(connor) inconnu à cuisiner

La sonnerie incessante des textos reçus par Heaven rend Lena folle. Elle qui, pour une fois, essaie de lire tranquillement un livre avachie dans le fauteuil du salon. Au bout du sixième soupirs, elle lance son pied vers la jambe de son faux-frère pour qu’il relève la tête. Elle lui adresse un sourire adorable avant de dire d’une voix désespérée « mais éteiiiiins ta fichuuuuue sonnerie !!!!! » Il hausse les épaules avant d’appuyer sur le bouton droit pour augmenter le son. « Mais heaaaveeeeeen » grogne-t-elle. Finalement, elle était bien mieux fille unique, la vie était plus simple. Mais bon sans Heaven, pas d’Aoden et ça, elle n’est absolument pas prête à laisser son père de côté. Nouveau soupir, elle pose son livre, se lève et en passant derrière son frère, elle lui tape la tête. Elle pensait faire un petit coup rapide et discret, mais faut croire qu’Heaven l’avait prévu car il l’attrape et la fait basculer devant lui. Lena pousse un hurlement et Isaac accourt. Ce dernier écarquille les yeux devant la scène et, avant qu’il puisse dire quoique ce soit, les deux enfants se réécrient en choeur. « T’inquièteeeee. » Ils ont des problèmes à régler entre eux, pas besoin d’adultes. Ahem, ce n’était pas comme s’ils étaient des adultes eux-mêmes.

Finalement, Isaac s’éloigne et Lena sort de la chambre, son portable à la main. Peut être qu’elle est juste jalouse de ne pas recevoir autant de texto que son frère, qu’elle est comblée par Nina, mais qu’elle n’a que peu d’amis dans sa vie. Elle se mord la lèvre, songeant à tout ça, quand elle entend un bruit qui vient d’une pièce vide. Forcément vide cette pièce puisque Aoden et Isaac étaient dans le salon à côté de la pièce de lecture où se trouvaient les deux enfants. Lemony, elle l’a vu y a quelques secondes, est occupé. Lena est curieuse et persuadée d’être en sécurité ici, mais elle a un doute. Doit-elle appeler Aoden tout de suite ? Non. Le bruit n’est pas un bruit terrifiant, ce n’est pas quelqu’un qui essaie d’être silencieux avant de commettre un méfait, ça semble juste être quelqu’un qui … attend ? Mais qui ? Lena n’a pas entendu la sonnette. Le coeur battant à tout rompre, Lena allume son téléphone sur le numéro de son père, ainsi, elle n’aura qu’à appuyer pour l’appeler s’il y a le moindre problème. A moitié rassurée, elle pousse la porte et pousse un petit cri.

Il y a bien quelqu’un. Du genre homme. Long, grand, plutôt beau-gosse. Il a un air qui lui dit quelque chose, un trait sur le visage qui lui rappelle quelqu’un … mais qui ? Lena inspire doucement et verrouille son téléphone. Ce n’est pas un cambrioleur, il a enlevé son manteau et semble à sa place ici, mais elle n’est pas totalement rassurée encore. Elle le regarde fixement avant de finalement oser demander sans la moindre gêne. « T’es qui ? Et tu fais quoi là ? » Elle n’est pas la propriétaire des lieux, mais elle est chez elle. Et cet inconnu… Elle n’arrive pas à se défaire de cette sensation de familiarité qui la rassure autant qu’elle l’effraie.

Mon budget « voyages » en prenait un coup depuis que j’avais rejoint le marché des célibataires il y a de cela plusieurs années déjà. Pour cause, si notre couple appartenait au passé, mes allers-retours de New York à la Nouvelle-Orléans se multipliaient rien que pour ressentir le bonheur de partager encore quelques heures avec Lemony Carpenter. Chose que je lui taisais même si cela semblait évident. La raison officielle était, bien entendu, que Bernadette avait besoin de voir son deuxième papa (et non, il ne s’agit pas d’un prénom douteux mais bel et bien de notre Golden Retriever). Et aujourd’hui ne faisait pas exception ! C’est avec une démarche à suivre détaillée que je me retrouvais dans une pièce vide du manoir dans lequel il travaillait. Pour résumer : « Inutile de déranger qui que ce soit, attends-moi dans le boudoir et je te rejoins à 17h pétantes. » Sauf que, dans ma précipitation, j’étais arrivé avec une demi-heure d’avance et n’avais plus rien à faire d’autre que de me tourner les pouces. Je n’avais pas osé faire rentrer le chien et l’avait attaché sur le perron à l’extérieur. La température étant clémente, rien ne risquait de lui arriver.

Ainsi, je faisais les cent pas. Je m’étais débarrassé de mon manteau que j’avais posé sur le dossier d’un fauteuil et regardait autour de moi comme si je ne m’y étais jamais arrêté. En réalité, il était extrêmement rare que je sois invité à pénétrer dans cette habitation. Lemon y était employé et non résident. Malgré tout, cela était déjà arrivé une ou deux fois lorsque les intempéries se montraient trop sévères pour me laisser faire le pied de grue dehors. Du peu que j’en avais vu, la demeure était somptueuse. L’imaginer ici me paraissait toujours étrange. Non pas car il manquait de classe (au contraire, il était l’homme le plus élégant de cette planète) mais car il serait éternellement cet écrivain toujours à la recherche d’inspiration. Les drames survenus à New York ne l’avaient pas ménagé et j’espérais qu’il réussirait un jour à se reconnecter totalement avec son ancienne identité.

Je me perdais dans mes songes lorsqu’un cri me fit sursauter. Rien à voir pourtant avec un hurlement digne des films d’horreur mais j’étais tant ailleurs qu’il suffisait de peu pour me faire réagir. La main sur le cœur, mes yeux se posèrent sur une demoiselle ayant facilement une dizaine d’années de moins que moi. Ses mots tranchèrent radicalement avec la douceur se dégageant de son physique.

- Je suis désolé ! m’exclamai-je avec mon accent britannique renforcé par le soupçon de panique. J’ai rendez-vous ici avec Lem… Monsieur Carpenter mais je suis un peu en avance. Excusez-moi, je vais…

D’un geste rapide, je repris mon habit, commençai à m’éloigner et manquai de peu de me prendre les pieds dans le tapis avant de me rappeler que j’avais négligé l’une de ses questions. J’avais la main posée sur la poignée lorsque j’ajoutai :

- Si vous le croisez, auriez-vous l’amabilité de le prévenir que Connor l’attend dehors s’il vous plaît ?

À quel degré devais-je utiliser les belles formules ? Après tout, si on vivait dans un manoir tel que celui-ci, les bonnes manières devaient être de mises pas vrai ?  

Si Lena est surprise, l'autre le semble autant qu'elle. Lena inspire profondément, regrettant un peu son ton si froid, mais on n'est jamais trop prudent et elle ne veut pas risquer sa vie une fois de plus. Elle a déjà trop fait confiance et s'en est mordu les doigts par la suite.

- Je suis désolé !

