meet the demons inside -- Lenaig

Mardi 14 juin

Il l’avait senti avant même d’ouvrir les yeux. L’angoisse écrasait sa poitrine en pesant sur chacun de ses organes vitaux. Sa respiration était bloquée et maintenant que la pensée s’était insinuée dans son esprit, il avait perdu tout espoir de se rendormir et d’oublier. Tout ce qu’Isaac pouvait se forcer à faire, était inspirer profondément, le plus profondément possible, jusqu’à ce que ses poumons fassent mal. Dans l’espoir peut-être de calmer les battements de son cœur, la tension de son corps et se rappeler qu’il était là, bien vivant. Les yeux toujours clos, il chercha la présence d’Aoden à ses côtés, quelque part entre les draps, mais le lit était vide. La fraîcheur du matelas prouvait que son homme s’en était allé de longues minutes plus tôt, qu’il avait sans doute déjà quitté le manoir. Et c’est cette pensée qui fit monter les larmes aux yeux d’Isaac, pour la première fois de la journée. Les pleurs inondèrent l’oreiller d’Aoden qu’il serrait contre son corps, il se laissait aller, espérant que tout le chagrin sorte maintenant, pour qu’il n’ait plus à vivre avec. Au moins pour aujourd’hui. Et dans ses tourments, Isaac sombra finalement à nouveau.

En s’éveillant la deuxième fois, il se lève du lit aussi rapidement que son corps le lui permet, pour ne pas risquer une seconde crise de larmes. Pantoufles aux pieds, il descend jusqu’à la cuisine. Bol d’avoine et fruits frais, tasse de café. Il n’en consomme même pas la moitié, tant son estomac est noué et sa gorge sèche. La solitude qu’il rencontre au manoir lui fait finalement du bien, il sait d’avance qu’il ne saurait pas comment agir face à l’un de ses habitants. Aoden voudrait qu’il pose des mots sur ce qu’il ressent, chose dont il est incapable aujourd’hui. Face à Lenaig il se sentirait obligé de tout cacher, mais risquerait de la blesser en souhaitant l’éviter. Et Heaven est encore un parfait inconnu qu’il n’a jamais rencontré, et aujourd’hui n’est certainement pas le jour pour les présentations. Seule Faith ne dirait sans doute rien, le laisserait se noyer dans ses idées noires sans le questionner dessus. Mais il semblerait qu’Isaac soit seul ce matin, il ne le questionne pas. Il ne se force ni à sourire, ni à finir son petit déjeuner. C’est sans doute une mauvaise idée, vu le planning qui l’attend aujourd’hui, mais il sait d’avance qu’il n’aura pas faim jusqu’au lendemain. Ni quand il ira au cimetière, ni quand il verra ses parents, ni même s’il passe un moment avec Luxana et Cloé. Rien ne pourra le satisfaire aujourd’hui, rien d’humain en tout cas.

Il remonte vers la salle de bain qu’il occupe avec Aoden, et entre de manière mécanique, sans réfléchir. Ce n’est qu’une salle de bain, il n’y a aucun danger, si ce n’est pour lui le miroir qui habille le mur. Dans son appartement, Isaac avait des rituels bien établis, des techniques pour ne pas voir son reflet, pour suspendre une serviette au-dessus du miroir. Parfois il sortait complètement décoiffé et débraillé, mais au moins il respirait. Le manoir n’est pas encore tout à fait familier comme environnement, et il se fait piéger trop facilement. Il commence par baisser les yeux, ne pas affronter le regard qui l’observe avec insistance, qui juge son teint blafard et ses yeux rougis. A nouveau sa poitrine se serre, mais il se force à respirer, à se concentrer. Peu à peu les yeux se relèvent, achevant la raison. Il toise dans le miroir un homme qui lui ressemble, sans être lui. Tout part trop vite, l’espace autour de lui, l’air dans ses poumons. Isaac ne respire plus, ne sait plus comment faire. De l’autre côté de la glace, le reflet bouge sans que son corps ne suive, il se décompose, sourit. Des airs cruels se mélangent aux sourires qui vivent encore dans ses souvenirs. Certaines expressions prennent forme en donnant des reflets bien sombres à Casey. Des airs de fantômes qu’il ne devrait pas avoir. Les mains d’Isaac se retiennent au bord du lavabo, il s’oblige à faire du bruit, à tenter de reprendre un souffle qui ne pénètre jamais entièrement ses organes. Il n’y arrive pas, les larmes coulent, la tête tourne, et finalement il baisse la tête, tout en imaginant que le visage de son frère n’a pas bougé.

