! » ou bien ces « je ne peux pas encore trop t'en parler, mais bientôt, tu sauras tout » cachaient bien quelque chose. Lily se voit alors propulser dans les souvenirs que Calhoun partageaient avec Clémentine. Elle la voit tout à fait, au chevet de cet homme qu'elle aimait tant, à panser ses blessures, apaiser ses colères. Elle devait être très douée pour ça d'ailleurs. Soucieuse, protectrice mais en même temps, très compréhensive et respectueuse des choix de chacun. Lily n'est donc évidemment pas étonnée que Clémentine est acceptée cette partie-là de Calhoun. Elle pouvait vivre avec ça. La franco-américaine ne peut s'empêcher de sourire tristement. C'est tellement elle.

Lily écoute attentivement la suite. L'envie de quitter les rings pour Clémentine, pour eux. Ca aussi, ça lui paraissait évident. Leur histoire ne pouvait qu'évoluer vers cela. Sauf que.. Les phrases qui suivent s'enchainent très vite sans que Lily n'est réellement le temps de se refaire l'histoire dans sa tête. Quelqu'un a entendu et rapporté ses paroles. Et.. A cet instant, elle est pendue à ses lèvres. Et quoi ? « Peu de temps après je l'ai trouvée. » Un frisson glace l'entièreté du dos de Lily. Ce n'était donc pas un règlement de compte banal où Clémentine était arrivée là, au mauvais endroit, au mauvais moment ? La suite de l'histoire est encore plus effrayante. Lily ne devient pas simplement transparente, elle devient livide. Et elle est loin d'être solide pour encaisser ça. Un plan ? Une vengeance ? « ... mais j'ai réussi. » Alors qu'elle frottait la naissance de son cou nerveusement, Lily s'immobilise, plongeant ses yeux humides dans ceux de Calhoun. Le temps semble s'arrêter tandis que sa réalité se fissure, lentement, en mille morceaux.

Il s'excuse. Puis il interroge. Comment l'avouer ? Comment se regarder dans les yeux sans avoir vengé sa mémoire ? Le visage de Lily s'est crispé d'effroi. Sous le choc, elle pose ses mains tout contre son visage. Elle inspire, très fort, pour chasser la panique et les larmes. Elle continue de le regarder même si ses yeux noisettes sont vides. Lily n'est plus là. Elle est partie des années en arrière auprès de Clémentine quand quelqu'un a décidé de l'assassiner froidement. Par intérêt. Sans aucun remord. C'est beaucoup d'un coup. Lily ne sait pas si elle peut l'encaisser. Une part d'elle rêve de s'enfuir en courant et de prétendre avoir cauchemardé de cet instant. Mais une autre part d'elle reste, solidement ancrée dans le sol, faisant face à cet homme dont elle ne connait rien mais dont elle est attachée par amour pour sa défunte cousine. Alors, dans un élan de désespoir ou du courage, elle avance, rogne les quelques mètres qui la séparent de Calhoun pour lui faire face. Elle laisse ses bras tomber le long de son corps pour se redresser. Droite, elle observe Calhoun les yeux déjà plein de larmes. Elle attend qu'il relève le regard pour parler. D'une voix rauque mais nette, elle dit : « Tu.. Tu veux dire que quelqu'un a tué Clémentine, consciemment, parce qu'il a entendu que tu souhaitais cesser les combats ? C'est ça que tu es en train de me dire ? » Une larme coule. Puis une deuxième. Sans bruit. « Ma cousine est morte parce qu'elle faisait de toi un homme meilleur ? C'est ça ? » Ses mots sont durs. Ses mots sont lourds. Elle a d'ailleurs l'impression qu'un poids immense appuie sur ses épaules pour l'enterrer.

Le trop-plein arrive. D'un coup d'un seul. Ses deux mains contre ses tempes, Lily craque. Sa voix se brise et elle explose. Ouvertement, à la vue de tous au milieu du parc. « Mais qu'est-ce que c'est que ce monde de grands malades ? C'est quoi ce bordel putain ? Clémentine est morte, tuée par une pourriture sans âme. Putain, elle est morte sans avoir jamais rien demandé, sans jamais avoir fait, à personne. Pourquoi toute cette violence ? » Malgré ses sanglots de plus en plus forts, elle parvient à terminer ses phrases. Mais quand elle pose ses yeux sur Calhoun, sur l'aveu qu'il vient de lui faire, elle repart, les yeux horrifiés. « Et.. Et toi, tu me dis que.. que tu as tu.. » Elle n'arrive pas à le dire. L'imaginer est déjà bien assez pour elle. « C'est complètement fou. Vous êtes complètement fous, termine-t-elle en imaginant tous ces hommes aux réactions violentes. Elle ne méritait pas tout ça. » Dans un énième sanglot de haine et de chagrin, Lily tourne le dos à Calhoun et essaye avec fureur ses joues humides. De ses mains tremblantes, elle sert ses petits bras de toutes ses forces, comprimant sa poitrine. Elle voudrait pouvoir étouffer son cœur meurtri. Elle ne sait quoi faire. Elle ne sait pas si elle doit se retourner pour le regarder. Lui dire quelque chose d'autre. Ou juste s'enfuir. Finalement, sans réfléchir, elle avance droit devant elle. Pourtant, au fur et à mesure que ses pas maladroits l'éloignent de Calhoun, elle voudrait se retourner pour partager encore avec lui cette peine injuste qui les lie.

ensemble dans le deuil Quel droit avait Calhoun ? Qui était-il pour possiblement détruire Lily et rendre son deuil encore plus dur ? Était-ce - au fond - car être le seul à savoir était une vérité qui chaque jour le poussait un peu plus dans la tombe ? Pourquoi transmettre ce fardeau alors ? Il ne savait pas réellement. De son entourage, Lily était la seule à connaître plus ou moins sa vie à New-York. Sur certains sujets, elle en savait même plus que son Adelphie. Clémentine devait devenir cette famille qui reste constamment à ses côtés. Lily, de facto, devait rejoindre les rangs comme une belle-sœur avec qui Calhoun s'était imaginé trouver une alliée. Combien de fois avait-il pensé à toutes les péripéties qui pourraient concocter ensemble à l'insu de Clémentine pour la surprendre ? Bien trop. Toutes ces vaines tentatives mourraient au gré des sanglots et de chagrin qui ne faiblissait pas. Continuant de tout ravager sur son passage. Ainsi, la vérité était maintenant révélée à Lily. Pourtant ce poids dans le cœur, cette pierre dans l'estomac, les nœuds dans ses intestins persistaient. À la culpabilité d'avoir causé la mort de l'amour de sa vie s'ajoutait maintenant celle d'avoir détruit une autre vie. Ne savait-il donc faire que ça ?

Relevant son regard, Calhoun regarda Lily s'approcher. Sans bouger, chaque mot était plus douloureux qu'en upper-cut. "Oui." Et puis cette déclaration, plus vraie que tout. "Oui." Et elle avait réussi. Clémentine leur avait prouvé qu'il y avait plus chez lui qu'il ne voulait bien le croire. La réaction justifiée de la femme devant lui le brisa un peu plus. Elle prouvait qu'il y avait bel et bien un autre niveau à son mal-être qu'il pensait déjà assez profonds. Incapable de trouver les mots, son visage déconfit et bouffie par les larmes valait probablement tous les discours. "Oui." II était fou. "J'ai été fou de croire que je pourrais devenir autre chose. Que je finirai ma vie avec une femme qui me permet de me regarder dans le miroir." On n'échappe pas à sa vraie nature. "Non. Elle ne méritait pas ça." Jamais il ne se le pardonnerait. "Elle faisait de ce monde un endroit meilleur." Le sien tout du moins.