L'accent est surprenant, pas d'ici. Anglais ? Sûrement. Elle réfléchit, toujours avec cette sensation de déjà-vu qui ne la quitte pas. Ce n'est que lorsqu'il prononce le nom - ou plutôt la moitié du nom - de Lemony qu'elle comprend. Instantanément elle se sent soulagée : ce n'est que lui, pas un pyschopathe. Pourtant, Lena tente de rester neutre, sur ses réserves, s'il ignore qui elle est ou que Lemony ne lui a pas trop parlé d'elle, peut être pourra-t-elle le questionner ?  Si sa relation avec le majordome a d'abord été un peu ... raté, maintenant elle est assez proche de lui pour en avoir appris un peu sur son passé. Il l'a réconforté quand Hayden l'a quitté, il l'a aidé à se remettre debout quand elle croyait qu'elle ne pourrait jamais se relever, alors elle lui doit bien la pareil.

- Si vous le croisez, auriez-vous l’amabilité de le prévenir que Connor l’attend dehors s’il vous plaît ?

Son regard soupçonneux n'est joué que de peu. Elle a envie d'en savoir plus, son nom elle l'avait sur le bout de la langue et maintenant elle sait. Elle sourit. Ce qui peut paraître inquiétant après le regard précédent.

- Mmh, je préfère m'installer avec vous pour l'instant. dit-elle en prenant place sur le canapé. Mes pères étant dans la pièce d'à côté, si vous êtes un dangereux psychopathe je n'aurais qu'à hurler pour les attirer par ici. D'ailleurs, je vais envoyer un texto tout de suite, histoire qu'ils soient au courant.

Elle sort son téléphone, sans le lâcher du regard, parce qu'elle a déjà hurlé et ... qu'en réalité, personne n'est venu. Bon c'était un petit cri, mais bon sang de murs bien isolés, pour une fois qu'ils jouent en sa défaveur ! Elle écrit rapidement un message qu'elle n'envoie pas. Pour l'instant elle souhaite rester seul avec ce Connor.

- Bon, vous êtes chez moi, donc j'ai le droit de vous interroger, ce sont les règles. Son grand sourire dénote, cette fois-ci elle n'est plus sèche et froide, il a du bien sentir le changement d'émotions. Vous connaissez Lemony depuis longtemps ? Vous lui voulez du mal ? Après tout, c'est la seule chose qui l'importe.

Ce Connor a le droit de vivre sa vie, de faire ce qu'il veut et Lemony aussi, mais ce dernier compte beaucoup trop pour la gamine et elle veut vérifier que ce type n'est pas trop cruel ou qu'il ne joue pas avec les sentiments de son ami. Lena se penche en avant et fixe son regard dans celui de Connor. Elle cherche sur son visage toute trace de mensonge et à la place de celui qui est observé, elle prendrait bien son temps pour peser ses mots quand il répondra.

Je ressemblais à un voleur pris sur le fait accompli. Prêt à prendre la fuite en m’apprêtant à ouvrir la porte de la pièce, mon élan fut coupé net par l’affirmation de mon interlocutrice. Celle-ci préférait discuter plutôt que de me voir disparaître. Ma surprise apparut de façon évidente sur mes traits pendant que la pression exercée sur la poignée diminuait progressivement. Elle n’avait pas appuyé sur un de ces fameux boutons planqués pour rameuter les flics et gagnait donc du temps en me tapant la conversation hein ? Il ne manquerait plus que ça : que je finisse en garde-vue pour violation de propriété privée ! Mon ex aurait intérêt à me tirer de là illico ! Oui, mon imagination s’égarait toujours dans des recoins n’ayant ni queue ni tête. Par conséquent, il était peu surprenant que j’avais fait office de muse pour l’écrivain pendant si longtemps. Pour ma défense : observer la jeune femme écrire un message destiné à ses parents n’avait rien de rassurant.

- Hum… Ok. Compréhensible… j’imagine, marmonnai-je en fronçant les sourcils pendant que mon cœur battait la chamade.

Dans quelle galère m’étais-je encore fourré ? Pourquoi le majordome n’entendait pas mes supplications silencieuses de le voir débarquer me sauver la mise ? Ça m’apprendrait à écouter ses instructions (et à être bien trop ponctuel) ! Il n’empêche qu’avec mon air paniqué je devais difficilement paraître menaçant. À une époque, je me comparai même à une crevette, ce qui m’avait valu les moqueries de l’homme à cause duquel j’étais ici. Toutefois, si ce n’était déjà plus totalement le cas lors de notre rencontre, cela faisait désormais une éternité que cette comparaison était périmée. Sans être autant baraqué que bien des hommes de mon âge, mes bras étaient suffisamment balèzes pour me défendre en cas de nécessité.

Je m’éloignai de la sortie en faisant deux ou trois pas dans la direction de l’inconnue lorsque celle-ci partagea son point de vue. Son toit, ses questions. Je ne pouvais pas les lui refuser. Fort heureusement, le climat s’était réchauffé ce qui m’empêchait de revivre des flashbacks traumatisants de l’époque où mon chemin avait croisé celui de la police à maintes reprises. N’empêche qu’être soupçonné de souhaiter du mal à Lemony me fit tout drôle.

- Non ! m’exclamai-je avec un peu trop de ferveur. Jamais je ne… On se connaît depuis bientôt dix ans. Nous sommes amis.

Cette saloperie de terme qui m’arrachait la gorge dès que je l’employai pour qualifier notre duo. Quand je le prononçai, le volume de ma voix chutait légèrement pour quiconque y prêtant l’oreille, signe d’un regret difficile à taire. Avec son regard insistant, j’étais persuadé que la propriétaire ne ferait qu’une bouchée de mon secret. À peine mes yeux avaient-ils croisés les siens que je les rabaissai, persuadé qu’il était déjà trop tard. Je ne désirai pas que mon ancien fiancé l’apprenne. Il avait tourné la page et méritait de refaire sa vie comme il l’entendait, sans un mauvais souvenir sur pattes à le supplier de revenir. Lemon était heureux ici à la Nouvelle-Orléans.

- Je ferais mieux de sortir. Je vous ai déjà suffisamment embêté et je ne veux pas laisser ma chienne sans surveillance trop longtemps…

Et me revoilà à mon emplacement précédent. J’étais déjà à moitié dans le couloir lorsque je me retournai vers la blonde. Qu’est-ce qui me passait par la tête en lui proposant ça ? C’était stupide ! Sans compter que je n’avais même pas réfléchi à si celle-ci avait déjà entendu parler de Bernadette. Si oui et si ce n’était pas déjà fait, elle n’aurait plus qu’à rayer l’étiquette « ami » pour la remplacer par celle indiquant « ex » en majuscules.

- Vous voulez la voir ?

À moins qu’elle y était allergique ? Dans tous les cas, j’avais besoin de prendre l’air !

- Je le jure : elle ne mord pas, ajoutai-je avec un premier sourire.
 

- Non ! La ferveur du mot me fait sourire, légèrement, mais je me sens tout de suite plus confiante pour la suite. Jamais je ne… On se connaît depuis bientôt dix ans. Nous sommes amis.