Le couteau, couvert de sang, s’approche d’elle. De son visage cette fois-ci et Lena ressent la paralysie, la même qui l’avait immobilisée la dernière fois. Elle sent les larmes monter et, dans un sursaut de rage, elle frappe. Sa main ne rencontre que du vide. D’ailleurs elle ne voit plus rien. Que se passe-t-il ? Où est-elle ?

C’est à cet instant, le souffle court, qu’elle se réveille. Ce n’était qu’un rêve. Elle pose une paume contre son coeur et le force à se calmer en respirant doucement. Comme Faith le lui a appris. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas fait un cauchemar de la sorte. Elle se lève sans réfléchir, elle a besoin de réconfort elle sait qui chercher. Celui qui a été son pilier, celui sur qui elle s’est reposé pendant ces quatre jours d’horreur, celui a qui elle a envoyé bien trop de textos débiles par la suite, car elle se sent totalement en confiance en sa présence… Bref Isaac.

Elle aime Aoden, de tout son coeur, mais ces cauchemars là… elle soupire pour chasser la culpabilité qui l’assaille et traverse le couloir. Elle n’a aucune idée de l’heure, mais il fait totalement jour, c’est raisonnable d’aller les déranger. Puis s’ils ne répondent pas quand elle toque, elle repartira et enverra un texto. Mais à quoi bon vivre dans la même maison si on ne peut pas déranger les autres directement ? Tant qu’elle ne croise pas Heaven nu, tout ira bien. Elle sourit à cette pensée et son humeur remonte en flèche. Une fois devant la porte, elle hésite un peu, mais cette dernière s’ouvre dès qu’elle pose la main dessus pour toquer. Etrange. Elle passe la tête, personne. Bon. Tant pis. Elle commence à partir, quand elle se rappelle qu’elle n’a plus de coton-tige. Allez, ce n’est qu’un minuscule vol que personne ne remarquera jamais. Elle ira même en remettre une fois qu’elle en aura racheté. Elle avance dans la pièce discrètement avant de pousser la porte de la salle de bain.

« Oh Isaac » souffle-t-elle de surprise, un peu deg de ne pas avoir songé que quelqu'un pouvait se trouver là « Je te cherchais » commence-t-elle un peu trop vite avant de se mordre la lèvre « Enfin au début, mais après je venais piquer des coton-tiges » C’est là qu’elle remarque enfin sa position et le fait qu’il n’a pas encore ouvert la bouche. « Attends, mais ça va ? » s’inquiète-t-elle avant de se traiter de cruche. Elle se met à sa hauteur, mais sans le toucher au cas où il ne veuille pas le moindre contact. « Non, clairement, ça ne va pas. Je peux faire quelque chose ? » Elle est sincère Lena, elle veut l’aider. Lui remonter le moral comme il l’a soutenue. Elle se fiche qu’il ait ses propres démons ou qu’il ne soit pas l’homme parfait qu’elle lui rappelle en texto souvent. Il est humain, comme tout le monde, mais il est parfait pour elle et ça, rien n’y changera jamais. « Hey, j’suis là. » souffle-t-elle doucement pour lui faire comprendre qu’elle ne partira pas, quoiqu’il dise.