Levant sa main quand Lily lui tourna le dos pour la poser dans un geste qui se voulait réconfort, Calhoun se ravisa. Il ferma son poing jusqu'à en faire pâlir ses phalanges avant de le baisser en même temps que sa tête. Il n'avait aucun droit. Plus maintenant. Rangeant sa dextre dans sa poche, il la laissa s'éloigner sans chercher à la retenir. Il n'avait aucun droit. Aucun. Immobile, planté comme un piquet au milieu du chemin : la douleur, le chagrin l'empêchent de se mouvoir et de s'enfuir. Il avait des défauts, mais il n'avait pas celui-ci. Il ne regrettait pas ce qui l'avait fait pour venger Clémentine. Il aurait fait bien pire pour elle. Elle n'était plus là pour l'apaiser, le calmer. Le fait qu'il respire encore tenait à un fil. Ce dernier avait un nom : Adephie.

Le cœur de Lily n'est qu'une machine vide, crevée par la peine. Elle voudrait vomir toutes les émotions qui lui pourrissent le fond de l'âme. Vomir, courir, crier puis vomir à nouveau. « Elle faisait de ce monde un endroit meilleur. » Comme la phrase de trop, Lily se stoppe dans son élan. Mais elle est morte putain ! hurle sa tête. Elle se retourne lentement vers Calhoun. Il est là, immobile, encore bien plus vide que son propre cœur. Poser ses yeux sur le visage cramoisi du jeune homme lui donne presque des frissons d'effroi. Les larmes continuent alors de couleur sur ses joues. Ils pourraient être les personnages du plus triste des tableaux. C'est tellement triste. C'est tellement malheureux. Lily repense alors à ce qu'a dit Calhoun juste avant. « J'ai été fou de croire que je pourrais devenir autre chose., a-t-il commencé. Que je finirai ma vie avec une femme qui me permet de me regarder dans le miroir. » C'est à cet instant que Lily réalise à quel point il est brisé. Pourquoi a-t-il fallu que Clémentine emporte avec elle ce monde meilleur ?

Furieuse, Lily avance de nouveau vers Calhoun pour le bousculer. D'abord une fois, puis une deuxième fois. De ses mains maladroites, elle pousse sur ses épaules pour le faire reculer, le faire bouger, le réveiller. « Alors ne rend pas sa mort futile en la laissant emporter ce qu'elle a commencé. » Elle le pousse encore dans un nouveau sanglot. « Qu'est-ce que tu racontes ? Pourquoi tu ne pourrais pas devenir autre chose hein ? Clem' y a bien cru non ? » Elle le fait encore reculer. « Tu le sais en plus qu'elle aurait voulu que tu continues, que tu te battes, que tu te regardes dans un miroir fier de toi. Elle croyait en toi elle. » Les mots sortent au grès des souvenirs du regard brillant de Clémentine quand elle lui parlait de lui. Lily plante ses yeux rouges dans les siens, les mains accrochées aux épaules musclées de Calhoun. « Tu ne peux pas la laisser partir comme ça Calhoun. Tu ne peux pas enterrer avec elle ce qu'elle a créé pour toi. Ne la laisse pas mourir en vain comme ça. » Dans un dernier geste de désespoir, elle le pousse encore à presque en tomber avec lui. Lily est devenue hors de contrôle. Voici la seule manière qu'elle trouve pour faire sortir ses émotions et instinctivement, elle essaye d'aider Calhoun à faire de même. Ce qui pourrait ressembler à une dispute d'un point de vue extérieur est en fait une tentative de sauvetage désespérée, sans aucune retenue, ni filtre. Ca devait sortir, Lily le sait alors elle continue d'appuyer et de vomir toute sa peine : « Tu sais, la venger ne suffit pas si tu te laisses mourir avec elle comme ça. Super, tu as joué au dur, tu as réglé tes comptes. Mais qu'est-ce que ça t'a apporté hein ? Regarde-toi. » De ses mains, elle désigne son corps tout entier. S'avançant vers lui les mains en avant pour le bousculer à nouveau, elle hurle : « Dis quelque chose ! Fais quelque chose ! »

ensemble dans le deuil Il attendait le jugement final. Les derniers mots prononcés par Lily. Quoiqu’elle dise, elle aurait raison. Calhoun n’était pas une bonne personne. Il aurait pu devenir quelqu’un digne d’Helena et d’Hector, au lieu de cela, il ne se reconnaissait plus dans le miroir. Il ne savait plus qui était ce reflet. Clémentine lui avait redonné une identité, un sens à sa vie : il n’était plus seul. À sa mort, il s’était retrouvé en tête-à-tête avec lui-même. Quelque chose qui l’avait toujours terrifié, même enfant. Sauf que maintenant se réfugier dans les bras de sa grande sœur était plus difficile, voir impossible. Pour cela, il devrait jouer cartes sur table et il savait que cela la blesserait profondément.

Calhoun laissa Lily le malmener. Il la laissa le pousser, une fois, puis deux. Elle pouvait le faire autant de fois qu’elle jugeait nécessaire : il ne broncherait pas. Ces mots percent à nouveau son cœur. Ils sont vrais. Ils sont juste. Il n’avait pas le droit de détruire ce qu’elle avait commencé à faire. Il ne savait juste pas comment faire une telle chose.

“Elle y a cru et elle m’a donné les clés. Elle savait tout de moi, je n’avais pas à me cacher, je n’avais pas à mentir.” Calhoun tentait de calmer ses larmes qui coulaient sans que des râles de douleurs ne se joignent à elles. “Parce que ma propre famille n’est plus au courant de ma vie.” Il s’était enfoncé jusqu’au cou dans un tissu de mensonges qui l’étouffait un peu plus chaque jour. Il souffla longuement, continuant de légèrement reculer à chaque fois.

Ne pouvant rien répondre à ce que lui disait Lily, il se contenta de rester immobile, tête baissée, incapable d’affronter son regard. Calhoun savait qu’il avait de la chance qu’elle ne soit pas encore partie. Aurait-il eu la même patience si les cas avaient été échangés ? Probablement pas non. Il ne méritait pas les précieuses secondes qui s’étaient écoulées depuis la révélation. Il ne méritait pas Clémentine. Il ne méritait pas Lily. Comme elle avait raison…

“Je sais…” Se contenta-t-il d’articuler. “La vengeance a retardé mon chagrin…” Cela lui avait donné un but. Une raison. “Je suis venue à la Nouvelle-Orléans pour tenter de me reconstruire… De faire quelque chose de mes dix doigts.” Il sortit ses mains de ses poches pour regarder ses mains qui avaient causé tant de douleurs. Quand Lily le poussa pour la dernière fois, il releva sa tête et passa ses bras autour d’elle pour la serrer doucement contre lui. Sans rien dire au début : “Tu sais que jamais elle ne tombera dans l'oublie... L'influence qu'elle à eu sur moi... Jamais je ne ferai une croix dessus. Je... Je vais trouver un nouveau sens à ma vie et vivre pour elle...”

Depuis quelques minutes, il n'y a plus que Calhoun et Lily, enfermés dans leur chagrin. Lily ne perçoit plus les passants qui les observent étonnés devant leurs larmes et leur chahut. Elle ne se considèrent plus en plein milieu du parc. Elle ne fait que se noyer avec lui dans cet océan de malheur, froid et douloureux. Elle entend à peine les réponses de Calhoun. L'entendre parler de Clémentine au passé lui est de plus en plus insupportable. Dans sa bouche, elle paraît tellement parfaite, tellement belle, comme un ange. Mais elle paraît aussi tellement absente. Morte. Clémentine est morte. Lily pensait pouvoir faire face à la réalité, que les années avaient fait leur travail mais, folle de rage devant l'annonce de Calhoun, c'est comme si la nouvelle venait de tomber. Elle est morte. Envolée, enlevée par une main diabolique qui n'en avait que faire de la beauté de son âme. Comme une bête furieuse, Lily n'a donc pas cessé de pousser Calhoun. C'était une manière inconsciente d'évacuer toute l'apocalypse qui noircit et étouffe son cœur ; qui l'engloutit.