J'acquiesce rapidement, mon esprit fusant à toute allure, je surveille son regard, son visage, ses mains et comment il prononce les mots, mais malheureusement, je n'ai rien sur quoi me caler. Comment ment-il habituellement ? Quelles sont ses techniques ? Même si je suis concentrée, je suis incapable de savoir et d'y lire autre chose que ce qu'il vient de me dire. Et j'ai diablement envie de le croire, c'est un ami. Il n'a pas hésité un seul instant, mes doutes et mes soupçons sur Lemony fondent comme neige au soleil. Mince alors, j'espérais voir renaître sa plus belle histoire d'amour.

- J'te dois la vérité Le vouvoiement cesse, sans que j'm'en rende compte. Je l'savais, j't'ai reconnu.

Sans jamais l'avoir vu, mais j'en sais suffisamment sur lui évidemment. Je préfère ne pas avoir à expliquer comment j'ai pu apprendre tout ça, j'en garde encore une sacrée gêne, mais j'étais bête à l'époque, quand j'ai rencontré Lemony. J'étais sûre de moi, de mes talents et pire, j'étais persuadée qu'on ne pouvait être proche d'un homme qu'en le séduisant. D'ailleurs, je m'y prenais tellement mal que lorsque j'ai rencontré Aoden et que je savais qu'il était mon père, mais que lui l'ignorait... il a cru que je le draguais. C'était idiot et impensable, mais c'était ma seule façon d'agir à l'époque, pas étonnant que j'ai tenté la même chose sur Lemony.

Heureusement, tout est bien qui fini bien, il n'y a plus le moindre doute et Lemony me fait confiance. Je décide d'insister là-dessus en le regardant droit dans les yeux. Je cherche encore un détail, j'espère le voir cette fois-ci.

- Lemony m'a parlé d'son ami britannique, je n'savais juste pas que tu devais venir aujourd'hui.

J'hausse les épaules, l'air de rien tout en souriant. Comment va-t-il réagir, heureux qu'il parle de lui ? Ou au contraire, terrifié qu'il ait mentionné son nom devant ses employeurs - même si techniquement je ne le suis pas ? Ses yeux sont insondables, il ne me regarde pas, cache-t-il donc quelque chose ? Je rêve de replonger dedans, pourtant, je suis de moins en moins douée à saisir les émotions des autres. Tout mon esprit est concentré sur Nina jour comme nuit, tant mieux ça me va bien.

- Oh, une chienne ! Bien sûr qu'j'te suis.

Je lui emboîte le pas vers la sortie, d'ailleurs il ne fait pas si froid, s'il voulait éviter d'être vu, il aurait pu rester à l'extérieur. Intéressant, cherchait-il à en savoir plus la maison ? Etait-il curieux d'imaginer Lemony y naviguer à son grès ? J'avoue que je suis heureuse de pouvoir visualiser Nina dans sa boutique, mais je la connais par coeur. Je les connais par coeur, l'amoureuse et le lieu. Je souris.

- Ohhh, qu'elle est belle, j'adore les chiens, ma copine Wendy en a une aussi, parfois je fais du pet-sitting, mais ça fait longtemps que j'n'suis pas allée chez elle. Elle s'appelle comment ? Oh lala, je peux ?

Et me revoilà, moulin à parole, j'ai totalement oublié que j'étais ici par curiosité, pour en savoir plus sur eux deux. Lemony me tuerait si je l'embêtais, mais j'crois pas que j'sois vraiment dangereuse, non ? Je me baisse et tends la main vers l'animal, après l'accord de son maître et j'attends qu'elle me renifle. Elle est douce, si douce. Vais-je finir par convaincre Papa de prendre un chien ici ? Pas sûr.

- Lemony n'finit pas avant 20 minutes encore, on a l'temps d'discuter, c'est cool.

Et voilà, bam, sans hésiter la conversation redevient sérieuse, je compte profiter d'un peu d'temps. En réalité, je ne connais pas les horaires du majordome, mais je sais qu'il finit à heure fixe, il est 16h40 et comme Connor l'attend, je suppose qu'il doit finir à 17h. Héhé, le détective Lena est dans la place !

Qu’elle m’ait reconnu me laissa perplexe pendant un instant. Nous étions-nous déjà croisés un jour dans un café de la Nouvelle-Orléans par exemple ? Pas d’aussi loin que je m’en souvienne. Dans ce cas, il n’y avait qu’une explication : Lemony m’avait déjà mentionné. Je me sentis embarrassé non pas car une étrangère devait connaître mon orientation, mais parce que j’ignorai ce qui avait été dit exactement. Aux dernières nouvelles mon ex n’avait aucune raison de me cracher dessus dans mon dos mais cela restait un peu angoissant. Lui avait-il résumé notre rupture ? Étais-je passé pour le « Bad Guy » malgré lui ? Mes yeux continuaient de fuir ceux de mon interlocutrice quand elle reprit la parole tant il m’était impossible de me dépêtrer de la sensation qu’elle essayait de lire dans mes pensées sans interruption. Qu’espérait-elle y trouver ? Des pensées désobligeantes ? La nature exacte de mes sentiments à l’égard du majordome ? Je me passais une main dans la nuque puis décidai de croiser enfin nos regards.

- Je ne pensais pas qu’il parlerait de moi. Vous êtes… sa patronne ?

Sous-entendu : n’est-ce pas inapproprié de sa part de se confier à vous ? Il fallait bien que je mette de l’ordre dans la nature des liens de ceux présents sous ce toit ! J’étais paumé. Toutefois, j’étais ravi pour mon ancien fiancé si ce dernier entretenait de si bonnes relations avec la famille résidant ici. Tout le monde ne pouvait se vanter de ça puisqu’être en confrontation avec ses supérieurs était bien plus récurrent ! Puis, notamment par crainte de prononcer une gaffe, j’optai pour me retirer. À l’exception près que je ne pus retenir une invitation à venir à la rencontre du Golden Retriever patientant à l’entrée. Ce qui fut accepté. L’intérêt que lui porta la blonde me fit sourire. C’était adorable.

- Bien sûr ! acceptai-je sans hésiter. Elle a plusieurs prénoms mais on l’appelle surtout Bernadette.

Je pouffai tout en m’essayant près de l’énorme bébé plus affectueuse que n’importe quel autre être sur cette planète (sauf peut-être son second papa) afin de la caresser également. Ouais, ce prénom provoquait régulièrement des réactions étranges.

- Ok, ce n’est pas super commun mais on trouvait ça drôle ! On l’a choisi après un voyage en France il y a pas mal d’années. J’avais promis à Lemy qu’on irait un jour et il l'a marqué autant que moi.

Cette expédition remontait à une éternité désormais et, une fois de plus, je ressentis un pincement au cœur à l’idée qu’elle ne serait probablement jamais actualisée. Dire que celui-ci se tenait non loin de nous, derrière des murs épais qui m’empêchaient de le décrire. Métaphoriquement adéquat. En outre, je n’avais même pas prêté attention à ma franchise concernant mon ancien couple. Que pensait-elle du fait que nous nous fréquentions toujours ? Je fis un bisou sur le crâne de la chienne puis lui parlai comme un père gâteux avant de la laisser appuyer la partie supérieure de son corps contre moi, ses pattes avant sur mes cuisses.