Tourmenté par un fantôme plus cruel qu’il ne l’a jamais été dans la vie réelle, Isaac ne sait plus quoi faire. Chaque jour peut devenir une nouvelle torture, un jeu mesquin que son esprit joue avec lui-même. Il est le seul à pouvoir se sortir de là pourtant, le seul suffisamment idiot pour rester enfermé dans les pièges  de ses pensées, mais la porte de sortie ne lui apparaît pas. Aoden en est devenue une, une porte robuste, fiable, qui le protège sans même s’en rendre compte des dangers de son cœur, mais ce n’est pas toujours assez. Parce que parfois Isaac n’en parle pas, parfois il s’enfonce comme il le faisait avant, sans voir qu’il y a diverses mains tendues pour l’aider. Et d’autres fois, plus rares, l’homme de sa vie n’est simplement pas assez pour contrer les horreurs qu’il ressasse intérieurement. Ce matin Isaac est seul dans cette salle de bain, seul au milieu de rien. Une sensation que la pièce se vide tout en se rétrécissant et bien qu’il ne regarde plus dans le miroir, il pourrait jurer voir encore la forme bouger. Combien de fois a-t-il eu ce problème auparavant ? Se retrouver paralysé, incapable de respirer ou de penser à quoi que ce soit d’autre, parce qu’il n’avait pas été assez prudent ? Il pourrait se battre lui-même de sa bêtise, s’il pouvait penser à autre chose que sa panique. Mais il n’y a rien d’autre qui passe, ni les sons, ni la vue, ni les idées. Les yeux dans le vide, la tête penchée vers le bas, il se maintient au lavabo pour ne pas chuter, mais ses jambes sont faibles et menacent de flancher. Il n’entend pas les coups sur la porte, si les bruits de pas qui s’approchent. Lorsque Lenaig commence à parler, sa voix lui semble lointaine, hors d’atteinte. Ce n’est qu’un son approximatif, elle ne forme aucun mot qui fait sens, mais au moins il reconnaît que c’est elle. Il la sent s’approcher, aperçoit ses chaussons entrer dans son champ de vision, la voix s'éclaircit un peu. En canalisant toutes ses forces, Isaac secoue la tête en un signe négatif, avant de laisser un sanglot secouer son torse. Lenaig ne peut rien faire, malgré sa douceur, sa bienveillance et toute la bonne volonté qu’il sait qu’elle a. Il est trop perdu dans sa propre folie en cet instant et ne sait pas comment la laisser entrer. A son effroi se mêle alors une culpabilité, de ne pas être là pour Lenaig si elle a besoin, de ne pas être la hauteur de ce qu’elle pense de lui, d’être faible. Mais elle reste, ne bouge pas et Isaac s’oblige à fermer les yeux cette fois, peut-être pour stopper les larmes, peut-être pour aider sa respiration toujours décousue. Tout est douloureux, mais dans un effort il prononce un seul mot. « Serviette. » La voix est faible, tremblante, et étrangement lointaine elle aussi. Isaac n’a même pas l’impression qu’il s’agit de la sienne, et peut-être est-ce cela qui lui donne l’envie de réessayer. « Sur le miroir. » Ces mots-là sont prononcés de la même manière et sont suivis d’un soupir qui fait perdre à Isaac le peu d’air qu’il avait encore en lui. Il plie ses genoux, s'accroupissant en étant toujours accroché au lavabo au-dessus de lui. Son corps entier se met à frémir, mais il n’y a rien qu’il ne puisse faire d’autre.

Lena est désemparée. Elle n'avait jamais vu Isaac comme ça, elle n'a jamais vu personne dans cet état-là, c'est elle que Faith était venue sortir de ce cauchemar. Lenaïg ne sait pas comment faire sortir les autres. Pourtant elle reste. Car c'est la seule chose qui lui a fait du bien quand elle était au plus mal. Elle a bien conscience que tout le monde ne réagit pas de la même manière, que certains veulent absolument être seul, mais elle ne posera pas la moindre question, elle ne sera pas dérangeante, elle va juste être là. S'il en a besoin, il n'aura qu'à tendre la main.

D'ailleurs, s'il n'a pas répondu à son charabia - parler pour ne rien dire, c'est typique de la gamine - il prononce deux autres mots. Lena s'empresse d'obéir et de lui offrir ce qu'il demande. Une serviette. Elle se met sur la pointe des pieds - bon sang qu'ils sont grand Aoden et Isaac et qu'elle est petite ! - et attrape l'objet demandé : la serviette accrochée au dessus du miroir. Elle lui tend délicatement. « Voilà la serviette, tu veux un peu d'eau ? Ou un massage des pieds ? Ou » Putain, un massage des pieds ? C'est vraiment la première chose qui lui est venu en tête ? Elle est complètement débile ou bien ? Lena se mord la lèvre, incapable de savoir quoi dire, quoi faire.

Elle attend juste la réponse d'Isaac, espérant qu'elle apportera plus de bien que de mal, espérant qu'elle puisse être une aide comme elle s'est appuyé sur lui. Aujourd'hui Lena va bien, elle est heureuse, amoureuse, elle a des voyages prévus pour l'été, bref, elle est vraiment heureuse. Alors elle est prête à prendre ce qui blesse Isaac. Pas un seul instant elle ne songe que c'est sa relation avec Aoden, ça doit être autre chose, c'est impossible sinon ! Mais elle ne sait pas quoi, ni comment demander. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle va rester là. « Je peux rester là, à côté de toi ? » demande-t-elle doucement. Elle ne veut pas qu'il ait peur de sa voix ou qu'il replonge dans le gouffre qui l'attire.