Dans un énième geste de rage, Lily saisit les épaules de Calhoun qui referme ses bras sur elle. Surprise, Lily s'aggripe de toutes ses forces au tissu, pinçant quelques bouts de chairs au passage. Doucement, l'étreinte se resserre, comme une caresse. Lily se laisse faire, enfouissant son visage dans son torse. Elle relâche alors ses épaules pour laisser ses bras tomber en cascade. Comme vide, elle laisse toutes les larmes que peuvent encore contenir ses yeux couler. Elle tremble, un peu. « Tu sais que jamais elle ne tombera dans l'oubli » dit Calhoun. Lily l'écoute, meurtrie. « Je vais trouver un nouveau sens à ma vie et vivre pour elle... » Vivre pour elle. Sous ses mots, Lily entoure le torse de Calhoun pour le serrer de toutes ses forces. Elle lui murmure alors : « Tu as intérêt ! Sinon je... » Elle se tait, réalisant qu'elle n'avait absolument rien pour le menacer. Ils se connaissent si peu. Pourtant, elle ne s'est jamais sentie aussi proche de lui qu'à cet instant. Elle se recule, légèrement, sans pour autant lâcher l'étreinte que ses bras autour de lui. Elle remarque alors la tâche de chagrin qu'elle a fait sur le tissu du jeune homme. En reniflant, elle ajoute : « ... sinon je te morve dessus comme ça jusqu'à la fin de tes jours. » Après l'avoir observé quelques secondes, elle recule, brisant leur étreinte. « Pardon, dit-elle en essuyant son nez avec le revers de sa manche. »

Un peu gênée de s'être emportée de la sorte, Lily fuit le regard de qui conque, observant autour d'elle, fuyante. Quelques larmes rebelles continuent de s'échapper de ses yeux. Elle les essuie rapidement d'un geste nerveux de la main. Il faut dire que c'était beaucoup à encaisser pour aujourd'hui. Apprendre la vérité sur la mort de Clémentine, mais aussi sur les actes de Calhoun trouble beaucoup la franco-américaine. Elle ne sait pas quoi en penser, ni même quoi ressentir. Tout se mélange. Elle est à la fois malheureuse, furieuse mais aussi empathique et compréhensive. La particularité de leur lien l'empêche de pleinement le rejeter. Pourtant, il... Mais quand elle le regarde, elle ne voit que Clémentine et toute la bonté qu'elle était. C'est comme si elle avait laissé une part d'elle en lui. Et qu'elle était là, enfouie sous une montagne de tristesse, là sous ses yeux, qu'elle seule pouvait voir. Nerveuse, elle brise alors le silence pour lui demander : « Al.. Alors la Nouvelle Orléans ? » Sans transition, c'est vrai. « Tu en penses quoi ? Ca te dit de me montrer ton quartier préféré ? Pour se changer les idées ? » Lily voit en cette proposition l'occasion de marcher, s'aérer l'esprit en parcourant la ville avec un but précis. Peut-être pourra-t-elle aussi lui présenter son quartier préféré et lui faire découvrir la beauté de cette ville qui l'a vue grandir. Pour lui donner envie de continuer. Pour leur donner envie de vivre.

ensemble dans le deuil Il encaisse. Comme s’il était dans un combat, comme s’il avait trouvé plus fort que lui. Les mots étaient plus douloureux que les coups, il l’avait toujours dit et Lily lui prouvait sans aucune difficulté au combien Calhoun avait raison de dire cette phrase à tort et à travers. Elle l’avait mise KO en quelques secondes, déjà qu’il était au fond du trou : il avait trouvé une nouvelle couche à son mal-être. Comme quoi, tout est possible. La cousine était aussi douée que Clémentine pour trouver la parole juste, le mot parfait. Il n’en a rien à faire d’être en publique, de garder l’image de l’homme fort qui n’a peur de rien et qui n’a pas de sentiments. Calhoun voulait juste expier ses péchés et à défaut d’aller voir un prêtre : il s’était confessé à Lily espérant que cette dernière arriverait à faire son deuil un peu plus facilement… Il avait tort. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera pas la dernière. Il n’était qu’un humain après tout. Un qui avait le cœur déchiré, qui s’enfonçant dans l’abysse de sa douleur sans chercher à se battre pour remonter à la surface. Si on lui disait qu’il crèverait demain : il hausserait les épaules et continuerait de vivre comme si de rien n’était. Il était comme ça, Calhoun, un peu gensfoutiste quand il était question de sa personne, de sa santé : de sa vie en général.

Quand Lily arrête enfin de le pousser, il passa doucement ses bras autour d’elle dans une étreinte qui se veut chaleureuse, qui se veut tendre. Un geste silencieux pour confirmer que Calhoun ne fuirait pas, qu’il resterait à ses côtés, qu’il serait là tout simplement si elle voulait encore de lui. Comment blâmer Lily de l’envoyer sur les pâquerettes ? Il lui avait annoncé la réelle raison de la mort de sa cousine adorée. Lui-même se détestait : pourquoi cela ne serait pas le cas pour la femme qu’il tenait contre son torse ? La douleur des ongles de Lily dans sa peau ne le dérange pas, il la savoure même : comme si cela pouvait lui faire payer un peu plus sa misérable existence et prise de décision. À y repenser… Changer sa vie n’apportait que du malheur à son entourage, une raison pour reprendre le combat ? Peut-être. Il ne savait pas encore.

Alors il chuchote à son oreille qu’il allait trouver un moyen. En bien ou en mal… Calhoun devait maintenant se battre. Il venait de l’assurer à Lily : il ne pouvait donc plus faire autrement. À sa petite blague, il tourna sa tête et sourit bien malgré lui.

“Deal.” Il était sérieux. Il la laissa s’éloigner un peu pour pouvoir se plonger dans son regard. Ils devaient être beaux. “Tu n’as pas à t’excuser, jamais avec moi Lily.” Il était sincère dans ces mots. Elle pouvait tout se permettre avec lui. Calhoun ne pouvait pas la rayer de sa vie, la laisser derrière : Clémentine n’aurait pas aimé ce comportement. Hors de question de la décevoir… Plus qu’il ne le faisait tout du moins.

Essuyant lui-même ses larmes, la question de Lily le fait sourire un peu plus et il hocha la tête. Il ne connaissait pas encore la ville, quelle meilleure guide que cette amie qui aurait dû devenir sa famille.

“Avec grand plaisir… Clémentine et toi en avez tellement parlé devant moi, il est temps que je suive de visu vos péripéties.” Calhoun prit une longue inspiration pour définitivement se ressaisir. “Je te laisse ouvrir la marche.” Il la suivrait. Il garderait un œil sur elle. Toujours.

Même si Calhoun lui a assuré qu'elle n'avait pas à s'excuser avec lui, jamais, Lily ne peut s'empêcher de se sentir désolée. Elle est désolée de s'être emportée de la sorte. Elle est désolée de l'avoir poussé. Elle est désolée d'avoir faibli ainsi. Mais, surtout, elle est désolée du malheur qui s'abat sur eux. Parce qu'elle se croyait assez forte pour pouvoir encaisser sa mort. Quel qu'en soit la cause. Alors, timidement, Lily sourit, consciente qu'elle continuera certainement à s'excuser, du moins encore pour un temps. Elle a une marge de progrès d'ici là qu'ils puissent honorer leur deal. Une lueur d'espoir naît dans le creux de sa poitrine, lui donnant envie de vivre la suite pour voir ce qu'ils vont devenir. Peut-être un jour ne seront-ils plus liés par le chagrin de leur deuil ?