- Votre amie a aussi un Golden ? C’est vraiment une espèce incroyable et attachante. Vous avez déjà songé à en adopter un ?

Si la jeune femme souhaitait continuer à discuter en attendant la fin du service de l’employé, rien de tel que de blablater chien ! Mieux valait-il ça que de s’attarder sur mon cœur brisé pas vrai ?

- Je ne pensais pas qu’il parlerait de moi. Vous êtes… sa patronne ?

L'éclat de rire qui sort de ma gorge est trop sincère pour être moqueur. Pourtant, il a raison, c'est ça qui est censé être notre relation. Majordome et patron, sauf que je ne suis pas mon père. Je hausse les épaules et tente d'expliquer.

- Alors théoriquement oui, mais j'suis la jeune de la famille, la p'tite gamine qui a débarqué dans la maison y moins d'un an, pas du tout habituée à avoir un majordome, fin sérieux je pensais que ça n'existait que dans les films avant ! Bref, puis Lemony n'est pas vieux non plus, donc on a discuté, mais t'inquiète il est toujours trèèès professionnel.

Ça c'est bien la moindre des choses, il me l'a expliqué en long en large et en travers. Surtout quand je me suis ridiculisé au possible, c'est sûrement ça qui a fait évolué notre relation d'ailleurs, même si Lemony est bien trop prudent sur sa vie personnelle et ne m'a pas tout raconter, je sais juste qu'un certain Connor est important dans sa vie, mais à quel point, je ne peux que me servir de mes yeux pour ça.

On quitte la petite pièce pour rejoindre le chien dehors, la chienne même. Elle est adorable.

- Bernadette ? tentais-je de prononcer en souriant.

J'ne suis pas douée pour nommer les choses ou animaux, je laisse ce soin aux autres, mais le prénom me semble étranger, d'une jolie consonance. Qui suis-je pour juger ? Personne n'avait jamais vu de tréma avant que je débarque ici, ma mère avait vraiment des goûts unique. Et puis, en laissant Connor parlait, j'en apprenais plus sur eux deux. Je souris, Lemony n'est resté que vague, Connor me donne des détails.

- Ahhhh, la Fraaaance. J'étais en Espagne cet été, j'suis deg de ne pas avoir visité le pays de l'amoûûûr.

Je dis ça avec envie, sans moquerie. Parce que je suis niaise depuis que j'aime Nina, mais je l'accepte avec joie. Elle mérite qu'on l'aime tellement fort cette fille que je ferais n'importe quoi. Mais là, faut que je pense à celui qui est en face de moi plutôt. Je songe dans ses yeux et donc fait enfin le lien que j'attendais, ils s'aimaient déjà avant, si je sais que Lemony est gay et que Connor est un homme important de sa vie, je ne savais pas qu'ils étaient déjà sortis ensemble. De toutes mes théories foireuses sur leur histoire, ce n'était pas une de celles que j'avais deviné, mais hey, voilà des indices. Parce que qui achète un chien ensemble et leur nomme en référence à un voyage dans le pays de l'amour ? Non, les meilleurs amis ça marche pas comme explication, je refuse.

- Ça devait être un voyage extraordinaire.

Mes yeux brillent d'envie, mais je m'efforce de ne pas le regarder trop fixement, je veux des réponses, je veux en savoir plus, mais je ne veux certainement pas le mettre mal à l'aise, sinon il va se renfermer. J'ai testé sur Lemony et je crois avoir enfin réussi à trouver la limite, à partir de quelles questions il se trouve un quelconque travail à faire et m'abandonne à mes pensées. Je n'aurais peut être pas d'autres occasions avec Connor, il me faudra donc être subtile.

- Oh, non, euh, en fait je sais même pas quelle race elle an bredouillai-je me sentant un peu idiote. Juste, elle a une chienne... ? Qui s'appelle Luna.

Ma voix est montée dans les aigu, comme si c'était une question alors que c'est bien la seule chose que je sais. Je me mords la lèvre, c'est fou de n'avoir jamais interroger Wendy sur la race de son chien et d'être incapable de pouvoir le deviner. J'suis vraiment pas attentive, c'est fou.

- Nan, j'pourrais pas en adopter, j'suis incapable de m'occuper que d'moi même alors de quelqu'un d'autre ? Pas fou !

Je m'approche de Bernadette - du coup - et la caresse doucement, j'adore la douceur du poil, mais ramasser les cacas, sortir le chien un jour de pluie, aller chez le véto, c'est au-dela de mes cordes.

- Elle est toute belle, vraiment. Elle a quel âge ?

Ok, les deux-là n’avaient pas la relation employeur/employé la plus conventionnelle qui soit (en partie aussi car elle n’était pas celle lui signant les chèques) et cela me soulageait. Cela me retirait une épine du pied car comment pouvais-je deviner où placer la limite parmi les informations que nous échangions ? Là, nous étions plus libres d’échanger avec naturel. J’étais néanmoins curieux concernant la bribe de biographie que Lenaïg me fournit. Pour quelle raison venait-elle de débarquer récemment au sein de la résidence familiale ? Quel drame avait bien pu se dérouler pour qu’un tel déroulement prenne place ? Je n’osais pas l’interroger à ce sujet tant ce dernier était carrément déplacé mais priais pour que la vérité soit moins bouleversante que la version que je m’écrivais. Par crainte de faire une gaffe, j’optais pour répondre à un point où je me sentais en confiance totale.

- Il n’existe pas plus exemplaire que lui. Vous avez bien fait de le choisir, assurai-je donc avec le maximum d’objectivité que j’étais en mesure de rassembler. Bien sûr, je suis toujours convaincu que sa carrière d’écrivain va décoller au point de se faire une réputation à l’internationale. Il le mérite.

Lemony ne pouvait avoir tiré un trait sur son premier amour ! Être majordome était parfait pour se changer les idées et se reconstruire une santé financière mais je doutais qu’il s’y projette jusqu’à la fin de ses jours. Je n’y croyais pas un instant tant son imagination débordante méritait d’être couchée sur le papier afin d’en faire profiter le Monde. Bordel… Qu’est-ce que ce passé me manquait… Pouvions-nous retourner en arrière et reprendre les choses avant qu’elles ne vrillent ? Bref, je fus ravi d’entendre la conversation se détourner en direction du Golden Retriever qui m’attendait sagement à l’extérieur et qui mourrait sans nul doute d’impatience de revoir son second papa. Son prénom surprenant ne parut pas déplaire à mon interlocutrice qui ne fronça pas le nez en guise de désaccord. Bon point. Les gens pouvaient parfois être très sectaires face à ce qui leur était étranger. Après avoir justifié notre choix, je souris en réaction à son anecdote.

- L’Espagne… Vous y êtes restée longtemps ? J’espère que vous y avez passé un bon moment.