Les muscles tremblent, la vision est floue. La présence de Lenaig à ses côtés est à la fois rassurante et complètement distante, Isaac n’a aucune idée d’où est la réalité. Il ne pensait pas qu’elle la verrait ainsi un jour, ce n’est pas ce qu’il souhaitait pour leur relation, mais en toute honnêteté ce n’est pas ce qu’il souhaitait tout cours. Il donnerait beaucoup pour se séparer de ses angoisses. Pour les chasser et ne plus jamais ressentir cette panique, et pourtant une partie de lui y est attaché. Une partie de lui sait pourquoi il continue de souffrir, de se faire mal à lui-même. Isaac s’accroche, garde cette douleur contre son cœur dans l’espoir que ça le maintienne proche de son frère. Illusion douloureuse. En pleine crise d’angoisse, là maintenant, il ferait tout pour que cela s’arrête. Pourtant les poumons ne se remplissent pas, il continue à lutter pour faire entrer un minimum d’oxygène dans ses poumons et laisse les larmes couler le long de ses joues. Deux mots sortent de ses lèvres, deux mots qui ne sont pas assez. Évidemment qu’elle ne comprend pas. Lenaig fait l’inverse de ce qu’il lui demandait, mais il ne peut pas lui en vouloir. Comment pourrait-il ? Elle se retrouve coincée dans une situation qu’elle ne mérite pas, qu’elle ne connaît pas. Lorsqu’elle lui tend la serviette, il ferme les yeux, secoue la tête abruptement, laisse un gémissement lui échapper. « Mets. La. Dessus. » Chaque mot est une épreuve en soi, mais il arrive tout de même à les dégager de sa mâchoire. Le reste, l’eau, le massage, les paroles rassurantes, il n’en veut pas.

Finalement il s'accroupit pour cacher la vision du miroir dévoilé. Au moins ainsi il ne voit plus son démon. Il prend son temps, laisse la jeune femme à ses côtés, incapable de lui répondre ou de prendre soin d’elle comme il l’aimerait. Oh il voudrait la rassurer, lui dire que tout va bien. Il aimerait lui permettre de retourner à ses propres occupations, qu’elle ne s’en fasse pas pour lui, mais c’est bien trop tard pour cela maintenant. Lenaig est embarquée dans cette situation, elle souhaite rester qui plus est et il n’a pas la force de la chasser. Pas l’envie non plus. Parce que malgré tout, elle forme un petit rayon de soleil. A elle toute seule, juste en étant là. Il hoche la tête, ne fait rien d’autre pendant un moment, puis lâche sa prise sur le lavabo. Doucement il s’assoit sur le sol, le dos collé au mur, les mains posées à plat sur le sol. Il tente de sentir les éléments autour de lui. Le carrelage. Le froid. Le tissu du tapis. La douceur. Peu à peu la respiration se fait plus profonde, plus régulière. Les larmes sont toujours là, le traversant par sanglots qui eux sont irréguliers, mais peu à peu Isaac reprend constance. Il ramène ses genoux contre lui, penche la tête entre eux, ferme les yeux. Il lui faut encore plusieurs minutes pour se sentir à nouveau sur le sol, dans cette salle de bain. Le bourdonnement dans ses oreilles s’est arrêté, tout comme le picotement au bout de ses doigts. « Je suis désolé que tu aies vu ça. » Il chuchote, le visage encore penché vers le sol, coincé entre ses genoux. Il sait qu’il n’a pas à s’excuser et pourtant il y tient, parce qu’il sait que Lena a bien d’autres choses à faire que de gérer ses crises. « Je veux bien de l’eau. S’il te plaît. » Cette fois il relève les yeux, espère que l’offre tient toujours. D’un mouvement lent, il essuie les larmes sur son visage, se frotte les yeux, puis les cheveux, la gorge. Il s’assure qu’il est toujours là sans doute, en un seul morceau. Vivant. « Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu voulais Lena ? » La force n’est pas là, il n’a pas le courage pour parler, écouter, conseiller. Pourtant il veut être là, capable de tout ça. Pour elle.

Quand elle tend la serviette, elle comprend qu’elle n’a pas agit comme il le fallait, mais sans saisir ce qu’il attendait d’elle. C’est à l’instant où il se penche qu’elle comprend enfin. Il veut se couper du monde, ne plus exister juste pour quelques instants. Ne plus se voir peut être aussi. Lena est perdue et elle s’en veut. Elle voudrait être capable de bien réagir, de faire la bonne chose ; celle dont Isaac a besoin. Peut être c’est d’espace ? Avec un temps de retard, elle lui pose la serviette dessus, autour de lui, pour qu’il puisse s’y cacher. Et une larme coule le long de sa joue.

Elle déteste voir son deuxième père comme ça, lui qui a toujours montré sa force et son courage… elle comprend qu’il a pris sur lui, pour elle, plus d’une fois et elle s’en veut. Dans une famille, on est soi-même, non ? Elle ne veut plus de mensonges, de faux-semblant, Lena veut juste qu’ils puissent se soutenir, parce qu’Isaac ne mérite pas de faire face seul à ses démons.