Leurs retrouvailles prennent doucement une autre teinte. Se ressaisissant, Calhoun accepte la proposition de Lily, qui en sourit. C'est vrai que Clémentine et elle possèdent quelques souvenirs ensemble de la Nouvelle-Orléans. Même si leur grande proximité s'est construite sur le sol français, elles avaient déjà l'habitude de partager une semaine ensemble à la Nouvelle-Orléans au moins une fois par an. La plupart de leurs souvenirs d'enfant ce sont d'ailleurs construits ici. « Super, on va commencer par mon quartier ; ce n'est pas très loin d'ici. » C'est bien la première fois que Lily est heureuse de présenter son quartier ainsi. Plutôt secrète en temps normal, elle évite de trop s'étaler sur sa vie privée et notamment sur celle de sa famille avec qui elle garde encore des relations assez conflictuelles. Lily réalise alors que cela fait bientôt trois mois qu'elle n'a pas vu son père qui habite pourtant à quelques rues de chez elle.

Les premières minutes de leur trajet s'effectuent dans le silence. Seuls les bruits de la ville accompagnent leur pas. En temps normal, Lily n'apprécie pas partager le silence. Elle aime l'effusion, le bruit, le dynamisme ; que la vie explose autour d'elle. Mais aujourd'hui est un jour particulier où elle laisse dormir l'éclat de son âme au profit d'un décor plus gris et plus éteint. C'est sa manière de faire son deuil, sûrement. Endormir la joie pour laisser éclater la peine. Ils prennent à droite pour débarquer sur une grande allée qui dessert divers logements. « Grand quartier résidentiel de la Nouvelle-Orléans. Il est connu pour son calme mais.. surtout pour sa fortune. Gros quartier de riches. Un petit coin de paradis, ironise-t-elle. » Lily pointe une belle maison à deux étages. Des roses grimpantes sur le porche recouvrent gracieusement la façade au bardage bleu. « C'est là que j'ai grandi. Et que Clémentine venait nous voir quand nous étions petites. » Quand ils arrivent à sa hauteur, Lily s'arrête pour la contempler, nostalgique. « Les fois où elle venait, le quartier paraissait toujours plus beau, joyeux. Quand elle était là, je ne m'ennuyais jamais. » Elle reprend la marche dans un sourire. Elle n'a pas gardé une grande attache à cette bâtisse qui l'a vu grandir entre deux parents distants et brisés par leur histoire d'amour ratée. Les seuls souvenirs marquants qu'elle garde sont finalement ceux qu'elle a créés avec Clémentine et Penelope, son amie de toujours.

Après quelques minutes de marche encore, ils prennent à droite pour déboucher sur un boulevard bruyant, grouillant de circulations. Lily pointe une rue animée de l'autre côté. « Là, on arrive dans une partie un peu plus fun de la ville. Tu dois connaître d'ailleurs. Enfin j'espère, sinon il va falloir que je t'invite à sortir bien plus souvent ! » Elle rit puis traverse, laissant sa phrase en suspens. « C'est là qu'on trouve pas mal de bars, c'est une rue très fréquentée par les étudiants mais il s'y mélange pas mal de tranches d'âges. On n'est d'ailleurs pas loin du centre où là, tu dois bien connaître quelque chose. » En marchant au milieu d'une petite foule, Lily décide d'inverser les rôles. « A ton tour maintenant d'ouvrir la marche. Emmène-moi dans un coin que tu aimes bien. » La lumière reprend peu à peu le chemin de son cœur, atténuant la tristesse que l'habite habituellement en ce jour. Secrètement, Lily espère pour en transmettre un peu à Calhoun en utilisant son meilleur remède : l'hyperactivité. Toujours s'occuper l'esprit, toujours parler, bouger, planifier. Avant qu'il ne l'emmène ailleurs, elle lui décrit certains bars où elle est souvent allée, un de ses rencarts foireux aussi, sans aucune gêne, ignorant leur peu de proximité, le traitant comme un ami de toujours. C'est un peu sa façon de faire un premier pas et de s'ouvrir à lui, non plus parce qu'il est lié à Clémentine mais parce qu'ils sont liés, eux aussi.

ensemble dans le deuil Il comprenait. Il acceptait la peine de Lily. Il embrassait sa douleur et sa réaction était plus que légitime. Calhoun n’avait aucun mal à se mettre à sa place et il savait que ses gestes avaient même été encore plus violents que ceux de la demoiselle. Il aurait explosé. Il aurait hurlé sa rage. Il aurait cogné dans tout ce qui aurait été à sa porter. Il ne pouvait pas lever sa main sur Lily, sur une femme en général, mais sur elle encore moins. Il n’y avait pas beaucoup de femmes dans sa vie qui comptait, mais elle faisait partie de ce cercle très privée qui restait restreint malgré son physique de jeune premier et son regard azur. Calhoun était populaire s’il le voulait auprès de la jante féminine, mais il n’en faisait pas étalage : préférant se morfondre sur l’amour perdu de Clémentine qui avait laissé des sillons amers et des souvenirs douloureux. Lily était certainement dans le même bateau et maintenant, elle devait trouver la balance pour ne pas couler un peu plus suite à l’annonce qui lui avait fait. Est-ce qu’il s’en voudrait pour longtemps ? Toute sa vie.

En attendant de pouvoir se repentir et faire amende honorable, il ne peut pas résister à la tentation d’accepter d’arpenter les rues avec Lily pour découvrir de nouveaux endroits. Pour voir où Clémentine et elle allaient quand elles étaient dans cette ville qui lui était encore inconnue. Serait-il un jour assez confortable dans cet environnement ? Il ne le savait pas. En tout cas, Calhoun était entre de bonnes mains : il n’en doutait pas. Il lui faisait confiance aveuglément. Marchant à ses côtés, il ne chercha pas à briser le silence qui s’était naturellement installé. Il aimait ne pas parler. Même quand quelqu’un était à ses côtés. Ses pensées n’étaient pas une bonne compagnie, mais il se perdait avec elles volontiers. Avait-il le choix ? Non.

“A quelques détails prêts, il ressemble au quartier dans lequel j’ai grandi à New-York. Le genre qui suinte l’argent.” Calhoun n’avait pas eu une enfance à plaindre. Il n’avait manqué de rien. Sauf peut-être d’une mère qui a les pieds sur terre. Mais cela était une autre histoire. “Je suis bien content d’avoir échappé à celui de New-York.” Mais il viendrait tout de même ici pour voir Lily si elle avait besoin de lui. S’arrêtant devant le bâtiment qu’elle lui montrait, il sourit et n’eut aucun mal à imaginer Clémentine. Il sortit son portable, chercha dans les photos et en montra une où il y avait deux petites filles devant. “C’est toi hein ?” Il sourit : “Une des premières photos que Clémentine m’a montré d’elle-même quand elle était petite.” Il la garderait toujours précieusement. Il n’avait effacé aucune photo de son ancienne petite-amie. Jamais il n’en serait capable.

Continuant sur leur lancée, ils arrivèrent dans le quartier animé et il rigola en entendant Lily lui dire qu’il devait connaître ces allées. “Un peu oui, disons que je suis sortie de temps en temps : assez pour pouvoir rentrer chez moi-même ivre si c’est ta question !” Calhoun reprit un peu son sérieux. “Mais je serais ravi de sortir avec toi un soir si tu veux boire un verre ou juste te vider la tête.” Il était temps que leur relation ne se cantonne pas à ce triste anniversaire, n’est-ce pas ?

Surpris, il s’arrêta et regarda autour d’eux tout en cherchant désespérément dans sa tête un endroit. Il allait toujours dans les mêmes lieux, il faisait rarement dans l’original : préférant se cantonner à ce qu’il savait. Il eut alors une illumination et sourit : “Je sais où t’emmener.” Et sans plus attendre il mena la marche en écoutant attentivement toutes les histoires que Lily avait à lui raconter. Il se permet même de répondre, de donner des conseils, mais surtout de dire que si elle avait besoin de muscle : Calhoun répondrait présent et viendrait la chercher, qu’importe l’heure de la journée ou de la nuit.

