AYLA › chinese satellite

(one) ayla, prénom hébreu pour cercle de lumière autour du soleil. après ce qui semblait être des siècles à tenter de concevoir, la gamine n'aurait pas mieux mérité son prénom – sa sœur cadette, elle, hérite du plus classique mais pas moins joli deborah, et le duo de gamines contribue au bonheur des parents. jusqu'au divorce, jusqu'à la séparation en larmes et en assiettes jetées contre le mur, jusqu'aux services sociaux qui se pointent pour récupérer les gamines. ça ne dure pas, et ayla est quasi convaincue que sa cadette ne se souvient de rien, mais elle sait que c'est là, que tout a commencé à se briser. (two) retour à la demeure familiale, qui se démultiplie à la suite du divorce : deborah reste exclusivement avec sa mère tandis que l'aînée alterne entre les deux parents. même à distance, ayla se constitue comme parent unique pour sa cadette déchirée, jusqu'à ce que les liens se desserrent encore plus, que deborah atteigne l'adolescence et blâme tout sur leur père. les deux gamines s'écharpent et s'éloignent comme leurs parents tantôt. pourtant, quand à dix-huit ans, l'aînée est rejetée par sa mère pour sa sexualité face à la religion, deborah est la seule à lui tendre la main et à l'accueillir dans son dortoir de fac, quand son père fait le dos rond face à la perspective de se réunir avec son ancienne flamme. si tout a explosé lorsqu'ayla a parlé de son attirance pour les femmes, elle aura au moins eu le mérite de réunir ses parents. (three) enfant star à la con, ayla dégote un rôle dans une comédie disney au tendre âge de neuf ans et pousse la chansonnette auprès de deux autres gamines dans un romcom pour ados qui fait de ses comparses la coqueluche des médias mais l'invisibilise. elle s'en sent presque soulagée ; ses parents s'excusent de l'avoir mise sur le devant de la scène et sa carrière disparaît aussi vite qu'elle a commencé. elle reprend un rôle très ponctuel dans un film musical qui a floppé, en tant que la méchante de service qui chante trop bien, et se fait à nouveau complètement oublier. puis, après un an à vivre en secret dans le dortoir de deborah, à enchaîner les jobs ingrats à quatre heures du mat à côté de ses propres études, ayla décroche un job dans un jeu vidéo. doublure pour un caractère secondaire. elle est remarquée, se fait son réseau et commence à grimper les échelons jusqu'à un rôle majeur, il y a un an, dans un jeu qui a révolutionné les plateformes et qui mettait son personnage en vedette. à cet instant c'est l'explosion, les appels quotidiens pour l'avoir dans le prochain projet, la popularité toute relative mais bien plus appréciée qu'à l'époque. personne ne se souvient de l'enfant star, à sa plus grande joie. son père, en revanche, lui envoie une carte pour la féliciter. une seule carte. autant dire qu'à ses yeux, c'est le monde entier qu'il lui offre. (four) tantôt décrite comme trop sentimentale, tantôt comme perturbée, ayla a passé plusieurs années à voir un psy pour des problèmes intempestifs de colère mal contrôlée. c'est une âme sensible, une gamine puis adulte facilement déstabilisée, elle déteste ne pas avoir le contrôle sur la situation et ne sait plus comment se placer quand elle est mise face à l'inconnu. elle redoute de repousser ses limites, de franchir la barrière de la routine, s'accroche aux habitudes même mauvaises. elle est sous antidépresseurs depuis gamine, la rendant plus détachée de ses émotions que sans traitement – elle estime que c'est pour le mieux, trop sensible à tout, trop susceptible, toujours à fleur de peau. elle en vient même à aimer son côté amorphe. (five) elle rencontre liv et c'est l'histoire d'amour parfaite : un coup de foudre au lycée, quelques années de on-and-off et des fiançailles qui semblent tombées à pic tant elles en sont évidentes. liv et ayla tombent amoureuses, se disent oui, et parlent d'avoir des enfants. c'est l'ordre des choses, c'est confortable, c'est inattendu tout à la fois, le cœur d'ayla explose et elle trouve enfin son bonheur, la raison pour laquelle elle a coupé tout contact avec sa famille. les astres se retournent et abondent en son sens, enfin.  (six) ça n'arrive qu'aux autres – ça n'arrive toujours qu'aux autres, mais pas cette fois. leur seconde tentative à la pma se solde sur une fausse-couche et liv se ferme catégoriquement à l'idée de retenter l'expérience. elle sombre dans un épisode dépressif tandis qu'ayla, incapable de gérer ses émotions sans les faire déborder, se réfugie dans le travail. le couple s'éloigne et, l'espace de quelques semaines, la jeune femme a l'impression de repeindre le tableau vif et net de la relation parentale, mêmes déchirures aux mêmes endroits. l’idée l’effraie suffisamment pour qu’elle s’efface davantage, se mette en retrait total de la relation. elle en paie le prix alors que sa femme réclame sa présence et son soutien et se retrouve, à son retour, confrontée à une maison vide et à une épouse qui n’a pas attendu qu’elle se remette. (seven) une tragédie en emmène une autre et l'hôpital de la nola contacte ayla pour l'informer que son père a été retrouvé dehors en pleine nuit. examens, batteries de tests, diagnostic formel : le père sahani est atteint d'alzheimer et ni son ancienne épouse, ni deborah ne peuvent le prendre en charge. c'est ayla qui se retrouve chargée de son suivi, et renoue tant bien que mal avec le paternel, retisse des liens à mesure du temps qui passe pour l'une et s'efface pour l'autre. (eight) l'évidence tombe sur elle sans qu'elles n'en parlent : liv a une amante, elle en est certaine, elle le sent dans ses absences répétées et son regard fuyant et enfin, ayla comprend qu'elle a abandonné sa femme en cherchant à se préserver elle-même. elle tente de redresser ses torts, de remonter le temps, est prête à fermer les yeux sur les écarts de son épouse et à laisser à leur couple une seconde chance. elles se lancent à corps perdu dans des démarches d'adoption mais les jours passent, la complicité a déserté la relation, et l'évidence qu'elle lit dans les yeux de liv devient inéchappable : elle est tombée amoureuse d'une autre. (nine) le peu de structure familiale qu'elle a eu dans sa vie, elle l'a compensé avec des amitiés béton qu'elle hisse au-dessus de tout lien du sang : parmi eux, il y a victoria, l'amie de toujours, le crush laissé de côté mais toujours dans un coin du crâne, la demoiselle d'honneur au mariage et vice-versa. l'amitié jamais soupçonnée de personne et rarement sujet de jalousies, tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu lieu de s'en inquiéter. ça a toujours été simple, sans fioritures ou drama ultérieurs, toujours direct et honnête, jusqu'à ce que ça ne le soit plus. et aujourd'hui, ayla est incapable de savoir comment revenir à l'avant, au simple, au facile, ou même si c'est réellement ce qu'elle souhaite. (ten) jamais très causante, toujours au comble de la méfiance, ayla s'est résignée à une vie solitaire dans leur grande maison que liv déserte de plus en plus souvent. ce n'est pas une grande battante, elle n'a pas l'étoffe de ceux qui se lient facilement d'amitié et avec le temps qui passe et le silence qui coule, elle en vient à se demander ce qu'elle a foutu, tout ce temps, quand est-ce qu'elle s'est refermée à ce point sur ses acquis. trente deux ans et rien de stable ; aucun contact avec sa famille outre son père en besoin et sa sœur cadette qui la voit une fois par mois comme pour remplir une formalité, un mariage qui s'amenuise comme peau de chagrin à mesure que s'égrènent les secondes, des amis qui se comptent sur les doigts d'une main (voire les doigts d'un pouce). ayla se borne, s'entête mais il lui suffit de relever la tête pour se rendre compte qu'elle n'est pas si épanouie qu'elle aimerait l'être.