Doucement, Lena se force à respirer calmement, le souffle l’a beaucoup aidé quand elle n’allait pas bien. Se concentrer sur chaque respiration et oublier le monde qui l’entoure. Ne sentir que le moment présent, le sol et son corps, rien de plus. Elle espère que ça peut l’aider, qu’il se calera sur son rythme. Ou qu’au moins, ça le soulera pas trop. Elle ne parle plus, Lena, elle attend. Mais ça ne lui pèse pas, elle sait attendre. Elle reste silencieuse, à côté de lui, patiente.

Enfin, il relève la tête et elle sourit, timidement. Quand il s’excuse, elle écarquille les yeux. « Tu te moques de moi là j’espère ? C’est moi qui suis désolée que tu aies du vivre ça. » souffle-t-elle en levant les yeux au ciel. Franchement, quel abus de sa part ! S’excuser de faire des crises d’angoisses, comme si c’était de sa faute. Elle s’approche du lavabo, remplit un verre et lui tend, avec délicatesse. Maintenant qu’elle a rempli sa tâche, elle ne sait plus trop quoi faire. Elle voudrait poser des questions pour lui permettre de s’ouvrir, mais elle a peur que ce ne soit pas le bon moment, ni le lieu et que ce soit trop tôt surtout. Alors elle sourit juste et s’assied à côté de lui.

« Oh euh » elle rougit. « J’ai vraiment rien à faire là, je voulais vous piquer des cotons-tiges et c’est honteux de venir me servir ici, je sais, j’aurai pas dû. » Elle se mord l’intérieur de la joue en rougissant un peu. « Mais je suis contente de l’avoir fait, parce que t’es ma famille Isaac, t’as pas a traverser les choses tout seul. » Ces mots-là, elle y a eu droit il y a quelques temps, quelques mots, quand c’était elle qui n’allait pas bien. Elle sourit à nouveau, timidement. « T’as été le roc sur lequel je me suis appuyé, t’as été la personne qui m’a permis d’aller voir Ao et de lui pardonner, t’as été l’homme le plus important de ma vie, celui sur lequel je pouvais compter toujours, tout le temps. » Déclaration d’amour gratuite, mais il a besoin de l’entendre. Puis elle reprend son souffle. « Et si ça t’a foutu une pression énorme, j’en suis désolée, c’était pas le but. Moi c’que j’veux c’est qu’on s’soutiennent les uns les autres, j’ai confiance en toi, une confiance infinie, pareil pour Papa maintenant, mais Isaac, t’as pas à te montrer fort pour une illusion, j’suis majeure, adulte et je peux porter mon poids aussi. » Elle souffle, doucement, sentant son coeur se serrer. Elle se sent gauche, maladroite. « T’es jamais obligé de parler, mais si t’as envie, j’suis là. Genre, vraiment là. » Elle a envie de poser sa tête sur l’épaule d’Isaac ou de lui tenir la main, mais elle n’ose pas le toucher, au cas où ça lui déclenche encore une crise. Elle ne connait pas l’élément déclencheur.

La pièce tourne toujours, donnant l’impression qu’elle ne s’arrêtera jamais. Isaac ne sait plus quoi faire, quoi dire, comment agir. Il n’a plus la force de faire quoi que ce soit. Ni un geste, ni un mot. Il n’y a plus rien qui fonctionne, son corps entier tremble et fourmille comme si un millier d’épingles étaient en lui, mais pour Lenaig il s’oblige à forcer. Il force quelques paroles puisqu’elle les lui demande, et qu’elle semble décider à rester là. La partie encore consciente de son cerveau regrette qu’elle ait à voir ça. Il s’en veut de lui infliger cette scène et de s’appuyer sur elle de cette manière-là. Ce n’est pas ainsi que sont censés agir les parents. Ce n’est pas comme ça qu’il voulait s’ouvrir à elle. Mais s’il arrive parfois à trouver de quoi se calmer et mettre de côté ses peines, là c’en est trop pour lui. Il ne peut lutter contre la crise, simplement attendre qu’elle finisse par passer. Et petit à petit, ça passe.