Le tailleur emmena son ami là où il avait regardé les étoiles avec Charlie et sa chienne Korra. Il enleva son manteau pour le poser sur l’herbe pour que Lily puisse s’asseoir à ses côtés. “J’ai admiré les étoiles ici avec une parfaite inconnue et son chien.” Il sourit : “Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait l’effort de faire le premier pas et de parler à quelqu’un que je ne connais pas.” Il y avait une belle vue sur la ville. “Je conseille cet endroit pour regarder le ciel. Mais tu dois sûrement déjà le connaître.”

Ils avaient finalement d'autre chose en commun que seulement Clémentine, à commencer par l'ambiance de leur quartier d'enfance. Lily lui sourit en réalisant cela. Elle aussi était contente de l'avoir quitté. Malgré le fait qu'il représente aussi de bons souvenirs d'enfants, comme ceux avec Clémentine, il est aujourd'hui synonyme pour Lily de l'échec du mariage de ses parents. Leur présence ici était la parfaite allégorie de leur relation, faite de faux semblants luxueux pour masquer le vrai vide inexplicable qui sépare deux âmes contraires. Calhoun sort alors son téléphone pour présenter une photo que Lily reconnaît immédiatement. Elle sourit, remplie de nostalgie et de tristesse, aussi, toujours. « On adorait cette photo, murmure Lily en s'observant. C'est celle qui représente au mieux nos souvenirs ici. » En changeant de quartier, elle a d'ailleurs presque l'impression de voir au loin leur deux silhouettes de jeunes filles rire aux éclats avant de disparaître dans son ancienne maison.

Emportés par la foule, ils évoluent tranquillement dans la ville. Lily rigole à sa remarque sur le fait d'être capable de rentrer chez soi ivre. « C'est un bon indicateur pour savoir si on connaît bien une ville effectivement. » Calhoun ajoute qu'il serait ravi de sortir boire un verre avec elle, malgré tout. La franco-américaine sourit presque timidement, en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille. Son sourire est pour l'instant sa seule réponse, ne savant pas encore trop comment réagir à la proximité qui se crée entre eux depuis que Clémentine n'est plus là. Finalement, au fond, elle apprécierait beaucoup de pouvoir partager autre chose avec lui que ce terrible deuil.

Devant sa proposition, Calhoun est surpris mais se prend au jeu. Il s'arrête avant d'affirmer avoir trouver un endroit. Amusée, Lily le suit. Toujours sur sa lancée, elle continue de lui conter les différentes anecdotes qu'elle possède en fonction de l'endroit où ils se trouvent. Elle se plaît à voir Calhoun réagir de temps en temps, lui donner des conseils et lui confirmer qu'elle peut compter sur lui, en toutes circonstances. Touchée, la jeune femme lui sourit. C'est assez rare qu'on lui témoigne un tel soutien. Sans timidité, elle apprend à saisir cette opportunité, cette chance.

Ils finissent par arriver sur un point plus élevé qui permet ainsi d'offrir une belle vue sur la ville. « Excellent choix, s'exprime Lily, qui reconnaît évidemment. » Elle remercie ensuite Calhoun pour la veste qu'il a posé au sol avant de s'asseoir à ses côtés. Elle écoute l'histoire qui l'attache à ce lieu. « Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait l’effort de faire le premier pas et de parler à quelqu’un que je ne connais pas. » Lily affiche de nouveau une mine désolée et décide de lui répondre dans la foulée pour l'estomper. « Oui, je connais mais je ne crois pas avoir déjà pris le temps un jour d'observer le ciel d'ici. Mais mieux vaut tard que jamais ! » Sans crier gare, la jeune femme s'allonge alors pour porter son regard sur le ciel. Dans un sourire, elle observe les différents nuages et les formes étonnantes qu'ils créent. Elle se laisse bercer par leur courbes et leur pâleur parfaite. Elle laisse son esprit divaguer au gré de ses envies. Mais Clémentine la rejoint très vite.

Sourcils froncés, Lily finit par se redresser sur ses coudes pour parler. « Calhoun ?  demande-t-elle, la voix grave. Je suis désolée de remettre le sujet sur la table mais ... » Maintenant qu'elle est plus calme, que toutes les mauvaises émotions ont jailli de ses yeux par ses larmes, elle se sent plus à même d'en parler. Et elle en a besoin. « ... je crois que j'ai besoin de savoir. » Elle se redresse complètement pour être assise à sa hauteur. Le regard perdu dans l'horizon, elle ajoute tout de même : « Ne me réponds pas si tu ne veux pas en parler ; je comprendrai. » Elle marque une courte pause pour poser son regard sur lui. « Com... Comment tu as su ce qui est arrivé à Clémentine ? Et comment tu as fais.. après ? » L'air grave, elle a besoin de savoir et de comprendre ce qu'il a traversé pour venger sa cousine. Pour pouvoir savoir ce qu'elle aurait fait, si elle avait été à sa place. Si elle avait su la vérité tout de suite.

ensemble dans le deuil Créer de nouveaux souvenirs, dans l’espoir qu’un jour la peine sera réellement plus facile à porter, voilà l’objectif de Calhoun. En se plongeant dans les yeux de Lily, il savait que le choix était de toute façon limité. La cousine semblait aussi déterminée que Clémentine : comment résister à une vague aussi puissante ? Il avait toujours perdu contre feu sa petite-amie, il n’y avait aucun doute à avoir sur le fait que cela serait la même chose avec la meilleure amie de cette dernière. Un combat qu’il perdait avec plaisir et un sourire aux lèvres. Parce qu’elle lui rappelait tellement Clémentine que la voir était une douce torture qu’il s’infligeait. Une qui le rapprochait un peu de celle qu’il avait perdu.

“C’est compréhensible, je vois ce que tu veux dire. Les quelques photos avec mon Adelphie sont probablement le témoin physique des jours les plus heureux de mon enfance.” Avant qu’ils ne partent tous, avant qu’ils le laissent seul avec Astrid. Calhoun ne rentrerait pas dans les détails tout de suite, cela était déjà bien assez déprimant comme ça. “Ouais hein ? Heureusement que j’ai les épaules carrées.” Pour sûr que sinon il ne ferait pas autant le malin. Ça et le fait qu’il cherchait de toute façon toujours la merde avec un sourire aux lèvres. Calhoun flirtait avec le danger, il en avait besoin : espérant un jour être cueillis à l’aube de sa vie d’adulte.

Maintenant, maître de la direction, Calhoun décida d’emmener Lily là où il avait admiré les étoiles. Là où il avait souri le plus longtemps depuis son arrivée à la Nouvelle-Orléans sans avoir une once de tristesse. De quoi peut-être ravir Lily ? Il l’espérait. Ne perdant pas une seule miette des histoires, il notait tout précieusement dans sa tête. Il pourrait rejouer ces mots quand il en aura besoin, pour sourire et imaginer Clémentine en vie et non ensanglantée, morte, dans ses bras. Et c’est avec une évidence claire que Calhoun proposa son soutien éternel. Lily ne sera jamais seule. Elle pourrait toujours compter sur lui. La laisser n’était pas dans ses plans. Jamais. Il la protégerait, même de loin s’il le fallait. Si un jour, elle comprenait la vraie noirceur de son âme.

Installé sur son manteau, il sourit en entendant Lily : “La prochaine fois qu’ils annoncent un beau ciel, on viendrai ici si tu veux.” Pourquoi pas après tout ? Faire des projets pour garder la tête hors de l’eau : n’était-ce pas ce qu’il avait promis un peu plus tôt ?

Laissant le silence s’installer sans chercher à le rompre, Calhoun ne répondit que par un “Hm.” Quand elle l’appela. La voix grave de Lily n’était pas un bon signe… Mais il écoutait cependant, le cœur en suspens. Avalant sa salive, il hocha la tête en l’entendant dire qu’elle avait besoin de savoir. Comment la blâmer ? Il avait ouvert une porte qu’il n’aurait pas dû probablement. Continuant de ne pas parler, il hocha la tête : comprenant ce qu’elle venait de lui dire. Aucune obligation. Calhoun le ferait cependant. Il revivait chaque derniers instants constamment de toute façon.

