sweet magnolias -- Magda & Margie

Les trois derniers mois sont passés en un claquement de doigts pour Gina et pourtant elle a vécu chaque seconde plus douloureusement que la précédente. Depuis l’accident qui a causé la mort de son époux, elle s’est refermée sur elle-même, se concentrant uniquement sur ses enfants et leur douleur à eux. Trois petits êtres, plus si jeunes que ça et pourtant impactés par la brutalité de cette disparition. Elle a été la maman poule qui s’est assurée qu’ils avaient des mouchoirs avec eux, qu’ils arrivaient à parler, à exprimer ce qu’ils ressentaient. La maman ours aussi, qui n’a laissé personne s’approcher d’eux et prendre pitié de leur situation. Gina refuse la pitié, elle ne leur sert à rien. Même celle de ses collègues, qui ont été là aux moments les plus délicats, lui est insupportable. Mais après trois mois à vivre en recluse dans la maison qui semble vide sans Mike à ses côtés, elle réalise qu’il est temps de changer. La vie continue à l’extérieur, les enfants grandissent, ont besoin de retrouver une vie et elle aussi. Trois mois qu’elle n’a pas vraiment vu ses amies, ou pas assez longtemps pour avoir de vraies conversations. Elles ont compris, du moins Gina l’espère, mais ce soir elle compte bien se concentrer sur elles. Boîte de vin sous le bras, elle sonne chez Magdalena à l’heure qu’elles avaient convenu ensemble. Une inquiétude subsiste dans son cœur, elle pense à Jude qu’elle a laissé avec les grands à la maison, au regard de Ruth qui lui a fait comprendre que tout irait bien. Elle sait qu’ils ont besoin de temps juste à trois, entre frères et sœur, mais abandonner ses oisillons lui donne toujours une sensation étrange. Sensation que ses amies comprendront sans mal, elles aussi maman.

Quand la porte s’ouvre sur le sourire chaleureux de la brune, elle y répond et la prend dans ses bras - ou du moins son bras disponible - avant d’entrer dans la maison. « Hey, comment tu vas ? » Pas de question sur le timing, qu’importe si elle a quelques minutes d’avance ou de retard. Les amies ne comptent pas, surtout pas pour une soirée qui s'annonce papotage autour d’un verre. « J’ai rapporté le vin… peut-être que j’aurais dû prendre à manger aussi. » Elle a des réserves en plus, avec la quantité folle de plats préparés que ses voisins lui ont amené au fil des semaines. Et il est vrai qu’ils ont été utiles ces plats, elle avait la tête à bien d’autres choses que de se mettre aux fourneaux, mais elle commence à en avoir vraiment assez de ces recettes épicées autrement qu’à son goût. « Margie est arrivée ? Et Cloé, elle est là ? » Le regard qui tourne autour d’elle, à la recherche de l’enfant. La voir lui fera sans doute penser à ses propres enfants et à ses pincements au cœur, mais ça n’a pas d’importance, elle serait contente de la voir après tout ce temps. « Je suis vraiment contente de te voir. » Des mots sincères qui sortent avec un sourire doux, ça va lui faire du bien de décontracter avec des amies, elle le sent déjà.

L’appréhension qui réside dans les entrailles de Gina n’a rien à voir avec les deux amies qu’elle s’apprête à voir. Au contraire, l’idée de passer une soirée en compagnie de Margie et de Magda lui met du baume au cœur, mais depuis des mois maintenant, elle vit avec une peur constante. Peur que ses enfants n’aillent pas aussi bien qu’ils le lui font croire, peur de perdre quelqu’un d’autre, peur de finir par s’effondrer et de ne plus savoir comment se relever. Elle a été relativement forte depuis le décès de son époux, mais elle doit admettre qu’elle s’est un peu trop enfermée sur elle-même et sa famille. Ses deux aînés, de jeunes adultes aujourd’hui, lui ont bien fait comprendre qu’elle avait le droit de vivre sa vie et de prendre une soirée pour elle, loin du domicile familial. C’est un peu différent pour son dernier, évidemment, qui subit une première perte. Le premier deuil qu’il connaîtra et malheureusement, sans doute l’un des plus gros. Prenant une grande inspiration devant la porte d’entrée de Magdalena, Gina se promet toutefois de ne pas penser à tout cela ce soir. Elle sait que la conversation se tournera vers ses problèmes à un moment donné, mais elle veut aussi sourire, rire et profiter de la présence de deux de ses amies les plus chères. Il faut bien avouer qu’elle s’était sentie un peu vieille en les rencontrant, elle qui avait déjà des enfants plus âgés et devait se réhabituer au rythme des tout petits. Mais l’amitié de Cloé, Thomas et Jude avait aidé le rapprochement des trois mamans et aujourd’hui elle ne ressent absolument plus ces plus de dix années d’écart qui les éloignent.