Lenaig ne comprend peut-être pas ce qu’il demande et ce dont il a besoin, personne ne le pourrait sans doute tant son mal vient d’un endroit étrange. Mais elle l’aide tout de même, par sa présence rassurante et sa respiration profonde et régulière. Isaac l’entend, puis se cale dessus. Une inspiration à la fois. Il se concentre sur le bruit, l’écoute, avant de compter intérieurement les inspirations, les expirations. Les chiffres lui permettent de ne plus penser à rien d’autre. Oublier le reflet de son frère dans la glace, oublier la douleur, la peur, la culpabilité. Celle-ci est encore un peu là, meilleure amie d’un homme qui n’arrive pas à s’en défaire. Et lorsque finalement il sent qu’il est à nouveau à peu près lui-même, les premiers mots qui sortent sont des excuses. Ce qui n’a rien de surprenant, mais la remontrance de la jeune femme l’ébranle plus qu’il ne l’aurait cru. Il sait que c’est idiot. Si la situation était inversée, il ne la laisserait pas s’excuser pour cela non plus, pourtant lui le fait. Il ne relève pas, demande plutôt un verre d’eau pour passer à autre chose et hydrater ce corps qui a perdu trop de larmes. Il s'assoit, essuie ses larmes et reprend possession de son corps et de la réalité. « Merci. » Pour l’eau, pour sa présence, pour ses mots. Une petite gorgée, puis deux. Il y va doucement pour ne pas risquer de s’étrangler, ses mains tremblent encore légèrement et il peut sentir que son organisme n’est pas totalement remis. Mais il va mieux.

« Bien sûr que si tu peux te servir. Cotons-tiges, shampooing, serviettes de toilette… tout ce que tu veux Lena, tu es chez toi. » Il lui lance un léger sourire, aussi grand qu’il est capable de le faire - ce qui est beaucoup moins que d’ordinaire. Il aimerait faire plus, mais pour l’heure il ne peut pas. Pas quand elle renchérit en lui disant toutes les choses qu’il a désespérément besoin d’entendre, mais qui ne fait que renforcer le mal-être qui sommeille en lui. Machinalement il secoue la tête quand elle se blâme à demi-mots pour ce qui vient de se passer et une fois qu’elle a tout dit, qu’elle lui a montré à quel point elle était là, il tend la main pour se saisir de la sienne. La douceur de sa peau lui fait du bien et lui rappelle qu’il n’est pas seul au monde. Il a une famille, Lena en fait partie. « Tu n’y es pour rien. Je ne veux pas que tu penses être responsable d’une quelconque pression, parce que c’est faux. Tu n’es que du bon Lenaig. Que du bon. » Étonnement, les mots sortent avec une réelle détermination de la bouche d’Isaac, il arrive à être ferme et doux à la fois. Mais son sourire, lui, est empreint d’une tristesse dont il ne sait se détacher. « Je fais des crises comme ça depuis des années. Avant de rencontrer ton père, ou toi. Et j’en ferai sans doute encore pendant un moment. Mais vous avoir dans ma vie tous les deux, ça m’aide déjà d’une façon que tu n’imagines même pas. » Il ne saurait dire à quel point les crises ont diminué depuis qu’il a rencontré Aoden, mais c’est bel et bien le cas. L’avoir dans son quotidien a tout changé, et Lenaig n’est qu’un immense rayon de soleil en plus. « J’ai du mal à partager ma peine. Je… d’une certaine manière j’en ai besoin, pour ne pas oublier les erreurs que j’ai faites. Mais je n’oublierais pas ta proposition Lena. Tu es merveilleuse. » Et le sourire s’agrandit tandis que les larmes coulent de plus belle. Sa main serre celle de la jeune femme, avant de se détacher pour faire un signe, demandant à ce qu’elle se rapproche pour qu’il la prenne dans ses bras, si elle l’accepte.

Lentement, Isaac relève la tête puis boit à petite gorgée et Lena se sent soulagée. Le pire de la crise de panique semble passé, elle n'a pas l'impression d'avoir fait grand chose à part dire la vérité qui lui réchauffe le coeur, mais si ça a suffit, c'est la meilleure chose qui soit. Elle est prête à rester là, en silence, à côté de son père adoptif jusqu'à ce qu'il lui dise de s'en aller, Lena - qui est plutôt très bavarde - ne ressent plus le besoin de parler maintenant. Elle attend, patiemment. Pourtant, à sa grande surprise, c'est Isaac qui prend la parole avant de lui attraper la main.

Leur paume serrées fait passer un message encore plus fort, ce lien qui n'existait pas il y a quelques années, prend maintenant une des places les plus importantes dans la vie de la demoiselle. La chaleur des mains d'Isaac confirme ce qu'elle sait : ils seront liés à jamais, quoiqu'il arrive dans le futur. Elle sourit, un sourire bien trop éclatant pour l'étrangeté du moment, mais elle ne peut s'y empêcher. Pourtant, les mots d'Isaac sont si doux que son coeur déborde à nouveau. « Tu n’es que du bon Lenaig. Que du bon. » Elle a envie de pleurer tellement elle est touchée par la puissance de la voix d'Isaac. Puis par ses larmes.