“J’étais rentré plus tard ce soir-là. J’avais commandé sa bague de fiançailles et elle était arrivée.” Commença-t-il d’une voix morne alors que son regard fixait un point devant lui. Pas le ciel où se trouvait probablement Clémentine tant elle était douce et parfaite. Tout son opposé. “J’ai ouvert la porte et elle était dans le couloir.” Calhoun ne rentra pas dans les détails. “J’ai tout de suite appelé la police et les ambulances en sachant très bien que rien ne pourra être fait.” Il était docteur, et même sans ça : il était évident qu’elle ne pourrait pas se réveiller d’une telle blessure. “Quand j’ai appris le calibre de l’arme, j’ai fait la connexion avec une pourriture qui organisait les combats de boxe. Il se vantait de son arme. Avec fierté. J’ai demandé à droite à gauche, sous couverts. J’ai appris que c’était lui réellement au détour d’un couloir où il disait que depuis la mort de Clémentine… Je me battais avec encore plus de fureur, comme prévu. Que je resterais bien sagement à me battre pour eux.” Il avala sa salive. “Il m’a pris la chose la plus précieuse à mes yeux, j’ai fait la même.” Calhoun prit soin de ne dire aucun nom, de ne pas réellement confesser. Il n’était pas né de la dernière pluie. “Après ça, je devais fuir. Une connaissance m’a fait sortir de New-York et j’ai décidé de venir ici pour rejoindre Helena et Hector.” Encore une fois, il ne prononça pas le nom de Iago. Calhoun décroisa ses mains pour arracher de l’herbe, comme un enfant qui aurait fait une grosse bêtise. “Je lui ai fait payer d’avoir pris ma Clémentine. La femme de ma vie.”

Cet endroit prend immédiatement une place bien particulière dans le cœur de Lily. Impossible pour elle à présent de le voir autrement que ça. Calhoun et elle, assis au sommet de la ville, ressassant avec amertume et deuil les souvenirs de Clémentine. Cet endroit serait pour elle. Lorsque les traits de Calhoun s'agravent alors que quelques secondes auparant, il lui avait proposé de revenir ensemble sous un meilleur ciel, Lily regrette sa question. Elle se demande si elle ne devrait pas laisser cela derrière elle, comme le repétait sans cesse sa mère pour la consoler. « Il faut avancer Lily. Tu ne vas pas ressasser ça toute ta vie. Oublie et avance. » Mais une part d'elle ne le regrette pas. Sa question est nécessaire, elle le sent. A la fois pour elle, mais finalement aussi pour Calhoun, pour qu'il puisse continuer de partager avec elle ses sombres souvenirs. Peut-être pourra-t-elle en porter une partie, aussi ?

Genoux contre sa poitrine, elle suit le regard de Calhoun, au loin, pour écouter attentivement son histoire. Le cœur lourd et la gorge serrée, elle inspire profondément pour ne pas recommencer à pleurer. Même si Calhoun ne lui donne aucun détails, Lily aperçoit le corps sans vie de sa cousine, immobile dans leur couloir. Elle l'imagine les yeux mi clos, le visage pâle, l'air calme. Puis elle aperçoit Calhoun, courir vers elle, hurlant son prénom. Elle serre très fort ses genoux contre elle lorsqu'elle l'imagine appeler les secours, désespéré, connaissant déjà l'issue de leur histoire. Puis tout s'enchaine très vite. La découverte du calibre de l'arme, la connexion avec une personne proche de lui et de ses combats. Lily s'imagine cet homme, cette pourriture qui a ôté la vie d'une âme innocente par pur intérêt. Calhoun marque une courte pause qui fait tourner les yeux de Lily. « Il m’a pris la chose la plus précieuse à mes yeux, j’ai fait la même. » Cette dernière phrase glace le sang de la franco-américaine. Calhoun n'en dit pas plus mais elle comprend très bien ce qu'il veut dire.  Une part d'elle nie la gravité de ce qu'il est en train de lui confesser indirectement car une part d'elle est soulagée de savoir que Clémentine a été vengé. Mais est-ce si soulageant que cela ? Clémentine reste morte, assassinée, malgré tout.

Lily écoute à demi mot la suite des paroles de Calhoun, à la fois sonnée et troublée par cette histoire. Elle voulait l'entendre pourtant ; là voilà servie ! Elle entend les noms d'Helena et d'Hector, qu'elle ne connaît pas mais se rappelle vaguement Clémentine lui en avoir parlé. Ses frères et sœurs, sûrement ? Elle se dit qu'à sa place, elle aurait très certainement fait pareil, retrouver ses proches, sa famille, pour retrouver pied. Puis il conclut : « Je lui ai fait payer d’avoir pris ma Clémentine. La femme de ma vie. » Lily plonge ses yeux dans les siens, bouleversée par son histoire. Elle reste immobile, silencieuse pendant de longues minutes. Elle ouvre la bouche puis la referme, ne sachant trop quoi dire. Après tout, c'est aussi une part de son histoire. Clémentine est la sœur qu'elle n'a jamais eue, la personne de sa famille notamment française dont elle était la plus proche. L'avoir perdue de la sorte emplit son cœur de rage et de peine. Quelle injustice. Posant une main sur l'épaule de Calhoun, elle finit par dire : « Je suis tellement désolée.. Pour ce qu'il lui est arrivée. Pour tout ce qu'il t'est arrivé. » Elle se taît de nouveau. Clémentine. La femme de sa vie. Comment continuer après une telle certitude et une fin si tragique ? « Je.. » Sa voix se brise, de nouveau, fragilisée par ses émotions. « J'aimerais te dire que ça va aller, que le temps t'aidera à survivre à tout ça, qu'il faut avancer et garder tous les beaux souvenirs de Clémentine pour ne rien entacher. Mais je sais combien c'est difficile, combien elle me manque, combien elle doit te manquer ; alors je ne suis même pas sûre d'avoir la force ni la foi de te le dire. Parce que.. Je sais. Mais je sais aussi qu'elle n'aurait pas aimé nous savoir meurtri par tout ça, incapable d'aller de l'avant. » Puis elle revoit l'image qu'elle s'est créée de l'assassin. Elle le voit sourire, machiavéliquement devant le corps sans vie de sa cousine. Puis elle le voit à son tour, sans vie, sous les yeux furieux de Calhoun. Lily ravale difficilement sa salive. Elle lui demande alors : « Et.. rassure-moi, est-ce que toute cette histoire est finie ? Je veux dire, tu es sécurité ? » C'est finalement aussi la peur qui envahit le cœur de Lily quand elle pense à la mort de sa cousine, qui n'avait rien d'un accident à présent. Elle endosse aujourd'hui la nouvelle de deux meurtres autour d'elle et c'est la première fois qu'elle en est confrontée. « Comm.. Comment tu arrives à vivre avec tout ça ? » Lily remarque alors qu'elle a toujours une main posée sur l'épaule de Calhoun. Elle la retire, un peu gênée. Leur proximité est encore nouvelle et pourtant, il lui a confié de telles choses qu'elle a l'impression d'être liée à lui d'une façon indescriptible.

ensemble dans le deuil Calhoun savait que le sujet n’était pas clos, que Lily aurait des questions tôt ou tard et qu’il y répondrait. Il ferait son possible pour apporter des réponses, sans rentrer dans les détails. Pour sa sécurité, pour la préserver un peu plus : lui qui avait déjà fait tant de dégâts par pur égoïsme. Qu’importe qu’il se soit répété que c’était pour son bien-être qu’il avait tout avoué. Au fond, Calhoun l’avait fait pour lui également. Partager ce fardeau. À contrecœur, mais exprimer ce qui était réellement arrivé. Lily méritait de savoir la vraie histoire. Ou pas… Il ne savait plus. Le fait qu’elle en reparle remuait ce sentiment de culpabilité. Peut-être que la famille de Clémentine devrait rester loin de lui, tout simplement. Il n’était pas une bonne influence… Clairement. Il ne savait apporter que le malheur autour de lui. Il devrait le savoir pourtant maintenant.