J’y avais mis les pieds qu’une fois uniquement et n’en conservais que peu de souvenirs malheureusement. À rectifier ? J’attendais l’avis de la jeune femme pour me construire un avis plus solide sur la question. Quant au voyage que j’avais passé aux côtés de mon ancien fiancé… Je ne fis qu’hocher la tête en guise d’approbation. Oui, ce dernier avait été incroyable. Bien sûr, je ne précisai pas que c’était au cours de ce séjour que j’avais décidé de le proposer en mariage prochainement. Cela avait mis un peu plus d’un an (et je m’étais fait sur-planté), toutefois j’étais persuadé d’avoir trouvé le bon. Le seul. L’unique. Aujourd’hui, y repenser me serrait le cœur et, machinalement, mon regard se posa à nouveau vers la bâtisse dans l’espoir de le voir en sortir.

Puis, le sujet bifurqua sur son amie et la dénommée Luna dont je n’appris pas la race. Je ris un peu, amusé par une demoiselle semblant très distraite au quotidien.

- Ok, voilà ce qu’on va faire. La prochaine fois que vous les voyez, vous les suppliez pour une photo au cas où vous et moi sommes amenés à nous recroiser. Deal ? proposai-je avec un large sourire aux lèvres et la main tendue dans sa direction. Mais vous avez raison. Il faut se sentir prêt à adopter. Un animal requiert beaucoup d’attention et d’affection ! Cela dit, d’ici-là, vous pouvez toujours profiter de ceux de vos proches sans avoir les « inconvénients » !

Il n’y avait pas un moment durant lequel je regrettai la présence de ma chienne. Je l’aimais plus que tout et son soutien s’était révélé inestimable depuis ma rupture. Je posai mon visage contre sa gueule dans un câlin adorable puis fis un calcul éclair.

- Elle a déjà 7 ans. Elle est née pendant l’été 2015 ! me rappelai-je avant de regarder l’animal dans ses grands yeux noirs tout en rapprochant mon nez de son museau. T’es une grande fille maintenant, bah oui !

Ce qui ne l’empêchait pas de faire une ou deux bêtises parfois en hommage à sa folie des premiers temps.

- J’essaye de venir assez régulièrement ici pour qu’elle puisse passer du temps avec Lemy. On habite à New York donc ça fait une trotte…

La difficulté d'avoir des parents séparés...

Alors là, je tombe des nues. Ecrivain ! Il me l'a jamais dit et pourtant on a bien parlé, peut-être était-ce le jardin secret de Lemony. Je me demande maintenant si je peux en parler, faire quelque chose ou si c'est mieux de me taire. J'ai du mal à savoir quelle est ma place dans cette maison parfois. Enfin, je veux bien que je me sens hyper bien ici, j'adore cette famille et je me verrai nul part ailleurs, mais je suis plus vraiment une enfant et je suis bien loin de me sentir adulte. Quand est-ce qu'on passe ce cap ? Le passe-t-on un jour d'ailleurs ?

- Compte sur moi pour lui rappeler. dis-je enfin.

Ouais, c'est décidé, je vais aller embêter Lemony avec la lecture jusqu'à ce qu'il me parle de sa passion secrète. Enfin, elle est peut être pas secrète et je suis peut être juste pas du tout attentive, c'est une option probable.

- L'Espagne c'était ... plein de sable. Je t'avoue qu'on était dans une petite ville, mince, comment elle s'appelait. Pavlova ? Non c'est un gâteau ça. Estopéna ? Oh zut je sais plus, mais du coup c'était sur le bord de mer, on a fait du bateau, on a bronzé, on s'est baigné, on a dormi à la belle étoile et on a mangé des glaces. Je me rends compte d'un coup qu'on aurait pu faire ça n'importe où, on a pas trop fait les touristes en fin de compte. C'était juste le voyage gagné par la loterie de la ville, je sais pas si ça te parle ? Bref, je me suis laissée portée et j'ai suivi mon amoureuse partout et voilà, c'est tout. Oh !  Estepona !!! Voilà le nom de la ville !

Oups, je m'étais remise à parler à toute vitesse, agitant mes mains, la tête ailleurs, sur le ventre de Nina ce soir-là où on a dormi sur la plage pour admirer les étoiles. Un sourire s'étire sur mes lèvres en songeant à ces moments avec elle. C'est vraiment à partir de ces vacances-là quand je me suis sentie réellement en couple, genre, comme les autres, parce que j'y avais le droit au bonheur aussi.

- Dooonc tu veux me recroiser.

Je lui fais les yeux doux avant d'exploser de rire. Ce qui m'intéressait c'était sa réaction, allait-il être gêné ou outré ? Je voulais voir, parce que je commence enfin à avoir une idée un peu plus précise dans le brouillard qui mêle Lemony a Connor.

- C'est parfait on a un deal, on s'voit bientôt d'toute manière avec Wendy !

J'aime bien la manière dont Connor trouve des solutions, ça semble simple avec lui, j'apprécie beaucoup. Je ne réagis pas à son annonce, même si New York me fait frissonner, je n'sais pas pourquoi, mais cette ville ne m'attire pas du tout, elle me fait peur même, mais je savais qu'il habitait loin. Je ne savais pas précisément où. Est-ce que Lemony ne m'avait rien dit ou est-ce que j'ai oublié ? Les deux cas sont probables.

— J’espère que tu n’as pas harcelé Connor de questions, n’est-ce pas petite détective en herbe ?

Et bien quand on parle du loup ! Même si pour être honnête, nous parlons de Lemony depuis le début pratiquement. Je souris, l'air totalement innocente.

- Moiiii ? Embêter quelqu'un ? JA-MAIS.

Je ris à nouveau, je me sens vraiment bien ici, cette maison est chez moi, mais c'est la présence de ceux qui m'entourent qui me fait du bien. Je pensais pas au début que Lemony et moi tisserons une amitié et pourtant... il est devenu un pilier central de ma vie. La relation n'est pas totalement ouverte - il en sait beaucoup plus sur moi que moi sur lui - mais j'ai totalement confiance en lui. Je souris doucement surtout en les voyant si proche. Lemony pose sa tête sur l'épaule de Connor et ça a l'air tellement naturel que je me demande s'il n'y a pas plus que ce qu'ils veulent bien me dire. Ou se dire.

- On parlait de combien Connor était incroyablement content de me rencontrer, et on t'en voulait de ne pas nous avoir présenté plus tôt !!! Non j'déconne, enfin j'suis vraiment contente de cette discussion, mais on parlait de Bernadette, je le dis bien d'ailleurs c'est comme ça qu'on prononce ? Et du chien de ma copine Wendy, puis on a parlé de l'Espagne aussi, tu sais quand j'y suis allée cette été avec Nina. Et piouf, le reste j'ai oublié.

Les chien et Nina, voilà ce que je retiens, le reste envolé. Je caresse distraitement le dos de l'animal - vu que la tête de Bernadette est déjà prise d'assaut par d'autres mains - en les regardant.