Lena pleure facilement et beaucoup, elle ressent dans ses larmes une force qui lui fait du bien. Elle rejette sa douleur, sa tristesse et même sa joie parfois par ce biais. Mais les voir dévaler les joues d'Isaac ça lui fait quelque chose. Est-ce qu'il ressent ça quand je pleure ? Lena pose sa tête contre l'épaule d'Isaac pour accentuer le lien et, bien malgré elle, elle pleure avec lui. Il n'a rien dévoilé sur le sujet, mais elle comprend que c'est hyper fort et personnel. Elle l'accepte, elle ne peut rien faire d'autre. « T'sais, la culpabilité ça empêche d'avancer. » murmure-t-elle quand il se tait. Elle tient cette phrase d'une amie particulière à ses yeux, Faith, qui a été une pilier dans sa vie avant de voguer vers de nouveaux horizons. Sur le coup, elle avait eu envie de lui envoyer un coussin dans la figure, mais maintenant, face à la détresse d'Isaac, Lena veut lui donner ce conseil. Il le sait sûrement et ça ne risque pas forcément de lui plaire, mais bon... que peut-elle dire de plus ? « Mais je suis contente qu'on t'aide à aller mieux, tu mérites tellement. » Il continue de vouloir réduire les compliments qu'elle lui offre, par texto souvent il trouve une manière des les contourner, mais Lena s'en fiche, elle lui répétera jusqu'à ce qu'il le croit. « Tu l'oublies pas, c'est tout ce qui compte. » souffle-t-elle, la tête toujours posée sur l'épaule de son père, les joues enfin sèches mais dont on devine le dessin des larmes et la main dans celle d'Isaac. Elle inspire profondément en fermant les yeux. « Tu sais j'savais pas qu'on pouvait autant aimer quelqu'un avant d'arriver à NoLa, j'avais pas compris ce que c'était l'amour familial, c'est ouf ce truc quand même. » Elle n'a pas besoin de développer, il doit bien comprendre de quoi elle parle. Il doit saisir ce lien indéfinissable avant de l'avoir vécu. Et malheureusement, toutes les familles ne le vivent pas, c'est sûrement ça le plus injuste.

Isaac ne se décharge pas, ne dit rien de ce qu’il ressent, de ce qui l’attaque ou de ce qu’il vient de se passer. Lenaig n’a pas besoin d’être submergée par les démons de son passé à lui, et peut-être qu’elle apprendra tout cela un jour, qu’elle verra les aspects plus sombres de ce second père qu’elle value un peu trop, mais pas aujourd’hui. Il n’a pas totalement la force d’en parler et préfère se concentrer sur la présence de la jeune femme à ses côtés. Elle lui fait du bien, plus qu’il ne le pensait possible en était simplement là. Mais c’est le cas, elle si lumineuse, si douce. Elle n’a pas compris toutes les demandes qu’il lui a faites, certains gestes ont été maladroits, le seront sans doute encore, mais elle essaye, elle s’inquiète, et d’une certaine manière ça lui fait du bien, à lui, de voir qu’il peut compter sur elle. Il le savait déjà, évidemment, mais quelque chose d’un peu différent se produit lorsqu’on reçoit du soutien dans les pires moments. Assis côte à côte dans la salle de bain, les mains liées et la tête de Lenaig sur l’épaule d’Isaac, ils pleurent tous les deux. Si Aoden entrait maintenant, il ne comprendrait sans doute pas ce qu’il se passe et s’inquièterait pour eux, mais finalement le moment n’est pas si dramatique. Il y a une certaine beauté dans leur communion, même si les mots de Lenaig froissent un peu le cœur de l’homme. Il sait que la culpabilité est un fardeau inutile, qu’il devrait le laisser s’envoler, mais il a ce besoin illusoire de souffrir pour se rappeler de son frère. Comme s’il risquait de l’oublier au moment où il accepterait de se pardonner. « Je sais. Mais elle fait partie de moi. » Isaac a toujours cru qu’il avait en lui une partie de l’âme de Casey, et que Casey avait en lui une part de son âme. C’est ce qui créait leur entente, faisait qu’ils se comprenaient en un regard. A la mort de son frère, la part qui était de lui a été remplacée par la culpabilité et le deuil, tandis que la partie de lui dans l’autre corps est morte le même jour. Un destin bien sombre, dont il ne peut pas se détacher et pourtant il se sent avancer, peu à peu. Grâce à eux. Lena continue de lui dire des mots encourageants, de lui proposer d’être là, de lui parler et ça le touche Isaac, plus qu’il ne peut l’exprimer ouvertement. Et puis son coeur souffre à l’entendre dire qu’elle découvre l’amour familial avec eux, il aimerait tellement la choyer de tendresse cette jeune femme, lui donner des années et des années de bien-être pour effacer les malheurs qu’elle a vécu. « Je suis honoré de faire partie de ta famille Lena et de pouvoir te montrer ça. La famille, c’est… on ne la choisit pas évidemment, c’est un hasard qui peut être heureux ou malheureux. Mais lorsqu’on a de la chance, c’est le trésor le plus précieux qui soit. Et toi tu viens rendre mon trésor à moi encore plus brillant qu’avant. » Il n’a jamais été à plaindre dans ce domaine-là Isaac, ayant été adopté dès la naissance par les meilleurs parents dont il aurait pu rêver. Il a eu son frère, puis sa belle-soeur et aujourd’hui sa nièce, des personnes pour qui il remuerait ciel et terre afin de les voir heureux. Aoden, Lenaig et Heaven dont aujourd’hui partie de cette famille-là, pas totalement affiliée aux Evans, mais à part entière dans son cœur. « Dis, Lena, tu aurais envie de gaufres ? » Le sujet change complètement, mais il se redresse un peu et la regarde avec un léger sourire. Il a besoin de bouger, de se lever du sol de cette salle de bain et de mettre en action son corps engourdi. Ils peuvent sans doute deviner tous les deux ce qu’il se passera si elle dit oui : il fera les gaufres en discutant avec elle, grignotera une moitié d’une seulement et en fera toute une pile pour celle qu’il considère comme sa fille. Un comportement de papa.