“Oublier…” Répéta-t-il mécaniquement. Avalant sa salive, il hocha négativement sa tête qu’il laissa tomber en soufflant longuement. Après tout ce qu’il avait vu… Comment oublier ? Comment effacer de sa mémoire les dernières images de Clémentine. “Avancer peut-être. Oublier, jamais.” C’était dit. Calhoun ne pouvait pas faire ça à la femme de sa vie.

Le couturier releva la tête pour se confier un peu plus. Restant vague sur certains points, il le faisait pour préserver Lily. Il ne servait à rien qu’elle est les détails qui font froid dans le dos. La conclusion de ses actions sort de sa bouche comme le couperet d’une guillotine. Il n’a eu aucun remord. Rien. Pas une once de tristesse, d’hésitation en détruisant le visage angélique du fils de la pourriture. Calhoun le referait. Encore et encore. Si seulement il en avait le pouvoir. Et finalement… Il répéta ce qui était une douce chanson pour lui : que Clémentine était la femme de sa vie. Celle qui comptait et qu’on lui arracher. En l’entendant dire qu’elle était désolée, il tourna sa tête et ouvrit son bras pour qu’elle vienne se loger contre lui. Apporter un peu de confort à celle qui aurait dû être sa belle-soeur.

“Hey… Viens là…” Souffla-t-il. Il sourit tristement : “Clémentine avait raison… Tu es la petite voix qui permet de garder les pieds sur terre.” Calhoun avait le cœur détruit et dans le regard de Lily : il pouvait lire sa propre peine. De quoi serrer un peu plus son cœur. Il aurait dû se taire. Ne rien dire. Emporter ce secret dans la tombe. “Ils ne savent pas où je suis.” Calhoun le saurait. Iago aussi. “Je ne sais pas si je suis en sécurité, mais même s’ils remontent à moi : ils ne feront pas la connexion avec toi ou avec ma famille.” Il l’espérait tout du moins, il avait bien fait son travail. “C’est plus facile de vivre avec ce que j’ai fait, avec les coups que j’ai donnés que de vivre sans Clémentine.” Il n’avait aucun remords. “Je suppose que j’ai été trop longtemps dans la violence, dans ce genre d’univers que mes actions ne me choquent pas. Pour moi, c’était normal de faire ce que j’ai fait. Il devait comprendre que personne n’est intouchable et aujourd’hui, c’est à lui de vivre sans quelque chose de précieux.” Oeil pour oeil. Dent pour dent.

Lily n'a pas hésité une seule seconde. Elle a accepté l'invitation de Calhoun à venir contre lui sans broncher, comme une enfant qu'il fallait consoler, à tout prix. D'un geste discret, elle s'est rapprochée, est venue rapprocher sa cage thoracique de la sienne avant de laisser sa tête tomber vers son épaule. Elle demeure là, enlacée dans le bras de Calhoun qui la serre contre lui. Elle ravale quelques unes de ses larmes même si sa gorge ne cesse de se serrer. Dans la chaleur de leur contact, elle respire, patiente, écoute, espérant que son mal être s'évanouisse comme un rêve. Mais ce n'est pas un rêve, c'est un cauchemar. Alors évidemment, le mal ne s'évanouit pas, il reste terré sagement dans chaque partie de son être, prêt à imploser à tout moment. « Clémentine avait raison… Tu es la petite voix qui permet de garder les pieds sur terre. » Lily sourit. Elle a à la fois envie de pleurer, ressassant en boucle le souvenir imaginaire de sa cousine, qui lui confie ce beau compliment, et à la fois envie de rire, ressassant leurs souvenirs joyeux. Elle garde alors seulement un simple sourire aux lèvres en ajoutant : « N'importe quoi ! » Puis elle appuie encore davantage sa tête contre l'épaule de Calhoun. Pour garder pied, justement.

Il se confie ensuite sur le reste. Visiblement, il est suffisant bien caché pour que ceux qui lui ont fait du tort ne sachent pas où le trouver. Etre en sécurité est visiblement une autre histoire. Calhoun explique que la famille de Lily ne devrait pas être impactée. Un frisson parcourt alors son échine. C'est vrai qu'elle n'y avait pas pensé. Et s'ils remontaient jusqu'à eux ? Non, Calhoun a raison, cela semble impossible, surtout puisqu'elles sont cousines.  « C’est plus facile de vivre avec ce que j’ai fait, avec les coups que j’ai donnés que de vivre sans Clémentine. » Lily se dégage alors pour l'observer. Sans Clémentine. Elle imagine difficilement la peine qu'il doit ressentir mais elle pense comprendre ce qu'il veut dire. C'est à la fois effrayant et glaçant, mais quelque part, elle comprend. Il parle ensuite de la violence dans laquelle il a grandi, évolué puis de ce qu'il imagine normal ou non. Lily demeure perplexe. Comment peut-on en arriver à accepter une telle violence autour de soi ? Une dernière phrase choc qui finit par la glacer : « Il devait comprendre que personne n’est intouchable et aujourd’hui, c’est à lui de vivre sans quelque chose de précieux. » En inspectant son regard, Lily peut sentir à quel point il est sûr de lui, que cet acte était évident. Aucun regret. C'est ce qu'il transpire. Ôter la vie, sans aucun regret. Mais c'est alors que Lily compose de nouvelles pièces du puzzle. … il devait vivre … Elle ouvre alors grand les yeux et balbutie : « Tu veux dire que.. tu.. qui... » Ce n'est pas le corps de l'assassin de Clémentine qui gisait sans vie, mais quelqu'un qui lui était proche. Les corps se mélangent alors dans l'imagination de Lily. Ce n'est pas l'assassin qui a perdu la vie. Mais quelqu'un d'autre. Elle se dégage alors, prenant sa tête dans ses mains. « Mon dieu.. Mais c'est affreux.. Comment tout cela est possible ? » Elle n'arrive pas à accepter que toutes ses choses affreuses se sont passées autour de Clémentine. Sa Clémentine. Instinctivement, Lily ne peut s'empêcher de chercher des détails. Elle pose alors ses yeux malheureux sur Calhoun : « Il avait quel âge ? Ou elle ? » Elle se mord alors la lèvre. La voix troublée, elle ajoute, nerveuse : « Si elle nous regarde, tu crois qu'elle en pense quoi ? De tout ça ? » Une part d'elle se demande si elle ne devrait pas craindre Calhoun finalement mais pourtant, une autre part continue de comprendre, de le comprendre ; et de ressentir une certaine affection pour lui. Parce que Clémentine l'aimait de tout son cœur ; alors elle n'a rien à craindre. Puis le corps sans vie de cette personne inconnue lui revient en mémoire. Pourquoi faut-il que ce soit des innocents qui payent l'absurdité et la violence des autres ?

ensemble dans le deuil Proposant une étreinte pour surmonter le chagrin qui les envahissait en cette journée particulière, il referma doucement ses bras autour d’elle. Un contact ferme, mais qui pourtant pouvait être brisé à tout moment au bon vouloir de Lily. Il n’était pas question pour Calhoun de lui faire peur, qu’elle ne lui échappe lui aussi : dernier vestige de sa bien-aimée. Il ne se pardonnerait pas de la voir s’éloigner elle aussi de lui. Pourtant, tout ce qu’il lui disait… Lily avait maintenant toutes les raisons pour le quitter. Et il ne lui en voudrait pas. Il avait lui-même peur de sa propre personne des fois. Calhoun n’était pas un saint, il avait des qualités et heureusement, mais en son sein vivait une personnalité beaucoup plus sombre qui a du sang sur les mains. Celui de Clémentine, mais surtout celui de cet homme qui plus jamais n’ouvrira les yeux. Calhoun n’avait qu’à fermer les siens pour revoir l’expression sans vie du père qui avait perdu son fils. La loi Talion dans toute sa splendeur. Raison pour laquelle il n’aura jamais d’enfant. Hors de questions que cela retombe sur sa progéniture. La seule personne qui aurait pu le convaincre avait été Clémentine. N’étant plus là, il pouvait définitivement ranger cette idée au placard avec le reste de ses bonnes intentions. Au fond… Est-ce que Calhoun pouvait, voulait réellement s’éloigner de cette noirceur ?