Spoiler:

J’écoutais attentivement Lenaïg qui me contait son séjour en Espagne. Si le tableau qu’elle en dépeignait était très sympathique, je devais avouer qu’il ne m’encourageait pas spécialement à dépenser des centaines de dollars pour des activités réalisables à proximité. À sa place, je me serais perdu dans les musées et autres lieux touristiques atypiques qui n’attiraient pas forcément les jeunes de son âge visiblement. À Paris, mon ancien petit-ami et moi avions passé nos journées à flâner près de la Tour Eiffel et autres monuments, avions visité le musée Grévin et tant d’autres. Cette expédition avait été si romantique… Pouvoir partager ça me manquait terriblement. Avec lui, en particulier. Je rêvais parfois de nous programmer un énième voyage comme au bon vieux temps mais au lieu de ça nous ne faisions que des allers-retours entre New-York et la Nouvelle-Orléans. Triste. Se faire arracher si violemment sa source de bonheur était l’un des pires traumatismes existants et j’avais conscience que je ne m’en remettrai jamais tant que la bague que je conservais dans mon bureau ne serait pas à son doigt.

- Je ne connais pas mais c’est vraiment dingue comme lot ! Vous deviez être super heureuses.

Qu’elle ait tant peiné à se remémorer du nom de la ville m’amusait grandement mais je n’osai pas la taquiner là-dessus. Nous ne nous connaissions pas encore suffisamment pour que je me permette une telle familiarité. En outre, je ne relevai pas son orientation sexuelle. J’étais heureux qu’elle s’assume face à un étranger qui, de toute manière, pourrait difficilement la juger ! Sa génération était plus ouverte d’esprit que l’était la mienne même si le chemin à parcourir était encore long. Si seulement la sécurité de chacun pouvait être assurée.

- Vous avez quand même eus la vie de rêve pendant quelques jours. Dingue comme ça me manque de partir à l’étranger. J’espère pouvoir convaincre Lemony de me raccompagner un jour…

Peu importait la destination tant qu’il n’y avait que nous deux (et potentiellement Bernadette). Des glaces, du soleil et la plage… J’en mourrais d’envie au cours de cet hiver pluvieux dans la Grosse Pomme ! Mes pensées légèrement maussades furent interrompues par une réplique de mon interlocutrice qui, d’abord, me laissa muet, presque sous le choc en réaction au malentendu. J’avais beau être plutôt décontracté depuis mon arrivée aux USA, il arrivait parfois que l’Anglais en moi reprenne le dessus lors d’une confrontation frontale comme celle-ci. Par chance, je compris rapidement que c’était une blague et qu’elle ne s’attendait pas à un lien de nature romantique. Je finis par rire tant je me sentais stupide mais n’eus pas l’opportunité de répliquer puisque le majordome fit enfin son entrée.

Mes billes ne le lâchèrent plus. Je le contemplais saluer notre fille avec un amour si attendrissant, le Golden Retriever rendu incontrôlable par son excitation. Mes lèvres s’étirèrent. Cette image me faisait toujours si chaud au cœur tant elle me ramenait des années en arrière. Encore aujourd’hui j’espérais secrètement que je pourrais y assister quotidiennement mais j’étais sûr que Lemony avait tourné la page pour de bon désormais. Bien sûr qu’il rencontrait d’autres mecs dans le coin ! Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il refasse sa vie avec l’un d’entre eux. Je pouffai en réaction à leur échange très fraternel puis remarquai enfin le manteau tenu par son poing. Quoi ? Je l’avais oublié à l’intérieur ? Pourtant j’étais sûr de… Bordel, dès que j’étais à moins d’un kilomètre de lui je perdais tous mes moyens.

Lorsqu’il me le tendit, je le récupérai en inclinant la tête de gratitude mais nous ne nous saluâmes pas selon les traditions. Nous n’avions jamais défini un geste que ce soit pour ça ou les au revoir (peut-être avions-nous tort puisque cela nous aiderait sûrement à éviter ces légers instants de flottement)… Puis, je sentis sa tête se poser contre mon épaule après qu’il se soit posé à mes côtés. Ma circulation s’accéléra brièvement tant ce contact autrefois si familier était délicieux. Et dire que pendant si longtemps nous tentions de ne même pas nous frôler ! Après un instant d’hésitation, ma main se posa sur son genou qu’elle serra rapidement en guise de bonjour discret. J’aurais tellement souhaité en faire davantage… Le résumé un brin chaotique de la demoiselle me sortit de mes pensées tandis que je laissai un rire s’échapper.

- Non mais tu as raison. Je suis content qu’on se soit rencontrés. En plus, ça me permet de devenir un peu plus familier avec son nouveau monde…

Car oui, je n'en faisais pas réellement partie. J'étais bloqué dans un entre-deux sans vraiment savoir où me situer. Je tournai mon visage vers Lemy pour le décrire de plus près et y aperçus le restant d’une angoisse si violente que ses yeux en sortaient rougis. Mon front se plissa alors que, inquiet, je repris en abaissant la voix.

- Eh ! T’es sûr que tu vas bien ?

Me voilà à me refaire un sang d’encre pour lui. Qu’était-il arrivé pour qu’il soit si bouleversé ? Je priais pour que sa famille n’ait rien, essayant de taire la voix me soufflant que le brun avait probablement des ennuis sentimentaux. Non, je n’étais pas encore prêt à le savoir en couple avec un autre.

Spoiler:

Les voir tous les deux me fait réaliser qu'il y a plus de choses que ce qu'ils m'ont dit. Lemony a à peine évoqué Connor devant moi, enfin c'était plus pour me repousser quand j'avais fait l'idiotie de tenter de le séduire - la seule chose que je savais faire face à des hommes auparavant. Depuis que j'ai Nina, je me rends compte combien ma vie était vaine avant, combien je me complaisait dans cette superficialité. Mais Nina avait tout balayé devant moi et j'étais heureuse, sincèrement heureuse. Mieux, j'avais confiance en certains hommes, pour ce qu'ils étaient, j'avais appris que je pouvais avoir des amis. Et vu comment Connor me fait rire, je sens que j'ai envie de le garder près de moi. Surtout si ça continue de déclencher de la joie sur le visage de Lemony.

Je n'interviens pas dans leur conversation, j'ai l'impression d'être un peu à côté, de gêner un moment si doux. Ils se connaissent depuis si longtemps, que ce n'est pas ma place, ça ne me dérange pas, je suis contente de caresser le dos de Bernadette - même s'il va falloir que j'aille me laver les mains après. Elle réagit bien à mon toucher, semble contente qu'on s'occupe d'elle. Toute perdue dans cette contemplation je ne vois pas la catastrophe arriver. Je la sens.

- AHHH PUTAIN DE SA... MERDE. AHHHHHH.

Les pattes de la bestiole me remonte sur le pantalon, je secoue mes bras dans tous les sens et me relève brusquement. Je fais sûrement peur à Bernadette, mais là, seule ma propre terreur habite mon cerveau. Quand le chat plante ses griffes dans mes jambes, je me demande si je vais pas perdre connaissance.