Quel que soient les mots de Lena, la gamine sent bien que ça n'apaisera pas toute la peine d'Isaac. Le mal qui le ronge semble trop profond, il n'arrive même pas à en parler et Lena ne compte absolument pas insister. Ce n'est pas son rôle, la seule chose qu'elle puisse faire, c'est être là. Et ça, elle compte bien l'appliquer jusqu'au bout. Elle ne lui lâchera jamais la grappe.

Les mots d'Isaac lui montre combien ils sont dans le même état d'esprit. Ils sont une famille, pas vraiment choisie et absolument pas subie. Le lien qui s'est créé peu à peu est maintenant plus important que tout pour Lena. Et, à l'instar d'Aoen, ils sont tous un peu maladroit dans leurs sentiments, les déclarations d'amour qu'ils s'offrent, c'est la plus belle chose du monde. Lena savoure chaque parole, des larmes glissant sur le coin de ses yeux. Elle est émue, sincèrement émue.

« Dis, Lena, tu aurais envie de gaufres ? » Elle éclate de rire. Il a su faire retomber la tension en une seconde. « Tu m'connais, j'peux pas dire non à des gaufres. » Lena sourit, elle se redresse la première et lui tend la main, parce qu'elle est comme ça, toujours pleine d'entrain, mais qu'elle ne veut absolument pas lâcher Isaac. Elle ne dit rien de plus, comprenant que le sujet précédent est terminé, il y reviendra peut être un jour. La seule chose que Lena puisse faire, c'est noter la date, peut être est-ce en lien avec aujourd'hui et elle se promet d'être vigilante dans le futur.

Assise sur un des tabourets haut de la cuisine, Lena regarde Isaac cuisiner. Elle apprend, peu à peu, avec l'aide de Lemony, mais elle n'est pas tout a fait ce qu'on pourrait appeler une bonne cuisto, alors elle préfère regarder les gestes d'Isaac et poser des questions en rongeant sa faim. « Comment t'as appris à cuisiner ? » demande-t-elle soudainement, se rendant compte qu'il y a plein de choses qu'elle ignore sur Isaac. « Et quel est le plat que tu préfères le plus cuisiner et, s'il est différent manger ? Non parce que ça peut ne pas être le même. Moi j'adoooore les lasagnes, mais jamais je cuisine un truc qui me prend 24h rien que pour faire la sauce ! » Elle sourit, espérant que le sujet simple le mettra de bonne humeur. « Han et tu saurais pas fait des sushis ? J'suis sûre que t'es capable, ça s'rait trop bien d'avoir des sushis maison. » Lena est certaine qu'Aoden pourrait engager un chef japonais pour faire des sushis maisons... au manoir, mais ce n'est pas ce qu'elle veut. Même si ça serait sûrement extraordinaire comme expérience.