Assurément. Sans quoi, il ne serait pas là : à serrer Lily contre pour tenter de lui apporter un peu de chaleur et de réconfort. Et puis, tout bas, de peur qu’on les entend : il ne pouvait que confirmer ce que lui répétait encore et encore Clémentine quand elle parlait de sa cousine. Le Jiminy Cricket de la famille. “Nah je ne pense pas que ça n’importe quoi, Lily. C’est vrai.” Parce qu’en quelques heures, elle avait réussi à apaiser son cœur et à lui prouver qu’en effet : il y avait autre chose dans la vie que de se battre.

Calhoun ne s’attendait pas à la suite, il ne s’attendait réellement pas à ce que Lily demande plus d’information. Incapable de lui mentir, ne voulant pas lui cacher des choses : c’était le moment où jamais de répondre à toutes ses questions. Il espérait une bonne fois pour toutes, car partager ce fardeau n’avait absolument pas allégé son cœur. Au contraire, il se sentait maintenant coupable d’avoir emmené vers le bas Lily. Calhoun entreprit de la rassurer, de lui dire qu’il avait réellement fait le nécessaire pour qu’ils ne puissent pas remonter à ses proches. Cela était essentiel. Vital. Il serait le seul à payer si jamais on lui tombait dessus. Et c’était mieux ainsi. Il la laissa s’éloigner de lui. Calhoun continua de parler, remarquant le changement de comportement de Lily : il s’attendait à la voir prendre ses jambes à son cou et il ne lui en aurait pas voulu du tout.

Pour toute réponse à ses bégaiements, il se contenta d’hocher la tête. Il devait vivre avec la peine. La mort était un châtiment trop doux pour ce genre de personnes. Calhoun leva sa main, il hésita, mais il la posa quand même sur le dos de Lily. “Je ne sais pas. Ils ont commencé avec ce qu’ils ont fait. Je n’aurai jamais fait ça sinon. Je voulais raccrocher même de cet univers.” Et voilà où ça l’avait mené. “Genre dix ans de plus que moi.” Cela ne l’avait pas empêché de lui écraser le visage jusqu’à s’en faire littéralement exploser les phalanges. “C’était un combat à la loyale.” Sauf qu’il n’avait pas arrêté ses coups et tout le monde avait été choqué par son comportement si bien que personne n’était intervenu. “Je ne pense pas qu’elle serait heureuse de voir la tournure des événements. Je pense qu’elle aurait aimé que je prenne ça comme une opportunité pour partir sans faire de vague, mais je savais qu’ils ne me laisseraient jamais partir. Alors j’ai fait une pierre deux coups.” Calhoun essuya le visage de celle qu’il espérait resterait son amie. “Je pense que je l’ai déçue et quand je la rejoindrai un jour : je vais m’en prendre une.” Il sourit en coin : “Mais elle serait heureuse, je pense qu’on est gardé contact Lily. Elle aimait qu’on passe du temps ensemble.”

Les sentiments se mélangent dans la tête de la franco-américaine. Elle ne cesse de se gratter le haut de la paume, nerveuse. L'herbe dans laquelle elle perd son regard lui semble devenir de plus en plus fade. Sa vision se trouble quelque peu avant qu'une main dans son dos ne la fasse frissonner. Elle cesse alors de se gratter et repose ses yeux sur Calhoun. Leurs retrouvailles ressemblent davantage à des montagnes russes finalement. Une fois encore, Calhoun semble sans regrets. « Ils ont commencé avec ce qu'ils ont fait » Lily l'écoute, impassible. Était-ce vraiment une raison ? « Genre dix ans de plus que moi » ajoute-t-il dans le plus grand des calmes. « C'était un combat à la loyale. » Mais est-ce loyal de se battre à mort ? ne peut s'empêcher de penser Lily. Owh Clèm', qu'est-ce qui vous est arrivé ? S'imaginant l'issue du combat, Lily ne peut s'empêcher de verbaliser un juron français : « Owh mon dieu ! » Elle se prend de nouveau le visage dans ses mains, retenant toutes les émotions qu'elle peut. Quelle vie ! Quelle putain de chienne de vie !

Calhoun exprime ensuite son avis sur ce que penserait Clémentine de tout cela. Lily sort alors son visage de ses mains, empourpré par les sentiments. Ses yeux sont de nouveau humides, brillants par l'écran de larmes qui retient sa course. « Evidemment qu'elle n'aurait pas aimé tout cela, murmure Lily entre ses dents, désemparée. » Puis, doucement, Calhoun vient essuyer le visage de la brunette. Lily se fige, se tait et le regard avec ce même regard désolé dont elle n'arrive plus à se défaire. Malgré tout, Lily répond à son sourire, à sa petite blague sur l'accueil que lui réservera Clémentine dans l'au-delà. « Elle va te retourner, tu n'as pas idée mon pauvre ! » Elle rit alors, à la fois nerveuse mais aussi joyeuse de cette possibilité, de voir sa cousine bien-aimée, animée par un semblant de vie mystique.

« Mais elle serait heureuse, je pense qu’on est gardé contact Lily. Elle aimait qu’on passe du temps ensemble.  » Lily rit de nouveau. « C'est vrai qu'elle me tannait toujours pour ramener mes fesses à New-York. Qu'elle crevait d'envie de me présenter l'h.. » Elle se tait quelques secondes, le regard posé sur Calhoun, réalisant le poids des mots qu'elle pourrait dire. « L'homme de sa vie. » Elle les a dit, de manière très douce, posée, et sincère. Elle a alors un sourire doux. Alors ils étaient vraiment fait l'un pour l'autre ? Pourquoi la vie les a-t-elle séparés ainsi ? Lily demeure de longues minutes silencieuse, ne sachant quoi dire aux nouvelles précisions de Calhoun. Pourront-ils réellement passer du temps ensemble après tout ça ? Comme si de rien était ? Lily ne sait plus si elle doit être triste ou avoir peur. Pour éviter de trop y penser, elle parle alors enfin, de quelque chose de plus léger, d'un souvenir, d'elle aussi un peu : « Je t'avoue que le jour où elle m'a parlé de toi, j'avais du mal à la croire. Moi qui n'est jamais vraiment réussi à trouver des connexions amoureuses aussi puissantes, justes et évidentes. Je ne la croyais pas en fait même. Je me disais juste qu'elle était trop romantique et un peu naïve aussi, peut-être. Désolée Clèm', je t'aime quand même. Puis maintenant que j'y repense, que je me souviens comment elle te regardait, comment elle parlait de toi. Puis comment toi tu la regardais, comment tu parles d'elle. » Elle se tait, souriante et nostalgique, un peu. « J'avoue que je suis un peu obligée d'y croire maintenant. Vous avez de la chance de vous être trouvé. De vous être aimé ainsi. Chéris ce souvenir Calhoun. Je suis sûre qu'il se présentera à nouveau à ta porte. Tu le mérites en tout cas. » Un peu gênée de parler de ça, elle qui ne sait que partager des relations bancales, elle a le regard fuyant. Elle enchaine ensuite, sur un autre sujet : « Bon mais alors, comment on fait pour passer du temps ensemble, après.. après tout ça ? On fait comme si de rien était ? » Son ton est simple, sans aucune once de jugement. Elle est sincère en fait. Elle se pose réellement la question. Comment vont-ils vivre demain après tout ça ? Son sourire timide n'est alors que le témoin de son envie de le découvrir.