- Des lapins, tu avais dit des lapins. Je crois que je préfère des lapins. De loin.

Le souffle court, je ferme les yeux pour tenter de me calmer. Décidément, les animaux, ce n'est clairement pas pour moi. Je serre mes poings, mon pantalon est fichu, de toute manière, je ne remets pas une fringue sur laquelle une souris a grimpé.

Qui peut parler de courage en pensant à moi ? Personne, car je me réfugie derrière le dos de Lemony, gâchant le moment doux qu'ils partageaient. Si jeme sens un peu coupable, je suis certainement bien trop égoïste. Je pose ma tête sur le dos de Lemony et agrippe ses bras. Je me sens cachée derrière lui, comme protégée. J'suis presque sûre qu'Ao m'a entendu crier et qu'il va sortir avec une batte, prêt à casser la gueule au monde entier. L'image me fait sourire, je peux compter sur lui, j'espère pourtant qu'il n'a pas entendu mon cri. Le pauvre, il doit être sous tension avec tout ce qui arrive.

- Les créatures du démon sont parties ? demandai-je encore tremblante.

Je les ai complètement laissé gérer sans la moindre hésitation, j'espère qu'ils ne vont pas trop m'en vouloir.

Sa tête contre mon épaule, sa main posée sur la mienne... D'un point de vue extérieur, peu nombreux seraient ceux en capacité de différencier notre comportement à celui que nous avions adopté pendant plusieurs années. À quoi était dû ce brusque rapprochement nous qui étions devenus très mesurés suite à notre séparation ? Mon intuition me poussa à croire qu'un élément perturbait Lemony (comme le prouverait le regard que je m'apprêtais à lui jeter) et que ce dernier requérait mon contact pour se remettre sur pied. Comme avant. Nous aurions pu nous montrer plus pudiques à cause de la présence de l'habitante du manoir mais s'il n'était pas embêté par ça... Pourquoi le serais-je ? En-dehors de certaines compagnies et de lieux risqués, je n'avais jamais caché mon attirance pour la gent masculine une fois que je m'étais pleinement assumé. Encore moins alors que j'étais si fier d'être aux côtés d'une perle comme lui. Qui pouvait se vanter d'une telle bénédiction ? Eh bien... Plus mon moi du présent en tous cas ! La chaleur de sa peau contre la mienne me donnait envie de déposer un baiser sur le revers de sa main mais je m'abstins. Un peu de décence. Ne pas abuser et savoir doser. Il ne manquait plus que je lui fasse peur en étant trop démonstratif... Déjà que la surprise s'entendait dans sa voix quand il comprit que je m'intéressais à sa vie à la Nouvelle-Orléans ! Comment pouvait-il passer à côté de ça ?

- Duh ! Ce n'est pas évident avec mes dix allers-retours par mois ? me moquai-je tendrement avec un petit rire. Tout ce que tu me racontes m'intéresse et puis... ce n'est pas comme si je n'avais pas vécu avec le fameux majordome !

Je grimaçai, laissant sous-entendre qu'il avait ce petit côté tyran dès qu'il était question des tâches ménagères. C'était totalement faux évidemment (et il n'y avait aucun mystère là-dessus) mais je sentais toujours que le faire rire ne serait pas une mauvaise chose. Nous avions rapidement su nous équilibrer une fois que que le bail avait contenu nos deux signatures de sorte que je ne pouvais même pas me souvenir d'une embrouille à cause de vaisselle traînant dans l'évier par l'exemple. Par prudence malgré tout, ma main serra légèrement son genou pour bien confirmer que je blaguai. il n'empêche que si j'avais dit la vérité au sujet de mon ressenti lorsque je l'imaginais dans sa tenue de travail... Non. Aucun risque. Surtout avec la femme à proximité ! Je chassai rapidement de souvenirs très inappropriés dans le contexte actuel même si son image fringué en agent resta gravée encore quelques secondes.

Bref, je ne pouvais contenir mon inquiétude plus longtemps. Pourquoi semblait-il si perturbé depuis son arrivée ? Je priais pour que ce n'est aucun rapport avec l'affaire macabre qui nous avait séparé. Malheureusement, son absence de précision ne m'aida pas à rayer cette possibilité de ma liste. Je devrais m'en contenter et profiter d'un instant plus privé pour y revenir. Dans le but de marquer mon souci couplé à mon soutien, j'inclinai le crâne de sorte à exercer une petite pression sur le sien. Peut-être que ce témoignage d'affection le convaincu de s'épancher davantage sur ses soucis puisqu'il enchaîna sur une explication au coeur de laquelle se trouvait une soirée célébrant le printemps. Intéressant ! Je n'étais pas 100% sûr qu'il livrait l'intégralité de ses tracas mais fus tout de même plutôt rassuré.

- Des lapins ? Est-ce qu'on est censés venir déguisés ?

Comment ça je me projetais déjà avec l'accoutrement de cet animal ? Non, je ne fis même pas mine de devoir réfléchir à son invitation. Si je pouvais obtenir le droit d'être de la partie, alors je serais là. Je ferais tout pour. Mes billes brillaient déjà d'émerveillement.

- Je sais que tu vas nous préparer une soirée époustouflante ! J'ai toujours dit que tu étais très connecté à ta Bree Van De Kamp intérieure ! Par contre, va pas falloir m'en vouloir si je te pousse à adopter une petite soeur pour Bernadette.

Franchement, même si je préférais les chiens, ces bébés aux grandes oreilles poussaient à la paternité ! Tristement, cette discussion fut écourtée par une catastrophe provoquée par un être encore plus minuscule que ces derniers puisque Lenaïg fut le refuge d'une souris paniquée poursuivie qu'un chat affamé ne comptait pas mâcher de sitôt. Je bondis sur mes pieds de surprise mais aussi dans le but de retenir le Golden qui se mit à grogner face à tant d'agitation imprévue. Il n'était pas simple de lui apprendre à cohabiter avec d'autres espèces dans un appartement new-yorkais et il n'était donc pas étonnant que son instinct prenne le dessus. Je tâchai de l'apaiser tout en faisant un signe de la main pour que le félin s'éloigne. Mes yeux suivirent la victime potentielle jusqu'à un buisson où elle disparue, laissant son attaquant agacé. Victoire ou mise en pause ?

- Ça va ? On a frôlé la catastrophe je crois ! conclus-je en me tournant vers Lenaïg qui s'était planquée derrière Lemony. Eh ! Calme-toi ! Sssshhh !

Notre fille n'avait qu'une envie : partir enquêter d'une manière que je craignais peu pacifiste. D'un simple coup d'oeil, je demandais de l'aide à son second papa qui tenta de la raisonner à son tour et ne retirai pas ma main lorsqu'elle croisa la sienne, toutes deux perdues dans le pelage de la chienne. Une fois le félin hors de notre champ de vision, nous pûmes enfin la relâcher (non sans méfiance).

- Il faudra se méfier de ce chat quand les lapins seront en liberté ! Histoire d'éviter un bain de sang.

Car oui, avec cette bête dans les parages, cette idée merveilleuse pourrait rapidement virer au cauchemar ! Je tapotai l'épaule du brun afin de lui signaler mon soutien.