Son sourire s’agrandit en entendant Magdalena lui dire qu’elle est heureuse de les recevoir chez elle. Quelques secondes à peine et la peur que les choses aient pu changer entre elles est totalement évanouie. En vérité, Gina sait à quel point elle peut compter sur cette femme-là. Elles ne se connaissaient pas encore quand Magda a perdu son mari, mais elle a vécu ce drame elle aussi, elle connaît cette perte et il a suffit à Gina de lire son message suivant l’accident pour ressentir tout le soutien qu’elle pouvait lui apporter. En entrant dans la maison, elle se débarrasse de sa petite veste, faisant comme chez elle et suit la propriétaire dans le salon. « C’est parfait, un festin pour aller avec le vin. » répond-elle d’une voix enjouée. Gina ne mange pas énormément depuis le décès de son époux, elle a d’autres choses en tête et préfère s’assurer que ses enfants mangent suffisamment pour se concentrer sur sa propre alimentation. Il ne faut donc pas compter sur elle pour vider tout ce que Magda a préparé, mais elle fera de son mieux pour goûter à tout. « Le plus beau cadeau de la terre pour Cloé ou pour Isaac ? » Elle rit un peu, consciente que les deux partis étaient sans doute enchantés à l’idée de passer une soirée ensemble. Bien qu’elle ne connaisse pas très bien l’oncle, elle a pu assister quelques fois à des interactions entre cette petite famille et l’amour qu’il avait pour sa nièce ne faisait aucun doute. En s’asseyant dans un fauteuil, elle fait part de son plaisir d’être là, ce à quoi Magda répond avec la même douceur et sincérité. Ça veut dire beaucoup et les mots, même ceux qui ne sont pas dits, vont droit au cœur de Gina. Et il faut dire que ça la touche aussi énormément que la première question se tourne vers ses enfants, eux qui sont ses trésors les plus précieux. « Ça dépend des jours. Ruth est en colère la plupart du temps, Eoghan reste doux et m’aide tellement à la maison. Et Jude… Jude a fugué de la maison dernièrement. » L’émotion est lisible sur le visage de la maman lorsqu’elle prononce ces mots. Que son petit garçon de huit ans ait ressenti le besoin de fuir pour partir à la recherche d’un papa lui brise le cœur, mais elle se raccroche au fait que cette histoire s’est bien terminée. Ca apporte du chaos dans son quotidien, et alors qu’elle s’apprête à donner plus de détails, Margie fait son entrée dans la pièce. Gina sourit à nouveau, chassant les craintes de son esprit le temps d’accueillir son amie comme il se doit. « Bien sûr que non. » répond-elle à la peur de la brune d’être en retard. Elle rit un peu en voyant la bouteille non-alcoolisée et contre-argumente en posant la main sur le cubi de vin qu’elle a ramené. « T’en fais pas, c’est ma première sortie depuis des mois, j’ai pris ce qu’il faut. On ne finira pas ça à trois ce soir. » dit-elle en continuant de rire un peu. Vraiment, elle n’imaginait pas que retrouver ses amies lui ferait autant de bien et elle regrette un peu de ne pas l’avoir fait plus tôt. Évidemment, elle ne se doute pas que le vin non-alcoolisé est une excuse et qu’il cache en vérité une grande nouvelle pour Margie. « Merci pour cette soirée les filles. » Des mots qui auraient pu attendre la fin de la soirée, mais elle préfère les dire tout de suite, pour marquer la gratitude qu’elle ressent déjà. « Quelques règles pour commencer : on ne va pas parler de moi toute la soirée. Je veux savoir ce qui se passe pour vous aussi, d’accord ? » Le sourire de Gina est vif et lumineux, peut-être un peu forcé, mais tout de même bien sincère. Elle prendra tout le soutien qu’elles acceptent de lui donner, tout leur amour et répondra aux questions, s’épanchera un peu sur ses peines. Mais ce n’est pas une amitié à sens unique, et elle veut être là pour elles aussi.