—Tu as entendu ça Lena ? Je suis une Bree Van De Kamp, c’est pas la classe comme surnom pour un majordome ?

Je souris largement, j'aime quand il me prend à partie. Non parce qu'ils sont absolument adorable à regarder et j'adore leurs échangent, je rêve d'avoir quelqu'un avec qui je suis autant complice qu'eux. Mais j'aime bien qu'ils ne m'oublient pas et m'intègre dans leur conversation. Il faut tout de même bien avouer que je ne connais pas encore Connor, du moins, pas comme l'ami qu'est Lemony, alors je ne lui en veux pas.

- Alors j'adore, c'est hyper classe, mais j'avoue que j'ai pas la ref, avouai-je en me sentant complètement con.

J'ai très peu de ref, je me souviens de Hayden qui voulait constamment me faire découvrir ce monde merveilleux qu'est celui de l'imaginaire, mais j'ai trop de retard et beaucoup mieux à faire. Même si je m'améliore, c'est certain.

Et je n'ai pas le temps de réfléchir plus, que le drame se produit. Cachée derrière Lemony, j'essaie de reprendre mon souffle. Une souris + un chat + des griffes. Je ne suis décidément pas une aventurière, j'aime le confort de la ville, une sacrée citadine. On ne m'avait pas prévenue que vivre au manoir m'entraînait sur une nouvelle pente !

—Regarde, Connor et Bernadette ont fait fuir la menace. De vrais héros qui nous ont sauvé !

Les mains de Lemony sur mes épaules, sa voix douce et apaisante, je sens déjà que le danger est passé et que mon coeur reprend son rythme normal, mais c'est clairement Connor qui désamorce la situation.

- Il faudra se méfier de ce chat quand les lapins seront en liberté ! Histoire d'éviter un bain de sang.

Le sourire qui s'affiche sur mes lèvres, son humour, sa passion évidente pour Bernadette qui a envie de courser le chat qu'on ne voit déjà plus. Je respire mieux. Dans mes yeux, on peut y lire tout mon soulagement.

- Oh lala, merci beaucoup. J'étais pas prête à vivre cette aventure et ça confirme que j'aime bien les animaux... mais chez les autres.

Je serre rapidement Lemony dans mes bras, puis je m'accroupis devant la chienne et lui caresse les poils avec joie. Elle mérite bien cette tendresse après tout !

- Tu es définitivement mon héroïne Bernadette.

Je souris à nouveau en me relevant, retrouvant ma joie de vivre habituelle. Je suis une peureuse, j'y peux rien. Je me demande même s'il faut raconter cette anecdote à Aoden ou s'il va se foutre de ma gueule. Mouais, vaut peut être mieux éviter d'en parler.

- Oh je doute pas une seconde de toi Lemony ! Tu sais, tu serais capable de me vendre une machine à expresso alors que j'aime pas le café, donc t'inquiète, je te fais confiance les yeux fermés.

C'est sincère, il est toujours si sûr de lui et il fait un boulot formidable, au début c'était étrange d'avoir un majordome. Sérieux, qui d'autre à un majordome chez lui ? Mais en fait, je m'y suis habitué, c'est une chance incroyable et je veux en profiter jusqu'au bout.

- Vous voulez pas qu'on se pose sur la terrasse pour discuter plutôt que de rester dans le champ de vision du démon ?

Soudainement, je me rends compte de la situation puis d'une petite voix.

- Enfin j'imagine que tu voulais passer du temps avec Connor et que je me suis incrustée dans la conversation, j'vais peut être vous laisser tranquille plutôt.

L’épisode de la tendresse fut brusquement abrégé par l’entrée en scène d’une souris et de son agresseur affamé et ce fut Lenaïg qui en paya les frais. Non seulement le rongeur se paya le culot de la confondre avec un parc d’attraction, mais le chat planta ses griffes dans ses jambes au cours de cette course-poursuite passionnée. La demoiselle termina planquée derrière l’employé de son père tandis que je m’occupais de calmer Bernadette qui était prête à en découdre. Un véritable bordel qui dut alarmer plus d’un voisin ! Il nous restait plus qu’à espérer que l’un d’eux n’aurait pas l’idée absurde d’appeler des renforts dans l’optique de vérifier que rien de dramatique ne se déroulait au manoir. Bref, je pouffai lorsque je me trouvai étiqueté « vrai héros ». Lemony réussissait toujours à en faire des tonnes dès qu’il s’agissait de moi et ce, peu importe que l’on soit séparés depuis de nombreuses années. Ce furent ses mots suivants qui me secouèrent plus que de raison. « Mon petit Peter Parker ». Sans même s’arrêter sur le pronom possessif, ce surnom fit ressurgir des souvenirs d’une période où le simple fait de devoir se saluer ne relevait pas du questionnement. À cette époque, tout était permis. Il n’existait aucune retenue et nous vivions sans la moindre trace de pudeur. Rappel de ce manque cruel qu’il me fallait supporter chaque jour depuis notre séparation… Le rouge qui me monta aux joues me força à baisser mon regard pour me focaliser sur le Golden dont j’entourai son cou de mes bras avec affection.

- Je n’ai pas fait grand-chose. C’est elle qui nous a sauvé de l’Apocalypse !

Ok, l’exagération était contagieuse au sein de notre duo. Je me raclai la gorge puis le vis se rapprocher de nous afin d’embrasser notre fille. Cette proximité arrivait au pire moment déjà que je luttai contre les agressions de ma mémoire qui affectaient mon moral.

- Et oui. Ça va. MJ.

Entre Bree et Mary Jane, autant dire que Lemy avait dû être roux dans une vie antérieure ! Mes yeux croisèrent les siens puis je laissai apparaître un sourire sur mon visage. Je fus soulagé quand il se redressa peu après alors que la tentation de l’embrasser était si forte. Pauvre Lenaïg. J’ignorais comment elle interprétait le spectacle que nous lui offrions mais il suffisait d’une touche d’attention pour remarquer un tas de non-dits entre nous. J’en étais certain. Malheureusement notre chance était passée pas vrai ? Sur ce, j’écoutai sa proposition généreuse à l’égard de la blonde dont le pantalon affichait quelques traces des péripéties animales. La réponse de cette dernière me fit lâcher un éclat de rire alors que, redressé à mon tour, je plaçai mes doigts dans le creux du dos de l’américain.

- Qu’on lui fasse confiance en un clin d’œil, ça a toujours été son pouvoir magique.

Un sourire puis ma main se glissa dans ma poche. Terrasse tous les trois ou un au revoir afin de passer du temps en famille ? C’était un choix délicat d’autant plus que j’étais sûr que mon ancien fiancé avait déjà dû anticiper le reste de la soirée que ce soit un restaurant ou autre. Impossible pour moi de prendre cette décision donc. Que faire ?

- On se croirait dans Life Is Strange, blaguai-je en faisant référence au jeu vidéo auquel nous avions joué ensemble lors de ses livestreams bien des années auparavant.